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1
p. 1079-1089
REFLEXIONS.
Début :
Les Grands ne réfléchiront-ils jamais sérieusement sur eux-mêmes ? Ils ont [...]
Mots clefs :
Conversation, Esprit, Hommes, Faute, Monde, Valet, Homme du monde, Punir, Crainte, Grands
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texteReconnaissance textuelle : REFLEXIONS.
REFLEXIONS.
L'érieusement sur eux - mêmes ? Ils ont
beau s'étourdir par la
sensualité et par
la délicatesse poussée à l'excès , courir de
plaisirs en plaisirs , donner tout ce qu'ils
ont
d'attention aux voluptez des sens ,
s'ébloüir à la vûë de la pompe qui les
environne et de l'éclat de leur fortune ,
ne faire aucun compte ni des fatigues
ni du sang des autres hommes , n'être
point compatissans
à leurs souffrances ,
les faire servir à leurs fins et les sacri
fier à leurs interêts , comme s'ils étoient
des Etres d'une espece differente et toute
inferieure et nez pour s'user à leur service
; les laisser accablez de besoins , pendant
qu'ils s'accablent eux - mêmes de suerflus
; une voix secrette se fait entenre
chez eux et malgré eux , et les avertit
sans cesse qu'ils sont fort éloignez de
l'état où ils devroient être.
Es Grands ne réfléchiront -ils jamais
Le
mauvais.exemple enseigne le mal
à ceux qui l'ignorent , et le persuade à
ceux qui en ont naturellement horreur ;
I. Vol.
ensorte
1080 MERCURE DE FRANCE
ensorte qu'on a souvent honte d'être in
nocent parmi les coupables .
Les exemples des Princes sont comme
des Edits qui se publient sans Hérauts ,
et ausquels on obéït sans attendre des
Commissaires , ni des Lettres Patentes.
L'inclination a souvent peu de
·
part aux
choses
qu'on fait par crainte
, par res- pect humain
, ou seulement
parce qu'on les voit faire.
Les mesures que prennent les usurpa
teurs , pour assurer leurs possessions à.
leurs descendans , ne prévalent pas d'ordinaire
à l'exemple qu'ils ont donné.
Le mauvais exemple excite plus à faire
le mal , que le bon à faire le bien , parce
qu'il a notre inclination naturelle de son
côté.
Il faut tout voir , car plus les yeux ont
vu , plus la raison est en état de voir
elle- même.
Les exemples du temps passé nous
touchent
incomparablement plus que
ceux de notre siecle. On s'accoûtume
1. Vol. insenJUIN.
1733. 1033
insensiblement à tout ce qu'on voit , et
selon le Cardinal de Retz , on peut raisonnablement
douter que le Consulat du
Cheval de Caligula , nous eût si extraordinairement
surpris , si cet évenement
s'étoit passé de nos jours.
L'experience , mais l'experience exacte
et bien faite , est toujours l'écueil des
vieux préjugez.
Bien que la punition ne semble marcher
qu'à pas lents , on voit rarement
qu'elle manque de tomber sur les coupables
, quoiqu'ils paroissent aller plus .
vîte qu'elle.
Rarò antecedentem scele stum
Deseruit pede poena claudo .
Il faut punir le méchant , de crainte
d'en être puni.
Il est dangereux de pardonner certains
crimes ; la justice est interessée à ce qu'on
punisse exemplairement , pour faire respecter
le Souverain dans ceux dont il se
sert pour gouverner ses Peuples.
C'est nuire aux bons , que de pardonner
aux méchans. Bonis nocet quisquis
pepercerit malis.
I. Vol. Dans
1082 MERCURE DE FRANCE
Dans les châtimens dont on punit les
méchants , on a moins dessein de les faire
périr et d'augmenter leurs souffrances ,
que de retenir les esprits pervers par
la
crainte du supplice. Supplicium de iis sumendum
non tam ut ipsi pereant , quàm
ut alios pereundo deterreant. Seneque .
Pour punir les hommes , Dieu n'a souvent
besoin que de leurs propres passions.
On doit presque également punir un
General victorieux , qui ne profite pas
de sa victoire , et un General négligent
qui se laisse surprendre.
On ne devient pas tout d'un coup très
criminel , mais défiez- vous de la plus
petite faute , car elle peut être le premier
degré pour vous conduire aux plus
grands desordres . Nemo repente fuit turpissimus.
Une faute en attire souvent plusieurs ,
et la distance qui est entre la vertu et
le vice , n'est quelquefois que le chemin
peu de jours . de
Q
On doit plaindre par pitié et blâmer
par raison , ceux qui sont malheureux
1
par leur faute.
JUIN. 1733. 1083
On n'est pas sot pour faire une sottise,
puisque le sage même est sujet à faire des
fautes ; mais c'est être sot que de ne pas
sçavoir cacher ses sottises et de vouloir
les excuser.
Il est d'un plus grand homme de sçavoir
avoüer sa faute , que de sçavoir ne
la pas faire.
Il n'y a rien qui fasse agir plus efficacement
les honnêtes gens qui ont fait
quelques fautes, que le desir ardent qu'ils
ont de les réparer et de les faire oublier
par de bons procedez.
La source la plus ordinaire du manquement
des hommes , est qu'ils s'effrayent
trop du présent et qu'ils ne s'effrayent
pas assez de l'avenir.
C'est un rare talent que celui d'éviter
jusqu'aux plus petites fautes . Je ne sçai
si celui d'avouer ingénument celles que
l'on fait , est en certain cas de beaucoup
inferieur.
Le colpé presenti invalidano le scuse
passate. Per una volta si puo esser
cativo e mantenersi l'opinione di buono :
1, Vol.
la
1084 MERCURE DE FRANCE
la replicatione deglatti vitiosi facredere
che nascono dalla mala natura degli ho...
mini , è non dalle necessita delle occa
sione.
Il divider da un huomo la dominatione
, è cosa molto più spaventevole , che
la separatione dell'anima dal corpo.
Levare il Regno , è lasciar vivo il Re
è una crudela pieta.
Un Pirate disoit à Alexandre , parce
que je ravage la Mer avec une Barque on
m'appelle voleur ; et parce que vous le
faites avec une grandé Flotte on vous
appelle Roy.
:
Les hommes veulent être esclaves quelque
part , et puiser là de quoi dominer
ailleurs en effet , ils rampent et sentent
durement le poids de ceux qui peuvent
servir à leur élévation , mais ils le rendent
bien à leurs inférieurs. On se forme
ainsi à l'hypocrisie et à l'inhumanité , et
on passe sa vie à souffrir et à faire souffrir.
Il mestiere di comandare è cosi piace
vole , è gustoso , che non mi stanche-
I.Vol. rei
JUIN. 1733. 1085
rei mai di farmi obedire , disoit un Italien.
Il est très-naturel à ceux qui ont dans
l'esprit quelque impression dominante ,
d'y faire venir toutes leurs autres pen
sées.
Ce qui plaît au Prince tient lieu de
loy, parce que par la Loy Royale qui
l'a établi , le peuple a transferé et mis en
sa personne toute l'autorité , la volonté
et le pouvoir qu'il avoit.
On n'est pas digne de commander , si
on n'est meilleur que ceux à qui on commande.
Il arrive rarement de conserver son au
torité et son crédit autant que sa vie.
Le valet scelerat est quelquefois un
mauvais indice contre le Maître .
Aucune servitude n'est plus honteuse
que d'être valet d'un valet ; c'est cependant
le sort de la plupart des Grands , રે
qui il arrive de se laisser gouverner par
quelques Domestiques.
1. Vol. Le
1086 MERCURE DE FRANCE
Le changement de nos affections vient
souvent de celui de notre tempéramment
, dont il entre toujours quelque
chose dans les desseins les plus concertez.
,
On ne doit pas croire qu'une chose
est à soi , quand elle peut changer de
maître , dit Publius Syrus , Nil proprium
cas quod mutarier potest.
C'est particulierement l'instabilité qui
produit l'ingratitude , parce que l'avidité
qu'on a pour les biens qu'on ne possede
pas , fait compter pour rien ceux qu'on
possede.
Parmi la plûpart des hommes , le goût
'des meilleures choses change ayant qu'el
les ayent changé.
Il est aussi ordinaire à l'homme de
s'affliger du mal , que de se lasser du
bien .
La Coûtume est la maîtresse des Usages
, c'est elle qui fait qu'ils choquent ,
ou qu'ils ne choquent point.
Toutes les choses du monde , sans en
I. Vol. exJUI
N.
1087 •
1733 .
excepter aucunes , sont sujettes à diverses
révolutions qui les rendent fort estimées
en un tems , puis méprisées et ridicules
en l'autre , font monter aujourd'hui
ce qui doit tomber demain , et tourner
ainsi perpétuellement cette grande rouë
des siècles , qui fait paroître , mourir et
renaître chacun à son tour sur le Théatre
du monde. Les Sciences , les Empires
les Opinions , le Monde même n'est pas.
exempt de cette vicissitude.
Usque adeò in rebus solidi nihil esse videtur
!
Ordinairement la confiance fournit
plus à la conversation que l'esprit.
L'entretien sert de nourriture à l'ame,
rend le coeur content , réveille les esprits
, endort les peines , applanit les
chemins et les accourcit , et par une excellence
encore plus particuliere , met
poz ainsi dire , à cheval ceux qui sont à
pied.
Dans la conversation on ne doit point
tant affecter de bien dire et de bien pencomme
de faire bien dire , et bien
ser ,
penser
aux
autres
; car
nous
sommes
tou-
I. Vol, jours
1088 MERCURE DE FRANCE
jours très- agréables à ceux à qui nous
donnons occasion de l'être.
Un esprit médiocre qui parle juste et à
propos , plait davantage dans la conversation,
qu'un esprit sublime qui ne cherche
qu'à briller , et qui dit des choses.
extraordinaires , et seulement propres à
te faire admirer.
Il est bien difficile d'être toujours
agréable dans l'entretien sans être un
peu bouffon : et il est encore plus difficile
de soutenir ce dernier caractere sans
être souvent plat. C'est l'Etude qui augmente
les talens de la nature , mais c'est
la conversation qui les met en oeuvre.
La conversation est le grand Livre du
Monde , qui apprend l'usage des autres
Livres sans elle la Science est sauvage
et sans agrément.
L'usage de l'esprit de l'homme se fait
particulierement sentir dans la conversation
, parce qu'il s'y trouve obligé de
répondre juste et de parler juste. Dans le
Cabinet , l'esprit raisonne sans contrainte
, comme il veut , et sur ce qu'il veut ;
il ne trouve personne qui lui contredise :
I. Vol.
dans
JUIN. 1733. 1089:
dans la conversation , il doit être prêt à
raisonner sur tout , et à soutenir ses rai
sonnemens contre tous .
Ordinairement dans la conversation
les uns sont fort di straits , et les autres
ont une attention si importune , qu'au
moindre mot qui échappe , ils le releyent
, badinant autour , y trouvent un
mistere que les autres n'y voyent pas , et
y cherchent de la finesse et de la subti
lité , seulement pour avoir occasion de
placer la leur.
L'érieusement sur eux - mêmes ? Ils ont
beau s'étourdir par la
sensualité et par
la délicatesse poussée à l'excès , courir de
plaisirs en plaisirs , donner tout ce qu'ils
ont
d'attention aux voluptez des sens ,
s'ébloüir à la vûë de la pompe qui les
environne et de l'éclat de leur fortune ,
ne faire aucun compte ni des fatigues
ni du sang des autres hommes , n'être
point compatissans
à leurs souffrances ,
les faire servir à leurs fins et les sacri
fier à leurs interêts , comme s'ils étoient
des Etres d'une espece differente et toute
inferieure et nez pour s'user à leur service
; les laisser accablez de besoins , pendant
qu'ils s'accablent eux - mêmes de suerflus
; une voix secrette se fait entenre
chez eux et malgré eux , et les avertit
sans cesse qu'ils sont fort éloignez de
l'état où ils devroient être.
Es Grands ne réfléchiront -ils jamais
Le
mauvais.exemple enseigne le mal
à ceux qui l'ignorent , et le persuade à
ceux qui en ont naturellement horreur ;
I. Vol.
ensorte
1080 MERCURE DE FRANCE
ensorte qu'on a souvent honte d'être in
nocent parmi les coupables .
Les exemples des Princes sont comme
des Edits qui se publient sans Hérauts ,
et ausquels on obéït sans attendre des
Commissaires , ni des Lettres Patentes.
L'inclination a souvent peu de
·
part aux
choses
qu'on fait par crainte
, par res- pect humain
, ou seulement
parce qu'on les voit faire.
Les mesures que prennent les usurpa
teurs , pour assurer leurs possessions à.
leurs descendans , ne prévalent pas d'ordinaire
à l'exemple qu'ils ont donné.
Le mauvais exemple excite plus à faire
le mal , que le bon à faire le bien , parce
qu'il a notre inclination naturelle de son
côté.
Il faut tout voir , car plus les yeux ont
vu , plus la raison est en état de voir
elle- même.
Les exemples du temps passé nous
touchent
incomparablement plus que
ceux de notre siecle. On s'accoûtume
1. Vol. insenJUIN.
1733. 1033
insensiblement à tout ce qu'on voit , et
selon le Cardinal de Retz , on peut raisonnablement
douter que le Consulat du
Cheval de Caligula , nous eût si extraordinairement
surpris , si cet évenement
s'étoit passé de nos jours.
L'experience , mais l'experience exacte
et bien faite , est toujours l'écueil des
vieux préjugez.
Bien que la punition ne semble marcher
qu'à pas lents , on voit rarement
qu'elle manque de tomber sur les coupables
, quoiqu'ils paroissent aller plus .
vîte qu'elle.
Rarò antecedentem scele stum
Deseruit pede poena claudo .
Il faut punir le méchant , de crainte
d'en être puni.
Il est dangereux de pardonner certains
crimes ; la justice est interessée à ce qu'on
punisse exemplairement , pour faire respecter
le Souverain dans ceux dont il se
sert pour gouverner ses Peuples.
C'est nuire aux bons , que de pardonner
aux méchans. Bonis nocet quisquis
pepercerit malis.
I. Vol. Dans
1082 MERCURE DE FRANCE
Dans les châtimens dont on punit les
méchants , on a moins dessein de les faire
périr et d'augmenter leurs souffrances ,
que de retenir les esprits pervers par
la
crainte du supplice. Supplicium de iis sumendum
non tam ut ipsi pereant , quàm
ut alios pereundo deterreant. Seneque .
Pour punir les hommes , Dieu n'a souvent
besoin que de leurs propres passions.
On doit presque également punir un
General victorieux , qui ne profite pas
de sa victoire , et un General négligent
qui se laisse surprendre.
On ne devient pas tout d'un coup très
criminel , mais défiez- vous de la plus
petite faute , car elle peut être le premier
degré pour vous conduire aux plus
grands desordres . Nemo repente fuit turpissimus.
Une faute en attire souvent plusieurs ,
et la distance qui est entre la vertu et
le vice , n'est quelquefois que le chemin
peu de jours . de
Q
On doit plaindre par pitié et blâmer
par raison , ceux qui sont malheureux
1
par leur faute.
JUIN. 1733. 1083
On n'est pas sot pour faire une sottise,
puisque le sage même est sujet à faire des
fautes ; mais c'est être sot que de ne pas
sçavoir cacher ses sottises et de vouloir
les excuser.
Il est d'un plus grand homme de sçavoir
avoüer sa faute , que de sçavoir ne
la pas faire.
Il n'y a rien qui fasse agir plus efficacement
les honnêtes gens qui ont fait
quelques fautes, que le desir ardent qu'ils
ont de les réparer et de les faire oublier
par de bons procedez.
La source la plus ordinaire du manquement
des hommes , est qu'ils s'effrayent
trop du présent et qu'ils ne s'effrayent
pas assez de l'avenir.
C'est un rare talent que celui d'éviter
jusqu'aux plus petites fautes . Je ne sçai
si celui d'avouer ingénument celles que
l'on fait , est en certain cas de beaucoup
inferieur.
Le colpé presenti invalidano le scuse
passate. Per una volta si puo esser
cativo e mantenersi l'opinione di buono :
1, Vol.
la
1084 MERCURE DE FRANCE
la replicatione deglatti vitiosi facredere
che nascono dalla mala natura degli ho...
mini , è non dalle necessita delle occa
sione.
Il divider da un huomo la dominatione
, è cosa molto più spaventevole , che
la separatione dell'anima dal corpo.
Levare il Regno , è lasciar vivo il Re
è una crudela pieta.
Un Pirate disoit à Alexandre , parce
que je ravage la Mer avec une Barque on
m'appelle voleur ; et parce que vous le
faites avec une grandé Flotte on vous
appelle Roy.
:
Les hommes veulent être esclaves quelque
part , et puiser là de quoi dominer
ailleurs en effet , ils rampent et sentent
durement le poids de ceux qui peuvent
servir à leur élévation , mais ils le rendent
bien à leurs inférieurs. On se forme
ainsi à l'hypocrisie et à l'inhumanité , et
on passe sa vie à souffrir et à faire souffrir.
Il mestiere di comandare è cosi piace
vole , è gustoso , che non mi stanche-
I.Vol. rei
JUIN. 1733. 1085
rei mai di farmi obedire , disoit un Italien.
Il est très-naturel à ceux qui ont dans
l'esprit quelque impression dominante ,
d'y faire venir toutes leurs autres pen
sées.
Ce qui plaît au Prince tient lieu de
loy, parce que par la Loy Royale qui
l'a établi , le peuple a transferé et mis en
sa personne toute l'autorité , la volonté
et le pouvoir qu'il avoit.
On n'est pas digne de commander , si
on n'est meilleur que ceux à qui on commande.
Il arrive rarement de conserver son au
torité et son crédit autant que sa vie.
Le valet scelerat est quelquefois un
mauvais indice contre le Maître .
Aucune servitude n'est plus honteuse
que d'être valet d'un valet ; c'est cependant
le sort de la plupart des Grands , રે
qui il arrive de se laisser gouverner par
quelques Domestiques.
1. Vol. Le
1086 MERCURE DE FRANCE
Le changement de nos affections vient
souvent de celui de notre tempéramment
, dont il entre toujours quelque
chose dans les desseins les plus concertez.
,
On ne doit pas croire qu'une chose
est à soi , quand elle peut changer de
maître , dit Publius Syrus , Nil proprium
cas quod mutarier potest.
C'est particulierement l'instabilité qui
produit l'ingratitude , parce que l'avidité
qu'on a pour les biens qu'on ne possede
pas , fait compter pour rien ceux qu'on
possede.
Parmi la plûpart des hommes , le goût
'des meilleures choses change ayant qu'el
les ayent changé.
Il est aussi ordinaire à l'homme de
s'affliger du mal , que de se lasser du
bien .
La Coûtume est la maîtresse des Usages
, c'est elle qui fait qu'ils choquent ,
ou qu'ils ne choquent point.
Toutes les choses du monde , sans en
I. Vol. exJUI
N.
1087 •
1733 .
excepter aucunes , sont sujettes à diverses
révolutions qui les rendent fort estimées
en un tems , puis méprisées et ridicules
en l'autre , font monter aujourd'hui
ce qui doit tomber demain , et tourner
ainsi perpétuellement cette grande rouë
des siècles , qui fait paroître , mourir et
renaître chacun à son tour sur le Théatre
du monde. Les Sciences , les Empires
les Opinions , le Monde même n'est pas.
exempt de cette vicissitude.
Usque adeò in rebus solidi nihil esse videtur
!
Ordinairement la confiance fournit
plus à la conversation que l'esprit.
L'entretien sert de nourriture à l'ame,
rend le coeur content , réveille les esprits
, endort les peines , applanit les
chemins et les accourcit , et par une excellence
encore plus particuliere , met
poz ainsi dire , à cheval ceux qui sont à
pied.
Dans la conversation on ne doit point
tant affecter de bien dire et de bien pencomme
de faire bien dire , et bien
ser ,
penser
aux
autres
; car
nous
sommes
tou-
I. Vol, jours
1088 MERCURE DE FRANCE
jours très- agréables à ceux à qui nous
donnons occasion de l'être.
Un esprit médiocre qui parle juste et à
propos , plait davantage dans la conversation,
qu'un esprit sublime qui ne cherche
qu'à briller , et qui dit des choses.
extraordinaires , et seulement propres à
te faire admirer.
Il est bien difficile d'être toujours
agréable dans l'entretien sans être un
peu bouffon : et il est encore plus difficile
de soutenir ce dernier caractere sans
être souvent plat. C'est l'Etude qui augmente
les talens de la nature , mais c'est
la conversation qui les met en oeuvre.
La conversation est le grand Livre du
Monde , qui apprend l'usage des autres
Livres sans elle la Science est sauvage
et sans agrément.
L'usage de l'esprit de l'homme se fait
particulierement sentir dans la conversation
, parce qu'il s'y trouve obligé de
répondre juste et de parler juste. Dans le
Cabinet , l'esprit raisonne sans contrainte
, comme il veut , et sur ce qu'il veut ;
il ne trouve personne qui lui contredise :
I. Vol.
dans
JUIN. 1733. 1089:
dans la conversation , il doit être prêt à
raisonner sur tout , et à soutenir ses rai
sonnemens contre tous .
Ordinairement dans la conversation
les uns sont fort di straits , et les autres
ont une attention si importune , qu'au
moindre mot qui échappe , ils le releyent
, badinant autour , y trouvent un
mistere que les autres n'y voyent pas , et
y cherchent de la finesse et de la subti
lité , seulement pour avoir occasion de
placer la leur.
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Résumé : REFLEXIONS.
Le texte explore la moralité et le comportement des grands et des princes, soulignant que malgré leurs plaisirs et leur insouciance, une voix intérieure les avertit de leur éloignement de l'état où ils devraient être. Les exemples des princes influencent fortement leurs sujets, souvent plus que les lois. Un mauvais exemple peut enseigner le mal et pousser à la honte d'être innocent parmi les coupables. Les mesures des usurpateurs pour assurer leur succession échouent souvent en raison de l'exemple qu'ils ont donné. Le texte insiste sur l'importance de l'expérience et de la punition exemplaire pour dissuader les méchants et protéger les bons. Il met en garde contre les petites fautes qui peuvent mener à de grands désordres et souligne l'importance de réparer ses erreurs. Le pouvoir et la domination sont décrits comme des sources d'hypocrisie et d'inhumanité. Le texte aborde également la nature des conversations, soulignant leur rôle dans l'apprentissage et l'usage des connaissances. Il conclut en affirmant que la conversation est essentielle pour développer les talents et comprendre le monde.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 431-447
SUITE des Réfléxions de M. Simonnet, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août.
Début :
Quoy ! dira-t-on, un état de Pauvreté où l'on voit tant de grossiereté, [...]
Mots clefs :
Pauvreté, Riche, Sagesse, Éducation, Monde, Riches, Passions, Esprit, Coeur, Hommes, Vie, Homme, Sage, Parents, Grands
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des Réfléxions de M. Simonnet, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août.
SUITE des Réfléxions de M. Simonnet
sur la Question proposée dans le Mercure
d'Août.
! dira- t- on , un état de Pauvreté
où l'on voit tant de grossiereté
, de rusticité , qui n'a que des оссира-
tions basses et terrestres sans presque
aucun des secours qui forment l'esprit et
cultivent les moeurs , cet état sera plus
propre
à la Sagesse que celui des Riches ,
où l'on trouve les avantages de la politesse
de la vie aisée et sur tout de l'Edu-
QUoy
!dira-t- on
cat on ?
Qu'on allegue tout ce qu'on voudra ;
l'expérience plus sûre et plus incontestable
que tous les raisonnemens, décide en
faveur du Pauvre : elle le montre presque
toujours plus moderé dans ses désirs,
plus reglé dans ses moeurs et moins escla
ve des passions ; par conséquent plus
Sage , ou du moins plus propre à le devenir
, que le Riche.
La politesse dont se flattent les personnes
du Monde , le dégagement des
Occupations viles et mécaniques , le train
d'une vie douce et commode , ne sont
pas d'un grand secours pour l'acquisition
de
432 MERCURE DE FRANCE
de la Sagesse. Peut - être trouvera t on
qu'ils y sont plus nuisibles , que profitables.
Il n'est pas facile de se persuader
que cet extérieur si mondain , souvent si
effeminé, qui fait le bel air et la politesse
du siécle ; que ce qu'on appelle vie aisée ,
c'est-à- dire vie molle et inutile , vie de
bonne chere , de jeu , de plaisirs , de divertissemens
, ou vie uniquement occu
pée d'intrigues , de projets ambitieux
de vûës d'interêt ; que tout cela soit plus
propre à devenir Sage qu'une vie simple
, innocente , rustique , laborieuse
dont les occupatious , toutes basses et
terrestres qu'elles paroissent , n'ont rien
que de loüable rien qui dissipe trop
l'esprit et le coeur , rien qui favorise les
déreglemens , rien qui ne mortifie les
inclinations vicieuses:
3
Les anciens Patriarches , ces hommes
choisis , ces favoris de Dieu , ces parfaits
modeles de Sagesse , s'il y en cut
jamais sur la Terre , n'avoient ni nos manieres
de politesse , ni tant de commoditez
s'ils paroissoient dans le Monde
avec leur extérieur simple , et leur vie
dure , nous ne manquerions pas de les
prendre pour
des gens grossiers , impolis
, peu propres à la societé et au commerce
du beau Monde; en un mot, pour
de
MARS 1734.
433
de bons Villageois . A les voir eux et leurs
Enfans ,de l'un et de l'autre sexe, occupez
à conduire eux -mêmes leurs Troupeaux ;
à chercher des eaux et des pâturages en
différents cantons avec des peines infinies ,
sans posseder en propre un pouce de
terre ; obligez de parcourir diverses Provinces
, de s'exposer à mille dangers
d'errer dans des Pays deserts et inconnus,
où ils se trouvoient quelquefois contraints
par la famine de se retirer ; à les
voir avec un pareil train et dans un tel
équipage, qui s'imagineroit que ce fussent
les plus Sages de tous les Hommes ? Ils
l'étoient cependant , et ils ne se démentirent
jamais ; au lieu que Salomon avec
toute la pompe et la magnificence du
plus puissant et du plus riche des Rois ,
avec tous les avantages d'une vie à laquelle
rien ne manquoit , n'eut pas la
force de se soutenir , et tomba du plus
haut dégré de Sagesse dans les plus
honteux excès ? tant il est vrai que la
vie dure et laborieuse du Pauvre est plus
propre à la Sagesse , que la vie du Kiche
avec tous ses aises et toutes ses commoditez
.
On dira peut-être que les Patriarches
n'étoient pas Pauvres Ils n'avoient cependant
ni fonds ni demeure assurée ; ils
:
B se
1
434 MERCURE DE FRANCE
se trouvoient souvent réduits à des états
fort tristes. Avec tout ce qu'ils pouvoient
avoir , ils essuyoient les plus facheux
inconveniens de la Pauvreté, et la
protection du Tout- puissant étoit leur
unique ressource . Si les Riches de nos
jours menoient communément une vie
aussi innocente et aussi penible , on ne
diroit pas que leur état fut peu propre à
acquerir la Sagesse : mais quelle énorme
différence entre leur maniere de vivre
et celle de ces Saints Personnages !
Au reste, il ne s'agit pas ici de l'extrême
indigence dont un ingenieux Auteur'a
dit qu'elle est la mere des crimes , et qu'elle
ne donne jamais que de mauvais conseils ;
mais d'une honnête Pauvreté qui excite
l'industrie et oblige au travail , où l'ơn
ne manque pas absolument de tout ;
mais où l'on n'a pas tout ce qu'il faut
pour vivre sans se donner de la peine et
du mouvement. Dans une Pauvreté excessive
on n'a guere vû de Sages de
quelque réputation , qu'un Diogene
admiré par un Alexandre , ( si cependant
il doit passer pour tel ) mais l'un et l'autre
étoient des hommes si singuliers en
différents genres , qu'ils ne peuvent
preuve , ni servis d'exemple.
faire
preuve ,
Il ne faut pas non plus confondre la
PauMARS
1734 435
,
Pauvreté dont nous parlons , avec la médiocrité
, où l'on a dequoi vivre commodément
, en se renfermant dans les
bornes de son état , sans aspirer à rien de
plus. Telle est la situation de quelques
Personnes qui avec un bien modique ,
filent tranquillement leurs jours dans une
molle oisiveté , et perdent agréablement
dans les jeux et les délices , un tems
précieux qu'ils devroient mettre à profit.
Un état où l'on n'a rien qui réveille
, qui anime , qui exerce l'esprit
et qui mette en oeuvre les heureux talens
qu'on a reçûs de la nature ; cet état engendre
naturellement la nonchalance et
la paresse , auxquelles le penchant ordinaire
entraîne ; et l'on sent assez combien
un tel Etat est peu propre à la Sagesse.
Rien au contraire ne lui est plus favorable
que la Pauvreté qui met l'homme
dans l'heureuse necessité d'agir , de s'occuper
utilement , de mettre en exercice
toutes ses forces , et de tirer de son fond
´tout ce qu'il peut produire de meilleur.
- 迪
et
En effet d'où amenoit - t'on ces grands
hommes ces illustres Romains qui
gouvernerent avec tant de Sagesse ,
qui deffendirent également par leur prudence
et par leur courage la République
dans les tems les plus difficiles et les plus
Bij
ora436
MERCURE DE FRANCE
و
orageux ? ce n'étoit ni de la sombre retraite
d'une pitoyable mendicité , ni du
somptueux éclat de l'abondance et du
luxe , ni du sein de la molesse et d'une
oisive mediocrité ; on venoit prendre ces
fameux Dictateurs à la charuë d'autres
fois on les trouvoit la Bêche à la main ,
exposez aux ardeurs du Soleil et aux injures
des Saisons , cultivant un petit bien
qui faisoit toute leur fortune: et ces hommes
rompus au travail , endurcis à toutes
les fatigues d'une vie champêtre , accoutumez
à la temperance et à la sobrieté,
sans passions , sans vices , alloient prendre
d'une main robuste et vigoureuse le
gouvernail de l'Etat , et le conduisoient
par leur profonde Sagesse à un Port assuré.
On ne s'arrêtoit pas à ces manieres
si polies , à cette vie douce et commode
qu'on préconise de nos jours. On cherchoit
le Sage où il se trouve ; dans une
vie Pauvre et laborieuse. Que les tems et
les moeurs sont changez le fond des
choses est toujours le même , et il n'en
est pas moins vrai qu'autrefois que les
avantages qu'on suppose dans les Riches,
nuisent plus à la Sagesse, qu'ils ne lui sont
utilės.
Mais ,dira - t- on, qui peut mieux y con
tribuer que l'Education ? Les Riches
n'ont
MARS 1734.
437
n'ont - ils pas ce privilége sur les Pauvres
? On leur choisit les plus excellens
Maîtres , on ne les quitte point de vûë ,
on les dresse avec beaucoup de soins et
de dépenses à tous les exercices convenables
; on porte l'attention jusqu'aux
premiers momens de leur naissance pour
en écarter tous les présages funestes , ou
les accidens facheux; on regarde avec une
attention scrupuleuse au lait qu'ils succent
, aux nourritures qu'ils prennent ,
à l'air qu'ils respirent : que ne fait t -on
pas pour les disposer de bonne heure à
soutenir honorablement les illustres Emplois
, les Dignitez éminentes ausquels ils
sont destinez ?
Voilà assurément de grandes précau-,
tions : mais enfin à quoi aboutissent elles ?
Les Riches , les Puissans du siècle avec
tout ce bel appareil d'Education , sont- ils
plus moderez , plus pieux , plus modestes,
plus exacts à leurs devoirs , plus équita-
Bles , plus humains , plus judicieux ; en
un mot , plus sages pour l'ordinaire, que
le reste des hommes ? Il ne s'en voit point
de si vains , de si fiers , de si emportez ,
de si vindicatifs , de si injustes, de si peu
maîtres d'eux- mêmes , de si
à la Religion , de si
gations de leur état ,
peu attachez
peu fideles
aux obliet
par conséquent
Bij
de
438 MERCURE DE FRANCE
de si éloignez de la Sagesse . A quoi sert
donc toute l'Education qu'on leur donne?
Il faut malgré tant de soins que l'on
prend , qu'ils soient bien mal cultivez
ou que l'arbre soit bien sauvage pour
produire de si mauvais fruits. L'un et
l'autre n'arrive que trop souvent .
,
Beaucoup de Riches sortent d'une Race
infectée , pleine de concussions et de rapines
, corrompue par les funestes impressions
du vice , qui se perpetue de génerations
en génerations. Ils tiennent
tantôt des inclinations d'une mere voluptueuse
, sensuelle , intempérante , qui ne
respire que luxe et que vanité ; tantôt du
mauvais coeur d'un pere injuste , avare ,
ambitieux , perfide , inhumain ; quelquefois
ils tirent de tous les deux une mauvaise
seve qui se trouve ensuite animée
de la parole et de l'exemple : on se donnera
des peines infinies pour exterminer
› le naturel ; il revient presque toujours ;
malgré les instructions , les remontrances
, les efforts même d'une juste severité
c'est un grand hazard s'il ne prend le
dessus , et s'il ne secoue le joug de toute
autorité qui le gêne.
;
D'un autre côté l'Education des Riches
est- elle si excellente qu'on se l'imagine ?
Plusieurs sont idolatres de leurs Enfans
св
MARS 1734:
439
et les perdent à force de les flatter. On
commence par leur souffrir tout ; on se
fait un jeu , un plaisir, un divertissement
de leurs passions naissantes , et on ne
prend pas garde que si l'on n'a soin de les
réprimer de bonne heure , on le tentera
inutilement, ou que l'on ne les domptera
qu'avec des peines extrêmes , quand une
fois elles se seront fortifiées avec l'âge,
Bien loin d'étouffer les passions dès leur
naissance , quoi de plus commun parmi
les Riches que de les faire naître et de les
amorcer à peine les premieres lueurs
d'une foible raison commencent à paroître
dans les Enfans , qu'on prend à tâche
de leur inspirer la vanité , l'amour propre
, la mollesse , l'attachement aux plaisirs,
qui les seduit avant même qu'ils ayent -
assez de jugement pour en connoître le
danger. On ne fait que leur souffler le
venin des fausses et dangereuses maximes
du monde , qui deviennent pour eux des
principes sur lesquels roulera toute la
conduite de leur vie. On ne manque pas
de leur apprendre toutes les loix les plus
bizarres d'une certaine bienséance ; on
leur fait étudier les modes ridicules et les
usages du monde. L'imagination, l'esprit,
le coeur de ces tendres Enfans sont obsedez
par le vain éclat des honneurs , du
B iiij
faste,
440 MERCURE DE FRANCE .
faste , et de la pompe du siècle : pendant
ce tems là rien ne les rapelle à la raison,
au sentiment , à la regle , à l'esprit de
Religion . Ainsi se passe l'Enfance de la
plupart des Riches. N'est- ce pas là un
grand acheminement pour la Sagesse ?
Les Pauvres dans leur simplicité ont
communément l'avantage de naître de
parens moins vicieux , qui leur inspirent.
l'horreur de bien des déreglemens , dont
le beau monde ne se fait pas tant de scrupule
. On les laisse dans l'innocence de
feur âge , sans les corrompre par les funestes
attraits du vice. On les éleve mieux
parce qu'on les ménage moins , et qu'on
ne les flatte pas tant. Ils commencent
dès -lors à sentir que l'homme est né pour
la peine et le travail , comme l'oiseau
pour voler ; ils ne regardent toutes les
grandeurs du Monde qu'en éloignements
et avec indifférence ; la droite raison se
forme , la Religion entre et s'établit plus
aisément dans ces petits coeurs où les
impressions étrangeres et les passions dangereuses
n'ont point fait tant de ravages ,
et moins ils sont élevez pour le Monde ,
plus ils ont de disposition à la Sagesse .
Les Riches ne se chargent pas beaucoup
, ni longtems de l'Education de
leurs Enfans , ils s'en rapportent à des
DoMARS
1734.
447
>
Domestiques, le plus souvent déréglez ;
ils la confient à des Gouverneurs des
Maîtres et des Précepteurs : mais la diffi-.
culté est d'en trouver de bons . Rien de
plus commun que les personnes qui se
mêlent d'élever la jeunesse , et rien de
plus rare que ceux qui ont toutes les
qualitcz requises pour un emploi si important.
Il faut du sçavoir , avec beaucoup
de probité ; de la prudence , du
désinteressement. On en trouve ass zqui
ont de la science : ils sont habiles Grammairiens
, grands Poëtes , fameux Orateurs
, versez dans toutes les subtilitez
de la Dialectique et de la plus fine Métaphysique,
ils connoissent parfaitement
toutes les expériences et pénetrent les
secrets de la nature . Ils sçavent l'Histoire ,
la Géographie , le Blason , quelquefois la
Géometrie et les Mathématiques : c'est
ce qui les fait briller , ce qui ébloüit
et ce qui leur procure la confiance des
Grands et des Riches : cependant ce
n'est là que la moindre qualité , et avec
tous ces beaux talens ils peuvent être de
très-mauvais Maîtres.
S'ils manquent de probité , comment
s'acquiteront- ils de la principale partie
de l'éducation , qui consiste à inspirer à
leurs disciples. l'horreur du vice et l'a
B. v mour
442 MERCURE DE FRANCE
mour de la vertu ? Pourvû que ces jeunes
Eleves se forment aux études , qu'ils apprennent
à bégayer un peu de Latin et de
Grec , à tourner des Vers , à construire
des Periodes et des Figures , à former des
Syllogismes , à disputer , à se tirer tant
bien que mal d'un raisonnement captieux;
le Maître les laissera tranquillement suivre
les funestes penchans de leur coeur
se plonger quelquefois dans les plus affreux
déreglemens , et Dieu veuille qu'il
n'en soit pas lui même ou le complice ,
où l'Auteur ?
,
2
S'il est en défaut du côté de la prudence
: avec tout le Grec et le Latin dont
il sera hérissé avec son enthousiasme
Poëtique , ou le pompeux étalage de son
Eloquence , avec les rafinemens de sa
Dialectique , il ne sera peut- être qu'un .
étourdi , un emporté, un esprit bourru
un homme sans raison , qui grondera à
tort et à travers , qui outragera mal- àpropos
ses disciples , et les accablera sans
discrétion de mauvais traitemens , plus
capable de les décourager et de les déde
l'étude et de la vertu que de
gouter
les y porters ou par un autre caprice
laura pour eux une douceur meurtriere ,
et sous prétexte de les ménager , il les
perdra par de lâches complaisances.
و
Un
MARS 1734. 443
Un Maître interessé qui n'a en vuë
qu'un gain sordide , ne sera guere capable
d'inspirer des sentimens d'honneur
et l'amour du devoir à ses disciples . Une
ame mercenaire n'entre point dans ces
dispositions , et n'a pas même la pensée
d'y faire entrer ses Eleves. Un homme
qui ne cherche qu'à faire fortune auprès
des Riches , comme il y en a beaucoup
, les flattera et les entretiendra
dans les inclinations vicieuses , pour se
ménager leurs faveurs . Il craindroit de
les irriter , s'il étoit plus ferme . On en
trouve peu qui agissent avec des vuës
aussi pures que le fameux Arsene , Précepteur
d'Arcadius , et qui aiment .
mieux , comme lui , s'exposer à perdre
leur Place et leurs espérances , que de
mollir dans les occasions , où la rigueur
est nécessaire .
Qu'il est rare dans le monde que les
Parens fassent un aussi heureux choix
en fait de Précepteur , que celui du Grand
Théodose ! qu'ils confient leurs Enfans à
un homme tel qu'Arsene ! qu'ils leur ordonnent
la même déférence , le même respect
pour leur Maître ! et qu'ils entrent
dans les sentimens de ce Religieux Empereur
, qui répetoit souvent , que les
Princes sesEnfans seroient veritablement di-
B-vj gness
444 MERCURE DE FRANCE
gnes de l'Empire, s'ils sçavoient joindre la¸
piété avecla science !
La plupart des Parens riches , ou ne se
donnent pas la peine de chercher de
bons Maîtres , ou n'ont pas le bonheur
de les trouver , et prennent pour tels
ceux qui brillent par de grands talens
pour les sciences , quoique tout le reste
leur manque ; ou enfin les Parens n'ont
pas eux- mêmes le goût de la bonne éducation
; ils se plaisent à étouffer les semences
de vertu que les Maîtres ont jettées
dans l'ame des Enfans , et à leur inspirer
la fureur des Jeux , des Bals , des Spectacles
, et de tout ce qui gâte l'esprit et corrompt
le coeur.
A quoi se réduit donc la belle éducation
dont les Riches se vantent? A parler
passablement quelques langues mortes , à
prendre quelque légere teinture de Philosophie
, de Jurisprudence ; à sçavoir
Danser , Escrimer , Monter à Cheval ;
mais dequoi sert tout cela pour acquerir
la sagesse ? Cela tout seul, n'est bon qu'à
rendre vain , présomptueux , entêté d'un
faux mérite , à donner du ressort aux passions
et à les rendre plus fougueuses ; ce
sont des armes entre les mains d'un furieux.
Du côté des moeurs et de la Religion,
les Pauvres ont tout l'avantage , on
les
MARS. 1734 445
les y forme presque toujours avec plus de
soin que les Riches ; c'est le principal et
l'essentiel de leur éducation qui n'est pas
si sujette à être corrompue et infectée par
le mauvais levain des plaisirs sensuels .
Quand on supposeroit même que les
Riches ont la plus parfaite éducation , elle
se perd bien- tôt dans l'air contagieux du
monde. Ils se regardent sous la discipline
des Maîtres, comme dans un triste esclavage
, et au sortir des études ils ne
font usage d'une trop grande liberté
qu'on leur laisse , ou qu'ils prennent de
vive force , que pout se dédommager en
quelque sorte de la contrainte et de la
gêne où ils ont vécu . Bien - tôt ils se donnent
carriere , et trouvant tout favorable
aux penchans de leur coeur, ils se livrent,
comme le jeune Augustin , à un affreux
libertinage. Le pas est glissant , on tombe
aisément dans le précipice ; mais il est
difficile de s'en retirer. Il fallut un miracle
pour convertir Augustin.
Voilà donc l'Education des Riches , le
plus souvent tres mauvaise dès l'Enfance,
confiée ensuite à des mains ou peu capables
, ou infidelles , qui n'en cultivent
que la moindre partie, et enfin gâtée dans.
ce qu'elle pourroit avoir de bon , par la.
Saute des Parens, et par le pernicieux usa--
gc
447 MERCURE DE FRANCE
ge du monde. Qu'attendre d'une pareille
éducation ? et quel fond y faire pour l'acquisition
de la sagesse ?
Je ne dis pas qu'il n'y ait eu dans tous
les siécles , et qu'il n'y ait encore des sages
parmi les Grands et les Riches ; nous
en avons d'illustres exemples devant les
yeux.
J'ai avancé que la Sagesse est de tous les
Etats , de toutes les conditions ; mais je
prétends que les Richesses d'elles - mêmes
ne fournissent pas plus de moyens pour
Pacquerir , qué la pauvreté , et qu'elles y
sont plutôt un grand obstacle , soit pour
l'avidité insatiable avec laquelle on les recherche
, et le trop grand attachement ,
qui en est presque inséparable ; soit par la
vie molle et sensuelle qu'elles fomentent ;
soit par la facilité qu'elles donnent à assouvir
les passions. C'est une vraie gloire
de les posséder sans attache , de se deffendre
de leurs séductions , et de conserver
dans une riche abondance toute la modération
de la sagesse ; mais cette gloire
n'est pas commune , parce qu'il est beaucoup
plus difficile d'y atteindre , que d'ê
tre sage dans les bornes étroites d'une
honnête pauvreté.Il est si vrai que ce dernier
état est plus propre à la sagesse ; que
le riche lui - même ne peut être sage ,
qu'au
MARS. 1734.
447
qu'autant qu'il est pauvre dans le coeur ;
c'est-à dire , qu'il approche des dispositions
du Pauvre et de son indifférence à
l'égard des biens périssables.
sur la Question proposée dans le Mercure
d'Août.
! dira- t- on , un état de Pauvreté
où l'on voit tant de grossiereté
, de rusticité , qui n'a que des оссира-
tions basses et terrestres sans presque
aucun des secours qui forment l'esprit et
cultivent les moeurs , cet état sera plus
propre
à la Sagesse que celui des Riches ,
où l'on trouve les avantages de la politesse
de la vie aisée et sur tout de l'Edu-
QUoy
!dira-t- on
cat on ?
Qu'on allegue tout ce qu'on voudra ;
l'expérience plus sûre et plus incontestable
que tous les raisonnemens, décide en
faveur du Pauvre : elle le montre presque
toujours plus moderé dans ses désirs,
plus reglé dans ses moeurs et moins escla
ve des passions ; par conséquent plus
Sage , ou du moins plus propre à le devenir
, que le Riche.
La politesse dont se flattent les personnes
du Monde , le dégagement des
Occupations viles et mécaniques , le train
d'une vie douce et commode , ne sont
pas d'un grand secours pour l'acquisition
de
432 MERCURE DE FRANCE
de la Sagesse. Peut - être trouvera t on
qu'ils y sont plus nuisibles , que profitables.
Il n'est pas facile de se persuader
que cet extérieur si mondain , souvent si
effeminé, qui fait le bel air et la politesse
du siécle ; que ce qu'on appelle vie aisée ,
c'est-à- dire vie molle et inutile , vie de
bonne chere , de jeu , de plaisirs , de divertissemens
, ou vie uniquement occu
pée d'intrigues , de projets ambitieux
de vûës d'interêt ; que tout cela soit plus
propre à devenir Sage qu'une vie simple
, innocente , rustique , laborieuse
dont les occupatious , toutes basses et
terrestres qu'elles paroissent , n'ont rien
que de loüable rien qui dissipe trop
l'esprit et le coeur , rien qui favorise les
déreglemens , rien qui ne mortifie les
inclinations vicieuses:
3
Les anciens Patriarches , ces hommes
choisis , ces favoris de Dieu , ces parfaits
modeles de Sagesse , s'il y en cut
jamais sur la Terre , n'avoient ni nos manieres
de politesse , ni tant de commoditez
s'ils paroissoient dans le Monde
avec leur extérieur simple , et leur vie
dure , nous ne manquerions pas de les
prendre pour
des gens grossiers , impolis
, peu propres à la societé et au commerce
du beau Monde; en un mot, pour
de
MARS 1734.
433
de bons Villageois . A les voir eux et leurs
Enfans ,de l'un et de l'autre sexe, occupez
à conduire eux -mêmes leurs Troupeaux ;
à chercher des eaux et des pâturages en
différents cantons avec des peines infinies ,
sans posseder en propre un pouce de
terre ; obligez de parcourir diverses Provinces
, de s'exposer à mille dangers
d'errer dans des Pays deserts et inconnus,
où ils se trouvoient quelquefois contraints
par la famine de se retirer ; à les
voir avec un pareil train et dans un tel
équipage, qui s'imagineroit que ce fussent
les plus Sages de tous les Hommes ? Ils
l'étoient cependant , et ils ne se démentirent
jamais ; au lieu que Salomon avec
toute la pompe et la magnificence du
plus puissant et du plus riche des Rois ,
avec tous les avantages d'une vie à laquelle
rien ne manquoit , n'eut pas la
force de se soutenir , et tomba du plus
haut dégré de Sagesse dans les plus
honteux excès ? tant il est vrai que la
vie dure et laborieuse du Pauvre est plus
propre à la Sagesse , que la vie du Kiche
avec tous ses aises et toutes ses commoditez
.
On dira peut-être que les Patriarches
n'étoient pas Pauvres Ils n'avoient cependant
ni fonds ni demeure assurée ; ils
:
B se
1
434 MERCURE DE FRANCE
se trouvoient souvent réduits à des états
fort tristes. Avec tout ce qu'ils pouvoient
avoir , ils essuyoient les plus facheux
inconveniens de la Pauvreté, et la
protection du Tout- puissant étoit leur
unique ressource . Si les Riches de nos
jours menoient communément une vie
aussi innocente et aussi penible , on ne
diroit pas que leur état fut peu propre à
acquerir la Sagesse : mais quelle énorme
différence entre leur maniere de vivre
et celle de ces Saints Personnages !
Au reste, il ne s'agit pas ici de l'extrême
indigence dont un ingenieux Auteur'a
dit qu'elle est la mere des crimes , et qu'elle
ne donne jamais que de mauvais conseils ;
mais d'une honnête Pauvreté qui excite
l'industrie et oblige au travail , où l'ơn
ne manque pas absolument de tout ;
mais où l'on n'a pas tout ce qu'il faut
pour vivre sans se donner de la peine et
du mouvement. Dans une Pauvreté excessive
on n'a guere vû de Sages de
quelque réputation , qu'un Diogene
admiré par un Alexandre , ( si cependant
il doit passer pour tel ) mais l'un et l'autre
étoient des hommes si singuliers en
différents genres , qu'ils ne peuvent
preuve , ni servis d'exemple.
faire
preuve ,
Il ne faut pas non plus confondre la
PauMARS
1734 435
,
Pauvreté dont nous parlons , avec la médiocrité
, où l'on a dequoi vivre commodément
, en se renfermant dans les
bornes de son état , sans aspirer à rien de
plus. Telle est la situation de quelques
Personnes qui avec un bien modique ,
filent tranquillement leurs jours dans une
molle oisiveté , et perdent agréablement
dans les jeux et les délices , un tems
précieux qu'ils devroient mettre à profit.
Un état où l'on n'a rien qui réveille
, qui anime , qui exerce l'esprit
et qui mette en oeuvre les heureux talens
qu'on a reçûs de la nature ; cet état engendre
naturellement la nonchalance et
la paresse , auxquelles le penchant ordinaire
entraîne ; et l'on sent assez combien
un tel Etat est peu propre à la Sagesse.
Rien au contraire ne lui est plus favorable
que la Pauvreté qui met l'homme
dans l'heureuse necessité d'agir , de s'occuper
utilement , de mettre en exercice
toutes ses forces , et de tirer de son fond
´tout ce qu'il peut produire de meilleur.
- 迪
et
En effet d'où amenoit - t'on ces grands
hommes ces illustres Romains qui
gouvernerent avec tant de Sagesse ,
qui deffendirent également par leur prudence
et par leur courage la République
dans les tems les plus difficiles et les plus
Bij
ora436
MERCURE DE FRANCE
و
orageux ? ce n'étoit ni de la sombre retraite
d'une pitoyable mendicité , ni du
somptueux éclat de l'abondance et du
luxe , ni du sein de la molesse et d'une
oisive mediocrité ; on venoit prendre ces
fameux Dictateurs à la charuë d'autres
fois on les trouvoit la Bêche à la main ,
exposez aux ardeurs du Soleil et aux injures
des Saisons , cultivant un petit bien
qui faisoit toute leur fortune: et ces hommes
rompus au travail , endurcis à toutes
les fatigues d'une vie champêtre , accoutumez
à la temperance et à la sobrieté,
sans passions , sans vices , alloient prendre
d'une main robuste et vigoureuse le
gouvernail de l'Etat , et le conduisoient
par leur profonde Sagesse à un Port assuré.
On ne s'arrêtoit pas à ces manieres
si polies , à cette vie douce et commode
qu'on préconise de nos jours. On cherchoit
le Sage où il se trouve ; dans une
vie Pauvre et laborieuse. Que les tems et
les moeurs sont changez le fond des
choses est toujours le même , et il n'en
est pas moins vrai qu'autrefois que les
avantages qu'on suppose dans les Riches,
nuisent plus à la Sagesse, qu'ils ne lui sont
utilės.
Mais ,dira - t- on, qui peut mieux y con
tribuer que l'Education ? Les Riches
n'ont
MARS 1734.
437
n'ont - ils pas ce privilége sur les Pauvres
? On leur choisit les plus excellens
Maîtres , on ne les quitte point de vûë ,
on les dresse avec beaucoup de soins et
de dépenses à tous les exercices convenables
; on porte l'attention jusqu'aux
premiers momens de leur naissance pour
en écarter tous les présages funestes , ou
les accidens facheux; on regarde avec une
attention scrupuleuse au lait qu'ils succent
, aux nourritures qu'ils prennent ,
à l'air qu'ils respirent : que ne fait t -on
pas pour les disposer de bonne heure à
soutenir honorablement les illustres Emplois
, les Dignitez éminentes ausquels ils
sont destinez ?
Voilà assurément de grandes précau-,
tions : mais enfin à quoi aboutissent elles ?
Les Riches , les Puissans du siècle avec
tout ce bel appareil d'Education , sont- ils
plus moderez , plus pieux , plus modestes,
plus exacts à leurs devoirs , plus équita-
Bles , plus humains , plus judicieux ; en
un mot , plus sages pour l'ordinaire, que
le reste des hommes ? Il ne s'en voit point
de si vains , de si fiers , de si emportez ,
de si vindicatifs , de si injustes, de si peu
maîtres d'eux- mêmes , de si
à la Religion , de si
gations de leur état ,
peu attachez
peu fideles
aux obliet
par conséquent
Bij
de
438 MERCURE DE FRANCE
de si éloignez de la Sagesse . A quoi sert
donc toute l'Education qu'on leur donne?
Il faut malgré tant de soins que l'on
prend , qu'ils soient bien mal cultivez
ou que l'arbre soit bien sauvage pour
produire de si mauvais fruits. L'un et
l'autre n'arrive que trop souvent .
,
Beaucoup de Riches sortent d'une Race
infectée , pleine de concussions et de rapines
, corrompue par les funestes impressions
du vice , qui se perpetue de génerations
en génerations. Ils tiennent
tantôt des inclinations d'une mere voluptueuse
, sensuelle , intempérante , qui ne
respire que luxe et que vanité ; tantôt du
mauvais coeur d'un pere injuste , avare ,
ambitieux , perfide , inhumain ; quelquefois
ils tirent de tous les deux une mauvaise
seve qui se trouve ensuite animée
de la parole et de l'exemple : on se donnera
des peines infinies pour exterminer
› le naturel ; il revient presque toujours ;
malgré les instructions , les remontrances
, les efforts même d'une juste severité
c'est un grand hazard s'il ne prend le
dessus , et s'il ne secoue le joug de toute
autorité qui le gêne.
;
D'un autre côté l'Education des Riches
est- elle si excellente qu'on se l'imagine ?
Plusieurs sont idolatres de leurs Enfans
св
MARS 1734:
439
et les perdent à force de les flatter. On
commence par leur souffrir tout ; on se
fait un jeu , un plaisir, un divertissement
de leurs passions naissantes , et on ne
prend pas garde que si l'on n'a soin de les
réprimer de bonne heure , on le tentera
inutilement, ou que l'on ne les domptera
qu'avec des peines extrêmes , quand une
fois elles se seront fortifiées avec l'âge,
Bien loin d'étouffer les passions dès leur
naissance , quoi de plus commun parmi
les Riches que de les faire naître et de les
amorcer à peine les premieres lueurs
d'une foible raison commencent à paroître
dans les Enfans , qu'on prend à tâche
de leur inspirer la vanité , l'amour propre
, la mollesse , l'attachement aux plaisirs,
qui les seduit avant même qu'ils ayent -
assez de jugement pour en connoître le
danger. On ne fait que leur souffler le
venin des fausses et dangereuses maximes
du monde , qui deviennent pour eux des
principes sur lesquels roulera toute la
conduite de leur vie. On ne manque pas
de leur apprendre toutes les loix les plus
bizarres d'une certaine bienséance ; on
leur fait étudier les modes ridicules et les
usages du monde. L'imagination, l'esprit,
le coeur de ces tendres Enfans sont obsedez
par le vain éclat des honneurs , du
B iiij
faste,
440 MERCURE DE FRANCE .
faste , et de la pompe du siècle : pendant
ce tems là rien ne les rapelle à la raison,
au sentiment , à la regle , à l'esprit de
Religion . Ainsi se passe l'Enfance de la
plupart des Riches. N'est- ce pas là un
grand acheminement pour la Sagesse ?
Les Pauvres dans leur simplicité ont
communément l'avantage de naître de
parens moins vicieux , qui leur inspirent.
l'horreur de bien des déreglemens , dont
le beau monde ne se fait pas tant de scrupule
. On les laisse dans l'innocence de
feur âge , sans les corrompre par les funestes
attraits du vice. On les éleve mieux
parce qu'on les ménage moins , et qu'on
ne les flatte pas tant. Ils commencent
dès -lors à sentir que l'homme est né pour
la peine et le travail , comme l'oiseau
pour voler ; ils ne regardent toutes les
grandeurs du Monde qu'en éloignements
et avec indifférence ; la droite raison se
forme , la Religion entre et s'établit plus
aisément dans ces petits coeurs où les
impressions étrangeres et les passions dangereuses
n'ont point fait tant de ravages ,
et moins ils sont élevez pour le Monde ,
plus ils ont de disposition à la Sagesse .
Les Riches ne se chargent pas beaucoup
, ni longtems de l'Education de
leurs Enfans , ils s'en rapportent à des
DoMARS
1734.
447
>
Domestiques, le plus souvent déréglez ;
ils la confient à des Gouverneurs des
Maîtres et des Précepteurs : mais la diffi-.
culté est d'en trouver de bons . Rien de
plus commun que les personnes qui se
mêlent d'élever la jeunesse , et rien de
plus rare que ceux qui ont toutes les
qualitcz requises pour un emploi si important.
Il faut du sçavoir , avec beaucoup
de probité ; de la prudence , du
désinteressement. On en trouve ass zqui
ont de la science : ils sont habiles Grammairiens
, grands Poëtes , fameux Orateurs
, versez dans toutes les subtilitez
de la Dialectique et de la plus fine Métaphysique,
ils connoissent parfaitement
toutes les expériences et pénetrent les
secrets de la nature . Ils sçavent l'Histoire ,
la Géographie , le Blason , quelquefois la
Géometrie et les Mathématiques : c'est
ce qui les fait briller , ce qui ébloüit
et ce qui leur procure la confiance des
Grands et des Riches : cependant ce
n'est là que la moindre qualité , et avec
tous ces beaux talens ils peuvent être de
très-mauvais Maîtres.
S'ils manquent de probité , comment
s'acquiteront- ils de la principale partie
de l'éducation , qui consiste à inspirer à
leurs disciples. l'horreur du vice et l'a
B. v mour
442 MERCURE DE FRANCE
mour de la vertu ? Pourvû que ces jeunes
Eleves se forment aux études , qu'ils apprennent
à bégayer un peu de Latin et de
Grec , à tourner des Vers , à construire
des Periodes et des Figures , à former des
Syllogismes , à disputer , à se tirer tant
bien que mal d'un raisonnement captieux;
le Maître les laissera tranquillement suivre
les funestes penchans de leur coeur
se plonger quelquefois dans les plus affreux
déreglemens , et Dieu veuille qu'il
n'en soit pas lui même ou le complice ,
où l'Auteur ?
,
2
S'il est en défaut du côté de la prudence
: avec tout le Grec et le Latin dont
il sera hérissé avec son enthousiasme
Poëtique , ou le pompeux étalage de son
Eloquence , avec les rafinemens de sa
Dialectique , il ne sera peut- être qu'un .
étourdi , un emporté, un esprit bourru
un homme sans raison , qui grondera à
tort et à travers , qui outragera mal- àpropos
ses disciples , et les accablera sans
discrétion de mauvais traitemens , plus
capable de les décourager et de les déde
l'étude et de la vertu que de
gouter
les y porters ou par un autre caprice
laura pour eux une douceur meurtriere ,
et sous prétexte de les ménager , il les
perdra par de lâches complaisances.
و
Un
MARS 1734. 443
Un Maître interessé qui n'a en vuë
qu'un gain sordide , ne sera guere capable
d'inspirer des sentimens d'honneur
et l'amour du devoir à ses disciples . Une
ame mercenaire n'entre point dans ces
dispositions , et n'a pas même la pensée
d'y faire entrer ses Eleves. Un homme
qui ne cherche qu'à faire fortune auprès
des Riches , comme il y en a beaucoup
, les flattera et les entretiendra
dans les inclinations vicieuses , pour se
ménager leurs faveurs . Il craindroit de
les irriter , s'il étoit plus ferme . On en
trouve peu qui agissent avec des vuës
aussi pures que le fameux Arsene , Précepteur
d'Arcadius , et qui aiment .
mieux , comme lui , s'exposer à perdre
leur Place et leurs espérances , que de
mollir dans les occasions , où la rigueur
est nécessaire .
Qu'il est rare dans le monde que les
Parens fassent un aussi heureux choix
en fait de Précepteur , que celui du Grand
Théodose ! qu'ils confient leurs Enfans à
un homme tel qu'Arsene ! qu'ils leur ordonnent
la même déférence , le même respect
pour leur Maître ! et qu'ils entrent
dans les sentimens de ce Religieux Empereur
, qui répetoit souvent , que les
Princes sesEnfans seroient veritablement di-
B-vj gness
444 MERCURE DE FRANCE
gnes de l'Empire, s'ils sçavoient joindre la¸
piété avecla science !
La plupart des Parens riches , ou ne se
donnent pas la peine de chercher de
bons Maîtres , ou n'ont pas le bonheur
de les trouver , et prennent pour tels
ceux qui brillent par de grands talens
pour les sciences , quoique tout le reste
leur manque ; ou enfin les Parens n'ont
pas eux- mêmes le goût de la bonne éducation
; ils se plaisent à étouffer les semences
de vertu que les Maîtres ont jettées
dans l'ame des Enfans , et à leur inspirer
la fureur des Jeux , des Bals , des Spectacles
, et de tout ce qui gâte l'esprit et corrompt
le coeur.
A quoi se réduit donc la belle éducation
dont les Riches se vantent? A parler
passablement quelques langues mortes , à
prendre quelque légere teinture de Philosophie
, de Jurisprudence ; à sçavoir
Danser , Escrimer , Monter à Cheval ;
mais dequoi sert tout cela pour acquerir
la sagesse ? Cela tout seul, n'est bon qu'à
rendre vain , présomptueux , entêté d'un
faux mérite , à donner du ressort aux passions
et à les rendre plus fougueuses ; ce
sont des armes entre les mains d'un furieux.
Du côté des moeurs et de la Religion,
les Pauvres ont tout l'avantage , on
les
MARS. 1734 445
les y forme presque toujours avec plus de
soin que les Riches ; c'est le principal et
l'essentiel de leur éducation qui n'est pas
si sujette à être corrompue et infectée par
le mauvais levain des plaisirs sensuels .
Quand on supposeroit même que les
Riches ont la plus parfaite éducation , elle
se perd bien- tôt dans l'air contagieux du
monde. Ils se regardent sous la discipline
des Maîtres, comme dans un triste esclavage
, et au sortir des études ils ne
font usage d'une trop grande liberté
qu'on leur laisse , ou qu'ils prennent de
vive force , que pout se dédommager en
quelque sorte de la contrainte et de la
gêne où ils ont vécu . Bien - tôt ils se donnent
carriere , et trouvant tout favorable
aux penchans de leur coeur, ils se livrent,
comme le jeune Augustin , à un affreux
libertinage. Le pas est glissant , on tombe
aisément dans le précipice ; mais il est
difficile de s'en retirer. Il fallut un miracle
pour convertir Augustin.
Voilà donc l'Education des Riches , le
plus souvent tres mauvaise dès l'Enfance,
confiée ensuite à des mains ou peu capables
, ou infidelles , qui n'en cultivent
que la moindre partie, et enfin gâtée dans.
ce qu'elle pourroit avoir de bon , par la.
Saute des Parens, et par le pernicieux usa--
gc
447 MERCURE DE FRANCE
ge du monde. Qu'attendre d'une pareille
éducation ? et quel fond y faire pour l'acquisition
de la sagesse ?
Je ne dis pas qu'il n'y ait eu dans tous
les siécles , et qu'il n'y ait encore des sages
parmi les Grands et les Riches ; nous
en avons d'illustres exemples devant les
yeux.
J'ai avancé que la Sagesse est de tous les
Etats , de toutes les conditions ; mais je
prétends que les Richesses d'elles - mêmes
ne fournissent pas plus de moyens pour
Pacquerir , qué la pauvreté , et qu'elles y
sont plutôt un grand obstacle , soit pour
l'avidité insatiable avec laquelle on les recherche
, et le trop grand attachement ,
qui en est presque inséparable ; soit par la
vie molle et sensuelle qu'elles fomentent ;
soit par la facilité qu'elles donnent à assouvir
les passions. C'est une vraie gloire
de les posséder sans attache , de se deffendre
de leurs séductions , et de conserver
dans une riche abondance toute la modération
de la sagesse ; mais cette gloire
n'est pas commune , parce qu'il est beaucoup
plus difficile d'y atteindre , que d'ê
tre sage dans les bornes étroites d'une
honnête pauvreté.Il est si vrai que ce dernier
état est plus propre à la sagesse ; que
le riche lui - même ne peut être sage ,
qu'au
MARS. 1734.
447
qu'autant qu'il est pauvre dans le coeur ;
c'est-à dire , qu'il approche des dispositions
du Pauvre et de son indifférence à
l'égard des biens périssables.
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Résumé : SUITE des Réfléxions de M. Simonnet, sur la Question proposée dans le Mercure d'Août.
Le texte 'Suite des Réflexions de M. Simonnet' examine la question de savoir si la pauvreté ou la richesse favorise davantage la sagesse. L'auteur affirme que la pauvreté, malgré ses inconvénients, est plus propice à la sagesse. Les pauvres, modérés dans leurs désirs et mieux régulés dans leurs mœurs, sont moins esclaves des passions et donc plus sages que les riches. La politesse et les avantages de la vie aisée des riches sont jugés nuisibles pour l'acquisition de la sagesse. L'auteur compare les anciens Patriarches, modèles de sagesse, à Salomon, qui, malgré sa richesse et sa puissance, tomba dans des excès honteux. Les Patriarches, souvent réduits à des états tristes, trouvaient leur sagesse dans une vie dure et laborieuse. L'auteur distingue la pauvreté honnête, qui incite à l'industrie et au travail, de l'extrême indigence ou de la médiocrité qui engendre la nonchalance et la paresse. Le texte mentionne que les grands hommes de Rome, tels que les dictateurs, provenaient souvent de milieux pauvres et laborieux, ce qui les préparait à gouverner avec sagesse. L'éducation des riches est souvent corrompue par des influences vicieuses et des passions dangereuses. Les pauvres, élevés dans la simplicité et l'innocence, ont plus de dispositions à la sagesse. L'auteur déplore la difficulté de trouver des éducateurs compétents et probes pour les enfants riches. Les précepteurs doivent posséder des talents académiques, de la probité et de la prudence pour inspirer la vertu. Un précepteur défaillant peut laisser ses élèves suivre leurs penchants vicieux ou les décourager par des traitements injustes ou des complaisances excessives. Les parents riches ne cherchent pas toujours de bons précepteurs ou n'ont pas le goût de la bonne éducation, préférant étouffer les semences de vertu et encourager des activités frivoles. L'éducation des riches se réduit souvent à l'apprentissage de langues mortes, de philosophie, de jurisprudence, et de compétences sociales, mais cela ne conduit pas à la sagesse. Les pauvres reçoivent une éducation plus morale et moins corrompue. Le texte conclut que les richesses peuvent être un obstacle à l'acquisition de la sagesse en raison de l'avidité, de la vie sensuelle et de la facilité à assouvir les passions. La véritable sagesse réside dans la modération et l'indifférence aux biens matériels.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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