La notion de variété
La notion de variété, proche mais distincte de la diversité ou de la bigarrure, partage avec celles-ci son caractère fuyant. L’enquête lexicographique et historique fait de la variété une notion par ailleurs saturée de sens et de résonances, sans cesse investie et réinvestie au cours du temps, au gré des changements de sensibilités, des débats esthétiques, philosophiques et épistémologiques. Elle est donc tout à la fois qualité rhétorique et oratoire, principe poétique et esthétique, instrument pour décrire la nature et les hommes. Elle résiste précisément à toute tentative de définition univoque. Le Mercure de France constituera ainsi un terrain d’étude particulièrement riche pour saisir l’usage, la portée et les évolutions d’un tel concept au XVIIIe siècle.
Variété du Mercure
[…] nous avons à combattre les Censeurs opiniâtres, qui regardent l’ennuy & le dégoût comme les attributs incontestables du Mercure ; ne voudront-ils jamais rien rabattre de cette opinion ? Il en est même qui s’obstinent encore à lui compter pour défaut la variété qui constitue son caractere. (Le Mercure, juin 1721, vol. 1, p. viii)
C’est ainsi qu’Antoine de La Roque présente, définit et défend son Mercure dont il a repris la direction en juin 1721. Les directeurs successifs du Mercure galant, puis du Mercure de France, n’ont de cesse de présenter la variété en tant que principe fondamental de leur entreprise. Sous leur plume, elle est désignée comme un « agrément » essentiel du journal, son « caractère », sa « devise » ou encore une « règle » applicable à sa composition. Concrètement, du fait de sa fonction historiographique – car le journal retrace « l’Histoire journalière de la Nation » – et de sa dimension culturelle, mondaine, politique et littéraire, le Mercure offre un contenu particulièrement hétérogène. Cette diversité tient autant à la nature et aux fonctions du journal qu’à son lectorat pluriel et composite. Depuis Donneau de Visé qui écrivait « Le Livre doit avoir dequoy plaire à tout le monde, à cause de la diversité des matieres dont il est remply » (Le Mercure galant, mai 1672, s. p.), le principe de variété s’impose avant tout comme une réponse à l’hétérogénéité du lectorat dont il faut satisfaire les goûts et intérêts.
Pistes de recherche
La variété du Mercure ne saurait toutefois se réduire à la question du public : nous proposons de la voir comme un principe qui articule des enjeux éditoriaux, commerciaux, épistémologiques et culturels. Trois pistes de réflexion méritent d’être suivies. Tout d’abord, le principe de variété doit être envisagé comme un principe qui engage des réflexions – tant chez les rédacteurs que chez les lecteurs – sur l’arrangement ou la structure de la livraison, sur la tension entre ordre et désordre, sur l’équilibre ou la compatibilité des matières. La composition du Mercure peut donc être envisagée comme un travail qui induit des réflexions d’ordre esthétique, sinon l’élaboration d’une poétique du journalisme littéraire. Ensuite, par sa fonction structurante, la variété distingue les matières du journal. Il faudra ainsi interroger le rôle qu’a joué le Mercure de France dans la définition du littéraire, dans la hiérarchisation des discours, ou dans le développement de nouveaux genres. Enfin, les propos d’Antoine de La Roque cités plus haut nous font voir la variété comme un principe qui ne fait pas l’unanimité. Elle est donc au cœur des débats sur l’utilité de la presse littéraire, sur son degré de spécialisation et sur les modes de lecture qu’elle engendre. Plus largement, le concept de variété a une valeur identitaire, elle est une composante de ce qu’on désigne alors comme l’esprit français. En adoptant le principe de variété, le Mercure contribue à l’affirmation de cette représentation culturelle nationale selon des modalités qu’ils restent à préciser. (L.K.)