REPONSE
A Me de Malcrais de la Vigne , par
M. de Voltaire , en lui envoyani la
Henriade et l'Histoire de Charles XI I.
T
Oy, dont la voix brillante a volé
sur nos Rives ,
Toi , qui tiens dans Paris nos Muses attentives ,
Qui sçais si bien associer ,
Et la science et l'art de plaire ,
A ij Et
1888 MERCURE DE FRE
Et les talens de Deshoulieres ,
Et les études de Dacier ,
J'ose envoyer aux pieds de ta Muse divine ,
Quelques foibles Ecrits , enfans de mon repos ;
Charles fut seulement l'objet de mes travaux.
Henry quatre fut mon Heros ,
Et tu seras mon Héroïne.
En te donnant mes Vers , je te veux avoüer ,
Ce que je suis , ce que je voudrois être ,
Te peindre ici mon ame et te faire connoître ,
Celui que tu daignas loüer.
'Apollon présidoit au jour qui m'avu naître;
J'aurai vudans trois ans passer quarante hyvers.
Au sortir du Berceau j'ai bégayé des Vers.
Bien tôt ce Dieu puissant m'ouvrit son Sanc ruaire ;
Mon cœur vaincu par lui fut soumis à sa Loi.
D'autres ont fait des Vers par le desir d'en faire ;
Je fus Poëte malgré moi.
Tous les goûts à la fois sont entrez dans mon ame ;
Tout Art à mon hommage, et tout plaisir m'en- flamme ;
La Peinture me charme; On me voit quelquefois
Au
SEPTEMBRE. 1732. 1889
Au Palais de Philippe , ou dans celui des Rois ,
Sous les efforts de l'Art , admirer la Nature.
Du brillant Cagliari , * saisir l'Esprit divin ,
Et devorer des yeux la touche noble et sûre ,
De Raphaël et du Poussin.
De ces Apartemens qu'anime la Peinture ,
Sur les pas du Plaisir je vole à l'Opera ;
J'applaudis tout ce qui me touche :
La fertilité de Campra ,
La gayeté de Mouret , les graces de Destouches.
Pelissier par son Art , le Maure par sa voix.
L'agile Camargo, Sallé l'Enchanteresse ,
Cette austere Sallé faite pour la tendresse ,
Tour à tour ont mes vœux, et suspendent mon
choix.
Quelquefois embrassant la science hardie ,
Que la curiosité ,
Honora par vanité ,
Du nom de Philosophie ,
Je cours après Newton dans l'abîme des Cieux.
Je veux voir si des nuits la courriere inégale ,
Par le pouvoir changeant d'une force centrale ,
Paul Veronese.
A iij En
1890 MERCURE DE FRANCE
En gravitant vers nous s'approche de nos yeux ,
Et pese d'autant plus qu'elle est près de ces lieux
Dans les limites d'une ovale.
J'en entends raisonner les plus profonds esprits ;
Je les vois qui des Cieux franchissent l'intervale ,
Et je vois avec eux que je n'ai rien compris.
De ces obscuritez je passe à la morale ;.
Je'lis au cœur de l'homme, et souvent j'en rougis
J'examine avec soin les informes Ecrits ,
Les monumens épars et le stile énergique ,
De ce fameux Pascal , ce dévot satyrique.
Je vois ce rare esprit trop prompt à s'eflammer.
Je combats ses rigueurs extrêmes,
Il enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes ;
Je voudrois, s'il se peut, leur apprendre à s'aimer..
Ainsi mes jours égaux , que les Muses remplis- sent ,
Sans soins , sans passions, sans préjugez fâcheux ,
Commencent avec joye , et vivement finissent ,
Par des soupers délicieux .
L'amour dans mes plaisirs ne mêle plus ses peines ;
J'ai quitté prudemment ce Dieu qui m'a quitté.
J'ai passé l'heureux temps fait pour la volupté .
*Les Pensées de M. Pascal.
Il
SEPTEMBRE. 7732. 18 ) F
Il est donc vrai , grands Dieux , il ne faut plus
que j'aime !
La foule des beaux Arts dont je veux tour à tour,
Remplir le vuide de moi- même ,
N'est point encor assez pour remplacer l'Amour
Je fais ce que je puis , hélas ! pour être sage ,
Pour amuser ma liberté ;
Mais si quelque jeune Beauté
Empruntant ta vivacité ,
Me parloit ton charmant langage
Je rentrerois bien- tôt dans ma captivité.
A Paris ce 15. Août 1732