L'Abbé Seguy , prêcha le Jeudy- Saint
la Cêne devant le Roy. Nous avons
crû qu'on seroit bien aise de voir ici
l'Analyse de son Discours ; mais nous.
n'avons pû obtenir de lui que le Texte
et l'Exorde.
Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum
ego feci ita et vos faciatis. Je vous ai donné
l'exemple, afin que vous fassiez ce que
Vous avez vû que j'ai fait . En S. Jean ,
Chap. 13 .
SIRE .
Divin exemple qui nous fait voir le
Fils unique du Très - Haut , exerçant aux
pieds de ses Apôtres surpris, les plus humbles
fonctions d'un Serviteur ! exemple
puissant , dont la force subjugant les Potentats
AVRIL. 1731. 741
tentats les plus fiers , les a fait descendre
du faîte de leur grandeur, pour exercer à
leur tour envers les derniers de leurs Sujets
, ce vil ministere ! Voilà , Grands , qui
m'écoutez , ce qui m'authorise à vous venir
prêcher l'humilité , oui l'humilité
l'humilité chrétienne. Je sçai que vous
ne paroissez pas faits pour entendre ce
langage ; mais je sçai que nous n'avons
point pour vous d'Evangile particulier ,
je sçai que cette Religion dont l'esprit est
un esprit d'anéantissement volontaire , est
indistinctement la regle infléxible de tous;
que l'Homme Dieu , souverainement
humble , qu'elle vous presente , n'est pas
moins votre modele que celui de vos inferieurs
, et qu'après tout pour pouvoir
alleguer avec quelque prétexte apparent
votre grandeur, vous n'êtes pas plus grands
que votre Roi , qui ne se dispense pas de
la Loi de l'humilité , et qui va vous en
donner l'exemple .
Pour vous en inspirer les sentimens , je
ne viens pas ici vous rappeller les foiblesses
et les miseres qui vous sont communes
avec le reste des hommes. Vous avez
des raisons bien plus particulieres de pratiquer
l'humilité chrétienne ; vous avez
toutes celles que peuvent avoir les autres
hommes , mais ils n'ont pas toutes celles
que vous avez , et c'est à ces dernieres
que
742 MERCURE DE FRANCE.
>
que je me borne. Je laisse des idées qu'on
vous a presentées cent fois, et m'attachant
à un motif , qui pour paroître singulier
n'en est pas moins solide , je viens vous
dire que vous devez vous abbaisser par
la raison même que vous êtes élevez . Ne
vous étonnez pas de cette proposition , toute
surprenante qu'elle est d'abord pour le
préjugé et pour l'amour propre ; elle est
fondée sur le mystere dont tout vous retrace
le souvenir , et dont il est si convenable
que je vous entretienne . C'est dans
ce mystere que vous allez voir les raisons
particulieres qui vous engagent à vous
humilier ; car vous y allez voir et l'obligation
qu'impose la grandeur de pratiquer
Thumilité chrétienne et les avantages que
P'humilité chrétienne procure à la grandeur.
Deux considerations bien capables
de préparer vos coeurs à une vertu peut
être plus necessaire encore pour vous, quoique
pour vous plus difficile , sans doute.
C'est cette vertu , SIRE , que va prêcher
bien plus efficacement le grand exem
ple que votre pieté nous prépare. L'au-
Torité suprême asservie en vous et par
vous aux plus abjectes fonctions de l'humilité
; que ce Spectacle est touchant et
qu'il est digne de la Religion qui en est
le motifunique ! Par elle seule vous vous
disposez à le donner , ce saint Spectacle ,
comme
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si vocomme
par elle seule vous nous en donnez
tant d'autres non moins chrétiens ;
si vous sçavez vous garantir des pieges
nombreux qui environnent le Trône , des
écueils de la jeunesse et du souverain pouvoir
, si la volupté irritée n'a point de
traits qui ne s'émoussent sur vous ,
tre coeur , ce coeur si renfermé pour le
secret politique , est si ouvert à vos Peuples
pour la bonté , si par votre pieté
vous nous faites de si grandes leçons à
nous-mêmes , Ministres du Dieu vivant ,
dans une telle conduite je reconnois la
Religion ; c'en est là l'ouvrage : et si vous
joüiissez des benedictions du Ciel les plus
marquées , si avec la douceur d'être uni
à une Epouse digne de vous , vous goutez
celle de voir croître heureusement ,
parmi les charmes de la Paix , votre Famille
auguste et déja nombreuse , si
vos mains , en conduisant cet Empire ,
sont si bien secondées par celles qui formerent
votre enfance ; en cela je reconnois
aussi la Religion ; c'en est pour vous,
SIRE , dès cette vie même , la récompense.
Penetré de reconnoissance pour
tant de bienfaits , vous venez aux pieds
de ces Pauvres de J. C. qui vous le représentent
lui- même , rendre un hommage
plus solemnel au Dieu de bonté , et cela
dans tous les sentimens qu'inspire l'humilité
744 MERCURE DE FRANCE.
milité chrétienne. Puissai - je lui soumettre,
à cette humilité , tous les coeurs à l'aide
d'un tel exemple.