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p. 1-54
RELATION DE L'AMBASSADE de Mr le Chevalier DE CHAUMONT A LA COUR DU ROY DE SIAM, Avec ce qui s'est passé de plus remarquable durant son voyage.
Début :
Je partis de Brest le troisiéme Mars 1685. sur le [...]
Mots clefs :
Fort, Siam, Roi, Mandarins, Hollandais, Maisons, Lettre du roi, Quantité, Manière, Fruits, Rivière, Mer, Vent, Détroit, Île de Java, Ballons, Vaisseaux, Roi de Siam, Abbé de Choisy, Frégate La Maligne, Île, Alexandre de Chaumont
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texteReconnaissance textuelle : RELATION DE L'AMBASSADE de Mr le Chevalier DE CHAUMONT A LA COUR DU ROY DE SIAM, Avec ce qui s'est passé de plus remarquable durant son voyage.
RELATΙΟΝ
DE
L'AMBASSADE
de M le Chevalier ™
DE CHAUMONT
A LA COUR DU ROY
DE SIAM ,
Avec ce qui s'est paßé de plus
remarquable durant fon
voyage.
E partis de Breſt le troifiéme
Mars 1685. fur le
Vaiſſeau du Roy , nommé
l'Oiseau , accompagné d'une Fre-
A
2 RELATION
,
gate de ſa Majesté , appellée la
Maline ; & ce fut avec un vent fi
favorable , qu'en ſept jours je me
trouvay par le travers des Iſles de
Madere : j'eus ce même bonheur
juſques à quatre ou cinq degrez
Nord de la Ligne Equinoxiale , où
nous eûmes quelque calme , & fentîmes
d'aſſez grandes chaleurs
mais pourtant pas incommodes ; le
vent revint bon , & nous paſsâmes
la Ligne par les trois cens cinquante
degrez cinq minuttes de longi.
tude trente- trois jours aprês nôtre
depart , & l'eau du fond de cale
étoit auſſi bonne & auſſi fraiche
que ſi elle venoit de la fontaine ;
ce qui fit que nous quittâmes celle
de nos jarres pour en boire. A
cinq degrez Sud de la Ligne nous
trouvâmes des vents fort variables
, mais les chaleurs point incommodes
, & je ne quittay point
mon habit d'hyver dans toute cette
DU VOYAGE DE SIAM. 3
route. Les vents quoique variables
ne laiſſerent pas de nous porter à
nôtre route , ſi bien que nous arri .
vâmes au Cap de Bonne Eſperance
le 31. May , poury faire de l'eau ,
& y prendre des rafraichiſſemens ,
quoique j'euſſe encore de l'eau pour
plus de quarantejours.J'y moüillay
le foir fort tard , &je trouvay dans
cette rade quatre Vaiſſeaux Hol.
landois , dont l'un portoit le Pavillon
au grand maſt ; ils venoient
d'Hollande , & conduiſoient un
Commiſſaire de la Compagnie qui
rend cet Etat- là ſi puiſſant dans
les Indes , & où il alloit pour ordonner
dans les Places qui y appartiennent
à cette Republique.
Monfieur de ſaint Martin Major
General , François de nation , qui
eſt au ſervice des Hollandois depuis
trente ans , & dont ils font
tres- contens , alloit à Batavia y
exercer ſa Charge. Le Commif
Aij
4 RELATION
faire General m'envoya faire compliment
le jour de mon arrivée , &
le lendemain matin il m'envoya fon
neveu & fon Secretaire me faire
offre de tout ce que j'avois affaire.
Des Habitans du lieu vinrent avec
des preſens de fruits , herbages ,
& moutons , & il me fit ſaluer par
ſes quatre Vaiſſeaux : on ne peut
recevoir plus d'honnêtetez que j'en
ay reçû de ces Meſſieurs .
Les Hollandois ont dans cette
plage un petit Fort à cinq baſtions ,
&environ cent maiſons d'Habitans
éloignées d'une portée de
mouſquet du Fort , qui font auſſi
propres dedans & dehors que celles
de Hollande ,& la plupart des
Habitans y font Catholiques, quoiqu'ils
n'ayent pas la liberté d'y
exercer leur Religion. La ſituation
en eſt belle , bien qu'il y ait une
groffe montagne qui la borne du
côté de la terre , où il y a une ex
DU VOYAGE DE SIAM.
trême quantité de gros Singes qui
viennent juſques dans leurs jardins
manger les fruits. Ils ont pluſieurs
maiſons de plaiſance à deux , trois
& quatre lieuës ; & au -delà de cette
groffe montagne il y a une plaine
de prés de dix lieuës , où ils ont
fait bâtir une habitation , & où il
y a pluſieurs maiſons , & quantité
d'Habitans qui s'augmentent journellement.
Le climat y eſt aſſez
doux ; leur Printemps commence
en Octobre , & finit en Decembre;
leur Eſté dure Janvier , Fevrier &
Mars ; l'Automne eſt en Avril ,
May & Juin , & leur Hyver en
Juillet , Aouft & Septembre ; les
chaleurs y font extrêmes , mais il y
a toujours du vent. La Compagnie
Hollandoiſe des Indes Orientales
y a un tres beau jardin , & de belles
paliſſades d'un bois qui eſt toujours
verd ; la grande allée a de
long quatorze cens cinquante pas ,
A iij
6 RELATION
elle eſt preſque toute plantée de
citronniers ; ce jardin eſt par compartimens
: on y voit dans l'un des
arbres fruitiers & des plantes les
plus rares d'Afie ; dans l'autre des
plantes & des fruits les plus exquis
d'Affrique; dans le troiſième des
arbres à fruits , & des plantes les
plus eſtimées en Europe ; & enfin
dans le quatriéme on y trouve auffi
des fruits & des plantes qui viennent
de l'Amerique. Ce jardin eſt
tres- bien entretenu , & eſt fort
utile aux Hollandois par la grande
quantité d'herbages & de legumes
qu'il fournit pour le rafraichiſſement
de leurs Flottes , lorſqu'elles
paſſent en ce lieu , allant aux Indes
, ou retournant dans leur païs.
J'y trouvay un Jardinier François,
qui avoit autrefois appris fon métier
dans les Jardins de Monfieur
à ſaint Cloud. La terre y eſt tresbonne
, & rapporte beaucoup de
:
7 DU VOYAGE DE SIAM.
bled , & tous les grains y viennent
en abondance. Un homme digne
de foy m'a dit qu'il avoit vû cent
ſoixante épis de bled ſur une même
tige. Les naturels du païs ont
la phyſionomie fine , mais en cela
fort trompeuſe , car ils font tresbêtes
; ils vont tout nuds à la re.
ſerve d'une méchante peau dont
ils couvrent une partie de leur
corps ; ils ne cultivent pas la terre ;
ils ont beaucoup de beſtiaux , comme
moutons , boeufs , vaches &
cochons. Ils ne mangent preſque
pointde ces animaux, &ne ſe nour
riſſent quaſi que de laict & de
beure qu'ils font dans des peaux
de mouton. Ils ont une racine qui
a le goût de noiſette , qu'ils mangent
au lieu de pain. Ils ont la
connoiffance de beaucoup de fimples
, dont ils ſe ſervent pour guerir
leurs maladies &leurs bleffures .
Les plus grands Seigneurs font ceux
A nij
RELATION
qui ont le plus de beſtiaux ; ils les
vont garder eux mêmes ; ils ont le
plus ſouvent des guerres les uns
contre les autres ſur le ſujet de
leurs paturages . Ils font fort tourmentez
des bêtes ſauvages , y ayant
une grande quantité de lions , leopards
, tigres , loups , chiens ſauvages
, elans , elephans : tous ces animaux
là leur font la guerre , & à
leurs beftiaux. Ils ont pour toutes
armes une maniere de lance qu'ils
empoiſonnent pour faire mourir
ces animaux quand ils les ont blefſez;
ils ont des eſpeces de filets
avec lesquels ils enferment leurs
beſtiaux la nuit . Ils n'ont point de
Religion ; à la verité dans la plaine
Lune ils font quelques ceremonies ,
mais qui ne fignifient rien.Leur Langue
eſt fort difficile à apprendre. Il
y a une grande quantité de gibier,
comme faifans , de trois ou quatre
fortes de perdrix , paons , lievres ,
1
RELATION
qui ont le plus de beftiaux ; ils les
vont garder eux mêmes ; ils ont le
plus ſouvent des guerres les uns
contre les autres ſur le ſujet de
leurs paturages. Ils font fort tourmentez
des bêtes ſauvages , y ayant
une grande quantité de lions , leopards,
tigres , loups , chiens ſauvages
, elans , elephans : tous ces animaux-
là leur font la guerre , & à
leurs beftiaux . Ils ont pour toutes
armes une maniere de lance qu'ils
empoiſonnent pour faire mourir
ces animaux quand ils les ont bleffez;
ils ont des eſpeces de filets
avec lesquels ils enferment leurs
beftiaux la nuit. Ils n'ont point de
Religion ; à la verité dans la plaine
Lune ils font quelques ceremonies ,
mais qui ne ſignifient rien.Leur Langue
eft fort difficile à apprendre. Il
y a une grande quantité de gibier,
comme faifans , de trois ou quatre
fortes de perdrix , paons , lievres ,
:
ول
AD
LA
;
J
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$
DU VOYAGE DE SIAM. 9
lapins , chevreüils , cerfs & fangliers;
les cerfs y font en ſi grande
abondance , que l'on en voit des
vingt mille enſemble dans des plaines
, ce qui m'a été aſſeuré par des
gens dignes de foy. Nous avons
mangé d'une partie de ce gibier ,
qui est tres bon & d'un goût admirable.
Les moutonsy font en ce
lieu d'une groſſeur prodigieuſe ,
peſans ordinairement quatre-vingts
Jivres. Il y a auſſi grand nombre
de boeufs & de vaches. La mer en
cette Baye eſt fort poiſſonneuſe ,
& le poiffon y eſt tres-bon ; il y en
a un qui a le goût du ſaumon , &
qui eſt fort gros ; il y a quantité
de loups marins , & en nous promenant
ils venoient faire cent tours
devant la poupe de nôtre canot ;
on tira deſſus ſans en pouvoir tuer
aucun. Il y a quantité de chevaux
fauvages, qui font les plus beaux du
monde , ils font rayez de rayes
10 RELATION
blanches & noires ( j'en ay apporté
la peau d'un ; ) on ne les ſçauroit
qu'à grande peine dompter . Comme
ce païs eſt tres bon , les Hollandois
y feront de grande Colonies
; ils envoyent tous les ans faire
de nouvelles découvertes dans les
terres . On dit qu'ils y ont trouvé
des mines d'or & d'argent , mais
qu'ils ſe gardent bien de le vouloir
dire. Les eaux y font admirables ,
& on y trouve des ſources en abondance;
les rivieres qui y font en
grand nombre y ont abondance de
poiffons.
Nous partîmes de cette rade
le ſeptième jour de Juin avec un
vent ſi favorable de Nord , & de
Nord Nord Oueſt , qu'il nous mit
au large , & le foir nous nous mîmes
en route pour Bantam: nous
eûmes beaucoup de pluyes , & la
mer fut fort groſſe juſques par le
travers des Ifles de Madagascar
DU VOYAGE DE SIAM. II
Nord & Sud , où je me trouvay le
dix- neuviéme Juin. Il y a en ces
mers là quantité d'oiſeaux , mais
point de poiffon. Depuis ce temps
juſqu'au vingtiéme Juillet nous
trouvâmes des mers fort rudes &
des vents fort variables , qui nous
obligerent de courirjuſqu'aux quarante
degrez Sud , où nous rencontrâmes
des vents de Oueſt , qui nous
firent faire un tres-grand chemin .
Le 24. ſuivant la Fregate la Maline
ſe ſepara de nous par un temps
fort rude , & la mer fort groſſe
courant au Nord. Le troiſieme
Aouſt nous trouvâmes la mer moins
agitée & le temps plus doux; à la
pointe du jour nous découvrîmes
une Iſle à ſept ou huit lieuës au
devant de nous , ce qui nous furprit
, cette Ifle n'étant point marquée
ſur nos Cartes : elle eſt ſituée
par les dix degrez dix - neuf minuttes
latitude Sud, & par eſtime par
12 RELATION
les cent vingt degrez quarante une
minuttes longitude. Cette Ifle eſt
une belle connoiſſance pour aller
trouver l'Ifle de Java , qui n'en eſt
éloignée que de cent cinquante
lieuës , & depuis nous avons reconnu
qu'elle est appellée l'Iſle de Mo.
ny , étant mal marquée ſur nos
Cartes qui la mettent proche celle
de Java ; cette Ifle eſt tres -haute.
Nous courûmes encore deux jours
d'un vent aſſez frais , & le cinquié .
me ſur les huit heures du matin
nous découvrîmes l'Iſle de Java ,
qui nous donna beaucoup de joye,
ainſi que de nous trouver au vent
du Détroit de Sonda ; nous fîmes
vent arriere terre à terre de l'Ifle ,
& le ſeptiéme enſuivant nous nous
trouvâmes entre l'ifle du Prince &
celle de l'Empereur qui fait l'entrée
du Détroit. L'Iſle de l'Empereur
eſt du côté de l'Iſle de Sumatra
, & l'Ifle du Prince du côté de
DƯ VOYAGE DE SIAM . 13
Java. Nous fûmes quatrejours entre
ces deux Ifles , les vents & les
courans nous étant contraires & fi
grands , que ce que nous gagnions
en douze heures , nous le perdions
en quatre , à cauſe des calmes qui
venoient quelquefois. Avantd'en .
trer dans ce Détroit la Fregate qui
m'avoit perdu le vingt-quatriéme
Juin s'y trouva ce même jour , &
nous nous vîmes d'abord ſans nous
reconnoître . Le treiziéme nous doublâmes
toutes ces Ifles , & nous
moüillâmes à une lieuë de l'Iſle de
Java : il en vint diverſes perſonnes
à mon bord dans de petits batteaux;
elles nous apporterent des
fruits du païs , comme cocos, dont
l'eau qui y eſt renfermée eſt extrê
mement bonne à boire , bananes ,
melons , citrons , & pluſieurs au.
tres de ces fortes de rafraichiſſe.
mens; ils firentdu bien à l'équipage
fort fatigué de la mer , & beau
14
RELATION
coup incommodé du ſcorbut.
Le ſeiziéme au matin nous moüillâmes
devant Bantam , où je trouvay
la Fregate la Maline , qui m'y
attendoit depuis deux jours : le
Capitaine qui la commandoit me
vint dire que le Gouverneur Hollandois
de Bantam ne luy avoit
point voulu donner d'entrée , &
qu'il luy avoit envoyé ſeulement
quelques vollailles & quelques
fruits : auſſi- tôt je fis partir Monfieur
de Forbin Lieutenant de mon
Navire , pour faire compliment de
ma part à ce Gouverneur , & le
prier de me donner la liberté d'envoyer
des malades à terre , de faire
de l'eau , & de prendre des rafraichiſſemens
. Il fit réponſe qu'il n'étoit
pas le maître à Bantam , qu'il
n'y étoit que comme conduiſant
des Troupes auxiliaires , & que c'étoit
le Roy de Bantam qui com.
mandoit , & qui ne vouloit donner
DU VOYAGE DE SIAM. 15
entrée à qui que ce ſoit. Les Hollandois
ſe ſervent du nom de ce
Roy, parce qu'ils ne veulent pas recevoir
des Vaiſſeaux étrangers ,
principalement ceux qui viennent
d'Europe. Depuis qu'ils font maîtres
de cette Place ils en ont chaſſé
toutes les autres Nations. C'eſt
une grande Ville & fort peuplée
de naturels du païs. Avant que les
Hollandois en fuſſent maîtres , c'étoit
la Place des Indes du plus
grand commerce; on y venoit d'Europe
, de Perſe , de la Chine , du
Japon , de l'Empire du Mogol , &
des autres Regions des Indes ; à
preſent les Hollandois en font tout
le commerce , qui leur est d'un
tres -grand profit , & l'on pouvoit
autrefois comparer cette Place à
Cadix en Eſpagne. Aufſi- tôt que
j'eus reçû la réponſe du Gouverneur
, qui me fit neanmoins dire
que ſi je voulois aller à Batavia j'y
16 RELATION
ferois tres-bien reçû , je levay l'ancre
& jeme mis à la voile pour m'y
rendre ; il n'y a que quinze lieuës
de l'un à l'autre . Je fus trois jours
avant que d'y arriver , à cauſe que
n'ayant point de Pilote qui y eût
été , je rencontray diverſes Ifles &
des bas fonds qui m'obligeoient à
moüiller toutes les nuits , &d'aller
le jour à petites voiles & à la fonde:
j'y arrivay le dix- huitiéme au
foir. Auffi -tôt que j'y eus moüillé
j'envoyay Monfieur de Forbin au
General luy faire compliment , &
luy demander la liberté de faire
deſcendre tous mes malades à terre ,
faire de l'eau , & prendre des rafraichiſſemens.
Il reçut fort bien
mon compliment , & il fit réponſe
qu'il donneroit ordre pour tout ce
qui me feroit neceſſaire , & à ceux
des deux Vaiſſeaux. J'envoyay le
lendemain foixante- cing malades
à terre , qui furent preſque tous
gueris
DU VOYAGE DE SIAM . 17
,
gueris en ſept jours que je demeuray
à Batavia , par le bon traitement
& les rafraichiſſemens que je
leur fis faire . Le dix- neuviéme au
matin le General m'envoya faire
compliment par trois Officiers
m'offrit tout ce dont j'aurois affaire
, & me pria de ſa part de deſcen.
dre à terre pour me délaſſer des
fatigues de la mer , avec offre de
ſon logis , dont je ſerois le maître
abſolu. Après les remerciemens que
je devois , je leur dis que j'aurois
ſouhaité n'avoir pas d'ordre qui
m'empêchât de deſcendre à terre ,
& que fans cela j'euſſe accepté avec
joye une pareille honnêteté : je ré.
pondis de la forte , outre pluſieurs
autres raiſons , pour éviter les ceremonies
qu'il auroit fallu faire
dans une ſemblable occafion. Le
General m'envoya une grande Chalouppe
pleine de toutes fortes de
fruits des Indes , d'herbes , de pain
B
18 RELATION
frais , deux boeufs , deux moutons,
& continua ainſi de nous donner
tous les deux jours de pareils rafraichiſſemens
. Le vingt- deuxième
j'allay à terre incognito , je me promenay
dans toute la Ville dans un
petit bateau. Cette Ville eſt à peu
prês comme Veniſe , elle a des canaux
qui traverſent toutes les ruës ,
& qui font bordez de grands arbres
qui font un ombrage fort
agreable , tant ſur les canaux que
fur les ruës ; les maiſons y font bâties
comme en Hollande , & de la
même propreté ; il y a une Citadelle
à quatre baſtions ; cette Ville
eſt entourée d'une muraille & d'un
grand foſſé fort large , mais peu
profond ; les entours en ſont tresbeaux
, ce ſont toutes maiſons de
plaiſance avec fort jolis jardins, &
des refervoirs où il y a des poiſſons
extraordinaires &de pluſieurs couleurs
, beaucoup de dorez & d'ar
DU VOYAGE DE SIAM . 19
gentez: il y a dans la Ville des Marchands
extrêmement riches , & qui
n'épargnent rien pour leurs plaiſirs :
la liberté y eſt comme en Hollande
, principalement à l'égard des
femmes ; je parlay avec quatre ou
cinq en me promenant dans des
Jardins ; elles font habillées à la
Françoiſe . Il y a dans Batavia environ
cinquante Carroſſes , j'en ay
vû quelques-uns fort propres & a
la mode de France ; leurs chevaux
ne font pas grands , mais en recom.
penſe ils font fort vifs . Cette Ville
eſt d'un tres-grand commerce,& fes
richeſſes font qu'on y ménage peu
l'or & l'argent ; elle eſt extraordinairement
peuplée ; les Hollandois
y entretiennent une groffe garnifon
; ils y ont pour eſclaves plus
de trois mille Maures des côtes de
Malabar & pluſieurs des naturels
du païs , qu'ils font vivre avec difcipline
aux environs de la Ville.
Bij
20 RELATION
L'Iſle de Java dans laquelle cette
Ville eſt ſituée eſt fort peuplée ,
elle a deux cens lieuës de long , &
quarante de large ; il y a cinq Rois
dont les Hollandois font les maîtres
; tous ces peuples font Maho .
metans. Je fis demander au General
un Pilote pour Siam , les miens
n'y ayant jamais été , il m'en fit
donner un qui avoit fait cette navigation
quatre fois : aprês toutes
ces honnêtetez j'envoyay Monfieur
de Forbin le remercier.
Le Dimanche vingt- fixieme
Aouſt à fix heures du matin nous
mîmes à la voile , & nous prîmes
la route pour paſſer le Détroit de
Banca ; nous fîmes ce jour- là d'un
petit vent dix lieuës ,& le foir fur
les neuf heures on me vint dire qu'il
y avoit au vent de nous un Vaifſeau
qui arrivoit ſur l'Oiseau oùj'étois
; je dis à l'Officier qu'on ſe
tint ſur ſes gardes ; un moment
DU VOYAGE DE SIAM. 21
-
aprês je vis par ma fenêtre ce Navire
qui nous abordoit : on cria
d'où étoit le Navire , mais on ne
répondit rien , & montant fur le
Pont je trouvay tout mon monde
fous les armes , & le Beaupré de ce
Navire fur la Poupe du mien ; je
luy fis tirer une vingtaine de coups
de fufils qui le firent déborder , &
il fit vent arriere s'en allant à toutes
voiles ;nous ne ſçûmes de quelle
nation il étoit , car perſonne de ce
Navire ne dît jamais une parole ,
&nous ne remarquâmes que trespeu
de monde dans ce Vaiſſeau :
je crois que c'étoit quelque Navire
Marchand qui faiſoit fa route ,
&qui fit une méchante manoeuvre;
il rompit quelque choſe du couronnement
de mon Vaiſſeau , qui
fut racommodé le lendemain .
Le Mardy vingt - huitiéme au
foir nous vîmes l'entrée du Détroit
de Banca , & le vingt-neuf au ma
Bij
2.2 RELATION
tin nous y entrâmes. Quoique nous
euſſions unbon Pilote Hollandois ,
nous ne laiſſames pas d'échoüer
fur un banc de ſable vazeux ; mais
comme il y a beaucoup de bancs
de cette même forte dans ce Détroit
, & qu'il arrive à pluſieurs
Vaiſſeaux d'y échoüer ſans grand
peril , cela ne me donna pas d'inquietude
; je fis porter un petit
ancre à la mer du côté de Sumatra
, & en moins de deux heures
jeme tiray de deſſus ce banc. Nous
fumes quatre jours à paſſer ce Détroit.
L'Ifle de Sumatra eſt à la
gauche, qui a plus de deux cens cinquante
lieuës de long ,& cinquante
où elle eſt plus large : les Hollandois
y ont quatre ou cinq fortereſſes;
les peuples y font tous
Mahometans , & elle est habitée
des naturels du Païs , qui obeïſſent
à quatre ou cinq Rois. La Reine
d'Achem en a un des plus grands
4
DU VOYAGE DE SIAM. 23
Royaumes , & y regne avec une
grande autorité , elle gouverne
tres-bien fes peuples : les Hollandois
font preſque maîtres de tous
ces Rois , ils traitent avec eux des
choſes qui croiffent dans l'Ifle , où
il y a des mines d'or , beaucoup de
poivre , quantité de ris , toutes fortes
de beſtiaux : en quelques cantons
les peuples ſont fort barbares ,
& les Rois ſe font ſouvent la guerre.
Ceux qui prennent la protection
des Hollandois ſont toujours
les plus forts , à cauſe des Troupes
& des Vaiſſeaux qu'ils leur envoyent
: ils font la même choſe
dans l'Ifle de Java , & trois cens
Européens battent toûjours cinq
à fix mille hommes de ces Nations,
qui ne ſçavent pas faire la guerre.
Elle est à quatre degré Sud de la
Ligne Equinoxiale. Les Hollandois
ont un Fort du côté du Détroit de
Banca , où il y a vingt - quatre
a
24 RELATION
pieces de canon ; le Fort eſt au
bord d'une grande riviere que l'on
appelle Palembane , elle ſe jette
avec tant de violence dans la mer,
que trois ou quatre mois de l'année
au temps des pluyes , l'eau quoyqu'entrant
dans la mer eſt encore
douce.
L'Iſle de Banca nous reſta à la
droite , elle a environ quarante
lieuës de long ; les Hollandois y
ont un Fort , & ontcommerce avec
les naturels de l'Iſle ; on dit qu'elle
eſt tres fertile & tres-bonne : dans
le temps que j'ay paffé devant la
riviere de Palembane , les Hollandois
y avoient deux Vaiſſeaux qui
y chargeoient des poivres . Le troifiéme
Septembre nous repaſſames
la Ligne par un temps le plus beau
& le plus favorable qui ſe puiſſe
voir , c'est - à-dire fans chaleur , un
air temperé , & pas plus chaud que
dans ce même mois en France ; de
forte
DU VOYAGE DE SIAM. 25
7
forte que je ne quittay point encore
non plus mon habit de drap ,
que lorſque je l'avois paſſée vers
les côtes d'Affrique. Nous allâmes
paſſer devant le Détroit de Malaca,
qui a trois ou quatre paſſes ou entrées
; les courans, y font fort
grands , & ſe trouverent tantôt
pour nous , & tantôt contre , се
qui nous fit moüiller fort ſouvent ;
car quand le calme nous prenoit ,
les courans nous emportoient fort
au large, & nous ne quittâmes pas
cette côte à cauſe des vents qui regnent
toujours du côté de la terre,
& qui nous pouſſoient à nôtre route.
Je croy que l'air de ce païs- là
eſt fort bon , car nous avions beaucoup
de malades ,& ils furent tous
gueris.
Le cinquiéme nous nous trouvâmes
par le travers de l'Iſle de
Polimon , qui eft habitée de Malais
, peuples Mahometans. Elle eſt
C
26 RELATION
tres bonne & tres -fertile,elle obeït
à un Prince qui la gouverne. La
Reine d'Achin y a des pretentions ,
& pour cet effet elle y envoye tous
les ans quelques Vaiſſeaux ; mais
comme ce Prince ne veut point
avoir de guerre avec elle , ſes peuples
luy payent quelque tribut. Il
en vint à nôtre bord un petit canot
, qui nous apporta quelques
poiſſons & quelques fruits . Cette
Ifle eſt éloignée de la terre ferme
d'environ fix lieuës ; une partie de
ſa côte a été autrefois ſoumiſe au
Roy de Siam , mais elle eſt poſſedée
depuis quelques années par
deux ou trois Rois , dont l'un eft
le Roy des Malais. Cette nation
eſt fort inſociable , & on n'a point
de commerce avec elle .
Du cinquiéme au quinze nous
n'eûmes que de petits vents forr
variables , & des calmes qui nous
faifoient moüiller ſouvent , à caus
DU VOYAGE DE SIAM. 27
ſe des courans qu'il y a le long
de cette côte. Depuis le Détroit
de Banca juſqu'à Siam , on ne
quitte point la terre , & on ne
s'en éloigne que depuis quinze juſfqu'à
vingt- cinq braſſes , le fonds
vaſe.
Le même jour nous nous trouvâmes
devant Ligor , qui eſt la
premiere Place du Roy de Siam.
Les Hollandois y ont une habitation
, & y font commerce. Il eſt
dificile d'exprimer la joye que les
Siamois que nous ramenions eurent
de ſe voir proche des terres de leur
Roy, & elle eſt ſeulement comparable
à celle que nous avons refſentie
à nôtre retour , quand Dieu
nous a fait la grace de retoucher
Breſt. Il mourut là du flux de ſang
aprês cinq mois de maladie un jeune
Gentil-homme nommé d'Herbouville
, l'un des Gardes de Marine
, que le Roy m'avoit donné
Cij
28 RELATION
pour m'accompagner ; il étoit fort
honnête homme , & je le regretay
extrêmement.
Enfin ( graces à Dieu ) le vingtquatrième
nous moüillâmes devant
la riviere de Siam, Toutmon
monde & mon équipage étoit en
bonne ſanté. J'envoyay versMonſieur
l'Evêque de Metellopolis
Monfieur le Vacher Miſſionaire ,
qui étoit venu avec les Mandarins
en France , & que je ramenois
avec eux , avec charge de le
prier de me venir trouver pour
m'inſtruire de ce qui s'étoit paſſé
depuis dix- huit mois que le Roy
de Siam avoit envoyé en France.
Le vingt - neuviéme Monfieur
l'Evêque vint à bord avec Mon.
fieur l'Abbé de Lionne : ils m'informerent
de tout ce qui s'étoit
paffé ; ils me dirent que le Royde
Siam ayant appris ſur la minuit mon
arrivée par Monfieur Conſtance
DU VOYAGE DE SIAM. 29
un de ſes Miniſtres , il en témoigna
une tres-grande joye , & luy donna
ordre d'en aller avertir Monſieur
l'Evêque , & de dépêcher
deux Mandarins du premier Ordre,
qui ſont comme les premiers Gentilshommes
de la Chambre du
Roy en France , pour me venir
témoigner la joye qu'il avoit de
mon arrivée. Ils vinrent deuxjours
aprês à mon bord ; je les reçûs
dans ma chambre aſſis dans un
fauteüil , Monfieur l'Evêque ſur un
petit fiege proche de moy , & eux
de même qu'une partie des perſonnes
du Vaiſſeau qui s'y trouverent
, s'affirent ſur les tapis dont
le plancher de ma chambre étoit
couvert , étant la mode dans ce
Royaume de s'aſſeoir de cettema.
niere , & qu'aucune perſonne , hor
mis celles qu'ils veulent traiter avec
une grande diſtinction , ne ſoit élevée
au deſſus d'eux.
Giij
30 RELATION
Ils me dirent que le Roy leur
Maître les avoit chargez deme ve
nir témoigner la joye qu'il avoit
demon arrivée , & d'avoir appris
que le Roy de France ayant vaincu
tous ſes ennemis , étoit maître
abſolu dans ſon Royaume , joüif
fant de la paix qu'il avoit accordée
à toute l'Europe. Après leur avoir
marqué combien je me fentois obligé
aux bontez du Roy leur maître
, & leur avoir répondu ſur le
ſujet de ſa Majesté ,je leur dis que
j'étois extrêmement fatisfait du
Gouverneur de Bancok , de la maniere
dont il avoit reçû ceux que
je luy avois envoyez , ainſi que des
preſens qu'il m'avoit fait. Ils me ré.
pondirent qu'il avoit fait ſon devoir
, puiſqu'en France on avoit fi
bien reçû les Envoyez du Roy leur
maître, & que d'ailleurs ce bon trai.
tement m'étoit dû par mes anciens
merites , pour avoir autrefois mé
DU VOYAGE DE SIAM. 31
nagé l'union entre le Royaume de
Siam&celuy de France. Ce ſont
leurs manieres de parler , qui tiennentbeaucoup
du figuré. Après les
avoir traitez avec les honneurs &
les civilitez qui ſont en uſage en pareils
rencontres dans ce Royaumelà,
je leur fis preſenter du Thé &
des confitures. Ces deux Mandarins
étoient bien faits , âgez d'environ
vingt- cinq ans , & habillez à
leur mode ; ils étoient nuds têtes ,
pieds nuds , ſans bas, & ayant une
maniere d'écharpe fort large , qui
leur prenoit depuis la ceinture jufqu'aux
genoux , ſans être pliſſée ,
qui leur paſſoit entre les jambes ,
ſe ratachant par derriere, & retombant
comme des haudechauſſes qui
n'auroient point de fonds. Cette
écharpe étoit de toile peinte des
plus belles du païs , ayant par en
bas une bordure bien travaillée, largede
quatre doigts,& qui leur tom-
Ciiij
32 RELATION
,
boit ſur les genoüils : de la ceinture
en haut ils n'avoient rien qu'une
maniere de chemiſe de mouſſeline
qu'ils laiſſent tomber par deſſus
cette écharpe , les manches ne leur
venant qu'un peu au deſſous du
coude paſſablement larges.Ils reſterent
prês d'une heure dans le Vaifſeau
,je les fis ſalüer de neuf coups
decanon quand ils s'en allerent.
Le premier Octobre Monfieur
Conſtance , ce Miniſtre du Roy de
Siam dont j'ay déja parlé , & qui
pour tout dire , bien qu'étranger ,
eſt parvenu par ſon merite juſqu'à
la premiere place dans la faveur du
Roy de Siam , m'envoya faire compliment
par ſon Secretaire qui étoit
parfaitement honnête homme , &
il m'offrit de ſa part un ſi grand
preſent de fruits , boeufs , cochons,
poulles , canards, & pluſieurs autres
choſes, que tout l'équipage du Vaiſ
ſeau en fut nourry durant quatre
DU VOYAGE DE SIAM. 33
jours. Ces rafraichiſſemens ſont
agreables , quand il y a ſept mois
que l'on eſt à la mer.
Le huitiéme Monfieur l'Evêque
de Metellopolis qui s'en étoit retourné
à la Ville capitale de Siam ,
revint à bord avec deux Mandarins
s'informer de la part du Roy de
l'état de ma ſanté, & me dire qu'il
étoit dans l'impatience de me voir,
me priant de deſcendre à terre. Je
leur témoignay combienj'étois touché
de lacontinuation des bontez
du Roy leur maître , & je leur dis
que je m'allois preparer pour aller
àterre.Je reçus ces Mandarins comme
les premiers , & je les fis ſalüer
en s'en retournant de neuf coups
de canon. Sur les deux heures du
même jour j'entray dans mon canot
, & ceux de ma ſuite dans des
batteaux que le Roy envoya ; & étant
arrivé ſur le ſoir dans la riviere,
j'y trouvay cinq balons tres- pro34
RELATION
пра-
pres , l'un pour moy , fort magnifique
, & quatre autres pour les
Gentilshommes qui m'accompagnoient
, avec un grand nombre
d'autres pour charger les hardes &
tous les gens de ma ſuite. Deux
Mandarins me vinrent complimenter
de la part du Roy. Je ne pûs
aller cette nuit au lieu qu'on avoit
deſtiné pour me recevoir , ce qui
m'obligea de paſſer du balon où
j'étois dans la Fregate la Maline ,
qui étoit entrée dans la riviere deux
jours auparavant,&oùje couchay.
Le même ſoir le Commis que j'avois
envoyé à Siam pour acheter les
proviſions neceſſaires pour les équipages
du Vaiſſeau &de la Fregate,
me vint dire que Monfieur Conftance
luy avoit mis entre les mains
de la part du Roy onze Barques
chargées de boeufs , cochons,veaux,
poulles , canards , & arrek ou eau
de vie faite de ris, pour nourrir les
DU VOYAGE DE SIAM. 35
:
équipages des deux Navires ,& qu'il
luy avoit dit de demander tout ce
qui ſeroit neceſſaire , le Roy voulant
défrayer les deux Vaiſſeaux de
ſa Majesté pendant tout le temps
qu'ils feroient en ſon Royaume.
Le neuviéme il vint deux Mandarins
àmon balon de la part du
Roy , qui me dirent qu'ils venoient
pour recevoir mes ordres , & je
partis de ce lieu ſur les ſept heures
du matin. Aprês avoir fait environ
cinq lieuës j'arrivay dans une maiſon
qui avoit été bâtie pour me
recevoir , où deux Mandarins & les
Gouverneurs de Bancok & de Pipely
avec pluſieurs autres me vinrent
complimenter ſur mon arrivée,
me ſouhaitant une longue vie . Cette
maiſon étoit faite de banbous , qui
'eſt un bois fort leger , & couverte
de nattes aſſez propres. Tous les
meubles en étoient neufs , il y avoit
pluſieurs chambres tapiffées de
36 RELATION
toile peinte fort belle : la mien
ne avoit de tres-beaux tapis ſur le
plancher , j'y trouvay un dais d'une
étoffe d'or fort riche , un fauteüil
tout doré , des carreaux de velours
tres -beaux , une table avec un tapis
brodé d'or , des lits magnifiques ;
j'y fus ſervy de viandes & de fruits
en quantité. Aprés-dîné je partis ,
& tous les Mandarins me ſuivirent.
J'allay à Bancok, qui eſt la premiere
Place du Roy de Siam dans cette
riviere , éloignée d'environ douze
lieuës de la mer. Je trouvay à la radeun
Navire Anglois , qui me ſalua
de vingt & un coups de canon iles
Fortereſſes du lieu qui gardent les
deux côtez de la riviere me ſaluërent
, l'une de vingt- neuf coups, &
l'autre de trente un .Ces Fortereſſes
font aſſez regulieres & fournies de
gros canons de fonte; je logeay dans
Ia Fortereſſe d'à main gauche, dans
une maiſon aſſez bien bâtie &bien
DU VOYAGE DE SIAM. 37
meublée , & où je fus traité à la
mode du païs .
Le lendemain dixiéme j'en partis
fur les huit heures du matin accompagné
de tous les Mandarins& de
tous les Gouverneurs qui m'étoient
venu faire compliment ; il y vint
deux autres Mandarins me complimenter.
A mon départ je fus falué
de la même maniere que la veille
, & j'arrivay ſur le midy dans une
maiſon bâtie exprês pour moy , &
ayant des meubles auffi beaux que
dans la premiere. Il y avoit prês
de là deux Fortereſſes qui me faluërent
de toute leur artillerie , &
deux Mandarins me vinrent rece.
voir. A dîner je fus tres -bien fervy
, & j'en partis ſur les trois heures
; les Fortereſſes me ſaluërent
comme auparavant , & ce fut lorfque
le Gouverneur de Bancok prit
congé de moy pour s'en retourner
en ſon Gouvernement. Pourſui.
38 RELATION
vant ma route je rencontray deux
Navires , l'un Anglois , & l'autre
Hollandois , à l'ancre , qui me ſaluërent
de toute leur artillerie, &j'arrivay
fur les ſept heures du ſoir dans
une maiſon faite & meublée de la
même maniere que les precedentes,
j'y fus reçu par de nouveaux Mandarins
, & fort bien traité.
Le 11. aumatin je partis &j'allay
dîner dans une autre maiſon ; le
foir j'arrivay dans une maiſon faite
à peu près comme les autres , &
fort bien meublée , où je trouvay
deux Mandarins qui m'y reçurent.
Le 12.j'en partis , &j'allay coucher
à deux lieües de Siam, où deux
Mandarins me recurent encore.
LesChefs des Compagnies Angloi .
fes & Hollandoiſes m'y vinrent faluër
; à l'égard des François , ils
m'étoient venu trouver à mon
bord , & m'accompagnerent toujours
depuis. Je reſtay en ce lieu- là
DU VOYAGE DE SIAM. 39
juſqu'à ce que je fis mon entrée.
La Riviere de Siam nomméeMe.
nan eſt fort belle & fort large ,
elle a partout au moins quatrebraf.
ſes d'eau , & fept & huit en la plûpartdes
endroits; elle eſt toutebordéede
tres beaux arbres : mais trois
ou quatre mois de l'année tous ſes
rivages font innondez , ce qui fait
que toutes les maiſons qu'on yrencontre
ſont bâties ſur des pilotis,&
faites toutes de banbous. Ce bois
fert aux Siamois àfaire tant les fondemens
& les planchers , que le
deſſus de leurs maiſons ; ils s'en fervent
auſſi pour faire ce dontils ont
beſoin dans leur ménage , n'ayant
preſque rien qu'ils ne faffent de ce
bois, juſqu'à en allumer du feu, s'en
ſervant comme de pierres à fufil ,
ils n'ont qu'à racler un peu de ce
bois,& le frotter enfuite l'un contre
l'autre , il s'allume d'abord .
Tous les peuples de ces endroits ont
40 RELATION
depetits canaux&des barques pour
aller de maiſons en maiſons faire
leur commerce. On n'y voit prefque
travailler que les femmes , les
hommes étant le plus ſouvent employez
au ſervice du Roy , de qui
ils font comme les eſclaves . On
m'y fit les mêmes honneurs que l'on
a accoutumé de faire au Roy quand
il paſſe ſur la riviere . Je n'y vis perſonne
dans les maiſons, tout le monde
étoit dans les balons , ou ſur les
bords, le ventre à terre , & les mains
jointes contre le front. Au devant
des maiſons & des villages il y avoit
une eſpece de parapet élevé de ſept
àhuits pieds hors de l'eau , fait avec
des nattes. Ils reſpectent tant leur
Roy, qu'ils n'ofent pas lever les yeux
pour le regarder. Je remarquay que
lesmaiſons où j'avois logé étoient
peintes de rouge, afin de me traiter
comme ſa perſonne , n'y ayant que
les maiſons Royales de cette couleur-
là. Tous
1
DU VOYAGE DE SIAM. 41
Tous les Mandarins qui ſont venusme
recevoir ſur la riviere, m'ont
toujours accompagné ; les premiers
étoient comme les Gentilshommes
de la Chambre, & les autres par de
gré. Les Princes y vinrent auſſi . Ils
ont tous des balons tres propres ,
dans le milieu deſquels il y a une efpece
de thrône où ils s'aſſiſent ; &
ils ne vont ordinairement qu'un
dans chaque balon , à leurs côtez
font leurs armes , comme ſabres ,
lances , épées , fleches, plaſtrons, &
même des fourches. Ils font tous
habillez de la même maniere que
j'ay déja dit. Un Portugais que le
Roy avoit faitGeneral des Troupes
de Bancok m'a toujours accompagné,
& donnoit les ordres pour toutes
choſes. Il y eut environ so. ου
60 balons à ma ſuite, dont pluſieurs
avoient 50. 60. 70. & 80. pieds de
long, ayant des rameurs depuis 20.
juſques à cent. Ils ne rament pas à
D
42 RELATION
notre maniere, ils font aſſis deux fur
chaque banc , l'un d'un côté & l'autre
de l'autre , le viſage tourné du
côté où l'on va , & tiennent une rame
qui s'appelle pagais , d'environ
quatre pieds de long , & font force
du corps pourpagaier.Ces rameurs
fatiguent beaucoup , & fe contentent
pour toute nourriture de ris
cuit avec de l'eau , & quand ils ont
un morceau de poiſſon , ils croyent
faire un tres-grand regal. Ils mangent
d'une feüille qu'ils appellent
betel , qui eft comme du lierre , &
d'une eſpece de gland de cheſne ,
qu'ils appellent arrek , mettant de
la chaux fur la feüille , & c'eſt ce qui
donne le goût. Ils mangent du tabac
du païs, qui eſt bien fort ; tout cela
leur rend les dents noires,qu'ils eſtiment
les plus belles . Un homme
peut vivre de cette maniere pour 15.
ou 20. ſols par mois , car ils ne boivent
ordinairement que de l'eau. Ils
DU VOYAGE DE SIAM. 43
ont une eſpece d'eau de vie tresforte,
qu'ils appellent racque, qu'ils
font avec du ris . Lorſque j'arrivay
dans les maiſons qu'on m'avoit preparées,
tous les Mandarins qui m'accompagnoient
, & ceux qui me recevoient
ſe mettoient en haye juf.
qu'à la porte de ma chambre.
Le 13. je fis dire au Roy par les
Mandarins qui étoient avec moy,
quej'avois été informé de la maniere
dont on avoit accoutumé de recevoir
les Ambaſſadeurs en fon
Royaume ,& que comme elle étoit
fort differentede celle de France,
je le ſuppliois de m'envoyer quelqu'un
pour traiter avec luy ſur le
ſujet de mon entrée .
Le 14. il m'envoya Mª Conſtans,
avec lequelj'eus une longue converſation.
Me l'Eveſque fut l'interprete.
Nous diſputâmes long temps , &je
ne voulus rien relâcher des manieres
dont on a coutume de recevoir lcs
Dij
44
RELATION
Ambaſſadeurs en France , ce qu'il
m'accorda.
Le 15. les Tunquinois me vinrent
complimenter ſur mon arrivée .
Le 16. les Cochinchinois firent
la même choſe.
Le 17. Mª Conſtans me vint trouver
, & emmena avec luy quatre balons
tres - beaux pour charger les
preſens que Sa Majesté envoyoit au
Roy de Siam . Ce mêmejour le Roy
donna ordre à toutes les Nations
des Indes qui reſident à Siam , deme
venir témoigner la joye qu'ils ref
ſentoient de mon arrivée , &de me
rendre tous les honneurs qui étoient
dûs à un An baſſadeur du plus grand
Roy du Monde Ils y vinrent fur
les fix heures du ſoir , tous habillez
àlamodede leur païs ; il y en avoit
de quarante differentes Nations , &
toutes de Royaumes indépendans
les uns des autres ; & ce qu'il y avoit
detres- particulier étoit , que parmy
DU VOYAGE DE SIAM. 43
ce nombre il yavoit le fils d'un Roy
qui avoit été chaſſe de ſes Etats , &
qui s'étant refugié dans celuy de
Siam , demandoit du ſecours pour
ſe rétablir. Leurs habits étoient
preſque tout de meſme que ceux
des Siamois , à la reſerve de quelques-
uns , dont la coëffure étoit differente
, les uns ayans des turbans ,
les autres des bonnets à l'Arme .
nienne , ou des calottes , & d'autres
enfin étans nuë tête comme les
moindres des Siamois, les perſonnes
de qualité ayant un bonnet de la
formedeceluyde nos Dragons, qui
ſe tient droit , fait de mouſſeline
blanche , qu'ils font obligez de faire
tenir avec un cordon qui paſſe au
deſſous de leur menton , étant d'ailleurs
tous nuds pieds , à la reſerve
de quelques uns qui ont des babouches
comme celles que portent les
Turcs.
Le Roy me fit dire ce mêmejour
Dij
46 RELATION
par M. Conftans , qu'il me vouloit
recevoir le lendemain 18. Je partis
fur les ſept heures du matin en la ma
niere que je raconteray aprês avoir
recité les honneurs que le Roy de
Siam fit rendre à la Lettre de Sa Majeſté.
Il est vray qu'il a de coutume
de rendre honneur aux Lettres des
Potentats qu'il reçoit par leurs Am.
baſſadeurs;mais il a voulu avec juſtice
faire une distinction de cellede
notre grand Monarque. Il vint quaranteMandarins
des premiers de fa
Cour , dont deux qui étoient Oyas ,
c'eſt à dire comme ſont les Ducs en
France , qui me dirent que tous les
balons étoient à ma porte pour
prendre la Lettre de Sa Majesté , &
memener au Palais . La Lettre étoit
dans ma chambre en un vaſe d'or
couvertd'un voile de brocard tresriche.
Les Mandarins étant entrez
ils ſe proſternerent les mains jointes
fur le front, le viſage contre terre,&
DU VOYAGE DE SIAM. 47
faluërent en cette poſture la Lettre
du Roy par trois fois. Moy
étant aſſis ſur un fauteüil auprés
de la Lettre , je reçus cet honneur ,
qui n'a jamais été rendu qu'à celle
de Sa Majesté. Cette ceremonie
finie , je pris la Lettre avec le vaſe
d'or , & après l'avoir portée ſeptou
huit pas , je la donnay à Monſieur
l'Abbé de Choiſy , qui étoit
venu de France avec moy. Il marchoit
à ma gauche un peu derriere, .
&il la porta juſqu'au bord de la
riviere , où je trouvay un balon extremement
beau , fort doré , dans
lequel étoient deux Mandarins du
premier ordre . Je pris la Lettredes
mains de Monfieurl'Abbé de Choiſy
, & l'ayant portée dans le balon,
je la remis entre les mains d'un de
ces Mandarins , qui la poſa ſous un
dais fait en pointe , fort élevé , &
tout doré. J'entray dans un autre
fort magnifique , qui ſuivoit imme
3
48 RELATION
diatement celuy où étoit la Lettre
de Sa Majeſté. Deux autres auſſi
beaux que le mien , dans lesquels
étoient des Mandarins , étoient aux
deux côtez de celuy où l'on avoit
mis la Lettre. Le mien , comme je
viens de dire , le ſuivoit ; Monfieur
l'Abbé de Choiſy étoit dans un autre
balon immediatement derriere,
& les Gentilshommes qui m'accompagnoient
,& les gens de ma ſuite,
dans d'autres balons , ceux des
grands Mandarins pareillement fort
beaux , étoient àla tête. Il y avoit
environ douze balons tout dorez ,
& prês de deux cens autres qui voguoient
fous deux colomnes. La
Lettre du Roy , les deux balons de
garde& le mien étoient dans le milieu.
Toutes les Nations de Siam
étoient à ce cortege ; &toute la ri.
viere quoique tres large étoit toute
couverte de balons. Nous marchâmes
de cette forte juſqu'à la ville,
dont
DU VOYAGE DE SIAM. 49
dont les canons me ſaluërent ,
ce qui ne s'étoit jamais fait a
aucun autre Ambaſſadeur , tous
les Navires me ſaluërent auſſi ,
& en arrivant à terre je trouvay
un grand Char tout doré,
qui n'avoit jamais ſervi qu'au
Roy.
Je pris la Lettre de ſa Majefté
, &je la mis dans ce Char ,
qui étoit traîné par des chevaux
, & pouffé par des hommes;
J'entray enſuite dans une
chaiſedorée portéepar dixhom.
mes ſur leurs épaules ; Monfieur
l'Abbé de Choiſy étoit dans
une autre moins belle ; Les Gentils-
hommes & les Mandarins
qui m'accompagnoient étoient
à cheval , toutes les Nations
-differentes qui demeurent à Siam
marchant à pied derriere ; La
marche fut de cette forte jufqu'au
Château du Gouverneur ,
E
50 RELATION
où je trouvay en haye des Soldats
des deux côtez de la ruë
qui avoient des chapeaux de
métail doré , une chemife rouge
, & une eſpece d'écharpe de
toile peinte , qui leur ſervoit de
culotte, fans bas ny foüilliers ;
Les uns étoient arniez de Mouf
quets , les autres de Lances ;
D'autres d'Arcs , & de fléches,
d'autres de picques .
Il y avoit beaucoup d'inſtrumens
comme Trompettes,Tambours
, Timbales , Muſettes , des
manieres de petites cloches ,&
de petits cors dont le bruit refſembloit
à ceux des paſteurs en
France. Toute cette Muſique,
faiſoit affez de bruit , nous mar-.
châmes de cette façon le long
d'ure grande ruë bordée des
deux côtez d'une grande quanme
de peuples & toutes les places
remplies de même. Nous
DU VOYAGE DE SIAM. 11
arrivâmes enfin dans une grande
place qui étoit devant le Palais
du Roi , ou étoient rangés
des deux côtés des Eléphans de
guerre , enfuite nous entiâmes
dans la premiére cour du Palais
, où je trouvay environ deux
milles Soldats afſis fur leur der
riére la croſſe de leurs Moufquets
fur terre & tout droits ,
rangés en droite ligne à fix de
hauteur , il y avoit des éléphans
fur la gauche apelés éléphans
armés en guerre. Nous vimes
enfuite cent hommes à cheval
pieds nuds & habités à la Morefque
une lance àla main, tous
des Soldats étoient habillé conme
j'ai dit cy-devant , dans cet
endroit les nations & tous ceux
qui me ſuivoient me quitterent
à la referve des Gentilshommes
quim'accompagnoient, J. paffai
dans deux autres cours qui
(
E ij
52
RELATION
étoient garnies de la même maniére
& j'entray dans une autre
où étoit un grand nombre de
Mandarins tous proſternés contre
terre , il y avoit en cet endroit
fix chevaux qui étoient tenus
chacun par deux Mandarins ,
tres -bien barnachés , leurs brides
, poitraïls , croupieres & couroyes
d'étriers étoient garnies
d'or & d'argent couverts de pluſieurs
perles , rubis & diamans ,
en forte qu'on ne pouvoit en
voir le cuir , leurs étriers & leurs
ſelles étoient d'or & d'argent ,
les chevaux avoient des anneaux
d'or aux pieds de devant , il y
avoit là auffi pluſieurs éléphans
harnachés de même que le ſont
des chevaux de caroſſes , leurs
harnois étoient de velours cramoiſy
avec des boucles dorées ,
Les Gentilshommes entrérent
dans la Salle d'audiance & fe
DO VOYAGE DE SIAM.
placerent avant que le Roy ft
dans ſon Throne , & quand il y
fut entré accompagné de Monfieur
Conftans , du Barcalon &
de Monfieur l'Abbé de Choiſy
qui portoit la Lettre du Roy ,
je fus furpris de voir le Roy dans
une tribune fort élevée, car Monfeur
Conftans étoit demeuré
d'accord avec moi que le Roy
ne feroit qu'à la hauteur d'un
homme dans ſa tribune & que
je luy pourrois donner la Lettre
du Roy de la main à la main;
Alors je dis à Monfieur l'Abbé
de Choify , on a oublié ce que
l'on m'a promis , mais aſſeurément
je ne donneray point la
Lettre du Roi qu'à ma hauteur,
le vaſe d'or ou on l'avoit mife
avoit un grand manche d'or de
plus de trois pieds de long , on
avoit crû que je prendrois ce
vaſe par le boutdu manche pour
E iij
54
RELATION
F'élever juſques à la hauteur du
thrône ou étoit le Roy , mais je
pris fur le champ mon party &
je reſolus de préſenter au Roy
la Lettre de Sa Majesté tenant
en ma main la couppe d'or où
elle étoit , étant donc arrivé à la
porte je ſalüay le Roy , j'en fis
demême à moitié chemin & lors
que je fus proche de l'endroit ou
je devois m'affeoir après avoir
prononcé deux paroles de ma
Harangue je remis mon chapeau
à la tête & je m'affis , je
continüaymondiſcours qui étoit
en ces termes.
DE
L'AMBASSADE
de M le Chevalier ™
DE CHAUMONT
A LA COUR DU ROY
DE SIAM ,
Avec ce qui s'est paßé de plus
remarquable durant fon
voyage.
E partis de Breſt le troifiéme
Mars 1685. fur le
Vaiſſeau du Roy , nommé
l'Oiseau , accompagné d'une Fre-
A
2 RELATION
,
gate de ſa Majesté , appellée la
Maline ; & ce fut avec un vent fi
favorable , qu'en ſept jours je me
trouvay par le travers des Iſles de
Madere : j'eus ce même bonheur
juſques à quatre ou cinq degrez
Nord de la Ligne Equinoxiale , où
nous eûmes quelque calme , & fentîmes
d'aſſez grandes chaleurs
mais pourtant pas incommodes ; le
vent revint bon , & nous paſsâmes
la Ligne par les trois cens cinquante
degrez cinq minuttes de longi.
tude trente- trois jours aprês nôtre
depart , & l'eau du fond de cale
étoit auſſi bonne & auſſi fraiche
que ſi elle venoit de la fontaine ;
ce qui fit que nous quittâmes celle
de nos jarres pour en boire. A
cinq degrez Sud de la Ligne nous
trouvâmes des vents fort variables
, mais les chaleurs point incommodes
, & je ne quittay point
mon habit d'hyver dans toute cette
DU VOYAGE DE SIAM. 3
route. Les vents quoique variables
ne laiſſerent pas de nous porter à
nôtre route , ſi bien que nous arri .
vâmes au Cap de Bonne Eſperance
le 31. May , poury faire de l'eau ,
& y prendre des rafraichiſſemens ,
quoique j'euſſe encore de l'eau pour
plus de quarantejours.J'y moüillay
le foir fort tard , &je trouvay dans
cette rade quatre Vaiſſeaux Hol.
landois , dont l'un portoit le Pavillon
au grand maſt ; ils venoient
d'Hollande , & conduiſoient un
Commiſſaire de la Compagnie qui
rend cet Etat- là ſi puiſſant dans
les Indes , & où il alloit pour ordonner
dans les Places qui y appartiennent
à cette Republique.
Monfieur de ſaint Martin Major
General , François de nation , qui
eſt au ſervice des Hollandois depuis
trente ans , & dont ils font
tres- contens , alloit à Batavia y
exercer ſa Charge. Le Commif
Aij
4 RELATION
faire General m'envoya faire compliment
le jour de mon arrivée , &
le lendemain matin il m'envoya fon
neveu & fon Secretaire me faire
offre de tout ce que j'avois affaire.
Des Habitans du lieu vinrent avec
des preſens de fruits , herbages ,
& moutons , & il me fit ſaluer par
ſes quatre Vaiſſeaux : on ne peut
recevoir plus d'honnêtetez que j'en
ay reçû de ces Meſſieurs .
Les Hollandois ont dans cette
plage un petit Fort à cinq baſtions ,
&environ cent maiſons d'Habitans
éloignées d'une portée de
mouſquet du Fort , qui font auſſi
propres dedans & dehors que celles
de Hollande ,& la plupart des
Habitans y font Catholiques, quoiqu'ils
n'ayent pas la liberté d'y
exercer leur Religion. La ſituation
en eſt belle , bien qu'il y ait une
groffe montagne qui la borne du
côté de la terre , où il y a une ex
DU VOYAGE DE SIAM.
trême quantité de gros Singes qui
viennent juſques dans leurs jardins
manger les fruits. Ils ont pluſieurs
maiſons de plaiſance à deux , trois
& quatre lieuës ; & au -delà de cette
groffe montagne il y a une plaine
de prés de dix lieuës , où ils ont
fait bâtir une habitation , & où il
y a pluſieurs maiſons , & quantité
d'Habitans qui s'augmentent journellement.
Le climat y eſt aſſez
doux ; leur Printemps commence
en Octobre , & finit en Decembre;
leur Eſté dure Janvier , Fevrier &
Mars ; l'Automne eſt en Avril ,
May & Juin , & leur Hyver en
Juillet , Aouft & Septembre ; les
chaleurs y font extrêmes , mais il y
a toujours du vent. La Compagnie
Hollandoiſe des Indes Orientales
y a un tres beau jardin , & de belles
paliſſades d'un bois qui eſt toujours
verd ; la grande allée a de
long quatorze cens cinquante pas ,
A iij
6 RELATION
elle eſt preſque toute plantée de
citronniers ; ce jardin eſt par compartimens
: on y voit dans l'un des
arbres fruitiers & des plantes les
plus rares d'Afie ; dans l'autre des
plantes & des fruits les plus exquis
d'Affrique; dans le troiſième des
arbres à fruits , & des plantes les
plus eſtimées en Europe ; & enfin
dans le quatriéme on y trouve auffi
des fruits & des plantes qui viennent
de l'Amerique. Ce jardin eſt
tres- bien entretenu , & eſt fort
utile aux Hollandois par la grande
quantité d'herbages & de legumes
qu'il fournit pour le rafraichiſſement
de leurs Flottes , lorſqu'elles
paſſent en ce lieu , allant aux Indes
, ou retournant dans leur païs.
J'y trouvay un Jardinier François,
qui avoit autrefois appris fon métier
dans les Jardins de Monfieur
à ſaint Cloud. La terre y eſt tresbonne
, & rapporte beaucoup de
:
7 DU VOYAGE DE SIAM.
bled , & tous les grains y viennent
en abondance. Un homme digne
de foy m'a dit qu'il avoit vû cent
ſoixante épis de bled ſur une même
tige. Les naturels du païs ont
la phyſionomie fine , mais en cela
fort trompeuſe , car ils font tresbêtes
; ils vont tout nuds à la re.
ſerve d'une méchante peau dont
ils couvrent une partie de leur
corps ; ils ne cultivent pas la terre ;
ils ont beaucoup de beſtiaux , comme
moutons , boeufs , vaches &
cochons. Ils ne mangent preſque
pointde ces animaux, &ne ſe nour
riſſent quaſi que de laict & de
beure qu'ils font dans des peaux
de mouton. Ils ont une racine qui
a le goût de noiſette , qu'ils mangent
au lieu de pain. Ils ont la
connoiffance de beaucoup de fimples
, dont ils ſe ſervent pour guerir
leurs maladies &leurs bleffures .
Les plus grands Seigneurs font ceux
A nij
RELATION
qui ont le plus de beſtiaux ; ils les
vont garder eux mêmes ; ils ont le
plus ſouvent des guerres les uns
contre les autres ſur le ſujet de
leurs paturages . Ils font fort tourmentez
des bêtes ſauvages , y ayant
une grande quantité de lions , leopards
, tigres , loups , chiens ſauvages
, elans , elephans : tous ces animaux
là leur font la guerre , & à
leurs beftiaux. Ils ont pour toutes
armes une maniere de lance qu'ils
empoiſonnent pour faire mourir
ces animaux quand ils les ont blefſez;
ils ont des eſpeces de filets
avec lesquels ils enferment leurs
beſtiaux la nuit . Ils n'ont point de
Religion ; à la verité dans la plaine
Lune ils font quelques ceremonies ,
mais qui ne fignifient rien.Leur Langue
eſt fort difficile à apprendre. Il
y a une grande quantité de gibier,
comme faifans , de trois ou quatre
fortes de perdrix , paons , lievres ,
1
RELATION
qui ont le plus de beftiaux ; ils les
vont garder eux mêmes ; ils ont le
plus ſouvent des guerres les uns
contre les autres ſur le ſujet de
leurs paturages. Ils font fort tourmentez
des bêtes ſauvages , y ayant
une grande quantité de lions , leopards,
tigres , loups , chiens ſauvages
, elans , elephans : tous ces animaux-
là leur font la guerre , & à
leurs beftiaux . Ils ont pour toutes
armes une maniere de lance qu'ils
empoiſonnent pour faire mourir
ces animaux quand ils les ont bleffez;
ils ont des eſpeces de filets
avec lesquels ils enferment leurs
beftiaux la nuit. Ils n'ont point de
Religion ; à la verité dans la plaine
Lune ils font quelques ceremonies ,
mais qui ne ſignifient rien.Leur Langue
eft fort difficile à apprendre. Il
y a une grande quantité de gibier,
comme faifans , de trois ou quatre
fortes de perdrix , paons , lievres ,
:
ول
AD
LA
;
J
K
$
DU VOYAGE DE SIAM. 9
lapins , chevreüils , cerfs & fangliers;
les cerfs y font en ſi grande
abondance , que l'on en voit des
vingt mille enſemble dans des plaines
, ce qui m'a été aſſeuré par des
gens dignes de foy. Nous avons
mangé d'une partie de ce gibier ,
qui est tres bon & d'un goût admirable.
Les moutonsy font en ce
lieu d'une groſſeur prodigieuſe ,
peſans ordinairement quatre-vingts
Jivres. Il y a auſſi grand nombre
de boeufs & de vaches. La mer en
cette Baye eſt fort poiſſonneuſe ,
& le poiffon y eſt tres-bon ; il y en
a un qui a le goût du ſaumon , &
qui eſt fort gros ; il y a quantité
de loups marins , & en nous promenant
ils venoient faire cent tours
devant la poupe de nôtre canot ;
on tira deſſus ſans en pouvoir tuer
aucun. Il y a quantité de chevaux
fauvages, qui font les plus beaux du
monde , ils font rayez de rayes
10 RELATION
blanches & noires ( j'en ay apporté
la peau d'un ; ) on ne les ſçauroit
qu'à grande peine dompter . Comme
ce païs eſt tres bon , les Hollandois
y feront de grande Colonies
; ils envoyent tous les ans faire
de nouvelles découvertes dans les
terres . On dit qu'ils y ont trouvé
des mines d'or & d'argent , mais
qu'ils ſe gardent bien de le vouloir
dire. Les eaux y font admirables ,
& on y trouve des ſources en abondance;
les rivieres qui y font en
grand nombre y ont abondance de
poiffons.
Nous partîmes de cette rade
le ſeptième jour de Juin avec un
vent ſi favorable de Nord , & de
Nord Nord Oueſt , qu'il nous mit
au large , & le foir nous nous mîmes
en route pour Bantam: nous
eûmes beaucoup de pluyes , & la
mer fut fort groſſe juſques par le
travers des Ifles de Madagascar
DU VOYAGE DE SIAM. II
Nord & Sud , où je me trouvay le
dix- neuviéme Juin. Il y a en ces
mers là quantité d'oiſeaux , mais
point de poiffon. Depuis ce temps
juſqu'au vingtiéme Juillet nous
trouvâmes des mers fort rudes &
des vents fort variables , qui nous
obligerent de courirjuſqu'aux quarante
degrez Sud , où nous rencontrâmes
des vents de Oueſt , qui nous
firent faire un tres-grand chemin .
Le 24. ſuivant la Fregate la Maline
ſe ſepara de nous par un temps
fort rude , & la mer fort groſſe
courant au Nord. Le troiſieme
Aouſt nous trouvâmes la mer moins
agitée & le temps plus doux; à la
pointe du jour nous découvrîmes
une Iſle à ſept ou huit lieuës au
devant de nous , ce qui nous furprit
, cette Ifle n'étant point marquée
ſur nos Cartes : elle eſt ſituée
par les dix degrez dix - neuf minuttes
latitude Sud, & par eſtime par
12 RELATION
les cent vingt degrez quarante une
minuttes longitude. Cette Ifle eſt
une belle connoiſſance pour aller
trouver l'Ifle de Java , qui n'en eſt
éloignée que de cent cinquante
lieuës , & depuis nous avons reconnu
qu'elle est appellée l'Iſle de Mo.
ny , étant mal marquée ſur nos
Cartes qui la mettent proche celle
de Java ; cette Ifle eſt tres -haute.
Nous courûmes encore deux jours
d'un vent aſſez frais , & le cinquié .
me ſur les huit heures du matin
nous découvrîmes l'Iſle de Java ,
qui nous donna beaucoup de joye,
ainſi que de nous trouver au vent
du Détroit de Sonda ; nous fîmes
vent arriere terre à terre de l'Ifle ,
& le ſeptiéme enſuivant nous nous
trouvâmes entre l'ifle du Prince &
celle de l'Empereur qui fait l'entrée
du Détroit. L'Iſle de l'Empereur
eſt du côté de l'Iſle de Sumatra
, & l'Ifle du Prince du côté de
DƯ VOYAGE DE SIAM . 13
Java. Nous fûmes quatrejours entre
ces deux Ifles , les vents & les
courans nous étant contraires & fi
grands , que ce que nous gagnions
en douze heures , nous le perdions
en quatre , à cauſe des calmes qui
venoient quelquefois. Avantd'en .
trer dans ce Détroit la Fregate qui
m'avoit perdu le vingt-quatriéme
Juin s'y trouva ce même jour , &
nous nous vîmes d'abord ſans nous
reconnoître . Le treiziéme nous doublâmes
toutes ces Ifles , & nous
moüillâmes à une lieuë de l'Iſle de
Java : il en vint diverſes perſonnes
à mon bord dans de petits batteaux;
elles nous apporterent des
fruits du païs , comme cocos, dont
l'eau qui y eſt renfermée eſt extrê
mement bonne à boire , bananes ,
melons , citrons , & pluſieurs au.
tres de ces fortes de rafraichiſſe.
mens; ils firentdu bien à l'équipage
fort fatigué de la mer , & beau
14
RELATION
coup incommodé du ſcorbut.
Le ſeiziéme au matin nous moüillâmes
devant Bantam , où je trouvay
la Fregate la Maline , qui m'y
attendoit depuis deux jours : le
Capitaine qui la commandoit me
vint dire que le Gouverneur Hollandois
de Bantam ne luy avoit
point voulu donner d'entrée , &
qu'il luy avoit envoyé ſeulement
quelques vollailles & quelques
fruits : auſſi- tôt je fis partir Monfieur
de Forbin Lieutenant de mon
Navire , pour faire compliment de
ma part à ce Gouverneur , & le
prier de me donner la liberté d'envoyer
des malades à terre , de faire
de l'eau , & de prendre des rafraichiſſemens
. Il fit réponſe qu'il n'étoit
pas le maître à Bantam , qu'il
n'y étoit que comme conduiſant
des Troupes auxiliaires , & que c'étoit
le Roy de Bantam qui com.
mandoit , & qui ne vouloit donner
DU VOYAGE DE SIAM. 15
entrée à qui que ce ſoit. Les Hollandois
ſe ſervent du nom de ce
Roy, parce qu'ils ne veulent pas recevoir
des Vaiſſeaux étrangers ,
principalement ceux qui viennent
d'Europe. Depuis qu'ils font maîtres
de cette Place ils en ont chaſſé
toutes les autres Nations. C'eſt
une grande Ville & fort peuplée
de naturels du païs. Avant que les
Hollandois en fuſſent maîtres , c'étoit
la Place des Indes du plus
grand commerce; on y venoit d'Europe
, de Perſe , de la Chine , du
Japon , de l'Empire du Mogol , &
des autres Regions des Indes ; à
preſent les Hollandois en font tout
le commerce , qui leur est d'un
tres -grand profit , & l'on pouvoit
autrefois comparer cette Place à
Cadix en Eſpagne. Aufſi- tôt que
j'eus reçû la réponſe du Gouverneur
, qui me fit neanmoins dire
que ſi je voulois aller à Batavia j'y
16 RELATION
ferois tres-bien reçû , je levay l'ancre
& jeme mis à la voile pour m'y
rendre ; il n'y a que quinze lieuës
de l'un à l'autre . Je fus trois jours
avant que d'y arriver , à cauſe que
n'ayant point de Pilote qui y eût
été , je rencontray diverſes Ifles &
des bas fonds qui m'obligeoient à
moüiller toutes les nuits , &d'aller
le jour à petites voiles & à la fonde:
j'y arrivay le dix- huitiéme au
foir. Auffi -tôt que j'y eus moüillé
j'envoyay Monfieur de Forbin au
General luy faire compliment , &
luy demander la liberté de faire
deſcendre tous mes malades à terre ,
faire de l'eau , & prendre des rafraichiſſemens.
Il reçut fort bien
mon compliment , & il fit réponſe
qu'il donneroit ordre pour tout ce
qui me feroit neceſſaire , & à ceux
des deux Vaiſſeaux. J'envoyay le
lendemain foixante- cing malades
à terre , qui furent preſque tous
gueris
DU VOYAGE DE SIAM . 17
,
gueris en ſept jours que je demeuray
à Batavia , par le bon traitement
& les rafraichiſſemens que je
leur fis faire . Le dix- neuviéme au
matin le General m'envoya faire
compliment par trois Officiers
m'offrit tout ce dont j'aurois affaire
, & me pria de ſa part de deſcen.
dre à terre pour me délaſſer des
fatigues de la mer , avec offre de
ſon logis , dont je ſerois le maître
abſolu. Après les remerciemens que
je devois , je leur dis que j'aurois
ſouhaité n'avoir pas d'ordre qui
m'empêchât de deſcendre à terre ,
& que fans cela j'euſſe accepté avec
joye une pareille honnêteté : je ré.
pondis de la forte , outre pluſieurs
autres raiſons , pour éviter les ceremonies
qu'il auroit fallu faire
dans une ſemblable occafion. Le
General m'envoya une grande Chalouppe
pleine de toutes fortes de
fruits des Indes , d'herbes , de pain
B
18 RELATION
frais , deux boeufs , deux moutons,
& continua ainſi de nous donner
tous les deux jours de pareils rafraichiſſemens
. Le vingt- deuxième
j'allay à terre incognito , je me promenay
dans toute la Ville dans un
petit bateau. Cette Ville eſt à peu
prês comme Veniſe , elle a des canaux
qui traverſent toutes les ruës ,
& qui font bordez de grands arbres
qui font un ombrage fort
agreable , tant ſur les canaux que
fur les ruës ; les maiſons y font bâties
comme en Hollande , & de la
même propreté ; il y a une Citadelle
à quatre baſtions ; cette Ville
eſt entourée d'une muraille & d'un
grand foſſé fort large , mais peu
profond ; les entours en ſont tresbeaux
, ce ſont toutes maiſons de
plaiſance avec fort jolis jardins, &
des refervoirs où il y a des poiſſons
extraordinaires &de pluſieurs couleurs
, beaucoup de dorez & d'ar
DU VOYAGE DE SIAM . 19
gentez: il y a dans la Ville des Marchands
extrêmement riches , & qui
n'épargnent rien pour leurs plaiſirs :
la liberté y eſt comme en Hollande
, principalement à l'égard des
femmes ; je parlay avec quatre ou
cinq en me promenant dans des
Jardins ; elles font habillées à la
Françoiſe . Il y a dans Batavia environ
cinquante Carroſſes , j'en ay
vû quelques-uns fort propres & a
la mode de France ; leurs chevaux
ne font pas grands , mais en recom.
penſe ils font fort vifs . Cette Ville
eſt d'un tres-grand commerce,& fes
richeſſes font qu'on y ménage peu
l'or & l'argent ; elle eſt extraordinairement
peuplée ; les Hollandois
y entretiennent une groffe garnifon
; ils y ont pour eſclaves plus
de trois mille Maures des côtes de
Malabar & pluſieurs des naturels
du païs , qu'ils font vivre avec difcipline
aux environs de la Ville.
Bij
20 RELATION
L'Iſle de Java dans laquelle cette
Ville eſt ſituée eſt fort peuplée ,
elle a deux cens lieuës de long , &
quarante de large ; il y a cinq Rois
dont les Hollandois font les maîtres
; tous ces peuples font Maho .
metans. Je fis demander au General
un Pilote pour Siam , les miens
n'y ayant jamais été , il m'en fit
donner un qui avoit fait cette navigation
quatre fois : aprês toutes
ces honnêtetez j'envoyay Monfieur
de Forbin le remercier.
Le Dimanche vingt- fixieme
Aouſt à fix heures du matin nous
mîmes à la voile , & nous prîmes
la route pour paſſer le Détroit de
Banca ; nous fîmes ce jour- là d'un
petit vent dix lieuës ,& le foir fur
les neuf heures on me vint dire qu'il
y avoit au vent de nous un Vaifſeau
qui arrivoit ſur l'Oiseau oùj'étois
; je dis à l'Officier qu'on ſe
tint ſur ſes gardes ; un moment
DU VOYAGE DE SIAM. 21
-
aprês je vis par ma fenêtre ce Navire
qui nous abordoit : on cria
d'où étoit le Navire , mais on ne
répondit rien , & montant fur le
Pont je trouvay tout mon monde
fous les armes , & le Beaupré de ce
Navire fur la Poupe du mien ; je
luy fis tirer une vingtaine de coups
de fufils qui le firent déborder , &
il fit vent arriere s'en allant à toutes
voiles ;nous ne ſçûmes de quelle
nation il étoit , car perſonne de ce
Navire ne dît jamais une parole ,
&nous ne remarquâmes que trespeu
de monde dans ce Vaiſſeau :
je crois que c'étoit quelque Navire
Marchand qui faiſoit fa route ,
&qui fit une méchante manoeuvre;
il rompit quelque choſe du couronnement
de mon Vaiſſeau , qui
fut racommodé le lendemain .
Le Mardy vingt - huitiéme au
foir nous vîmes l'entrée du Détroit
de Banca , & le vingt-neuf au ma
Bij
2.2 RELATION
tin nous y entrâmes. Quoique nous
euſſions unbon Pilote Hollandois ,
nous ne laiſſames pas d'échoüer
fur un banc de ſable vazeux ; mais
comme il y a beaucoup de bancs
de cette même forte dans ce Détroit
, & qu'il arrive à pluſieurs
Vaiſſeaux d'y échoüer ſans grand
peril , cela ne me donna pas d'inquietude
; je fis porter un petit
ancre à la mer du côté de Sumatra
, & en moins de deux heures
jeme tiray de deſſus ce banc. Nous
fumes quatre jours à paſſer ce Détroit.
L'Ifle de Sumatra eſt à la
gauche, qui a plus de deux cens cinquante
lieuës de long ,& cinquante
où elle eſt plus large : les Hollandois
y ont quatre ou cinq fortereſſes;
les peuples y font tous
Mahometans , & elle est habitée
des naturels du Païs , qui obeïſſent
à quatre ou cinq Rois. La Reine
d'Achem en a un des plus grands
4
DU VOYAGE DE SIAM. 23
Royaumes , & y regne avec une
grande autorité , elle gouverne
tres-bien fes peuples : les Hollandois
font preſque maîtres de tous
ces Rois , ils traitent avec eux des
choſes qui croiffent dans l'Ifle , où
il y a des mines d'or , beaucoup de
poivre , quantité de ris , toutes fortes
de beſtiaux : en quelques cantons
les peuples ſont fort barbares ,
& les Rois ſe font ſouvent la guerre.
Ceux qui prennent la protection
des Hollandois ſont toujours
les plus forts , à cauſe des Troupes
& des Vaiſſeaux qu'ils leur envoyent
: ils font la même choſe
dans l'Ifle de Java , & trois cens
Européens battent toûjours cinq
à fix mille hommes de ces Nations,
qui ne ſçavent pas faire la guerre.
Elle est à quatre degré Sud de la
Ligne Equinoxiale. Les Hollandois
ont un Fort du côté du Détroit de
Banca , où il y a vingt - quatre
a
24 RELATION
pieces de canon ; le Fort eſt au
bord d'une grande riviere que l'on
appelle Palembane , elle ſe jette
avec tant de violence dans la mer,
que trois ou quatre mois de l'année
au temps des pluyes , l'eau quoyqu'entrant
dans la mer eſt encore
douce.
L'Iſle de Banca nous reſta à la
droite , elle a environ quarante
lieuës de long ; les Hollandois y
ont un Fort , & ontcommerce avec
les naturels de l'Iſle ; on dit qu'elle
eſt tres fertile & tres-bonne : dans
le temps que j'ay paffé devant la
riviere de Palembane , les Hollandois
y avoient deux Vaiſſeaux qui
y chargeoient des poivres . Le troifiéme
Septembre nous repaſſames
la Ligne par un temps le plus beau
& le plus favorable qui ſe puiſſe
voir , c'est - à-dire fans chaleur , un
air temperé , & pas plus chaud que
dans ce même mois en France ; de
forte
DU VOYAGE DE SIAM. 25
7
forte que je ne quittay point encore
non plus mon habit de drap ,
que lorſque je l'avois paſſée vers
les côtes d'Affrique. Nous allâmes
paſſer devant le Détroit de Malaca,
qui a trois ou quatre paſſes ou entrées
; les courans, y font fort
grands , & ſe trouverent tantôt
pour nous , & tantôt contre , се
qui nous fit moüiller fort ſouvent ;
car quand le calme nous prenoit ,
les courans nous emportoient fort
au large, & nous ne quittâmes pas
cette côte à cauſe des vents qui regnent
toujours du côté de la terre,
& qui nous pouſſoient à nôtre route.
Je croy que l'air de ce païs- là
eſt fort bon , car nous avions beaucoup
de malades ,& ils furent tous
gueris.
Le cinquiéme nous nous trouvâmes
par le travers de l'Iſle de
Polimon , qui eft habitée de Malais
, peuples Mahometans. Elle eſt
C
26 RELATION
tres bonne & tres -fertile,elle obeït
à un Prince qui la gouverne. La
Reine d'Achin y a des pretentions ,
& pour cet effet elle y envoye tous
les ans quelques Vaiſſeaux ; mais
comme ce Prince ne veut point
avoir de guerre avec elle , ſes peuples
luy payent quelque tribut. Il
en vint à nôtre bord un petit canot
, qui nous apporta quelques
poiſſons & quelques fruits . Cette
Ifle eſt éloignée de la terre ferme
d'environ fix lieuës ; une partie de
ſa côte a été autrefois ſoumiſe au
Roy de Siam , mais elle eſt poſſedée
depuis quelques années par
deux ou trois Rois , dont l'un eft
le Roy des Malais. Cette nation
eſt fort inſociable , & on n'a point
de commerce avec elle .
Du cinquiéme au quinze nous
n'eûmes que de petits vents forr
variables , & des calmes qui nous
faifoient moüiller ſouvent , à caus
DU VOYAGE DE SIAM. 27
ſe des courans qu'il y a le long
de cette côte. Depuis le Détroit
de Banca juſqu'à Siam , on ne
quitte point la terre , & on ne
s'en éloigne que depuis quinze juſfqu'à
vingt- cinq braſſes , le fonds
vaſe.
Le même jour nous nous trouvâmes
devant Ligor , qui eſt la
premiere Place du Roy de Siam.
Les Hollandois y ont une habitation
, & y font commerce. Il eſt
dificile d'exprimer la joye que les
Siamois que nous ramenions eurent
de ſe voir proche des terres de leur
Roy, & elle eſt ſeulement comparable
à celle que nous avons refſentie
à nôtre retour , quand Dieu
nous a fait la grace de retoucher
Breſt. Il mourut là du flux de ſang
aprês cinq mois de maladie un jeune
Gentil-homme nommé d'Herbouville
, l'un des Gardes de Marine
, que le Roy m'avoit donné
Cij
28 RELATION
pour m'accompagner ; il étoit fort
honnête homme , & je le regretay
extrêmement.
Enfin ( graces à Dieu ) le vingtquatrième
nous moüillâmes devant
la riviere de Siam, Toutmon
monde & mon équipage étoit en
bonne ſanté. J'envoyay versMonſieur
l'Evêque de Metellopolis
Monfieur le Vacher Miſſionaire ,
qui étoit venu avec les Mandarins
en France , & que je ramenois
avec eux , avec charge de le
prier de me venir trouver pour
m'inſtruire de ce qui s'étoit paſſé
depuis dix- huit mois que le Roy
de Siam avoit envoyé en France.
Le vingt - neuviéme Monfieur
l'Evêque vint à bord avec Mon.
fieur l'Abbé de Lionne : ils m'informerent
de tout ce qui s'étoit
paffé ; ils me dirent que le Royde
Siam ayant appris ſur la minuit mon
arrivée par Monfieur Conſtance
DU VOYAGE DE SIAM. 29
un de ſes Miniſtres , il en témoigna
une tres-grande joye , & luy donna
ordre d'en aller avertir Monſieur
l'Evêque , & de dépêcher
deux Mandarins du premier Ordre,
qui ſont comme les premiers Gentilshommes
de la Chambre du
Roy en France , pour me venir
témoigner la joye qu'il avoit de
mon arrivée. Ils vinrent deuxjours
aprês à mon bord ; je les reçûs
dans ma chambre aſſis dans un
fauteüil , Monfieur l'Evêque ſur un
petit fiege proche de moy , & eux
de même qu'une partie des perſonnes
du Vaiſſeau qui s'y trouverent
, s'affirent ſur les tapis dont
le plancher de ma chambre étoit
couvert , étant la mode dans ce
Royaume de s'aſſeoir de cettema.
niere , & qu'aucune perſonne , hor
mis celles qu'ils veulent traiter avec
une grande diſtinction , ne ſoit élevée
au deſſus d'eux.
Giij
30 RELATION
Ils me dirent que le Roy leur
Maître les avoit chargez deme ve
nir témoigner la joye qu'il avoit
demon arrivée , & d'avoir appris
que le Roy de France ayant vaincu
tous ſes ennemis , étoit maître
abſolu dans ſon Royaume , joüif
fant de la paix qu'il avoit accordée
à toute l'Europe. Après leur avoir
marqué combien je me fentois obligé
aux bontez du Roy leur maître
, & leur avoir répondu ſur le
ſujet de ſa Majesté ,je leur dis que
j'étois extrêmement fatisfait du
Gouverneur de Bancok , de la maniere
dont il avoit reçû ceux que
je luy avois envoyez , ainſi que des
preſens qu'il m'avoit fait. Ils me ré.
pondirent qu'il avoit fait ſon devoir
, puiſqu'en France on avoit fi
bien reçû les Envoyez du Roy leur
maître, & que d'ailleurs ce bon trai.
tement m'étoit dû par mes anciens
merites , pour avoir autrefois mé
DU VOYAGE DE SIAM. 31
nagé l'union entre le Royaume de
Siam&celuy de France. Ce ſont
leurs manieres de parler , qui tiennentbeaucoup
du figuré. Après les
avoir traitez avec les honneurs &
les civilitez qui ſont en uſage en pareils
rencontres dans ce Royaumelà,
je leur fis preſenter du Thé &
des confitures. Ces deux Mandarins
étoient bien faits , âgez d'environ
vingt- cinq ans , & habillez à
leur mode ; ils étoient nuds têtes ,
pieds nuds , ſans bas, & ayant une
maniere d'écharpe fort large , qui
leur prenoit depuis la ceinture jufqu'aux
genoux , ſans être pliſſée ,
qui leur paſſoit entre les jambes ,
ſe ratachant par derriere, & retombant
comme des haudechauſſes qui
n'auroient point de fonds. Cette
écharpe étoit de toile peinte des
plus belles du païs , ayant par en
bas une bordure bien travaillée, largede
quatre doigts,& qui leur tom-
Ciiij
32 RELATION
,
boit ſur les genoüils : de la ceinture
en haut ils n'avoient rien qu'une
maniere de chemiſe de mouſſeline
qu'ils laiſſent tomber par deſſus
cette écharpe , les manches ne leur
venant qu'un peu au deſſous du
coude paſſablement larges.Ils reſterent
prês d'une heure dans le Vaifſeau
,je les fis ſalüer de neuf coups
decanon quand ils s'en allerent.
Le premier Octobre Monfieur
Conſtance , ce Miniſtre du Roy de
Siam dont j'ay déja parlé , & qui
pour tout dire , bien qu'étranger ,
eſt parvenu par ſon merite juſqu'à
la premiere place dans la faveur du
Roy de Siam , m'envoya faire compliment
par ſon Secretaire qui étoit
parfaitement honnête homme , &
il m'offrit de ſa part un ſi grand
preſent de fruits , boeufs , cochons,
poulles , canards, & pluſieurs autres
choſes, que tout l'équipage du Vaiſ
ſeau en fut nourry durant quatre
DU VOYAGE DE SIAM. 33
jours. Ces rafraichiſſemens ſont
agreables , quand il y a ſept mois
que l'on eſt à la mer.
Le huitiéme Monfieur l'Evêque
de Metellopolis qui s'en étoit retourné
à la Ville capitale de Siam ,
revint à bord avec deux Mandarins
s'informer de la part du Roy de
l'état de ma ſanté, & me dire qu'il
étoit dans l'impatience de me voir,
me priant de deſcendre à terre. Je
leur témoignay combienj'étois touché
de lacontinuation des bontez
du Roy leur maître , & je leur dis
que je m'allois preparer pour aller
àterre.Je reçus ces Mandarins comme
les premiers , & je les fis ſalüer
en s'en retournant de neuf coups
de canon. Sur les deux heures du
même jour j'entray dans mon canot
, & ceux de ma ſuite dans des
batteaux que le Roy envoya ; & étant
arrivé ſur le ſoir dans la riviere,
j'y trouvay cinq balons tres- pro34
RELATION
пра-
pres , l'un pour moy , fort magnifique
, & quatre autres pour les
Gentilshommes qui m'accompagnoient
, avec un grand nombre
d'autres pour charger les hardes &
tous les gens de ma ſuite. Deux
Mandarins me vinrent complimenter
de la part du Roy. Je ne pûs
aller cette nuit au lieu qu'on avoit
deſtiné pour me recevoir , ce qui
m'obligea de paſſer du balon où
j'étois dans la Fregate la Maline ,
qui étoit entrée dans la riviere deux
jours auparavant,&oùje couchay.
Le même ſoir le Commis que j'avois
envoyé à Siam pour acheter les
proviſions neceſſaires pour les équipages
du Vaiſſeau &de la Fregate,
me vint dire que Monfieur Conftance
luy avoit mis entre les mains
de la part du Roy onze Barques
chargées de boeufs , cochons,veaux,
poulles , canards , & arrek ou eau
de vie faite de ris, pour nourrir les
DU VOYAGE DE SIAM. 35
:
équipages des deux Navires ,& qu'il
luy avoit dit de demander tout ce
qui ſeroit neceſſaire , le Roy voulant
défrayer les deux Vaiſſeaux de
ſa Majesté pendant tout le temps
qu'ils feroient en ſon Royaume.
Le neuviéme il vint deux Mandarins
àmon balon de la part du
Roy , qui me dirent qu'ils venoient
pour recevoir mes ordres , & je
partis de ce lieu ſur les ſept heures
du matin. Aprês avoir fait environ
cinq lieuës j'arrivay dans une maiſon
qui avoit été bâtie pour me
recevoir , où deux Mandarins & les
Gouverneurs de Bancok & de Pipely
avec pluſieurs autres me vinrent
complimenter ſur mon arrivée,
me ſouhaitant une longue vie . Cette
maiſon étoit faite de banbous , qui
'eſt un bois fort leger , & couverte
de nattes aſſez propres. Tous les
meubles en étoient neufs , il y avoit
pluſieurs chambres tapiffées de
36 RELATION
toile peinte fort belle : la mien
ne avoit de tres-beaux tapis ſur le
plancher , j'y trouvay un dais d'une
étoffe d'or fort riche , un fauteüil
tout doré , des carreaux de velours
tres -beaux , une table avec un tapis
brodé d'or , des lits magnifiques ;
j'y fus ſervy de viandes & de fruits
en quantité. Aprés-dîné je partis ,
& tous les Mandarins me ſuivirent.
J'allay à Bancok, qui eſt la premiere
Place du Roy de Siam dans cette
riviere , éloignée d'environ douze
lieuës de la mer. Je trouvay à la radeun
Navire Anglois , qui me ſalua
de vingt & un coups de canon iles
Fortereſſes du lieu qui gardent les
deux côtez de la riviere me ſaluërent
, l'une de vingt- neuf coups, &
l'autre de trente un .Ces Fortereſſes
font aſſez regulieres & fournies de
gros canons de fonte; je logeay dans
Ia Fortereſſe d'à main gauche, dans
une maiſon aſſez bien bâtie &bien
DU VOYAGE DE SIAM. 37
meublée , & où je fus traité à la
mode du païs .
Le lendemain dixiéme j'en partis
fur les huit heures du matin accompagné
de tous les Mandarins& de
tous les Gouverneurs qui m'étoient
venu faire compliment ; il y vint
deux autres Mandarins me complimenter.
A mon départ je fus falué
de la même maniere que la veille
, & j'arrivay ſur le midy dans une
maiſon bâtie exprês pour moy , &
ayant des meubles auffi beaux que
dans la premiere. Il y avoit prês
de là deux Fortereſſes qui me faluërent
de toute leur artillerie , &
deux Mandarins me vinrent rece.
voir. A dîner je fus tres -bien fervy
, & j'en partis ſur les trois heures
; les Fortereſſes me ſaluërent
comme auparavant , & ce fut lorfque
le Gouverneur de Bancok prit
congé de moy pour s'en retourner
en ſon Gouvernement. Pourſui.
38 RELATION
vant ma route je rencontray deux
Navires , l'un Anglois , & l'autre
Hollandois , à l'ancre , qui me ſaluërent
de toute leur artillerie, &j'arrivay
fur les ſept heures du ſoir dans
une maiſon faite & meublée de la
même maniere que les precedentes,
j'y fus reçu par de nouveaux Mandarins
, & fort bien traité.
Le 11. aumatin je partis &j'allay
dîner dans une autre maiſon ; le
foir j'arrivay dans une maiſon faite
à peu près comme les autres , &
fort bien meublée , où je trouvay
deux Mandarins qui m'y reçurent.
Le 12.j'en partis , &j'allay coucher
à deux lieües de Siam, où deux
Mandarins me recurent encore.
LesChefs des Compagnies Angloi .
fes & Hollandoiſes m'y vinrent faluër
; à l'égard des François , ils
m'étoient venu trouver à mon
bord , & m'accompagnerent toujours
depuis. Je reſtay en ce lieu- là
DU VOYAGE DE SIAM. 39
juſqu'à ce que je fis mon entrée.
La Riviere de Siam nomméeMe.
nan eſt fort belle & fort large ,
elle a partout au moins quatrebraf.
ſes d'eau , & fept & huit en la plûpartdes
endroits; elle eſt toutebordéede
tres beaux arbres : mais trois
ou quatre mois de l'année tous ſes
rivages font innondez , ce qui fait
que toutes les maiſons qu'on yrencontre
ſont bâties ſur des pilotis,&
faites toutes de banbous. Ce bois
fert aux Siamois àfaire tant les fondemens
& les planchers , que le
deſſus de leurs maiſons ; ils s'en fervent
auſſi pour faire ce dontils ont
beſoin dans leur ménage , n'ayant
preſque rien qu'ils ne faffent de ce
bois, juſqu'à en allumer du feu, s'en
ſervant comme de pierres à fufil ,
ils n'ont qu'à racler un peu de ce
bois,& le frotter enfuite l'un contre
l'autre , il s'allume d'abord .
Tous les peuples de ces endroits ont
40 RELATION
depetits canaux&des barques pour
aller de maiſons en maiſons faire
leur commerce. On n'y voit prefque
travailler que les femmes , les
hommes étant le plus ſouvent employez
au ſervice du Roy , de qui
ils font comme les eſclaves . On
m'y fit les mêmes honneurs que l'on
a accoutumé de faire au Roy quand
il paſſe ſur la riviere . Je n'y vis perſonne
dans les maiſons, tout le monde
étoit dans les balons , ou ſur les
bords, le ventre à terre , & les mains
jointes contre le front. Au devant
des maiſons & des villages il y avoit
une eſpece de parapet élevé de ſept
àhuits pieds hors de l'eau , fait avec
des nattes. Ils reſpectent tant leur
Roy, qu'ils n'ofent pas lever les yeux
pour le regarder. Je remarquay que
lesmaiſons où j'avois logé étoient
peintes de rouge, afin de me traiter
comme ſa perſonne , n'y ayant que
les maiſons Royales de cette couleur-
là. Tous
1
DU VOYAGE DE SIAM. 41
Tous les Mandarins qui ſont venusme
recevoir ſur la riviere, m'ont
toujours accompagné ; les premiers
étoient comme les Gentilshommes
de la Chambre, & les autres par de
gré. Les Princes y vinrent auſſi . Ils
ont tous des balons tres propres ,
dans le milieu deſquels il y a une efpece
de thrône où ils s'aſſiſent ; &
ils ne vont ordinairement qu'un
dans chaque balon , à leurs côtez
font leurs armes , comme ſabres ,
lances , épées , fleches, plaſtrons, &
même des fourches. Ils font tous
habillez de la même maniere que
j'ay déja dit. Un Portugais que le
Roy avoit faitGeneral des Troupes
de Bancok m'a toujours accompagné,
& donnoit les ordres pour toutes
choſes. Il y eut environ so. ου
60 balons à ma ſuite, dont pluſieurs
avoient 50. 60. 70. & 80. pieds de
long, ayant des rameurs depuis 20.
juſques à cent. Ils ne rament pas à
D
42 RELATION
notre maniere, ils font aſſis deux fur
chaque banc , l'un d'un côté & l'autre
de l'autre , le viſage tourné du
côté où l'on va , & tiennent une rame
qui s'appelle pagais , d'environ
quatre pieds de long , & font force
du corps pourpagaier.Ces rameurs
fatiguent beaucoup , & fe contentent
pour toute nourriture de ris
cuit avec de l'eau , & quand ils ont
un morceau de poiſſon , ils croyent
faire un tres-grand regal. Ils mangent
d'une feüille qu'ils appellent
betel , qui eft comme du lierre , &
d'une eſpece de gland de cheſne ,
qu'ils appellent arrek , mettant de
la chaux fur la feüille , & c'eſt ce qui
donne le goût. Ils mangent du tabac
du païs, qui eſt bien fort ; tout cela
leur rend les dents noires,qu'ils eſtiment
les plus belles . Un homme
peut vivre de cette maniere pour 15.
ou 20. ſols par mois , car ils ne boivent
ordinairement que de l'eau. Ils
DU VOYAGE DE SIAM. 43
ont une eſpece d'eau de vie tresforte,
qu'ils appellent racque, qu'ils
font avec du ris . Lorſque j'arrivay
dans les maiſons qu'on m'avoit preparées,
tous les Mandarins qui m'accompagnoient
, & ceux qui me recevoient
ſe mettoient en haye juf.
qu'à la porte de ma chambre.
Le 13. je fis dire au Roy par les
Mandarins qui étoient avec moy,
quej'avois été informé de la maniere
dont on avoit accoutumé de recevoir
les Ambaſſadeurs en fon
Royaume ,& que comme elle étoit
fort differentede celle de France,
je le ſuppliois de m'envoyer quelqu'un
pour traiter avec luy ſur le
ſujet de mon entrée .
Le 14. il m'envoya Mª Conſtans,
avec lequelj'eus une longue converſation.
Me l'Eveſque fut l'interprete.
Nous diſputâmes long temps , &je
ne voulus rien relâcher des manieres
dont on a coutume de recevoir lcs
Dij
44
RELATION
Ambaſſadeurs en France , ce qu'il
m'accorda.
Le 15. les Tunquinois me vinrent
complimenter ſur mon arrivée .
Le 16. les Cochinchinois firent
la même choſe.
Le 17. Mª Conſtans me vint trouver
, & emmena avec luy quatre balons
tres - beaux pour charger les
preſens que Sa Majesté envoyoit au
Roy de Siam . Ce mêmejour le Roy
donna ordre à toutes les Nations
des Indes qui reſident à Siam , deme
venir témoigner la joye qu'ils ref
ſentoient de mon arrivée , &de me
rendre tous les honneurs qui étoient
dûs à un An baſſadeur du plus grand
Roy du Monde Ils y vinrent fur
les fix heures du ſoir , tous habillez
àlamodede leur païs ; il y en avoit
de quarante differentes Nations , &
toutes de Royaumes indépendans
les uns des autres ; & ce qu'il y avoit
detres- particulier étoit , que parmy
DU VOYAGE DE SIAM. 43
ce nombre il yavoit le fils d'un Roy
qui avoit été chaſſe de ſes Etats , &
qui s'étant refugié dans celuy de
Siam , demandoit du ſecours pour
ſe rétablir. Leurs habits étoient
preſque tout de meſme que ceux
des Siamois , à la reſerve de quelques-
uns , dont la coëffure étoit differente
, les uns ayans des turbans ,
les autres des bonnets à l'Arme .
nienne , ou des calottes , & d'autres
enfin étans nuë tête comme les
moindres des Siamois, les perſonnes
de qualité ayant un bonnet de la
formedeceluyde nos Dragons, qui
ſe tient droit , fait de mouſſeline
blanche , qu'ils font obligez de faire
tenir avec un cordon qui paſſe au
deſſous de leur menton , étant d'ailleurs
tous nuds pieds , à la reſerve
de quelques uns qui ont des babouches
comme celles que portent les
Turcs.
Le Roy me fit dire ce mêmejour
Dij
46 RELATION
par M. Conftans , qu'il me vouloit
recevoir le lendemain 18. Je partis
fur les ſept heures du matin en la ma
niere que je raconteray aprês avoir
recité les honneurs que le Roy de
Siam fit rendre à la Lettre de Sa Majeſté.
Il est vray qu'il a de coutume
de rendre honneur aux Lettres des
Potentats qu'il reçoit par leurs Am.
baſſadeurs;mais il a voulu avec juſtice
faire une distinction de cellede
notre grand Monarque. Il vint quaranteMandarins
des premiers de fa
Cour , dont deux qui étoient Oyas ,
c'eſt à dire comme ſont les Ducs en
France , qui me dirent que tous les
balons étoient à ma porte pour
prendre la Lettre de Sa Majesté , &
memener au Palais . La Lettre étoit
dans ma chambre en un vaſe d'or
couvertd'un voile de brocard tresriche.
Les Mandarins étant entrez
ils ſe proſternerent les mains jointes
fur le front, le viſage contre terre,&
DU VOYAGE DE SIAM. 47
faluërent en cette poſture la Lettre
du Roy par trois fois. Moy
étant aſſis ſur un fauteüil auprés
de la Lettre , je reçus cet honneur ,
qui n'a jamais été rendu qu'à celle
de Sa Majesté. Cette ceremonie
finie , je pris la Lettre avec le vaſe
d'or , & après l'avoir portée ſeptou
huit pas , je la donnay à Monſieur
l'Abbé de Choiſy , qui étoit
venu de France avec moy. Il marchoit
à ma gauche un peu derriere, .
&il la porta juſqu'au bord de la
riviere , où je trouvay un balon extremement
beau , fort doré , dans
lequel étoient deux Mandarins du
premier ordre . Je pris la Lettredes
mains de Monfieurl'Abbé de Choiſy
, & l'ayant portée dans le balon,
je la remis entre les mains d'un de
ces Mandarins , qui la poſa ſous un
dais fait en pointe , fort élevé , &
tout doré. J'entray dans un autre
fort magnifique , qui ſuivoit imme
3
48 RELATION
diatement celuy où étoit la Lettre
de Sa Majeſté. Deux autres auſſi
beaux que le mien , dans lesquels
étoient des Mandarins , étoient aux
deux côtez de celuy où l'on avoit
mis la Lettre. Le mien , comme je
viens de dire , le ſuivoit ; Monfieur
l'Abbé de Choiſy étoit dans un autre
balon immediatement derriere,
& les Gentilshommes qui m'accompagnoient
,& les gens de ma ſuite,
dans d'autres balons , ceux des
grands Mandarins pareillement fort
beaux , étoient àla tête. Il y avoit
environ douze balons tout dorez ,
& prês de deux cens autres qui voguoient
fous deux colomnes. La
Lettre du Roy , les deux balons de
garde& le mien étoient dans le milieu.
Toutes les Nations de Siam
étoient à ce cortege ; &toute la ri.
viere quoique tres large étoit toute
couverte de balons. Nous marchâmes
de cette forte juſqu'à la ville,
dont
DU VOYAGE DE SIAM. 49
dont les canons me ſaluërent ,
ce qui ne s'étoit jamais fait a
aucun autre Ambaſſadeur , tous
les Navires me ſaluërent auſſi ,
& en arrivant à terre je trouvay
un grand Char tout doré,
qui n'avoit jamais ſervi qu'au
Roy.
Je pris la Lettre de ſa Majefté
, &je la mis dans ce Char ,
qui étoit traîné par des chevaux
, & pouffé par des hommes;
J'entray enſuite dans une
chaiſedorée portéepar dixhom.
mes ſur leurs épaules ; Monfieur
l'Abbé de Choiſy étoit dans
une autre moins belle ; Les Gentils-
hommes & les Mandarins
qui m'accompagnoient étoient
à cheval , toutes les Nations
-differentes qui demeurent à Siam
marchant à pied derriere ; La
marche fut de cette forte jufqu'au
Château du Gouverneur ,
E
50 RELATION
où je trouvay en haye des Soldats
des deux côtez de la ruë
qui avoient des chapeaux de
métail doré , une chemife rouge
, & une eſpece d'écharpe de
toile peinte , qui leur ſervoit de
culotte, fans bas ny foüilliers ;
Les uns étoient arniez de Mouf
quets , les autres de Lances ;
D'autres d'Arcs , & de fléches,
d'autres de picques .
Il y avoit beaucoup d'inſtrumens
comme Trompettes,Tambours
, Timbales , Muſettes , des
manieres de petites cloches ,&
de petits cors dont le bruit refſembloit
à ceux des paſteurs en
France. Toute cette Muſique,
faiſoit affez de bruit , nous mar-.
châmes de cette façon le long
d'ure grande ruë bordée des
deux côtez d'une grande quanme
de peuples & toutes les places
remplies de même. Nous
DU VOYAGE DE SIAM. 11
arrivâmes enfin dans une grande
place qui étoit devant le Palais
du Roi , ou étoient rangés
des deux côtés des Eléphans de
guerre , enfuite nous entiâmes
dans la premiére cour du Palais
, où je trouvay environ deux
milles Soldats afſis fur leur der
riére la croſſe de leurs Moufquets
fur terre & tout droits ,
rangés en droite ligne à fix de
hauteur , il y avoit des éléphans
fur la gauche apelés éléphans
armés en guerre. Nous vimes
enfuite cent hommes à cheval
pieds nuds & habités à la Morefque
une lance àla main, tous
des Soldats étoient habillé conme
j'ai dit cy-devant , dans cet
endroit les nations & tous ceux
qui me ſuivoient me quitterent
à la referve des Gentilshommes
quim'accompagnoient, J. paffai
dans deux autres cours qui
(
E ij
52
RELATION
étoient garnies de la même maniére
& j'entray dans une autre
où étoit un grand nombre de
Mandarins tous proſternés contre
terre , il y avoit en cet endroit
fix chevaux qui étoient tenus
chacun par deux Mandarins ,
tres -bien barnachés , leurs brides
, poitraïls , croupieres & couroyes
d'étriers étoient garnies
d'or & d'argent couverts de pluſieurs
perles , rubis & diamans ,
en forte qu'on ne pouvoit en
voir le cuir , leurs étriers & leurs
ſelles étoient d'or & d'argent ,
les chevaux avoient des anneaux
d'or aux pieds de devant , il y
avoit là auffi pluſieurs éléphans
harnachés de même que le ſont
des chevaux de caroſſes , leurs
harnois étoient de velours cramoiſy
avec des boucles dorées ,
Les Gentilshommes entrérent
dans la Salle d'audiance & fe
DO VOYAGE DE SIAM.
placerent avant que le Roy ft
dans ſon Throne , & quand il y
fut entré accompagné de Monfieur
Conftans , du Barcalon &
de Monfieur l'Abbé de Choiſy
qui portoit la Lettre du Roy ,
je fus furpris de voir le Roy dans
une tribune fort élevée, car Monfeur
Conftans étoit demeuré
d'accord avec moi que le Roy
ne feroit qu'à la hauteur d'un
homme dans ſa tribune & que
je luy pourrois donner la Lettre
du Roy de la main à la main;
Alors je dis à Monfieur l'Abbé
de Choify , on a oublié ce que
l'on m'a promis , mais aſſeurément
je ne donneray point la
Lettre du Roi qu'à ma hauteur,
le vaſe d'or ou on l'avoit mife
avoit un grand manche d'or de
plus de trois pieds de long , on
avoit crû que je prendrois ce
vaſe par le boutdu manche pour
E iij
54
RELATION
F'élever juſques à la hauteur du
thrône ou étoit le Roy , mais je
pris fur le champ mon party &
je reſolus de préſenter au Roy
la Lettre de Sa Majesté tenant
en ma main la couppe d'or où
elle étoit , étant donc arrivé à la
porte je ſalüay le Roy , j'en fis
demême à moitié chemin & lors
que je fus proche de l'endroit ou
je devois m'affeoir après avoir
prononcé deux paroles de ma
Harangue je remis mon chapeau
à la tête & je m'affis , je
continüaymondiſcours qui étoit
en ces termes.
Fermer
2
p. 94-113
« Le vingt-sixiéme Mars à deux heures aprés midy j'ay mis [...] »
Début :
Le vingt-sixiéme Mars à deux heures aprés midy j'ay mis [...]
Mots clefs :
Fort, Vent, Roi de Siam, Cap de Bonne-Espérance, France, Vaisseau, Route, Ligne, Temps, Heures, Île, Mer, Argent, Abbé de Choisy, Enseigne, Vaisseaux, Ambassadeur, Frégate, Constantin Phaulkon, Alexandre de Chaumont
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « Le vingt-sixiéme Mars à deux heures aprés midy j'ay mis [...] »
Evingt- fixieme Mars à deux
heures aprés midy j'ay mis
à la voile avec un bon vent , en
fortantde la Baye prés de la Fortereſſe
Hollandoiſe du Cap de
Bonne- Efperance , je vis trois
vaiſſeaux qui faifoient route pour
venir au Cap ; mais je n'ay pû
diftinguer de quelle Nation ils
eſtoient , je croy qu'ils eſtoient
Hollandois , parce qu'on en attendoit
ce nombre de l'Iſle de
GC
-
DU VOYAGE DE SIAM. 95
Ceilan. Quand nous fumes à
quarante lieuës delà nous trouvâme
la mer fort groſſe , elle nous
tourmenta beaucoup , & nous
continuâmes noſtre route pour
aller paffer la ligne par la meſme
longitudeque nous l'avions pafſée
en allant , il ne ſe pouvoit
que noftre voyage ne fut extrémement
agreable ; car , comme
j'ay déja dit , le Roy de Siam envoyoit
avec nous des Ambaffadeurs
en France , pour témoigner
au Roy avec combien de
paffion il fouhaittoit fon amitié :
ſes grandes qualitez & fa renommée
eſtant venuëjuſqu'à luy,
&faifant depuis long-temps un
extrême bruit dans les Indes . Il
m'avoit dit dans une Audience ,
qu'il ne leur donnoit point d'inſtructions
ſur les ceremonies que
l'on fait en France qui font bien
differentes de celles de fon
96 RELATIO
Royaume , parce qu'il eſtoit perſuadé
que le Roy ne leur feroit
rien faire qui fût prejudiciable à
fes intereſts , & qu'il me chargeoit
de leur conſeiller tout ce
qu'il faudroit faire pour lemieux
quand ils ſeroient en France
qu'il ſe repoſoit ſur moy pour cela
, & qu'il eſtoit bien ſeur que
jene leur conſeillerois rien qui
ne fût à faire . Nous avions donc
avec nous trois Ambaſſadeurs
des plus confiderables de Siam.
Le premier eſt frere du deffunt
Barcalon qui eſtoit premier Miniſtre
du Roy , homme d'eſprit ,
il a toûjours eſté auprés de ſon
frere dans toutes les affaires ,
c'eſt luy qui accompagné d'un
autre eſtoit venu me recevoir à
l'entrée de la Riviere de Siam
lors de mon arrivée & qui a
toûjours eſté avec moy , m'accompagnant
partout où j'allois.
La
DU VOYAGE DE SIAM. 97
La premiere fois que je le vis il
me parut tres-honneſte-homme
& d'un eſprit fort aiſé , ce qui fit
que je dis à Monfieur Conftans
que je croyois qu'il feroit trespropre
pour eftre Ambaſſadeur
en France. Le ſecond eſt un homme
fort âgé qui a beaucoup d'efprit
, & a eſté Ambaſſadeur à la
la Chine dont le Roy fon maiſtre
fut fort content ; le troiſiéme eſt
âgé de vingt- cinq ou trente ans,
fon pere eſt Ambaſſadeur en
Portugal; ce font les meilleures
perſonnes du monde , ils ſont
doux , honnêtes , complaifants,
& de tres-bonne humeur , & je
conte d'eſtre fort de leurs amis.
Ils écrivent juſqu'aux moindres
petites choſes qu'ils voyent , ce
qui me fait plaiſir ; car ils auront
dequoi s'exercer en France , où
ils rencontreront tant de chofes
dignes de leur admiration , je
i
68 RELATION
m'aſſure qu'ils en feront un fidel
recit au Roy leur Maiſtre. Ils devoient
avoir douze Mandarins à
leur ſuites;mais ils n'en ont que
huit parce qu'il en eſt reſté quatre
àSiam qui ne ſont pas venus affés
toſtàbord, il amenoient en France
douze petits garçons pour les
y laiſſer pour apprendre la Langue&
des métiers ; mais il en eſt
reſté une partie avec les quatre
Mandarins qui n'ont pû nous
joindre auſſi bien que quelques
domeſtiques de ces Ambaſſadcurs
ils en ont encore une vingtaine ,
ils font chargés de beaucoup de
beaux preſens pour le Roy , pour
Monseigneur, pour Madame la
Dauphine & pour Meſſeigneurs
les Ducs de Bourgogne & d'Anjou
& pour Meſſieurs de Seignelay
& de Colbert de Croiſy . Il y
en parmy ces prefens beaucoup
de vaſes d'or & d'argent ,
DU VOYAGE DE SIAM. 99
des ouvrages du Japon & des
Manilles , grande quantité de
porcelaines tres - rares , des paravans
de la Chine & du Japon ,
pluſieurs bijoux de tous les endroits
des Indes , des Cabinets ,
coffres , écritoires vernis , & garnis
d'argent , des vazes de terre
ſizelée , qui font legers conume
des plumes , deux petits navires
d'or , l'un pour le Roy & l'autre
pour Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , deux pieces de
canon pour le Roy d'environ
deux ou trois livres de balles ,
de fer battu à froid garnis d'argent&
façonné avec de l'argent
approchant d'un ouvrage de raport
, des cornes de rinocerots,
des pierres de Bezoüar & pluſieurs
autres choſes dontje ne me
fouviens pas . Ces preſens vallent
beaucoup , & le Roy de Siam s'eſt
fait un grand plaifir d'envoyer
i ij
100 RELATION
د parce
tout ce qu'il avoit de plus rare.
Monfieur l'Abbé de Lionne fut
prié par ceRoyde faire le voyage
avecſes Ambaſſadeurs ; il leur fera
d'un grand fecours
qu'il parle leur langue , c'eſt un
tres-honnête homme & d'une
haute pieté le meſme Roy témoigna
auſſi à Monfieur le Vacher
qu'il feroit bien- aiſe qu'il retournât
avec ſes Ambaſſadeurs ,
ce qu'il a auſſi fait, il leur ſera
pareillement d'une grande utilité
eſtant un homme fort agiſſant.
Nous avions auſſi avec nous Monfieur
l'Abbé de Choiſi qui a fait le
voyage pour demeurer en qualité
d'Ambaſſadeur en cas que le Roy
dece pays-làſe fût fait Chrétien ;
c'eſt un tres-honnêtehomme quia
beaucoup d'eſprit & de merite . Il
s'eſt fait Prêtre & il a dit ſa premiere
Meſſe dans le Vaiſſeau , il
nous a donné de bons exemples ,
DU VOYAGE DE SIAM. IOI
& nous fait des predications fort
édifiantes , Monfieur l'Abbé du
Chailar étoit auſſi du voyage,c'eſt
un homme d'eſprit & qui nous a
ſouvent prêché. J'avois pourAu
mônier Monfieur l'Abbé deJully
dont j'ai été fort content, ilnous a
auſſi faitdebelles Predications,&
l'AumônierduVaiſſeau Monfieur
le Dot a eu un ſoin fort grand de
tout l'équipage , & de ceux qui
eſtoient malades. Ilne s'eſt point
paſſé de Dimanche ny de Feſte
que nous n'ayons eu des Predications,
& je puis dire grace àDieu
que l'on a vécu dans le Vaiſſeau
avec beaucoup de pieté par le ſecours
de tous ces Meſſieurs qui
exhortoient ſouvent ceux de l'é
quipage à vivre en Chrétiens , il
n'y en a point eu qui ne ſe ſoient
confeffez & fait ſouvent leurs devotions
, ce qui nous a attiré toutes
les benedictions de Dieu
iiij
102 RELATION
que nous avons euës dans ce
voyage ; car on ne peut pas faire
une navigation plus heureuſe .
Nous avions pour Capitaine de
Vaiſſeau Monfieur de Vaudricourt
qui commandoit le vaiſſeau
Loiſeau , c'eſt un tres-honnête
homme , & un des meilleurs na.
vigateurs&des plus ſoigneux que
le Royaye ; j'ay tout- à-fait ſujet
de m'enloüer , il a eu le ſoin de
tout ce qui concernoit le Vaiſ
ſeau ; où rien n'a manqué parles
precautions qu'il avoit priſes avant
noſtre départ , je n'euſſe jamais
crû que cela euſt pû ſe faire
de la forte dans un ſi long voyage.
Nous avions auſſi Monfieur
de Coriton Capitaine de Fregate
legere, un tres-bon Officier fort
foigneux & affiduà ſon métier ;
nous avions pour Lieutenant le
Chevalier de Fourbin que j'ay
laiſſay prés du Roy de Siam, &
DU VOYAGE DE SIAM. 103
Monfieur le Chevalier de Cibois
qui ſontde tres-bons Officiers , &
pour Enſeigne Monfieur de Chamoreau
qui eſt un homme qui
ſçait beaucoup de ſon métier,
par la grande application qu'il y
donne , il eſt capable d'être plus
qu'Enſeigne. Le Roy m'avoit fait
l'honneur de me donner douze
Officiers & gardes Marines pour
m'accompagner à l'Ambaſſade
qui estoient Meſſieurs de Francine
Enſeigne , Saint Villiers enſeigne
, de Compiegne , de Freteville
, de Seneville , du Fays ,
de Joncourt , la Palu , la Foreſt,
d'Hebouville qui eſt mort dans la
Fregate en route , & Monfieur du
Tartre Lieutenant ſur la Fregate
Maline qui eſt tres-honnête
homme & bon Officier . Monfieur
de Joyeuſe commandoit cette
Fregate , & j'ay tous les ſujets du
monde de me loüer de ſa con
i iiij
104
RELATION
duite ; je dois rendre cettejuſtice
à tous ces Meſſieurs qu'ils ont
efté tres- ſages , & ont tout-àfait
répondu au choix que fa Majeſté
en avoit fait ; ils ont bien
appris la navigation & les Mathematiques
; ils avoient un Maiſtre
en allant qui a reſté à Siam , &
en revenant le Pere Taſchard a
bien voulu leur en ſervir ; ceux
qui ne font pas Officiers font capables
de l'être , & ceux qui le
font, font capables de monter à
des degrez plus hauts . Il y avoit
un garde Marine qui estoit commandé
qui n'eſt pas venu avec
moy & qui eft reſté en France; je
diray à la loüange de Monfieur
le Chevalier du Fays qu'il eſt trescapable
d'être Enſeigne , il a eu
unetres- grande application pour
apprendre les manoeuvres & tout
ce qui regarde la navigation. J'avois
pour Secretaire le Sieur de
DU VOYAGE DE SIAM. ios
la Broffe-bonneau qui eſt treshonnête-
homme . Monfieur Conſtans
m'ayant témoigné qu'il ſeroit
bien-aife d'avoir deux de
mes Trompettes & mon Tapiffier
je les luy laiſſay deleur conſentement
, il leur a fait un bon party;
mon Maiſtre d'Hôtel me demanda
d'y refter pour negotier quelque
argent qu'il avoit, un de mes
laquais eft demeuré avec le Chef
de la Compagnie Françoiſe , &
un autre à qui la devotion a fait
prendre party de refter au Seminaire
de Siam pour eftre Miſſionaire
. Monfieur l'Abbé de Choifi
y a aufli laiſſédeux de ſes gens ,
l'un appellé Beauregard qui étoit
Cadet dans le Vaiſſeau
Monfieur Conftans a promis de
faire quelque choſe pour luy , je
croy qu'il le mettra dans la Marine,
il eſt bien demeuré douze
ou quinze François au ſervice du
106 RELATION
Roy & du Miniſtre.
Je continuay ma route & j'eus
vent arriere & le Avril je
paſſay à la hauteur de l'Iſle fainte
Heleine qui eſt habitée par les
Anglois ; les Vaiſſeaux qui viennent
des Indes y touchent ordinairement
, c'eſtà dire quand ils
ne vont pas au Cap de Bonne-
Eſperance ; on m'a dit que c'eſt
une tres-bonne Iſle & bien fertile,
elle eſt à ſeize degrez de latitude
Sud . Le les vents toûjours
arriere je paſſay à la veuë de l'Iſle
de l'Aſcenſion qui eſt à huit degrez
Sud de la ligne. Cette Ifle
n'eſt point habitée, la plupart des
Vaiſſeaux qui paſſent s'y arrêtent
pour y prendre de la tortuë , il y
en a unegrande quantité , & ces
animaux rafraîchiffent beaucoup
les équipages , ils demeurerent
en vie un mois & fix ſemaines
ſans manger , on ne les peut pren
DU VOYAGE DE SIAM. 107
dre que la nuit , car le jour les
tortuës ſe tiennent à la mer , & la
nuit elles ſe retirent en terre pour
y mettre leurs oeufs qu'elles enfoüient
dans le ſable. Pour les
prendre il ſe faut tenir caché avec
un gros bâton à la main& les furprendre
quand elles ſortent de
l'eau, on les renverſe ſur le dos &
lors elles ne peuvent plus ſe retourner
, on en prend des quatrevingt&
cent pour une nuit & le
jour on les embarque & on les
met fur le dos dans le Vaiſſeau . II
ya des Barques qui y vont pour
faller de ces tortuës, qu'elles por
tent aux Iſles de l'Amerique &
que les habitans achetent pour
leurs eſclaves ; comme j'avoisun
bon ventje ne m'y arreſtay point,
ne voulant pas perdre de temps
à paſſer la Ligne Equinoxiale ;
car quelquefois on y reſte longtemps
à cauſedes grands calmes
108 RELATION
&des pluyes qu'on y trouve ; le
28. Avril je paſſay la Ligne avec
un temps admirable , les chaleurş
n'étant point incommodes,peu de
calme & de pluye ; c'étoit la
quatrième fois que je l'avois pafſée
dans ce voyage ſans avoir
quitté le juftau- corps de drap
doublé de meſime;tout mon monde
&mon équipage eſtoient lors
en tres-bonne ſanté à la referve
de quatre, ou cinq qui estoient
malades du flux de ventre depuis
Siam ; cette maladie ſe guerit
rarement dans ces pays-là ,
il ne m'eſtmort que dix ou douze
Matelots ou Soldats. Nous ne
vîmes que tres-peu de poiſion
dans cette traverſe , ce qui eſt
contre la coûtume , car ordinairement
ils'y en trouve en grand
nombre ; nous harponnâmes un
gros poiffon que l'on appelle foufdeur,
environ huitpieds de long&
quatre de large , il avoitſur la tête
1
DU VOYAGET
DE SIAM. 109
un trou par où il reſpire & jettoit
de l'eau en l'air comme une fontaine;
il faisoit beaucoup de bruit&
peſoitenviron 300.livres; ce poif-
Ton eft bon à manger & le harpondonton
ſe ſert pour le prendre
eſt comme le fer d'une fleche,
quand il eſt une fois entré il ne
peut plus reſſortir. On met cet
harpon au bout d'un morceau de
bois bien long que l'on attache à
une corde , un Matelot adroit
tient cet harpon dans la main à
l'avant du Navire , & ce poiſſon
venant à paffer proche de luy il
luy jette le harpon , l'ayant touché
il défile la corde pour que le
poiffon perde ſon ſang &fa force;
enſuite on le retire. Le vingtneuf
nous primes de la meſme
maniere deux autres poiſſons que
l'on nomme Marſoins , ils font
preſque de la meſme figure que le
foufleur , à la referve qu'ils ont
210 RELATION
la tête & le muſeau long , & le
ſoufleur l'a preſque ronde. Ils
pouvoient bien peſer cent cinquante
livres chacun ; ils font
aufſſi tres-bons à manger. Nous
eſtions du côté du Nort avec un
bon vent ; jen'ay eſté que trente
deux jours en route du Cap de
Bonne-Efperance à la Ligne , &
en allant j'avois employé de la
Ligne au Cap ſept ſemaines , parceque
la route eſt beaucoup plus
longue par les vents d'oueſt qu'il
faut aller chercher .
Le 16. May ſur le minuit nous
paſſames le Tropique par l'eſtime
qu'en firent nos Pilotes en
prenant la hauteur. Le i7. à midy
ce fut grace à Dieu la fixieme
fois que nous avions paſſé les
Tropiques dans ce voyage , &
fortant de la Zone torride nous
entrâmesdans la temperée par un
bon vent.
DU VOYAGE DE SIAM. 211
Le premier Juin nous vîmes
la terre , & comme nous croyons
en eſtre à plus de cent cinquante
lieuës cela nous furprit , & comme
il faifoit un grand broüillard
nous fumes obligez de nous en
approcher , & le temps s'étant
éclairci nous reconnûmes que
c'étoit l'Iſle de Flore qui eſt une
des Açores & la plus à l'oueſt; elle
eſt tres-haute , il en tombe de
l'eau des montagnes dansla Mer
ce qui fait de tres-belles caſcades
, & qui nous la fit reconnoître.
Il falloit que nous euſſions
trouvé des courans d'eau qui
nous euſſent portez à l'ouest , que
nous nous faiſions à plus decent
cinquante lieuës à l'eſt . Le cinquiéme
nous vîmes un Vaiſſeau
qui paſſa proche de nous ; mais
comme c'étoit la nuit nous ne
ſçûmes pas de quel paysil eſtoit.
Le ſeptiéme nous en vîmes un
12 RELATION
autre qui eſtant venu proche du
mien,j'envoyay mon canot àbord
avec un Officier qui me dit que
c'étoit un Navire de Londres qui
venoit de Virginie qui s'en retournoit
à Londres, il eſtoit chargé
de tabac , & comme il faifoit
beaucoup de vent, & que nous
allions mieux que luy nous le
quittâmes en peude temps. Nous
eûmes vent variable juſqu'au
douziéme , & fur les fix heures
du foir le vent eſtant oueft &
arriere il ſe leva une groſſe mer
& le vent ſi violent qu'ils nous
obligerent le lendemain fur les
dix heures du matin de mettre à
la Cap , & mes Pilotes ne ſe faifoient
qu'à cent licuës de Breſt .
Letemps eftant fort obſcur avec
de lapluie , & comme on craint
de s'approcher des terres par un
tel temps , parce que quelque
foisces coups de vent durentdes
huir
DUVOYAGEDE SIAM. I1I13
jours ; cela m'obligea à mettre à
la cap, fur les dix heures du ſoir
du treize le vent & la mer calmerent
, &je me remis à la voile &
le dix-huit Juin nous arrivâmes
graces à Dieu heureuſement à la
rade de Breft , à quatre heures aprés
midyoùdés qu'on eûtmoüillé
jefis tirer le Canon des deux
Vaiſſeaux pour ſaluër les Ambaſ
fadeurs de Siam que j'ay amenez,
heures aprés midy j'ay mis
à la voile avec un bon vent , en
fortantde la Baye prés de la Fortereſſe
Hollandoiſe du Cap de
Bonne- Efperance , je vis trois
vaiſſeaux qui faifoient route pour
venir au Cap ; mais je n'ay pû
diftinguer de quelle Nation ils
eſtoient , je croy qu'ils eſtoient
Hollandois , parce qu'on en attendoit
ce nombre de l'Iſle de
GC
-
DU VOYAGE DE SIAM. 95
Ceilan. Quand nous fumes à
quarante lieuës delà nous trouvâme
la mer fort groſſe , elle nous
tourmenta beaucoup , & nous
continuâmes noſtre route pour
aller paffer la ligne par la meſme
longitudeque nous l'avions pafſée
en allant , il ne ſe pouvoit
que noftre voyage ne fut extrémement
agreable ; car , comme
j'ay déja dit , le Roy de Siam envoyoit
avec nous des Ambaffadeurs
en France , pour témoigner
au Roy avec combien de
paffion il fouhaittoit fon amitié :
ſes grandes qualitez & fa renommée
eſtant venuëjuſqu'à luy,
&faifant depuis long-temps un
extrême bruit dans les Indes . Il
m'avoit dit dans une Audience ,
qu'il ne leur donnoit point d'inſtructions
ſur les ceremonies que
l'on fait en France qui font bien
differentes de celles de fon
96 RELATIO
Royaume , parce qu'il eſtoit perſuadé
que le Roy ne leur feroit
rien faire qui fût prejudiciable à
fes intereſts , & qu'il me chargeoit
de leur conſeiller tout ce
qu'il faudroit faire pour lemieux
quand ils ſeroient en France
qu'il ſe repoſoit ſur moy pour cela
, & qu'il eſtoit bien ſeur que
jene leur conſeillerois rien qui
ne fût à faire . Nous avions donc
avec nous trois Ambaſſadeurs
des plus confiderables de Siam.
Le premier eſt frere du deffunt
Barcalon qui eſtoit premier Miniſtre
du Roy , homme d'eſprit ,
il a toûjours eſté auprés de ſon
frere dans toutes les affaires ,
c'eſt luy qui accompagné d'un
autre eſtoit venu me recevoir à
l'entrée de la Riviere de Siam
lors de mon arrivée & qui a
toûjours eſté avec moy , m'accompagnant
partout où j'allois.
La
DU VOYAGE DE SIAM. 97
La premiere fois que je le vis il
me parut tres-honneſte-homme
& d'un eſprit fort aiſé , ce qui fit
que je dis à Monfieur Conftans
que je croyois qu'il feroit trespropre
pour eftre Ambaſſadeur
en France. Le ſecond eſt un homme
fort âgé qui a beaucoup d'efprit
, & a eſté Ambaſſadeur à la
la Chine dont le Roy fon maiſtre
fut fort content ; le troiſiéme eſt
âgé de vingt- cinq ou trente ans,
fon pere eſt Ambaſſadeur en
Portugal; ce font les meilleures
perſonnes du monde , ils ſont
doux , honnêtes , complaifants,
& de tres-bonne humeur , & je
conte d'eſtre fort de leurs amis.
Ils écrivent juſqu'aux moindres
petites choſes qu'ils voyent , ce
qui me fait plaiſir ; car ils auront
dequoi s'exercer en France , où
ils rencontreront tant de chofes
dignes de leur admiration , je
i
68 RELATION
m'aſſure qu'ils en feront un fidel
recit au Roy leur Maiſtre. Ils devoient
avoir douze Mandarins à
leur ſuites;mais ils n'en ont que
huit parce qu'il en eſt reſté quatre
àSiam qui ne ſont pas venus affés
toſtàbord, il amenoient en France
douze petits garçons pour les
y laiſſer pour apprendre la Langue&
des métiers ; mais il en eſt
reſté une partie avec les quatre
Mandarins qui n'ont pû nous
joindre auſſi bien que quelques
domeſtiques de ces Ambaſſadcurs
ils en ont encore une vingtaine ,
ils font chargés de beaucoup de
beaux preſens pour le Roy , pour
Monseigneur, pour Madame la
Dauphine & pour Meſſeigneurs
les Ducs de Bourgogne & d'Anjou
& pour Meſſieurs de Seignelay
& de Colbert de Croiſy . Il y
en parmy ces prefens beaucoup
de vaſes d'or & d'argent ,
DU VOYAGE DE SIAM. 99
des ouvrages du Japon & des
Manilles , grande quantité de
porcelaines tres - rares , des paravans
de la Chine & du Japon ,
pluſieurs bijoux de tous les endroits
des Indes , des Cabinets ,
coffres , écritoires vernis , & garnis
d'argent , des vazes de terre
ſizelée , qui font legers conume
des plumes , deux petits navires
d'or , l'un pour le Roy & l'autre
pour Monſeigneur le Duc
de Bourgogne , deux pieces de
canon pour le Roy d'environ
deux ou trois livres de balles ,
de fer battu à froid garnis d'argent&
façonné avec de l'argent
approchant d'un ouvrage de raport
, des cornes de rinocerots,
des pierres de Bezoüar & pluſieurs
autres choſes dontje ne me
fouviens pas . Ces preſens vallent
beaucoup , & le Roy de Siam s'eſt
fait un grand plaifir d'envoyer
i ij
100 RELATION
د parce
tout ce qu'il avoit de plus rare.
Monfieur l'Abbé de Lionne fut
prié par ceRoyde faire le voyage
avecſes Ambaſſadeurs ; il leur fera
d'un grand fecours
qu'il parle leur langue , c'eſt un
tres-honnête homme & d'une
haute pieté le meſme Roy témoigna
auſſi à Monfieur le Vacher
qu'il feroit bien- aiſe qu'il retournât
avec ſes Ambaſſadeurs ,
ce qu'il a auſſi fait, il leur ſera
pareillement d'une grande utilité
eſtant un homme fort agiſſant.
Nous avions auſſi avec nous Monfieur
l'Abbé de Choiſi qui a fait le
voyage pour demeurer en qualité
d'Ambaſſadeur en cas que le Roy
dece pays-làſe fût fait Chrétien ;
c'eſt un tres-honnêtehomme quia
beaucoup d'eſprit & de merite . Il
s'eſt fait Prêtre & il a dit ſa premiere
Meſſe dans le Vaiſſeau , il
nous a donné de bons exemples ,
DU VOYAGE DE SIAM. IOI
& nous fait des predications fort
édifiantes , Monfieur l'Abbé du
Chailar étoit auſſi du voyage,c'eſt
un homme d'eſprit & qui nous a
ſouvent prêché. J'avois pourAu
mônier Monfieur l'Abbé deJully
dont j'ai été fort content, ilnous a
auſſi faitdebelles Predications,&
l'AumônierduVaiſſeau Monfieur
le Dot a eu un ſoin fort grand de
tout l'équipage , & de ceux qui
eſtoient malades. Ilne s'eſt point
paſſé de Dimanche ny de Feſte
que nous n'ayons eu des Predications,
& je puis dire grace àDieu
que l'on a vécu dans le Vaiſſeau
avec beaucoup de pieté par le ſecours
de tous ces Meſſieurs qui
exhortoient ſouvent ceux de l'é
quipage à vivre en Chrétiens , il
n'y en a point eu qui ne ſe ſoient
confeffez & fait ſouvent leurs devotions
, ce qui nous a attiré toutes
les benedictions de Dieu
iiij
102 RELATION
que nous avons euës dans ce
voyage ; car on ne peut pas faire
une navigation plus heureuſe .
Nous avions pour Capitaine de
Vaiſſeau Monfieur de Vaudricourt
qui commandoit le vaiſſeau
Loiſeau , c'eſt un tres-honnête
homme , & un des meilleurs na.
vigateurs&des plus ſoigneux que
le Royaye ; j'ay tout- à-fait ſujet
de m'enloüer , il a eu le ſoin de
tout ce qui concernoit le Vaiſ
ſeau ; où rien n'a manqué parles
precautions qu'il avoit priſes avant
noſtre départ , je n'euſſe jamais
crû que cela euſt pû ſe faire
de la forte dans un ſi long voyage.
Nous avions auſſi Monfieur
de Coriton Capitaine de Fregate
legere, un tres-bon Officier fort
foigneux & affiduà ſon métier ;
nous avions pour Lieutenant le
Chevalier de Fourbin que j'ay
laiſſay prés du Roy de Siam, &
DU VOYAGE DE SIAM. 103
Monfieur le Chevalier de Cibois
qui ſontde tres-bons Officiers , &
pour Enſeigne Monfieur de Chamoreau
qui eſt un homme qui
ſçait beaucoup de ſon métier,
par la grande application qu'il y
donne , il eſt capable d'être plus
qu'Enſeigne. Le Roy m'avoit fait
l'honneur de me donner douze
Officiers & gardes Marines pour
m'accompagner à l'Ambaſſade
qui estoient Meſſieurs de Francine
Enſeigne , Saint Villiers enſeigne
, de Compiegne , de Freteville
, de Seneville , du Fays ,
de Joncourt , la Palu , la Foreſt,
d'Hebouville qui eſt mort dans la
Fregate en route , & Monfieur du
Tartre Lieutenant ſur la Fregate
Maline qui eſt tres-honnête
homme & bon Officier . Monfieur
de Joyeuſe commandoit cette
Fregate , & j'ay tous les ſujets du
monde de me loüer de ſa con
i iiij
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RELATION
duite ; je dois rendre cettejuſtice
à tous ces Meſſieurs qu'ils ont
efté tres- ſages , & ont tout-àfait
répondu au choix que fa Majeſté
en avoit fait ; ils ont bien
appris la navigation & les Mathematiques
; ils avoient un Maiſtre
en allant qui a reſté à Siam , &
en revenant le Pere Taſchard a
bien voulu leur en ſervir ; ceux
qui ne font pas Officiers font capables
de l'être , & ceux qui le
font, font capables de monter à
des degrez plus hauts . Il y avoit
un garde Marine qui estoit commandé
qui n'eſt pas venu avec
moy & qui eft reſté en France; je
diray à la loüange de Monfieur
le Chevalier du Fays qu'il eſt trescapable
d'être Enſeigne , il a eu
unetres- grande application pour
apprendre les manoeuvres & tout
ce qui regarde la navigation. J'avois
pour Secretaire le Sieur de
DU VOYAGE DE SIAM. ios
la Broffe-bonneau qui eſt treshonnête-
homme . Monfieur Conſtans
m'ayant témoigné qu'il ſeroit
bien-aife d'avoir deux de
mes Trompettes & mon Tapiffier
je les luy laiſſay deleur conſentement
, il leur a fait un bon party;
mon Maiſtre d'Hôtel me demanda
d'y refter pour negotier quelque
argent qu'il avoit, un de mes
laquais eft demeuré avec le Chef
de la Compagnie Françoiſe , &
un autre à qui la devotion a fait
prendre party de refter au Seminaire
de Siam pour eftre Miſſionaire
. Monfieur l'Abbé de Choifi
y a aufli laiſſédeux de ſes gens ,
l'un appellé Beauregard qui étoit
Cadet dans le Vaiſſeau
Monfieur Conftans a promis de
faire quelque choſe pour luy , je
croy qu'il le mettra dans la Marine,
il eſt bien demeuré douze
ou quinze François au ſervice du
106 RELATION
Roy & du Miniſtre.
Je continuay ma route & j'eus
vent arriere & le Avril je
paſſay à la hauteur de l'Iſle fainte
Heleine qui eſt habitée par les
Anglois ; les Vaiſſeaux qui viennent
des Indes y touchent ordinairement
, c'eſtà dire quand ils
ne vont pas au Cap de Bonne-
Eſperance ; on m'a dit que c'eſt
une tres-bonne Iſle & bien fertile,
elle eſt à ſeize degrez de latitude
Sud . Le les vents toûjours
arriere je paſſay à la veuë de l'Iſle
de l'Aſcenſion qui eſt à huit degrez
Sud de la ligne. Cette Ifle
n'eſt point habitée, la plupart des
Vaiſſeaux qui paſſent s'y arrêtent
pour y prendre de la tortuë , il y
en a unegrande quantité , & ces
animaux rafraîchiffent beaucoup
les équipages , ils demeurerent
en vie un mois & fix ſemaines
ſans manger , on ne les peut pren
DU VOYAGE DE SIAM. 107
dre que la nuit , car le jour les
tortuës ſe tiennent à la mer , & la
nuit elles ſe retirent en terre pour
y mettre leurs oeufs qu'elles enfoüient
dans le ſable. Pour les
prendre il ſe faut tenir caché avec
un gros bâton à la main& les furprendre
quand elles ſortent de
l'eau, on les renverſe ſur le dos &
lors elles ne peuvent plus ſe retourner
, on en prend des quatrevingt&
cent pour une nuit & le
jour on les embarque & on les
met fur le dos dans le Vaiſſeau . II
ya des Barques qui y vont pour
faller de ces tortuës, qu'elles por
tent aux Iſles de l'Amerique &
que les habitans achetent pour
leurs eſclaves ; comme j'avoisun
bon ventje ne m'y arreſtay point,
ne voulant pas perdre de temps
à paſſer la Ligne Equinoxiale ;
car quelquefois on y reſte longtemps
à cauſedes grands calmes
108 RELATION
&des pluyes qu'on y trouve ; le
28. Avril je paſſay la Ligne avec
un temps admirable , les chaleurş
n'étant point incommodes,peu de
calme & de pluye ; c'étoit la
quatrième fois que je l'avois pafſée
dans ce voyage ſans avoir
quitté le juftau- corps de drap
doublé de meſime;tout mon monde
&mon équipage eſtoient lors
en tres-bonne ſanté à la referve
de quatre, ou cinq qui estoient
malades du flux de ventre depuis
Siam ; cette maladie ſe guerit
rarement dans ces pays-là ,
il ne m'eſtmort que dix ou douze
Matelots ou Soldats. Nous ne
vîmes que tres-peu de poiſion
dans cette traverſe , ce qui eſt
contre la coûtume , car ordinairement
ils'y en trouve en grand
nombre ; nous harponnâmes un
gros poiffon que l'on appelle foufdeur,
environ huitpieds de long&
quatre de large , il avoitſur la tête
1
DU VOYAGET
DE SIAM. 109
un trou par où il reſpire & jettoit
de l'eau en l'air comme une fontaine;
il faisoit beaucoup de bruit&
peſoitenviron 300.livres; ce poif-
Ton eft bon à manger & le harpondonton
ſe ſert pour le prendre
eſt comme le fer d'une fleche,
quand il eſt une fois entré il ne
peut plus reſſortir. On met cet
harpon au bout d'un morceau de
bois bien long que l'on attache à
une corde , un Matelot adroit
tient cet harpon dans la main à
l'avant du Navire , & ce poiſſon
venant à paffer proche de luy il
luy jette le harpon , l'ayant touché
il défile la corde pour que le
poiffon perde ſon ſang &fa force;
enſuite on le retire. Le vingtneuf
nous primes de la meſme
maniere deux autres poiſſons que
l'on nomme Marſoins , ils font
preſque de la meſme figure que le
foufleur , à la referve qu'ils ont
210 RELATION
la tête & le muſeau long , & le
ſoufleur l'a preſque ronde. Ils
pouvoient bien peſer cent cinquante
livres chacun ; ils font
aufſſi tres-bons à manger. Nous
eſtions du côté du Nort avec un
bon vent ; jen'ay eſté que trente
deux jours en route du Cap de
Bonne-Efperance à la Ligne , &
en allant j'avois employé de la
Ligne au Cap ſept ſemaines , parceque
la route eſt beaucoup plus
longue par les vents d'oueſt qu'il
faut aller chercher .
Le 16. May ſur le minuit nous
paſſames le Tropique par l'eſtime
qu'en firent nos Pilotes en
prenant la hauteur. Le i7. à midy
ce fut grace à Dieu la fixieme
fois que nous avions paſſé les
Tropiques dans ce voyage , &
fortant de la Zone torride nous
entrâmesdans la temperée par un
bon vent.
DU VOYAGE DE SIAM. 211
Le premier Juin nous vîmes
la terre , & comme nous croyons
en eſtre à plus de cent cinquante
lieuës cela nous furprit , & comme
il faifoit un grand broüillard
nous fumes obligez de nous en
approcher , & le temps s'étant
éclairci nous reconnûmes que
c'étoit l'Iſle de Flore qui eſt une
des Açores & la plus à l'oueſt; elle
eſt tres-haute , il en tombe de
l'eau des montagnes dansla Mer
ce qui fait de tres-belles caſcades
, & qui nous la fit reconnoître.
Il falloit que nous euſſions
trouvé des courans d'eau qui
nous euſſent portez à l'ouest , que
nous nous faiſions à plus decent
cinquante lieuës à l'eſt . Le cinquiéme
nous vîmes un Vaiſſeau
qui paſſa proche de nous ; mais
comme c'étoit la nuit nous ne
ſçûmes pas de quel paysil eſtoit.
Le ſeptiéme nous en vîmes un
12 RELATION
autre qui eſtant venu proche du
mien,j'envoyay mon canot àbord
avec un Officier qui me dit que
c'étoit un Navire de Londres qui
venoit de Virginie qui s'en retournoit
à Londres, il eſtoit chargé
de tabac , & comme il faifoit
beaucoup de vent, & que nous
allions mieux que luy nous le
quittâmes en peude temps. Nous
eûmes vent variable juſqu'au
douziéme , & fur les fix heures
du foir le vent eſtant oueft &
arriere il ſe leva une groſſe mer
& le vent ſi violent qu'ils nous
obligerent le lendemain fur les
dix heures du matin de mettre à
la Cap , & mes Pilotes ne ſe faifoient
qu'à cent licuës de Breſt .
Letemps eftant fort obſcur avec
de lapluie , & comme on craint
de s'approcher des terres par un
tel temps , parce que quelque
foisces coups de vent durentdes
huir
DUVOYAGEDE SIAM. I1I13
jours ; cela m'obligea à mettre à
la cap, fur les dix heures du ſoir
du treize le vent & la mer calmerent
, &je me remis à la voile &
le dix-huit Juin nous arrivâmes
graces à Dieu heureuſement à la
rade de Breft , à quatre heures aprés
midyoùdés qu'on eûtmoüillé
jefis tirer le Canon des deux
Vaiſſeaux pour ſaluër les Ambaſ
fadeurs de Siam que j'ay amenez,
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p. 270-303
Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Début :
Le 25. du mois passé, l'Academie Françoise solemnisa à son [...]
Mots clefs :
Académie française, Place, Messe, Cardinal Richelieu, Assemblée, Duc de S. Aignan, Abbé de Choisy, Louis, Prix d'éloquence et de poésie, Fontenelle, Discours, M. Perrault
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texteReconnaissance textuelle : Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Le 25. du mois passé, l'Academie Françoisesolemnisa
à son ordinaire la Feste de S.
Loüis Roy de France, dans la
Chapelle du Louvre. Mr l'Abbé de la Vau
,
l'un desquarante Academiciens, celebra
la Messe, pendant laquelle il
y eut une excellente Musique. Elle estoit dela composition de MrOudot qui fit
paroistre son habileté ce jourlà plus que jamais. Ensuite
Mr l'Abbé Courcier, Theolop-al de l'Eol
i
f
e
de Paris? prononça le Panegyriqne de S.
Loüis avec un succés qui
*
luy attira beaucoup de loüanges. Il remplit tout ce qu'on
pouvoit attendre d'un homme veritablement éloquent,
& lesrapports qu'il trouva des
achons de ce S. Roy à celles
deLOUIS LE GRAND,furent traitez avec tant d'esprit
& tant de delicatesse, qu'il n'y
eut personne qui n'en fust
charmé.L'Assemblée estoit
nombreuse mais en mesme
temps de gens choisis. Elle
ne le fut pas moins l'apresdinée dans la Seance publique
que tinrent Mrs de l'Académie, pour recevoir Mrl'Abbé deChoisy en la place de
Mr le Duc de Saint Aignan.
Vous connoissez son mérite,
& la Relation que je vous ay
envoyée de l'Ambassade de
MrleChevalier de Chaumont à Siam, vous a
fait voir,
combien Sa Majesté l'avoir
jugé propre aux négociations
qu'on avoit a y
traiter. Il
commença son remerciment
endisant
? que si les loix de
l'Academie le pouvoientper-
mettre, il garderoit le silence,
& ne songeroit qu'à se taire
jusqu'à ce que M" de l'Académie luy eussentappris à
bien parler. Il s'étendit enfuite sur les louanges de cette
sçavante Compagnie
,
dans
laquelle les premiers hommes de
l'Estatsedépoüillentde tout le
faste de la grandeur>(;) ne cherchent de distinction que par la
sublimité du genie é par la
profonde capacité, & dit agréablement, qu'il croyoit'- déja
sentir en luy l'esprit de l'Academie quil'élevoit au dessus de luy-mesme
,
& dont il
reconnnoissoit avoir besoin
pour reparer la perte de l'illustre Duc qu'elle regretoit.
Il prit de là occasion d'en
faire un portraitavantageux,
mais fort ressemblant,& après
avoir dit, que c~Af de
l'Academie
a marquer par des
traits immortels la gloire de ce
vrandHomme, dont la memoire
vivroit à jamais dans leurs Ouvrages
-'
puisque tout ce qui part
de leurs mains se sent du genie
sublime de leur Fondateur; il
ajouta quesil'on a
dit autrefois
que comme Cesar par ses Conquestes avoit augmentél'Empire
.le Rome
>
Ciceron par son e/o-~
quence avoitétendul'esprit des
Romains
5
on pouvoit dire que
le CardinaldeRichelieu seul,
avoit fait en France ce que Cesar £7- Ciceron anvoientfait à
Rome, & que si par les ressorts
d'unepolitiqueadmirable il avoit
reculé
nos Frontieres) il nous avoitélevé, poly
,
& si cela se
pouvoit dire, agrandy l'esprit
par l'établissement de l'Acade.
mie. Il poursuivit l'Eloge de
ce fameux Cardinal, parla de
la perte de M( le Chancelier
Seguier,qui fut après luy le
Protecteur del'Academie ,&
exagera ensuite la gloire dont
elle s'estoit Veuë comblée,
lors que le plus grand des
Rois, daignantagréerlemesme titre, avoit bien voulu
luy faire l'honneur de la recevoir dans son Palais, & de
l'égaler aux premieres Compagnies de son Royaume.
Par là, Messieurs
,
continuat-il, car je ne dois retrancher aucun des termes dont il
se servit en parlant de ce
grand Prince. ) Parlàdans
lesSieclesfuturs, vos noms devenus immortels marcheront à
lasuitedu sien
,
& vous pouue,-,
NOUS répondre avous-mesmes de
l'immortalité que vous sçavez
donnerauxautres. Vous lasçavez donner seurement
,
&vous
ladonnerezà LOUIS.Ilsefait
entre ce Prince & vous un
commerce de gloire, & si
sa protection vous fait tant
d'honneur
,
vous pouve% vous
flater de nestrepas inutiles afk
gloire. Oüy, Messieurs, ce prince
si necessaire à tous; à ses Sujets
qu'il a
rendus lesPeuples les plus
redoutables du monde, & qu'il
va achever de rendre plus
heureux
;
à ses Alliez à qui il
accorde par toutmeprotection si
puisante; àses Ennemis mesmes
dontilfaitle bonheurmalgréeux
enlesforçant à
demeureren paix,
ce Prince, qui à l'exemple de
Dieu dontilestl'image vivante
semblen'avoir besoinque de luymesme, il abesoindevouspour
sa gleire
,
&son nom, toutgrand
quil est
,
auroitpeine à passer
tout entierà la derniere posterite
sans vos Ouvrages. Vous y
travaillez, Messieurs. Déja plus
d'une fois vous l'ave^ montré
auxyeux des hommes également
granddans la Paix & dans la
Guerre. Mais qu'est-ce que la
valeur des plus grands Héros,
comparée à la pieté des verita
bles Chretiens? Il regne ce Roy
glorieux, & toujours attentifà
la reçonnoissance qu'il doit à
celuy dont iltient tout
>
ilsonge
continuellement à faireregner
dansson cœur &danssonRoyaume
,
ce Dieu qui depuis tant d'années répandsursapersonne une
si longue suite de prosperite
N'a-t-ilpasfait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres
naturelles de l'ame, affectent
une impietéàlaquelle ilsnesçauroient parvenir? N'a-t-il pas
reprimé cette fureur de blasphême
assèz audacieusepouraller attaquerDieujusque dansson Tros-
m f Ilfaitplus; il s'embrase du
zele de la Maison de Dieu
,
il
n'épargne nysoins ny despense
four augmenter le Royaume du
Seigneur. Son zele traverse les
Mers, (jj* va chercher aux ex-
,tremitez de la Terre
,
desPeuples
ensevelis dans les tenebres de l'Idolatrie. Les premieres diffculte.-<
ne le rebutentpoint; ilsuit avec
constance un dessein
que le Ciel
luy a
inspiré
,
& si nos vœux
font exaucez
,
bien-tostfousses
auspices la foy du njray Dieu
fera triomphante dans les Royaumes de 1'0r1ent. Que diray-je
encore ? Ce Heros Chrestien at-
taque ouvertement ce Party
formidable de l'Heresie
,
qui
avoit fait trembler les Roisses
Predecesseurs.Ilacheve enmoins
d'uneannée, ce
quil/s n>a~
voient osé entreprendre depuis
prés de deux ~fc/,~rle Monstre infernal reduit aux abois
>
rentrepourjamais dans l'abisme,
d'où la malice des Novateurs,
&les mœurs corrompuës de nos
Ayeux l'avoient fait sortir.
Heureuse France,tu neverras plus tes Enfans déchirertes
entrailles.Une mesme Religion
leurfera prendre les mesmes in
teredts j&cejl à Louis -;
Grand que tu es redevable d'un
sigrand bien. Parlonsplusjuste,
c'est à Dieu,& le mesme Djetl
pour asseurernostrebonheur,vient
de nous conserver
ce Prince, &
de le rendre auxprieres ardente s
de toute l'Europe; car, Messieurs,lesfrancois ne font pas
les seuls qui s'interessent à
une
santési précieuse, &si quelques
Princes,jaloux de la gloire du
Roy
,
ont témoigné par de vains
projets de Ligues vouloirprofiter
de l'estatou ils le croyoient
,
leurs
Sujets mesmes
>
& tous les Peuples de l'Europe faisoient des
vœuxsecrets pour
luy
cachant
bien Men
saseulePersonne reside la tranquillitéuniverselleMais ou m'emporte mon
zele?
Apeine placé parmy vous,j'entreprens ce qui feroit trembler les
plus grands Orateurs,& sans
consulter mes forces,j'ose parler
d'un Roy dont il n'estpermis de
parler qu'à ceux3 qui comme
vous, Messieurs, le peuvent
faire d'une manieredigne de luy.
Aprés quelque temps laiïle
aux applaudissemens qui furent donnez à
ce Discours,
Mr deBergeret ,Secretaire du
Cabinet, & premier Commis
deMrdeCroissy,Ministre tk,
Secretaire d'Estat,pritlaparole pour y
répondre, & dit
à M l'Abbé de Choisy
,,
que
l'Academie ne luy pouvoit
donner
une marque plus honorable de l'estime qu'elle
faisoit de luy, qu'en le recevant en la place de Mrle Duc
pe S. Aignan. Dansle Portrait
qu'il fit de ce Duc, il fit voir,
Qu'ilaimoit les belles Lettres de
la mesme passion dont il aimoit
la gloire, & qu'ilavoit pris
tous les soinsnecessaires pour
avoir ce
qu'elles ont de plus utile
&deplusagreable. Il dit qu'il
çflyit bienéloigne de la vaine
erreur de ceux qui s'imaginent
que tout le meriteconsiste dans le
bazard d'estrené d'une ancienne
Maison, & qu'il ne regardoit
l'avantage d'avoirtantd'illustres
Ayeux, que comme une obligation indispensable J,'augmenter
l'éclat de leur nom par un merite
personnel; quese voyantattaché
au service d'un Prince,dont les
vertus beroiques donneront plus
d'employ auxLettres, que n'ont
fait tous les Heros de l'Antiquité,il en avoit pris encore plus
d'affection pourelles
;
qu'il s'estoit acquis une maniere de parler
&d'écrire noble,facile, élegante,
&qu'il avoit fait voir à la
France cette Urbanité Romaine,
qui estoit le caractere des Scipions &des plus illustres Romains. Jepasse beaucoup d'autres louanges qui furent écoutéesavec plaisir
,
& qu'il finit
en disant
>
Quesi M. le Duc de
S.Aignan estoit le Protecteur
d'une celebre Academiepar un
titre particulier
,
on pouvoir
dire encore qu'il l'estoit generalement de tous les
gens de
Lettres par une generosité qui
n'exceptoitpersonne; que lemerite, quelque étranger qu'ilfust,
Çy* de quelque part ~;//7~
Yiir„efloiiseur de trouveren luy
de l'appuy & de la protection;
qu'il recevoit avec des témoin
gnages d'affection tous ceux qui
avoient quelque talent
,
& qu'il
ne leurfaisoitsentirsourang èi;
sa dignité
,
que par les bons offices qu'ilseplaisoità leurrendre
Il parla ensuite de sa mort
chrestienne
,
&, de la confolation qu'il avoit euëen mou- lrant de laïsser après luy un
Fils illustre
,
qui s'estoit toujours dql-ingué' avec honneur &
sans affectation, dans lequel
onavoit toûjours veu decourageavecbeaucoupbeaucoup dedou-
crur, une admirable pureté de
mœurs, une parfaite uniformité
de conduite, de la penetration.
de l'application,de la ruigilancr.)
un cœur confiant pour la vérité
pour la justice, em sur tout
une solide pieté, qui le fait Agir
en secret & aux yeux de Dieu
seul,
comme s'il estoit veu de
tous les hommes. Il ajoûta, que
tantde vertus quiavoientmérité que dans un âge si peu avan~
cé, il eustestéfait Chef du Conseil d s
Finances, jufiifioient
chaque jour un si bon choix,(gjr
fdifoicn^ voir que le Royjufie
dijbenfateurde ses grâces "t'VO::
le don suprême de discernerles
esprits. Aprés cela Mr de Bergeret adressa de nouveau la
paroleàMrl'AbbédeChoi-
\yy&: luy dit, quequelque talent qu'il eust pour l'Eloquence
.J la nouvelle nouvelle obligationqu'il avoit o
bligationqu-'il
a-voit
de consacrerses veilles à lagloire de Louis le Grand, luy seroit
sentir de plus en plus combien il
est difficile de parler dignement
d'unPrince dont la vie est une
suite continuelle de prodiges. Les
Poëtes, poursuivit-il ,se plaignent den'avoir point d'expressionsassez fortes pourrepresenter
lemerveilleuxde sesexploits;
les Historiens au contraire de n'en
avoir point d'assi'{ simples, pour
empescher que tant de merveilles
ne passent pour autant defictions.
Quel art, quelle application,
quelle conduite ne faudra- t-il
point pour conserver la vraysemblance avec la grandeur des
choses qu.i! a
faites?Je
ne parle
point decette valeur étonnante,
qui a
pris comme en courant les
plusfortesVilles du monde, &
devant qui lesArmées les plus
nombreuses ont toujours fuy de
peur de * combattre. Je
ne pense
maintenant qu'à cette glorieuse
paix dont nous joueons., & qui
a tfl; faite dans un temps où l'on
ne voyoit de toutes parts que des
puissancesirritées de nos Viéloires, que des Estats ennemis declarez denosinterests, que des
Princesjaloux de nos avantages,
tous avec des pretentions différentes e- incompatibles. Comment donc parut tout d'un coup
cette Paix si heureuse ? C'est un
miracle de la sagesse de Louis le*
Grand
,
que la Politique neffau..
roit comprendre; & comme luy
seul a
pu la donner à toute 1"Euyope.) luy seul aussi peut la IUJl
conserver.Combien d*a£lion3de
pénétration, de prévoyance pour
faire que tant d'Etats libres, dm
dont les interestssontsi contraires,
demeurent dans les termes
qu'il leur a
prescrits? Il faut
voirégalement
ce qui •riefl plus
&ce quin'est pas encore, comme ce qui est. Il faut avoir un
genied'une force&d'une étenduë extraordinaire
,
que nulle affaire ne change, que nul objet
ne trompe, que nulle difficulté
n'arreste; telenfinqu'estle genie
de Louis le Grand
,
qui est répandu dans toutes les parties de
l'Estat, (fy qui n'yest pointrenfermé,agissant au dehors comme
au dedans avec une forceincon-
cevable. Il est jusque dans les
extrémitez du monde, où l'on a
-veit tant desaintesMissionssoutenues par les secours continuels
de sa puissance & de sa piété.
Il estsurlesFrontières duRoyalime
,
qu'il faitfortifier d'une maniere qui déconcerte ~(7 defj<:entous nos Ennemis. Il efi surles
Ports, ou il fait construire ces
Vaisseaux prodigieuxj qui portent par tout le monde la gloire
du nom François. Il est dans les
calemies de Guerre ~ù de Marine ,où la noble éducation jointe
à la Noblesse du sang,forme des
esprits & des courages également
capables du commandement v
de l'exécution dans les plus grandes entreprises Il est enfin par
tout, quifait que tout est reglé
cemme il doit l'estre.Les Garfiijbns toujours entretenues, les
Magasinstoujours pleins, les
Arsenaux toujours garnis
,
les
Troupes toujoursen baleine, v
aprésles travaux de laGuerre,
maintenant occupées à des Ouvragesmagnifiques, qui font les
fruits de la Paix.C'estainsi
que ce Grand Princeagissanten
mesmetempsde toutes parts,v
faisant des choses qui inspirent
continuellement de la terreur à
Jes Ennemis, de l'amour à Jes
Sujets de l'admiration à tout
le monde
,
il peut malgréleshaines
,
les jalousies, vles défiances, conserver la Paix qu'il a
faite3farce qu'il n'ya pointd'Etat
qui ne voye combien il seroit
dangereux de la vouloir rompre.
Quelques Princes de l'Empire
sembloient en avoir la prnsele)
& commencent à former des
Ligues nouvelles, mais le Roy
toujours également juste vsage,
ne voulant ny surprendre ny
estre surpris
:>
fit dire à l'Empereurj que si dans deux mois du
jourdesa Déclaration il ne rece-
voit de luy des asseurances poJiiives de l'observation de la Treve
,
il prendrait les mesuresqu'il
jugeroit necessaires pour le
bien
deson Efidt. Ses Troupes en même temps volentsur les Frontieres de l'Ailsnugne> (fff l'Empereur luy donne toutes les asseurancesqu'il pourvoit souhaiter.
Ainsil'Europe luy doit une seconde fois le repos & la tranquillité dont elle joüit.D'autre
part l'Espagneavoit fait une
mjujiice à nos
Marchands, (!Ï
les contraignoit de payer une taxeviolente
,
fous pretexte qu
'ils
negocioient dans les Indes contre
les Ordonnances. Le Roy3pour
arrester tout à coup ces commencemens de division
,
a
jugé à propos d'envoyer devant Cadix une
Flote capabledeconquérirtoutes
les Indes. dujfi-tost l'EJpdgne
alarmée, a
proYllÍs de rendre ce
qu'elle avoit pris e~ le Roy qui
s'en est contenté, a paru encore
plusgrand parsa moderationque
parsapuissance; car il est vray
que rienn'est si admirable sur la
Terre, que d'y voir un Prince,
qui pourvant tout ce
qu'il veuty
ne
veüille rien qui ne
soitjuste.
Maisc'est le caractere de Louis
le Grand. C'estlefond de cette
Ame heroiqne
>
où toutes les vertus font pures,sinceres
,
solides,
veritables, cm7ent toutesensemlie3 par une admirable union,
qu'il est non seulement le plus
grand de tous les Rois
,
mais encore
le plusparfait de tous les
Hommes.
Cette réponse fut interrompuëbeaucoup de fois par
des applaudissemens qui firent connoistre combien 1*ACsemblée estoit satisfaite de
l'Eloquence de MrdeBergeret. Il parut par là tres-digne
d'estre à la teile d'une si celebreCompagnie; & tout le
monde convint qu'il ne pouvoit mieux remplir la place
qu'iloccupoit. Mrl'Abbé de
Choisy a
fait connoistre par
un fort bel Ouvrage qu'il a
donné au Public depuissa reception,avec combien de justice il remplit la place qu'on
luy afait ocuper. Cet Ouvrage
est laViede Salomon. Il y
aquelquetemps qu'il fitaussiimprimer celle de David avec une
Paraphrase desPseaumes.Jene
vous dis rien de la beautéde
f- ses Livres. Vous pouvez juger
de quoy il est capable par ce
que vous venez de liredeson
Remerciment à PAcadeniieJ
Ces deuxDiscours ayantesté
prononcez ,
on distribua les
Prix d'Eloquence & dePoësie
& l'on declara que le premieravoir esté remporté par
Mrde Fontenelle,& le second
par Mademoiselle des Houlieres, Fille de l'illustre Ma..
dame desHoulieres,dontvous
avez veu tant de beauxOuvrages. Mrl'Abbé de la 'V'aU1
Secretaire de la Compagnie
en l'absence de Mr l'Abbé
Regnier des Marais, Secretaire perpetuel, leut ces deux
Pieces, dont l'uneestoit sur la
Patience, & l'autre sur l'Eduation de la jeune Noblesse
dans les Compagnies des Genilshommes
3
& dans la Maison de S. Cir, &toutes deux
furent écoutées avec l'artenion qu'elles meritoient. Je
vous en diray davantage une
autre fois. A cette lecture
ucceda celle d'un Discours
qu'avoit apporté M Hebert, le
l'Academie de Soissons,
pour sansfaire * 1à l'obligation
où sont ceux de cette Compagnie
,
suivant les Lettres
Patentes de leur établiffci-nelit,
d'enenvoyeruntous lesans,
en Prose ou en Vers,lejour de
S. Loüis
)
à l'Academie Françoise.On
y remarqua de grandes beautez
,
& M. Hébert
eut place parmy les Académiciens. Le sujet de ce Discours estoit, Que les Peuples
sont toujours heureux,lors qu'ils
sont gouvernez par un Prince,
qui a
dela pieté. Aprés cela,
on leut un Madrigal, à la
gloire de Mademoiselle des
Houliers,sur ce qu'elleavoit
remporté le Prix.M.leClerc
leut aussi quelqnes Ouvrages
dePoësie sur divers fujets>&j
la Scance finit par une
Lettré
en Vers de M. Perrault i,dans
laquelle le Siecle remercioit
le Roy de l'avantage qu'illuy
faisoit remportersur les autres Siec
à son ordinaire la Feste de S.
Loüis Roy de France, dans la
Chapelle du Louvre. Mr l'Abbé de la Vau
,
l'un desquarante Academiciens, celebra
la Messe, pendant laquelle il
y eut une excellente Musique. Elle estoit dela composition de MrOudot qui fit
paroistre son habileté ce jourlà plus que jamais. Ensuite
Mr l'Abbé Courcier, Theolop-al de l'Eol
i
f
e
de Paris? prononça le Panegyriqne de S.
Loüis avec un succés qui
*
luy attira beaucoup de loüanges. Il remplit tout ce qu'on
pouvoit attendre d'un homme veritablement éloquent,
& lesrapports qu'il trouva des
achons de ce S. Roy à celles
deLOUIS LE GRAND,furent traitez avec tant d'esprit
& tant de delicatesse, qu'il n'y
eut personne qui n'en fust
charmé.L'Assemblée estoit
nombreuse mais en mesme
temps de gens choisis. Elle
ne le fut pas moins l'apresdinée dans la Seance publique
que tinrent Mrs de l'Académie, pour recevoir Mrl'Abbé deChoisy en la place de
Mr le Duc de Saint Aignan.
Vous connoissez son mérite,
& la Relation que je vous ay
envoyée de l'Ambassade de
MrleChevalier de Chaumont à Siam, vous a
fait voir,
combien Sa Majesté l'avoir
jugé propre aux négociations
qu'on avoit a y
traiter. Il
commença son remerciment
endisant
? que si les loix de
l'Academie le pouvoientper-
mettre, il garderoit le silence,
& ne songeroit qu'à se taire
jusqu'à ce que M" de l'Académie luy eussentappris à
bien parler. Il s'étendit enfuite sur les louanges de cette
sçavante Compagnie
,
dans
laquelle les premiers hommes de
l'Estatsedépoüillentde tout le
faste de la grandeur>(;) ne cherchent de distinction que par la
sublimité du genie é par la
profonde capacité, & dit agréablement, qu'il croyoit'- déja
sentir en luy l'esprit de l'Academie quil'élevoit au dessus de luy-mesme
,
& dont il
reconnnoissoit avoir besoin
pour reparer la perte de l'illustre Duc qu'elle regretoit.
Il prit de là occasion d'en
faire un portraitavantageux,
mais fort ressemblant,& après
avoir dit, que c~Af de
l'Academie
a marquer par des
traits immortels la gloire de ce
vrandHomme, dont la memoire
vivroit à jamais dans leurs Ouvrages
-'
puisque tout ce qui part
de leurs mains se sent du genie
sublime de leur Fondateur; il
ajouta quesil'on a
dit autrefois
que comme Cesar par ses Conquestes avoit augmentél'Empire
.le Rome
>
Ciceron par son e/o-~
quence avoitétendul'esprit des
Romains
5
on pouvoit dire que
le CardinaldeRichelieu seul,
avoit fait en France ce que Cesar £7- Ciceron anvoientfait à
Rome, & que si par les ressorts
d'unepolitiqueadmirable il avoit
reculé
nos Frontieres) il nous avoitélevé, poly
,
& si cela se
pouvoit dire, agrandy l'esprit
par l'établissement de l'Acade.
mie. Il poursuivit l'Eloge de
ce fameux Cardinal, parla de
la perte de M( le Chancelier
Seguier,qui fut après luy le
Protecteur del'Academie ,&
exagera ensuite la gloire dont
elle s'estoit Veuë comblée,
lors que le plus grand des
Rois, daignantagréerlemesme titre, avoit bien voulu
luy faire l'honneur de la recevoir dans son Palais, & de
l'égaler aux premieres Compagnies de son Royaume.
Par là, Messieurs
,
continuat-il, car je ne dois retrancher aucun des termes dont il
se servit en parlant de ce
grand Prince. ) Parlàdans
lesSieclesfuturs, vos noms devenus immortels marcheront à
lasuitedu sien
,
& vous pouue,-,
NOUS répondre avous-mesmes de
l'immortalité que vous sçavez
donnerauxautres. Vous lasçavez donner seurement
,
&vous
ladonnerezà LOUIS.Ilsefait
entre ce Prince & vous un
commerce de gloire, & si
sa protection vous fait tant
d'honneur
,
vous pouve% vous
flater de nestrepas inutiles afk
gloire. Oüy, Messieurs, ce prince
si necessaire à tous; à ses Sujets
qu'il a
rendus lesPeuples les plus
redoutables du monde, & qu'il
va achever de rendre plus
heureux
;
à ses Alliez à qui il
accorde par toutmeprotection si
puisante; àses Ennemis mesmes
dontilfaitle bonheurmalgréeux
enlesforçant à
demeureren paix,
ce Prince, qui à l'exemple de
Dieu dontilestl'image vivante
semblen'avoir besoinque de luymesme, il abesoindevouspour
sa gleire
,
&son nom, toutgrand
quil est
,
auroitpeine à passer
tout entierà la derniere posterite
sans vos Ouvrages. Vous y
travaillez, Messieurs. Déja plus
d'une fois vous l'ave^ montré
auxyeux des hommes également
granddans la Paix & dans la
Guerre. Mais qu'est-ce que la
valeur des plus grands Héros,
comparée à la pieté des verita
bles Chretiens? Il regne ce Roy
glorieux, & toujours attentifà
la reçonnoissance qu'il doit à
celuy dont iltient tout
>
ilsonge
continuellement à faireregner
dansson cœur &danssonRoyaume
,
ce Dieu qui depuis tant d'années répandsursapersonne une
si longue suite de prosperite
N'a-t-ilpasfait taire ces malheureux, qui malgré les lumieres
naturelles de l'ame, affectent
une impietéàlaquelle ilsnesçauroient parvenir? N'a-t-il pas
reprimé cette fureur de blasphême
assèz audacieusepouraller attaquerDieujusque dansson Tros-
m f Ilfaitplus; il s'embrase du
zele de la Maison de Dieu
,
il
n'épargne nysoins ny despense
four augmenter le Royaume du
Seigneur. Son zele traverse les
Mers, (jj* va chercher aux ex-
,tremitez de la Terre
,
desPeuples
ensevelis dans les tenebres de l'Idolatrie. Les premieres diffculte.-<
ne le rebutentpoint; ilsuit avec
constance un dessein
que le Ciel
luy a
inspiré
,
& si nos vœux
font exaucez
,
bien-tostfousses
auspices la foy du njray Dieu
fera triomphante dans les Royaumes de 1'0r1ent. Que diray-je
encore ? Ce Heros Chrestien at-
taque ouvertement ce Party
formidable de l'Heresie
,
qui
avoit fait trembler les Roisses
Predecesseurs.Ilacheve enmoins
d'uneannée, ce
quil/s n>a~
voient osé entreprendre depuis
prés de deux ~fc/,~rle Monstre infernal reduit aux abois
>
rentrepourjamais dans l'abisme,
d'où la malice des Novateurs,
&les mœurs corrompuës de nos
Ayeux l'avoient fait sortir.
Heureuse France,tu neverras plus tes Enfans déchirertes
entrailles.Une mesme Religion
leurfera prendre les mesmes in
teredts j&cejl à Louis -;
Grand que tu es redevable d'un
sigrand bien. Parlonsplusjuste,
c'est à Dieu,& le mesme Djetl
pour asseurernostrebonheur,vient
de nous conserver
ce Prince, &
de le rendre auxprieres ardente s
de toute l'Europe; car, Messieurs,lesfrancois ne font pas
les seuls qui s'interessent à
une
santési précieuse, &si quelques
Princes,jaloux de la gloire du
Roy
,
ont témoigné par de vains
projets de Ligues vouloirprofiter
de l'estatou ils le croyoient
,
leurs
Sujets mesmes
>
& tous les Peuples de l'Europe faisoient des
vœuxsecrets pour
luy
cachant
bien Men
saseulePersonne reside la tranquillitéuniverselleMais ou m'emporte mon
zele?
Apeine placé parmy vous,j'entreprens ce qui feroit trembler les
plus grands Orateurs,& sans
consulter mes forces,j'ose parler
d'un Roy dont il n'estpermis de
parler qu'à ceux3 qui comme
vous, Messieurs, le peuvent
faire d'une manieredigne de luy.
Aprés quelque temps laiïle
aux applaudissemens qui furent donnez à
ce Discours,
Mr deBergeret ,Secretaire du
Cabinet, & premier Commis
deMrdeCroissy,Ministre tk,
Secretaire d'Estat,pritlaparole pour y
répondre, & dit
à M l'Abbé de Choisy
,,
que
l'Academie ne luy pouvoit
donner
une marque plus honorable de l'estime qu'elle
faisoit de luy, qu'en le recevant en la place de Mrle Duc
pe S. Aignan. Dansle Portrait
qu'il fit de ce Duc, il fit voir,
Qu'ilaimoit les belles Lettres de
la mesme passion dont il aimoit
la gloire, & qu'ilavoit pris
tous les soinsnecessaires pour
avoir ce
qu'elles ont de plus utile
&deplusagreable. Il dit qu'il
çflyit bienéloigne de la vaine
erreur de ceux qui s'imaginent
que tout le meriteconsiste dans le
bazard d'estrené d'une ancienne
Maison, & qu'il ne regardoit
l'avantage d'avoirtantd'illustres
Ayeux, que comme une obligation indispensable J,'augmenter
l'éclat de leur nom par un merite
personnel; quese voyantattaché
au service d'un Prince,dont les
vertus beroiques donneront plus
d'employ auxLettres, que n'ont
fait tous les Heros de l'Antiquité,il en avoit pris encore plus
d'affection pourelles
;
qu'il s'estoit acquis une maniere de parler
&d'écrire noble,facile, élegante,
&qu'il avoit fait voir à la
France cette Urbanité Romaine,
qui estoit le caractere des Scipions &des plus illustres Romains. Jepasse beaucoup d'autres louanges qui furent écoutéesavec plaisir
,
& qu'il finit
en disant
>
Quesi M. le Duc de
S.Aignan estoit le Protecteur
d'une celebre Academiepar un
titre particulier
,
on pouvoir
dire encore qu'il l'estoit generalement de tous les
gens de
Lettres par une generosité qui
n'exceptoitpersonne; que lemerite, quelque étranger qu'ilfust,
Çy* de quelque part ~;//7~
Yiir„efloiiseur de trouveren luy
de l'appuy & de la protection;
qu'il recevoit avec des témoin
gnages d'affection tous ceux qui
avoient quelque talent
,
& qu'il
ne leurfaisoitsentirsourang èi;
sa dignité
,
que par les bons offices qu'ilseplaisoità leurrendre
Il parla ensuite de sa mort
chrestienne
,
&, de la confolation qu'il avoit euëen mou- lrant de laïsser après luy un
Fils illustre
,
qui s'estoit toujours dql-ingué' avec honneur &
sans affectation, dans lequel
onavoit toûjours veu decourageavecbeaucoupbeaucoup dedou-
crur, une admirable pureté de
mœurs, une parfaite uniformité
de conduite, de la penetration.
de l'application,de la ruigilancr.)
un cœur confiant pour la vérité
pour la justice, em sur tout
une solide pieté, qui le fait Agir
en secret & aux yeux de Dieu
seul,
comme s'il estoit veu de
tous les hommes. Il ajoûta, que
tantde vertus quiavoientmérité que dans un âge si peu avan~
cé, il eustestéfait Chef du Conseil d s
Finances, jufiifioient
chaque jour un si bon choix,(gjr
fdifoicn^ voir que le Royjufie
dijbenfateurde ses grâces "t'VO::
le don suprême de discernerles
esprits. Aprés cela Mr de Bergeret adressa de nouveau la
paroleàMrl'AbbédeChoi-
\yy&: luy dit, quequelque talent qu'il eust pour l'Eloquence
.J la nouvelle nouvelle obligationqu'il avoit o
bligationqu-'il
a-voit
de consacrerses veilles à lagloire de Louis le Grand, luy seroit
sentir de plus en plus combien il
est difficile de parler dignement
d'unPrince dont la vie est une
suite continuelle de prodiges. Les
Poëtes, poursuivit-il ,se plaignent den'avoir point d'expressionsassez fortes pourrepresenter
lemerveilleuxde sesexploits;
les Historiens au contraire de n'en
avoir point d'assi'{ simples, pour
empescher que tant de merveilles
ne passent pour autant defictions.
Quel art, quelle application,
quelle conduite ne faudra- t-il
point pour conserver la vraysemblance avec la grandeur des
choses qu.i! a
faites?Je
ne parle
point decette valeur étonnante,
qui a
pris comme en courant les
plusfortesVilles du monde, &
devant qui lesArmées les plus
nombreuses ont toujours fuy de
peur de * combattre. Je
ne pense
maintenant qu'à cette glorieuse
paix dont nous joueons., & qui
a tfl; faite dans un temps où l'on
ne voyoit de toutes parts que des
puissancesirritées de nos Viéloires, que des Estats ennemis declarez denosinterests, que des
Princesjaloux de nos avantages,
tous avec des pretentions différentes e- incompatibles. Comment donc parut tout d'un coup
cette Paix si heureuse ? C'est un
miracle de la sagesse de Louis le*
Grand
,
que la Politique neffau..
roit comprendre; & comme luy
seul a
pu la donner à toute 1"Euyope.) luy seul aussi peut la IUJl
conserver.Combien d*a£lion3de
pénétration, de prévoyance pour
faire que tant d'Etats libres, dm
dont les interestssontsi contraires,
demeurent dans les termes
qu'il leur a
prescrits? Il faut
voirégalement
ce qui •riefl plus
&ce quin'est pas encore, comme ce qui est. Il faut avoir un
genied'une force&d'une étenduë extraordinaire
,
que nulle affaire ne change, que nul objet
ne trompe, que nulle difficulté
n'arreste; telenfinqu'estle genie
de Louis le Grand
,
qui est répandu dans toutes les parties de
l'Estat, (fy qui n'yest pointrenfermé,agissant au dehors comme
au dedans avec une forceincon-
cevable. Il est jusque dans les
extrémitez du monde, où l'on a
-veit tant desaintesMissionssoutenues par les secours continuels
de sa puissance & de sa piété.
Il estsurlesFrontières duRoyalime
,
qu'il faitfortifier d'une maniere qui déconcerte ~(7 defj<:entous nos Ennemis. Il efi surles
Ports, ou il fait construire ces
Vaisseaux prodigieuxj qui portent par tout le monde la gloire
du nom François. Il est dans les
calemies de Guerre ~ù de Marine ,où la noble éducation jointe
à la Noblesse du sang,forme des
esprits & des courages également
capables du commandement v
de l'exécution dans les plus grandes entreprises Il est enfin par
tout, quifait que tout est reglé
cemme il doit l'estre.Les Garfiijbns toujours entretenues, les
Magasinstoujours pleins, les
Arsenaux toujours garnis
,
les
Troupes toujoursen baleine, v
aprésles travaux de laGuerre,
maintenant occupées à des Ouvragesmagnifiques, qui font les
fruits de la Paix.C'estainsi
que ce Grand Princeagissanten
mesmetempsde toutes parts,v
faisant des choses qui inspirent
continuellement de la terreur à
Jes Ennemis, de l'amour à Jes
Sujets de l'admiration à tout
le monde
,
il peut malgréleshaines
,
les jalousies, vles défiances, conserver la Paix qu'il a
faite3farce qu'il n'ya pointd'Etat
qui ne voye combien il seroit
dangereux de la vouloir rompre.
Quelques Princes de l'Empire
sembloient en avoir la prnsele)
& commencent à former des
Ligues nouvelles, mais le Roy
toujours également juste vsage,
ne voulant ny surprendre ny
estre surpris
:>
fit dire à l'Empereurj que si dans deux mois du
jourdesa Déclaration il ne rece-
voit de luy des asseurances poJiiives de l'observation de la Treve
,
il prendrait les mesuresqu'il
jugeroit necessaires pour le
bien
deson Efidt. Ses Troupes en même temps volentsur les Frontieres de l'Ailsnugne> (fff l'Empereur luy donne toutes les asseurancesqu'il pourvoit souhaiter.
Ainsil'Europe luy doit une seconde fois le repos & la tranquillité dont elle joüit.D'autre
part l'Espagneavoit fait une
mjujiice à nos
Marchands, (!Ï
les contraignoit de payer une taxeviolente
,
fous pretexte qu
'ils
negocioient dans les Indes contre
les Ordonnances. Le Roy3pour
arrester tout à coup ces commencemens de division
,
a
jugé à propos d'envoyer devant Cadix une
Flote capabledeconquérirtoutes
les Indes. dujfi-tost l'EJpdgne
alarmée, a
proYllÍs de rendre ce
qu'elle avoit pris e~ le Roy qui
s'en est contenté, a paru encore
plusgrand parsa moderationque
parsapuissance; car il est vray
que rienn'est si admirable sur la
Terre, que d'y voir un Prince,
qui pourvant tout ce
qu'il veuty
ne
veüille rien qui ne
soitjuste.
Maisc'est le caractere de Louis
le Grand. C'estlefond de cette
Ame heroiqne
>
où toutes les vertus font pures,sinceres
,
solides,
veritables, cm7ent toutesensemlie3 par une admirable union,
qu'il est non seulement le plus
grand de tous les Rois
,
mais encore
le plusparfait de tous les
Hommes.
Cette réponse fut interrompuëbeaucoup de fois par
des applaudissemens qui firent connoistre combien 1*ACsemblée estoit satisfaite de
l'Eloquence de MrdeBergeret. Il parut par là tres-digne
d'estre à la teile d'une si celebreCompagnie; & tout le
monde convint qu'il ne pouvoit mieux remplir la place
qu'iloccupoit. Mrl'Abbé de
Choisy a
fait connoistre par
un fort bel Ouvrage qu'il a
donné au Public depuissa reception,avec combien de justice il remplit la place qu'on
luy afait ocuper. Cet Ouvrage
est laViede Salomon. Il y
aquelquetemps qu'il fitaussiimprimer celle de David avec une
Paraphrase desPseaumes.Jene
vous dis rien de la beautéde
f- ses Livres. Vous pouvez juger
de quoy il est capable par ce
que vous venez de liredeson
Remerciment à PAcadeniieJ
Ces deuxDiscours ayantesté
prononcez ,
on distribua les
Prix d'Eloquence & dePoësie
& l'on declara que le premieravoir esté remporté par
Mrde Fontenelle,& le second
par Mademoiselle des Houlieres, Fille de l'illustre Ma..
dame desHoulieres,dontvous
avez veu tant de beauxOuvrages. Mrl'Abbé de la 'V'aU1
Secretaire de la Compagnie
en l'absence de Mr l'Abbé
Regnier des Marais, Secretaire perpetuel, leut ces deux
Pieces, dont l'uneestoit sur la
Patience, & l'autre sur l'Eduation de la jeune Noblesse
dans les Compagnies des Genilshommes
3
& dans la Maison de S. Cir, &toutes deux
furent écoutées avec l'artenion qu'elles meritoient. Je
vous en diray davantage une
autre fois. A cette lecture
ucceda celle d'un Discours
qu'avoit apporté M Hebert, le
l'Academie de Soissons,
pour sansfaire * 1à l'obligation
où sont ceux de cette Compagnie
,
suivant les Lettres
Patentes de leur établiffci-nelit,
d'enenvoyeruntous lesans,
en Prose ou en Vers,lejour de
S. Loüis
)
à l'Academie Françoise.On
y remarqua de grandes beautez
,
& M. Hébert
eut place parmy les Académiciens. Le sujet de ce Discours estoit, Que les Peuples
sont toujours heureux,lors qu'ils
sont gouvernez par un Prince,
qui a
dela pieté. Aprés cela,
on leut un Madrigal, à la
gloire de Mademoiselle des
Houliers,sur ce qu'elleavoit
remporté le Prix.M.leClerc
leut aussi quelqnes Ouvrages
dePoësie sur divers fujets>&j
la Scance finit par une
Lettré
en Vers de M. Perrault i,dans
laquelle le Siecle remercioit
le Roy de l'avantage qu'illuy
faisoit remportersur les autres Siec
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Résumé : Tout ce qui s'est passé à l'Academie Françoise le jour de Saint Loüis. [titre d'après la table]
Le 25 du mois précédent, l'Académie Française a célébré la fête de Saint Louis, roi de France, dans la chapelle du Louvre. La messe, célébrée par l'abbé de la Vau, a été accompagnée d'une musique composée par Mr Oudot. L'abbé Courcier a prononcé un panégyrique de Saint Louis, comparant ses actions à celles de Louis le Grand avec esprit et délicatesse, ce qui a été très apprécié. L'après-midi, l'Académie a tenu une séance publique pour accueillir l'abbé de Choisy à la place du duc de Saint Aignan. L'abbé de Choisy a remercié l'Académie en soulignant son mérite et en évoquant son rôle dans l'ambassade du chevalier de Chaumont à Siam. Il a également rendu hommage au duc de Saint Aignan, louant son soutien aux lettres et son mérite personnel. L'abbé de Choisy a comparé le Cardinal de Richelieu à César et Cicéron, soulignant son rôle dans l'établissement de l'Académie et son influence sur l'esprit français. Mr de Bergeret, secrétaire du Cabinet, a répondu en soulignant les qualités du duc de Saint Aignan, notamment son soutien aux gens de lettres et sa générosité. Il a également parlé de la mort chrétienne du duc et de la continuation de son héritage par son fils. Mr de Bergeret a ensuite adressé un éloge à Louis le Grand, soulignant sa valeur, sa sagesse et sa capacité à maintenir la paix en Europe malgré les tensions. Il a également mentionné les missions saintes soutenues par le roi et les fortifications des frontières du royaume. Le texte décrit les actions et les qualités du roi Louis XIV, présenté comme un grand prince qui maintient la paix en Europe malgré les défis. Il agit avec justice et modération, inspirant admiration et respect. Par exemple, il menace de prendre des mesures contre l'empereur s'il ne respecte pas la trêve, mais accepte les excuses de l'Espagne concernant une injustice faite aux marchands français. Louis XIV est loué pour sa capacité à vouloir uniquement ce qui est juste, ce qui le distingue comme le plus grand et le plus parfait des hommes. Lors de la séance à l'Académie française, Monsieur de Bergerey est acclamé pour son éloquence. L'abbé de Choisy est félicité pour son ouvrage sur la vie de Salomon. Les prix d'éloquence et de poésie sont décernés à Monsieur de Fontenelle et à Mademoiselle des Houlières, respectivement. Un discours de Monsieur Hébert, envoyé par l'Académie de Soissons, est également lu et apprécié. La séance se termine par des lectures de poèmes et une lettre en vers de Monsieur Perrault, remerciant le roi pour les avantages qu'il apporte à son siècle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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