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1
p. 148-169
EXTRAIT DE L'ANGLOIS A BORDEAUX.
Début :
Représenté pour la premiere fois par les Comédiens François, le 4 Mars 1763. [...]
Mots clefs :
Valet, Marquise , Anglais, Combat, Fierté, Maître
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT DE L'ANGLOIS A BORDEAUX.
M. Malé.
La Marquife de FLORICOURT , 1
Soeur de DARMANT , Mlle Dangeville.
Mylord BRUMTON , M. Belcour.
CLARICE , Fille du Mylord, Mlle Huff.
ROBINSON , Valet du Mylord ,
M. Armand.
SUDMER , riche Négociant Anglois, M.Préville.
La Scène eft à Bordeaux , dans la Maiſon
de Darmant.
MYLORD BRUMTON s'embarque à
Dublin pour aller à Londres avec
CLARICE fa fille , il tranſporte avec lui
la plus grande partie de fa fortune :
fon Vaiffeau eft attaqué par une Fré- +
AVRIL 1763. 149
E
gate Françoife commandée par DARMANT.
Après un combat très -vif , le
Vaiffeau Anglois coule à fonds ; on n'a
que le temps de fauver les gens de
1'Equipage qui font conduits à Bordeaux.
Le Mylord & fa fille font logés
chez DARMANT , qui employe tous les
moyens poffibles pour adoucir le fort
de fes prifonniers ; mais BRUMTON ne
veut accepter aucuns fecours .
Tous ces détails font exposés dans
la prémiere Scène entre DARMANT &
la Marquife de FLORICOURT,
L'Officier François fe plaint à fa
foeur , de la fierté fuperbe & dédaigneufe
du Mylord qui aime mieux expofer
fa fille aux befoins que d'accepter
un bienfait des mains d'un ennemi.
Mais mon frere , dit la Marquife , en
cherchant à rendre fervice au Mylord ,
ne fongeriez - vous point à fa fille ?
Cette Angloife eft charmante. DARMANT
avoue qu'il adore CLARICE ;
mais il veut qu'elle l'ignore.
,, L'amour dégraderoit la générofité.
LA MARQUISE
5
Qui vous fait donc agir ?
DARMA N. T.
L'humanité.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
La Marquife fe moque de fa difcré
tion , elle lui confeille de fe déclarer à
Clarice & de faire enforte de gagner
la bienveillance du Mylord.
» Devenez fon ami.
DARMANT.
" Mes foins font fuperflus ;
>>Ses principes outrés d'honneur patriotique ,
» Sa façon de penfer qu'il croit philofophique ,
» Sa haine contre les François ;
>> Tout met une barrière entre nous pour jamais.
POLA MARQUISE.
>> Je prétens la brifer , j'entreprens le Mylord ,
» Nous verrons donc ce Philofophe ,
» Et s'il veut raiſonner ; c'eſt moi qui l'apostrophe.
» Cependant obligez le Mylord en filence
» Et cherchez des moyens fecrets.....
ל כ
DARMANT.
>>J'ai déja commencé ; mais n'en parlez jamais ,
D'un bienfait divulgué, l'amour-propre s'offenfe,
>> Le Valet Robinſon eſt dans mes intérêts ;
» Par fon moyen , fon Maître a touché quelques
>> fommes.
AVRIL. 1763 151
Sous le nom fuppofé d'un Patriote Anglois.
LA MARQUISE.
»Voilà comme il faudroit toujours tromper les
» hommes.
Robinson paroît :
LA MARQUISE.
Que fait ton Maître ?
ROBINSON.
Il penſe ,
DARMAN T.
Et Clarice ,
ROBINSON.
Soupire.
DARMANT demande à ROBINSON
ce que le Mylord penſe de la lettre de
change qu'il lui a fait parvenir ; le valet
lui répond que fon Maître n'a aucun
foupçon à cet égard , & qu'il croit que
le bienfait vient de SUDMER à qui il a
promis fa fille . ROBINSON ajoute : mon :
Maître
>> Convaincu qu'il lui doit ce fervice
Hâtera le moment de lui donner Clarice.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
DARMANT.
» Clarice à Sudmer ?
ROBINSON.
» Oui.
DARMANT.
» Va-t-en.
ROBINSON fe retire ; c'eft par ces
mots que l'intérêt de la Pièce s'établit
& que fe forme le noeud.
La Marquife encourage fon frère.
CLARICE paroît ; elle vient prier Madame
de FLORICOURT de tirer fon père
de la profonde mélancolie où il eft
plongé ......
Il vous a entendu
(continue Clarice).
>> Jouer au Clavecin un concerto d'Indel ;
» Notre Mufique Angloiſe éxcite ſes tranſports
» Pour la premiere fois je vois ici , Madame ,
Le plaifir dans fes yeux & le jour dans ſon âme
DARMAN T.
» Ma foeur , ma foeur , courez au Clavecin .
La Marquife fait connoître qu'elle a
AVRIL. ་
153 1763 .
un autre projet ; elle quitte la Scène.
CLARICE veut rentrer ; DARMANT
l'arrête. Ils ont enſemble un entretien
qui développe l'intérêt. L'un & l'autre
épris de l'amour le plus tendre , diffimulent
leurs fentimens & font tous leurs
éfforts pour fe cacher les mouvemens de
leurs coeurs . Cette fcène filée n'eft point
fufceptible d'un extrait , parce qu'elle
dépend des gradations & des nuances; on
citera feulement ces vers qui la terminent
, & dits fupérieurement par M.
'MOLÉ.
> Le coeur reconnoît- il un Pays différent ?
C'eſt la diverfité des moeurs, des caractères,
Qui fit imaginer chaque Gouvernement.
>> Les Loix font des freins falutaires
» Qu'il faut varier prudemment ,
Suivant chaque climat , chaque tempérament ;
» Ce font des régles néceffaires ,
&
>
Pour que l'on puiffe adopter librement
→ Dės vertus même involontaires.
» Mais ce qui tient au Sentiment ,
N'a dans tous les Pays qu'une Loi , qu'un lan
" gage :
» Tous les hommes également .
» S'accordent pour en faire usage.
François , Anglois , Efpagnol , Allemand
Vont au- devant du noeud que le coeur leur
Gy
t
» dénote ,
154 MERCURE DE FRANCE.
>> Ils font tous confondus par ce lien charmant
» Et quand on eſt ſenſible , on eſt compatriote
>> Malheur à ceux qui penſent autrement ;
>> Une âme féche , une âme dure
» Devroit rentrer dans le néant:
» C'eſt aller contre l'ordre. Un Etre indifférent
>> Eft une erreur de la Nature.
DARMANT fe retire à la vue de
ERUMTON ; ce Mylord eft furieux de
ne voir que des jeux , jeux , de n'entendre que
des ris , des férénades , & d'être étourdi
de chanteurs qui avec leurs maudits tam-.
bourins paffent inceffamment exprès
fous fes fenêtres , pour le troubler dans
fes ennuis.
» Tandis
que la Difcorde en cent climats divers
» De tant d'infortunés écrafe les afyles ,
» Le François chante , on ne voit dans fes Villes
Que feftins , jeux , bals & concerts.
» Quel Dieu le fait jouir de ces deftins tranquilles
Dans lefein de la guerre il goûre le repos.
→ Sans peines , fans befoins & libre fous un Maître
» Le François eft heureux & l'Anglois cherche à
» l'être.
CLARICE.
20. Vous pouvez l'être auffi.
AVRIL 1763. 155
BRUMTON fait rentrer fa fille ; il:
gémit de fe voir retenu chez un peuple
frivole ; il fe précipite dans un fauteuil
& porte les yeux de tous côtés.
>>Tout ne préfente ici qu'un luxe ridicule.
( Il arrête fes regards fur une Horloge : .)
>>Quoi l'art a décoré jufqu'à cette pendule ?:
>> On couronne de fleurs l'interprête du temps ,
» Qui diviſe nos jours & marque nos inftans !
>>Tandis que triftement ce globe qui balance
>> Me fait compter les pas de la mort qui s'avance.
>>Le François entraîné par de légers defirs-
» Ne voit fur ce cadran qu'un cercle de plaifirs.
On tire le Mylord de fes réfléxions ,
en lui apportant de l'argent : BRUMTON
relit la lettre attribuée à SUDMER .
Mylord , je vous envoye une lettre de
change, &c.
Après en avoir fait la lecture , le Mylord
forme le deffein de ne plus demeurer
chez DARMANT. Il charge
fon valet d'aller lui chercher un autre
logement.
5. Pour vivre feuls dans l'ombre & le filénce.
La Marquife paroit , Brumton veutfe retirer
elle l'arrête :
G.vj
156 MERCURE DE FRANCE.
» En qualité d'homme qui penſe ,
» Je ne crois pas que Monfieur fe difpenfe
›› D'éclairer ma raiſon , mon coeur & mon efprit.
» Vous êtes Philofophe , à ce que l'on m'a dit.
D
·
» Communiquez un peu votre ſcience.
LE MYLORD.
Je pense pour moi feul.
LA MARQUISE. ·
» Ah ! quelle inconſéquence i
En vain le Sage réfléchit ,
Si la fociété n'en tire aucun profit ;
>>On doit la cultiver pour elle, pour foi- même.
Eh ! laiffez -là vos fonges creux ;
>> La meilleure morale eft de fe rendre heureux,
>>On ne peut l'être feul avec votre.ſyſtême ,
» Mon inftin &t me le dit & mon coeur encor
>> mieux !
>>La chaîne des befoins rapproche tous les hom
> mes ;
» Le lien du plaifir les unit encor plus.
>> Ces noeuds fi doux pour vous font-ils rompus?
>> Pour être heureux, fayez ce que nous fommes,
LE MYLOR D.
Connoiffez mieux l'Anglois ,Madame, ſon génie
Le porte à de plus grands objets.
AVRIL. 1763. 157
Politique profond , occupé de projets,
Il prétend à l'honneur d'éclairer fa patrie.
» Le moindre Citoyen , attentif à fes droits ,
Voit les papiers publics , & régit l'Angleterre ;
Du Parlement compte les voix ,
>>Juge de l'équité des Loix ,
Prononce librement fur la paix ou la guerre ,
» Peſe les intérêts des Rois ,
Et du fond d'un Caffé leur meſure la terre.
LA MARQUISE.
Jouiffez comme nous.
LE MYLORD.
Mais d'un fi doux lonfir
Quel eft le fruit ?
LA MARQUISE
Le plaifir.
LE MYLORD.
Le plaifir
LA MARQUISE
Je parois ridicule à vos yeux , je le voi.
Mais tout confidéré , quel eft le ridicule ?
Sous des traits différens dans le monde il ci-
>> cule.
Mais au fond, quel eft-il une convention ,
158 MERCURE DE FRANCE.
» Un phantôme idéal , une prévention.
Il n'éxifta jamais aux yeux d'un homme fages
Se variant au gré de chaque Nation ,
» Le ridicule appartient à l'ufage :
L'uſage eft pour les moeurs , les habits , le lan
22
gage .
» Mais je ne vois point les rapports--
»Qu'il peut avoir avec notre âme ;
» L'homme eft homme par -tout : fi la vertu l'en
» flamme ,
» C'eſt mon héros , je laiffe les dehors.
>> Quoi ! toujours notre efprit fantafque
»Ne jugera jamais l'homme que fur le maſque
Nous avons des défauts, chaque Peuple a les fiens.
»Pourquoi s'attacher à des riens?
» Eh ! oui , des riens , des miſéres , vous dis- je ,
Sa Qui ne méritent pas d'exciter votre humeur ;
»C'eſt d'un vice réel qu'il faut qu'on fe corrige :
>>Les écarts de l'efſprit ne font pas ceux du coeur.
BRUMTON eft frappé des lumières
philofophiques qui percent à travers le
tourbillon de la gaîté.
La Marquife dit du bien des Anglois
.
> Comment donc vous penſez &
~fs'écrie Brumton , enfaififfant la main de la Mare
quife. )
Ah ! vous mefédujrjez & vous étiez Angloiſes
AVRIL, 1763. 159
Madame de FLORICOURT qui con
noît dans ce moment tous les avantages
qu'elle a fur le Mylord , va plus loin ;
elle veut l'engager à figurer dans un
ballet. BRUMTON eft indigné de la
propofition ; la Marquife lui replique
vivement.
>> Et pourquoi chercher des raifons
» Pour nourrir chaque jour votre milanthropie
» Vous pensez , & nous jouiſſons :
Laiffez-là , croyez - moi , votre Philofophie ,
Elle donne le fpléne , elle endurcit les coeurs
» Notre gaîté que vous nommez folie ,
» Nuance notre efprit de riantes couleurs
» Par un charme qui fe varie ,
Elle orne la Raifon , elle adoucit les moeurs
»C'eſt un printemps qui fait naître les fleurs
» Sur les épines de la vie.
Madame de FLORICOURT quitte
BRUMTON en ne lui donnant qu'un
moment pour fe déterminer. Mylord
refté feul , fe reproche d'avoir marqué
trop d'aigreur à la Marquife ; car malgréfon
inconféquence , dit- il ,
» Je m'apperçois qu'elle a bon coeur ,
» Et fans qu'elle y fonge elle penfe.
44
» Allons , allons , Mylord , il faut quetu t'apaiſes,
160 MERCURE DE FRANCE.
Fais effort fur toi- même & pardonne aux Fran
çoiſes ;
t
On peut s'y faire....
DARMANT s'avance , il annonce au
Mylord que l'on va renvoyer des prifonniers
Anglois pour pareil nombre
de François , & qu'il l'a fait comprendre
dans l'échange. Qui vous en a prié ?
dit BRUMTON ; je ne veux rien devoir
qu'à ma Nation. J'ai fait des dépêches
pour Londres ; je trouverai fans vous la
fin de mes malheurs . DARMANT remarque
un nouvel accès d'humeur dans
BRUMTON.
DARMANT.
Ah ! je vois ce que c'eft : vous avez vû ma ſoeur
Ses airs évaporés & la tête légére....
MYLORD , à part.
» Veut-il interroger mon coeur ?
DAR MANT.
Oui je conçois qu'elle a pu vous déplaire.
LE MYLORD.
A quoi bon votre foeur ? je l'excufſe aiſément.
a Elle eft femme.
1
AVRIL. 1763. 160
DARMANT.
Son caractere...
LE MYLORD.
M'en fuis-je plaint ?
DARMAN T.
Non , poliment.
LE MY LORD.
Je ne fais point poli.
DARMANT.
Scachez que fon fyftême
»Eftde vous confoler,de vous rendre àvous-même,
»Si je ne l'arrêtois , Monfieur , journellement
Vous feriez obfédé.
LE MYLORD.
Monfieur , laiffez-la faire.
•
DARMANT demande à BRUMTON
fon amitié ou du moins fon eftime. Le
Mylord repart.
» Eh ! malgré moi , Monfieur , vous avez mos
» eſtime ; &c.
162 MERCURE DE FRANCE .
On annonce un Anglois ; c'eft SUDMER
; il fe précipite dans les bras du
Mylord , il fe retourne vers DARMANT ,
il le reconnoît pour fon bienfaiteur.
DARMANT n'a aucune idée d'avoir vu
SUDMER . Celui-ci lui dit :
>>>Je ſuis affez heureux moi ,pour vous reconnoître .
» Rappellez-vous que je vous dois la vie.
>>Vous changeâtes pour moi la fortune ennemies
( Portant la main fur fon coeur:)
» Voilà le livre où font écrits tous les bienfaits.
>>Vous êtes mon ami , du moins je fuis le vôtre
» C'eſt par vos procédés que vous m'avez lié :
›› Je m'en fouviens , vous l'avez oublié ,
as Nous faiſons notre charge en cela l'un & l'autre,
Il raconte les obligations qu'il a a
DARMANT. BRUMTON reproche à
SUDMER l'accueil qu'il fait au François.
Vous n'êtes pas Anglois,
SUDMER.
Je fuis plus ; je fuis homme.
Qu'avez-vous contre lui ? cette froideur m'af
>>fomme ;
Efclave né d'un goût national ,
AVRIL. 1763. 163
"
» Vous êtes toujours partial !
N'admettez plus des maximes contraires ,
Et comme moi voyez d'un oeil égal , ""
" Tous les hommes qui font vos frères.
J'ai détesté toujours un préjugé fatal.
,, Quoi ! parce qu'on habite un autre coin de terre
‚ Il faut ſe déchirer & ſe faire la guerre.
" Tendons tous au bien général ;
5, Crois- moi , Mylord , j'ai parcouru le monde ,
Je ne connois fur la machine ronde
» Rien que deux Peuples différens §.
Sçavoir les hommes bons & les hommes mé→
,, chans.
,,Je trouve par- tout ma patrie
Oùje trouve d'honnêtes gens
,, En Cochinchine , en Barbarie ,
,, Chez les Sauvages mêmes ; &c.
SUDMER invite DARMANT à être
de fa nôce ; BRUMTON fe retire pour
aller avertir fa fille de l'arrivée de
SUDMER. DARMANT ne peut cacher
fon trouble ; SUDMER le foupçonne
d'être fon rival: il veut s'en éclaircir.
DARMANT le quitte .
CLARICE paroît avec fon père ;
SUDMER la trouve charmante ; il lui
demande s'il aura le bonheur d'en être
aimé ; la réponſe de CLARICE donne
encore lieu à des foupçons. BRUMTON
164 MERCURE DE FRANCE.
répond pour fa fille. Je fçais , dit-il ,
comme ma fille penfe , & la reconnoiffance
qu'elle fent comme moi de vos
rares bienfaits , doit l'attacher à vous tendrement.
Quels font ces bienfaits ? re-:
plique SUDMER. Le Mylord lui montre
la lettre qu'il a reçue de fa part ; le Négociant
n'y comprend rien.
Je fais dans un courroux extrême , dit-il, )
Comment , quelqu'an a pris mon nom ,
Pour faire une bonne aЯtion
Que j'aurois pû faire moi-même ?
Il fort pour aller demander des éclairciffemens
au Banquier qui a payé la
lettre de change.
Dans la Scène fuivante le Mylord interroge
fa fille fur les difpofitions de
fon coeur ; elle lui répond avec une franchife
Angloife , qu'elle eft prête à obéir
à fon père ; mais qu'elle n'a pu fe défendre
d'aimer DARMANT. Le Mylord
eft frappé d'étonnement : fa fille le
raffure en lui difant que rien n'a fait
connoître fes fentimens à l'Officier François
, & qu'elle ignore de même les
fiens.
SUDMER arrive ; il n'a pû rien fçavoir
du Banquier. On appelle ROBINAVRIL.
1763. 169
SON ; ce valet forcé par des menaces
de découvrir la vérité , déclare que DARMANT
eft l'auteur des bienfaits que le
Mylord a reçus
"2
LE MYLORD.
O Ciel ! aimeroit-il ma fille ?
ROBINSON.
, Oh ! non , Mylord , iln'oferoit
C'est générosité toute pure.....
Le Mylord demande à CLARICE £
elle eft inftruite ; elle protefte que non.
La Marquife arrive ; fon frère la fuit.
Elle annonce que la paix eft ratifiée &
fait une peinture très-vive de la joie
publique. BRUMTON dit à DARMANT.
Nos Nations font réconciliées .
Par vos traits généreux vous m'avez corrigé,
Et l'amitié furmonte enfin le préjugé :
Que par cette amitié nos maiſons foient liées.
,,Pour vous marquer combien vous m'êtes cher,
Vous fignerez le Contrat de ma fille ""
,, Que dès ce ſoir je marie à Sudmer.
DARMANT eft confterné. La Marquife
rit ; le Mylord en demande la
raiſon; ta Marquise découvre l'amour de
166 MERCURE DE FRANCE .
fon frère pour CLARICE. SUDMER dit
à BRUMTON qu'il pourroit faire une
fottife d'époufer fa fille ; il ajoute :
"
""
Mon rival doit au fond avoir la préférence ,
Sous mon nom il a fçu faifir l'occafion
› D'avoir pour vous ,Mylord , un procédé fort bont
Si je deviens le mari de Clarice ; ""
,, Il eft homme peut-être à rendre encor fervices
„, Je ſuis accoutumé d'être ſon prête-nom .
Le Mylord donne fa fille à DARMANT
& lui- même épouſe la Marquiſe.
SUDMER applaudit à cette double al
liance & dit au François.
,,Daignez , mon cher Darmant , en cette circon .
,, ftance ,
,, Me foulager du poids de la reconnoiffance :
,,Jefens queje fuis vieux,je me vois de grands biens,
Je n'ai point d'héritiers ; foyez tous deux les
"
""
miens....
Point de remerciment , ce feroit une offenfe.
,, Si je vous fçais heureux , mes amis , c'eſt affez ,
C'est vous , c'est vous qui me récompenfez.
La Marquife termine la Pièce
"
quatre vers fuivans.
39
par
les
Lecourage & l'honneur rapprochent les pays,
,,Et deux Peuples égaux en vertus , en lumières,,
De leurs divifions renverfent les barrières
"> Pour demeure toujours amis.
AVRIL. 1763. 167
OBSERVATIONS SUR L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Il ne nous refte que peu de chofes à ajouter
à ce que nous avons dit fur cette Piéce dans le
précédent Mercure , auquel nous prions les Lecteurs
de vouloir bien permettre que nous les
renvoyons.
Tout le monde conçoit aifément ce que doit
être un Drame fait & conftruit pour une circonftance
à laquelle , action , intrigue , carac
tères , fituations , jeu de Théâtre , & furtout le
dénoûment doivent ſe rapporter. On peut donc
fentir par la difficulté de l'ouvrage , le prix de
l'intelligence & de l'art qui regnent dans celleci
; puifqu'en y faifant la plus légére attention ,
on apperçoit que cette Comédie fans éprouver
beaucoup de changemens , & fans aucun renverfement
de conftruction ni dans le fond ni dans
les détails , deviendra une Comédie de tous les
temps , & une Comédie toujours agréable.
On fe difpenfera de répondre à ceux qui ju
geroient le caractère du Mylord trop obstinément
mifanthrope. Il y a dans la conſtitution du
Drame & dans la néceflité des contraſtes , dequoi
juftifier à cet égard la touche un peu forte de ce
caractère. On doit fe prêter aux difficultés de
l'art pour nuancer le fond d'un caractère national
, de manière à produire par les conféquences
des mêmes principes , des fentimens , une humeur
& une conduite auffi oppofés qu'on les voit
à tous momens entre Sudmer & ce Mylord . L'ef168
MERCURE DE FRANCE .
fet qui en réſulte eft fans contredit affez agréable
pour ne pas s'attacher à en critiquer fcrupuleufement
les moyens , d'autant qu'ils ne préfentent
rien de forcé au premier afpect .
Les détails du rôle de la Marquife le rour
agréable de fa Philofophie , ce qu'il prêtoit au
plaifir de voir & d'entendre plus longtemps Mlle
Dangeville , l'objet de regrets fi juftes & fi vivement
fentis par le Spectateur, tout devoit nous
empêcher d'examiner s'il n'y auroit pas eu quelques
moyens de rendre les progrès de la conquê
te fur le Mylord un peu plus fenfibles dans leur
gradation.
Nous avons déja parlé précédemment du coloris
de cette Piéce. Aujourd'hui que nous venons
d'en mettre une partie fous les yeux du Public ,
ce feroit faire tort à l'Auteur , que de prévenir
les éloges qu'il recevra de chaque Lecteur ,
éloges plus fateurs pour lui que ceux que nous
répéterions ici.
Les Comédiens François ont fait l'ouverture
de leur Théâtre,Lundi 11 Avril,
par Sémiramis , Tragédie de M. DE
VOLTAIRE & le Somnambule.
Nous ne pouvons plus nous diffimuler
, ni au Public , la perte que nous
avions différé de conftater. Toutes les
follicitations , les offres les plus avantageufes
& les plus honorables , l'attrait
de fa propre gloire , attrait renouvellé
autant de fois que paroiffoit Mademoifelle
DANGEVILLE rien n'a pû la
détourner du projet annoncé de fa retraite,
,
AVRIL. 1763. 169
traite , malheureuſement trop indiſpen :
fa fanté.
fable
pour
Le Public , amateur du Théâtre , a eu
d'autres regrets à joindre à celui - ci , par
la perte de Mademoiſelle GAUSSIN.
M. DANGEVILE , frère de l'admirable
Actrice dont on ne peut fe confoler ,
vient auffi de fe retirer.
Le Compliment que M. DAUBERVAL
a prononcé à l'ouverture du Théàtre
, contenant le jufte tribut d'éloges
que nous nous propofions de payer
aux deux A&trices dont on vient de
parler nous allons le rapporter en
entier.
La Marquife de FLORICOURT , 1
Soeur de DARMANT , Mlle Dangeville.
Mylord BRUMTON , M. Belcour.
CLARICE , Fille du Mylord, Mlle Huff.
ROBINSON , Valet du Mylord ,
M. Armand.
SUDMER , riche Négociant Anglois, M.Préville.
La Scène eft à Bordeaux , dans la Maiſon
de Darmant.
MYLORD BRUMTON s'embarque à
Dublin pour aller à Londres avec
CLARICE fa fille , il tranſporte avec lui
la plus grande partie de fa fortune :
fon Vaiffeau eft attaqué par une Fré- +
AVRIL 1763. 149
E
gate Françoife commandée par DARMANT.
Après un combat très -vif , le
Vaiffeau Anglois coule à fonds ; on n'a
que le temps de fauver les gens de
1'Equipage qui font conduits à Bordeaux.
Le Mylord & fa fille font logés
chez DARMANT , qui employe tous les
moyens poffibles pour adoucir le fort
de fes prifonniers ; mais BRUMTON ne
veut accepter aucuns fecours .
Tous ces détails font exposés dans
la prémiere Scène entre DARMANT &
la Marquife de FLORICOURT,
L'Officier François fe plaint à fa
foeur , de la fierté fuperbe & dédaigneufe
du Mylord qui aime mieux expofer
fa fille aux befoins que d'accepter
un bienfait des mains d'un ennemi.
Mais mon frere , dit la Marquife , en
cherchant à rendre fervice au Mylord ,
ne fongeriez - vous point à fa fille ?
Cette Angloife eft charmante. DARMANT
avoue qu'il adore CLARICE ;
mais il veut qu'elle l'ignore.
,, L'amour dégraderoit la générofité.
LA MARQUISE
5
Qui vous fait donc agir ?
DARMA N. T.
L'humanité.
Giij
150 MERCURE DE FRANCE .
La Marquife fe moque de fa difcré
tion , elle lui confeille de fe déclarer à
Clarice & de faire enforte de gagner
la bienveillance du Mylord.
» Devenez fon ami.
DARMANT.
" Mes foins font fuperflus ;
>>Ses principes outrés d'honneur patriotique ,
» Sa façon de penfer qu'il croit philofophique ,
» Sa haine contre les François ;
>> Tout met une barrière entre nous pour jamais.
POLA MARQUISE.
>> Je prétens la brifer , j'entreprens le Mylord ,
» Nous verrons donc ce Philofophe ,
» Et s'il veut raiſonner ; c'eſt moi qui l'apostrophe.
» Cependant obligez le Mylord en filence
» Et cherchez des moyens fecrets.....
ל כ
DARMANT.
>>J'ai déja commencé ; mais n'en parlez jamais ,
D'un bienfait divulgué, l'amour-propre s'offenfe,
>> Le Valet Robinſon eſt dans mes intérêts ;
» Par fon moyen , fon Maître a touché quelques
>> fommes.
AVRIL. 1763 151
Sous le nom fuppofé d'un Patriote Anglois.
LA MARQUISE.
»Voilà comme il faudroit toujours tromper les
» hommes.
Robinson paroît :
LA MARQUISE.
Que fait ton Maître ?
ROBINSON.
Il penſe ,
DARMAN T.
Et Clarice ,
ROBINSON.
Soupire.
DARMANT demande à ROBINSON
ce que le Mylord penſe de la lettre de
change qu'il lui a fait parvenir ; le valet
lui répond que fon Maître n'a aucun
foupçon à cet égard , & qu'il croit que
le bienfait vient de SUDMER à qui il a
promis fa fille . ROBINSON ajoute : mon :
Maître
>> Convaincu qu'il lui doit ce fervice
Hâtera le moment de lui donner Clarice.
Giv
152 MERCURE DE FRANCE.
DARMANT.
» Clarice à Sudmer ?
ROBINSON.
» Oui.
DARMANT.
» Va-t-en.
ROBINSON fe retire ; c'eft par ces
mots que l'intérêt de la Pièce s'établit
& que fe forme le noeud.
La Marquife encourage fon frère.
CLARICE paroît ; elle vient prier Madame
de FLORICOURT de tirer fon père
de la profonde mélancolie où il eft
plongé ......
Il vous a entendu
(continue Clarice).
>> Jouer au Clavecin un concerto d'Indel ;
» Notre Mufique Angloiſe éxcite ſes tranſports
» Pour la premiere fois je vois ici , Madame ,
Le plaifir dans fes yeux & le jour dans ſon âme
DARMAN T.
» Ma foeur , ma foeur , courez au Clavecin .
La Marquife fait connoître qu'elle a
AVRIL. ་
153 1763 .
un autre projet ; elle quitte la Scène.
CLARICE veut rentrer ; DARMANT
l'arrête. Ils ont enſemble un entretien
qui développe l'intérêt. L'un & l'autre
épris de l'amour le plus tendre , diffimulent
leurs fentimens & font tous leurs
éfforts pour fe cacher les mouvemens de
leurs coeurs . Cette fcène filée n'eft point
fufceptible d'un extrait , parce qu'elle
dépend des gradations & des nuances; on
citera feulement ces vers qui la terminent
, & dits fupérieurement par M.
'MOLÉ.
> Le coeur reconnoît- il un Pays différent ?
C'eſt la diverfité des moeurs, des caractères,
Qui fit imaginer chaque Gouvernement.
>> Les Loix font des freins falutaires
» Qu'il faut varier prudemment ,
Suivant chaque climat , chaque tempérament ;
» Ce font des régles néceffaires ,
&
>
Pour que l'on puiffe adopter librement
→ Dės vertus même involontaires.
» Mais ce qui tient au Sentiment ,
N'a dans tous les Pays qu'une Loi , qu'un lan
" gage :
» Tous les hommes également .
» S'accordent pour en faire usage.
François , Anglois , Efpagnol , Allemand
Vont au- devant du noeud que le coeur leur
Gy
t
» dénote ,
154 MERCURE DE FRANCE.
>> Ils font tous confondus par ce lien charmant
» Et quand on eſt ſenſible , on eſt compatriote
>> Malheur à ceux qui penſent autrement ;
>> Une âme féche , une âme dure
» Devroit rentrer dans le néant:
» C'eſt aller contre l'ordre. Un Etre indifférent
>> Eft une erreur de la Nature.
DARMANT fe retire à la vue de
ERUMTON ; ce Mylord eft furieux de
ne voir que des jeux , jeux , de n'entendre que
des ris , des férénades , & d'être étourdi
de chanteurs qui avec leurs maudits tam-.
bourins paffent inceffamment exprès
fous fes fenêtres , pour le troubler dans
fes ennuis.
» Tandis
que la Difcorde en cent climats divers
» De tant d'infortunés écrafe les afyles ,
» Le François chante , on ne voit dans fes Villes
Que feftins , jeux , bals & concerts.
» Quel Dieu le fait jouir de ces deftins tranquilles
Dans lefein de la guerre il goûre le repos.
→ Sans peines , fans befoins & libre fous un Maître
» Le François eft heureux & l'Anglois cherche à
» l'être.
CLARICE.
20. Vous pouvez l'être auffi.
AVRIL 1763. 155
BRUMTON fait rentrer fa fille ; il:
gémit de fe voir retenu chez un peuple
frivole ; il fe précipite dans un fauteuil
& porte les yeux de tous côtés.
>>Tout ne préfente ici qu'un luxe ridicule.
( Il arrête fes regards fur une Horloge : .)
>>Quoi l'art a décoré jufqu'à cette pendule ?:
>> On couronne de fleurs l'interprête du temps ,
» Qui diviſe nos jours & marque nos inftans !
>>Tandis que triftement ce globe qui balance
>> Me fait compter les pas de la mort qui s'avance.
>>Le François entraîné par de légers defirs-
» Ne voit fur ce cadran qu'un cercle de plaifirs.
On tire le Mylord de fes réfléxions ,
en lui apportant de l'argent : BRUMTON
relit la lettre attribuée à SUDMER .
Mylord , je vous envoye une lettre de
change, &c.
Après en avoir fait la lecture , le Mylord
forme le deffein de ne plus demeurer
chez DARMANT. Il charge
fon valet d'aller lui chercher un autre
logement.
5. Pour vivre feuls dans l'ombre & le filénce.
La Marquife paroit , Brumton veutfe retirer
elle l'arrête :
G.vj
156 MERCURE DE FRANCE.
» En qualité d'homme qui penſe ,
» Je ne crois pas que Monfieur fe difpenfe
›› D'éclairer ma raiſon , mon coeur & mon efprit.
» Vous êtes Philofophe , à ce que l'on m'a dit.
D
·
» Communiquez un peu votre ſcience.
LE MYLORD.
Je pense pour moi feul.
LA MARQUISE. ·
» Ah ! quelle inconſéquence i
En vain le Sage réfléchit ,
Si la fociété n'en tire aucun profit ;
>>On doit la cultiver pour elle, pour foi- même.
Eh ! laiffez -là vos fonges creux ;
>> La meilleure morale eft de fe rendre heureux,
>>On ne peut l'être feul avec votre.ſyſtême ,
» Mon inftin &t me le dit & mon coeur encor
>> mieux !
>>La chaîne des befoins rapproche tous les hom
> mes ;
» Le lien du plaifir les unit encor plus.
>> Ces noeuds fi doux pour vous font-ils rompus?
>> Pour être heureux, fayez ce que nous fommes,
LE MYLOR D.
Connoiffez mieux l'Anglois ,Madame, ſon génie
Le porte à de plus grands objets.
AVRIL. 1763. 157
Politique profond , occupé de projets,
Il prétend à l'honneur d'éclairer fa patrie.
» Le moindre Citoyen , attentif à fes droits ,
Voit les papiers publics , & régit l'Angleterre ;
Du Parlement compte les voix ,
>>Juge de l'équité des Loix ,
Prononce librement fur la paix ou la guerre ,
» Peſe les intérêts des Rois ,
Et du fond d'un Caffé leur meſure la terre.
LA MARQUISE.
Jouiffez comme nous.
LE MYLORD.
Mais d'un fi doux lonfir
Quel eft le fruit ?
LA MARQUISE
Le plaifir.
LE MYLORD.
Le plaifir
LA MARQUISE
Je parois ridicule à vos yeux , je le voi.
Mais tout confidéré , quel eft le ridicule ?
Sous des traits différens dans le monde il ci-
>> cule.
Mais au fond, quel eft-il une convention ,
158 MERCURE DE FRANCE.
» Un phantôme idéal , une prévention.
Il n'éxifta jamais aux yeux d'un homme fages
Se variant au gré de chaque Nation ,
» Le ridicule appartient à l'ufage :
L'uſage eft pour les moeurs , les habits , le lan
22
gage .
» Mais je ne vois point les rapports--
»Qu'il peut avoir avec notre âme ;
» L'homme eft homme par -tout : fi la vertu l'en
» flamme ,
» C'eſt mon héros , je laiffe les dehors.
>> Quoi ! toujours notre efprit fantafque
»Ne jugera jamais l'homme que fur le maſque
Nous avons des défauts, chaque Peuple a les fiens.
»Pourquoi s'attacher à des riens?
» Eh ! oui , des riens , des miſéres , vous dis- je ,
Sa Qui ne méritent pas d'exciter votre humeur ;
»C'eſt d'un vice réel qu'il faut qu'on fe corrige :
>>Les écarts de l'efſprit ne font pas ceux du coeur.
BRUMTON eft frappé des lumières
philofophiques qui percent à travers le
tourbillon de la gaîté.
La Marquife dit du bien des Anglois
.
> Comment donc vous penſez &
~fs'écrie Brumton , enfaififfant la main de la Mare
quife. )
Ah ! vous mefédujrjez & vous étiez Angloiſes
AVRIL, 1763. 159
Madame de FLORICOURT qui con
noît dans ce moment tous les avantages
qu'elle a fur le Mylord , va plus loin ;
elle veut l'engager à figurer dans un
ballet. BRUMTON eft indigné de la
propofition ; la Marquife lui replique
vivement.
>> Et pourquoi chercher des raifons
» Pour nourrir chaque jour votre milanthropie
» Vous pensez , & nous jouiſſons :
Laiffez-là , croyez - moi , votre Philofophie ,
Elle donne le fpléne , elle endurcit les coeurs
» Notre gaîté que vous nommez folie ,
» Nuance notre efprit de riantes couleurs
» Par un charme qui fe varie ,
Elle orne la Raifon , elle adoucit les moeurs
»C'eſt un printemps qui fait naître les fleurs
» Sur les épines de la vie.
Madame de FLORICOURT quitte
BRUMTON en ne lui donnant qu'un
moment pour fe déterminer. Mylord
refté feul , fe reproche d'avoir marqué
trop d'aigreur à la Marquife ; car malgréfon
inconféquence , dit- il ,
» Je m'apperçois qu'elle a bon coeur ,
» Et fans qu'elle y fonge elle penfe.
44
» Allons , allons , Mylord , il faut quetu t'apaiſes,
160 MERCURE DE FRANCE.
Fais effort fur toi- même & pardonne aux Fran
çoiſes ;
t
On peut s'y faire....
DARMANT s'avance , il annonce au
Mylord que l'on va renvoyer des prifonniers
Anglois pour pareil nombre
de François , & qu'il l'a fait comprendre
dans l'échange. Qui vous en a prié ?
dit BRUMTON ; je ne veux rien devoir
qu'à ma Nation. J'ai fait des dépêches
pour Londres ; je trouverai fans vous la
fin de mes malheurs . DARMANT remarque
un nouvel accès d'humeur dans
BRUMTON.
DARMANT.
Ah ! je vois ce que c'eft : vous avez vû ma ſoeur
Ses airs évaporés & la tête légére....
MYLORD , à part.
» Veut-il interroger mon coeur ?
DAR MANT.
Oui je conçois qu'elle a pu vous déplaire.
LE MYLORD.
A quoi bon votre foeur ? je l'excufſe aiſément.
a Elle eft femme.
1
AVRIL. 1763. 160
DARMANT.
Son caractere...
LE MYLORD.
M'en fuis-je plaint ?
DARMAN T.
Non , poliment.
LE MY LORD.
Je ne fais point poli.
DARMANT.
Scachez que fon fyftême
»Eftde vous confoler,de vous rendre àvous-même,
»Si je ne l'arrêtois , Monfieur , journellement
Vous feriez obfédé.
LE MYLORD.
Monfieur , laiffez-la faire.
•
DARMANT demande à BRUMTON
fon amitié ou du moins fon eftime. Le
Mylord repart.
» Eh ! malgré moi , Monfieur , vous avez mos
» eſtime ; &c.
162 MERCURE DE FRANCE .
On annonce un Anglois ; c'eft SUDMER
; il fe précipite dans les bras du
Mylord , il fe retourne vers DARMANT ,
il le reconnoît pour fon bienfaiteur.
DARMANT n'a aucune idée d'avoir vu
SUDMER . Celui-ci lui dit :
>>>Je ſuis affez heureux moi ,pour vous reconnoître .
» Rappellez-vous que je vous dois la vie.
>>Vous changeâtes pour moi la fortune ennemies
( Portant la main fur fon coeur:)
» Voilà le livre où font écrits tous les bienfaits.
>>Vous êtes mon ami , du moins je fuis le vôtre
» C'eſt par vos procédés que vous m'avez lié :
›› Je m'en fouviens , vous l'avez oublié ,
as Nous faiſons notre charge en cela l'un & l'autre,
Il raconte les obligations qu'il a a
DARMANT. BRUMTON reproche à
SUDMER l'accueil qu'il fait au François.
Vous n'êtes pas Anglois,
SUDMER.
Je fuis plus ; je fuis homme.
Qu'avez-vous contre lui ? cette froideur m'af
>>fomme ;
Efclave né d'un goût national ,
AVRIL. 1763. 163
"
» Vous êtes toujours partial !
N'admettez plus des maximes contraires ,
Et comme moi voyez d'un oeil égal , ""
" Tous les hommes qui font vos frères.
J'ai détesté toujours un préjugé fatal.
,, Quoi ! parce qu'on habite un autre coin de terre
‚ Il faut ſe déchirer & ſe faire la guerre.
" Tendons tous au bien général ;
5, Crois- moi , Mylord , j'ai parcouru le monde ,
Je ne connois fur la machine ronde
» Rien que deux Peuples différens §.
Sçavoir les hommes bons & les hommes mé→
,, chans.
,,Je trouve par- tout ma patrie
Oùje trouve d'honnêtes gens
,, En Cochinchine , en Barbarie ,
,, Chez les Sauvages mêmes ; &c.
SUDMER invite DARMANT à être
de fa nôce ; BRUMTON fe retire pour
aller avertir fa fille de l'arrivée de
SUDMER. DARMANT ne peut cacher
fon trouble ; SUDMER le foupçonne
d'être fon rival: il veut s'en éclaircir.
DARMANT le quitte .
CLARICE paroît avec fon père ;
SUDMER la trouve charmante ; il lui
demande s'il aura le bonheur d'en être
aimé ; la réponſe de CLARICE donne
encore lieu à des foupçons. BRUMTON
164 MERCURE DE FRANCE.
répond pour fa fille. Je fçais , dit-il ,
comme ma fille penfe , & la reconnoiffance
qu'elle fent comme moi de vos
rares bienfaits , doit l'attacher à vous tendrement.
Quels font ces bienfaits ? re-:
plique SUDMER. Le Mylord lui montre
la lettre qu'il a reçue de fa part ; le Négociant
n'y comprend rien.
Je fais dans un courroux extrême , dit-il, )
Comment , quelqu'an a pris mon nom ,
Pour faire une bonne aЯtion
Que j'aurois pû faire moi-même ?
Il fort pour aller demander des éclairciffemens
au Banquier qui a payé la
lettre de change.
Dans la Scène fuivante le Mylord interroge
fa fille fur les difpofitions de
fon coeur ; elle lui répond avec une franchife
Angloife , qu'elle eft prête à obéir
à fon père ; mais qu'elle n'a pu fe défendre
d'aimer DARMANT. Le Mylord
eft frappé d'étonnement : fa fille le
raffure en lui difant que rien n'a fait
connoître fes fentimens à l'Officier François
, & qu'elle ignore de même les
fiens.
SUDMER arrive ; il n'a pû rien fçavoir
du Banquier. On appelle ROBINAVRIL.
1763. 169
SON ; ce valet forcé par des menaces
de découvrir la vérité , déclare que DARMANT
eft l'auteur des bienfaits que le
Mylord a reçus
"2
LE MYLORD.
O Ciel ! aimeroit-il ma fille ?
ROBINSON.
, Oh ! non , Mylord , iln'oferoit
C'est générosité toute pure.....
Le Mylord demande à CLARICE £
elle eft inftruite ; elle protefte que non.
La Marquife arrive ; fon frère la fuit.
Elle annonce que la paix eft ratifiée &
fait une peinture très-vive de la joie
publique. BRUMTON dit à DARMANT.
Nos Nations font réconciliées .
Par vos traits généreux vous m'avez corrigé,
Et l'amitié furmonte enfin le préjugé :
Que par cette amitié nos maiſons foient liées.
,,Pour vous marquer combien vous m'êtes cher,
Vous fignerez le Contrat de ma fille ""
,, Que dès ce ſoir je marie à Sudmer.
DARMANT eft confterné. La Marquife
rit ; le Mylord en demande la
raiſon; ta Marquise découvre l'amour de
166 MERCURE DE FRANCE .
fon frère pour CLARICE. SUDMER dit
à BRUMTON qu'il pourroit faire une
fottife d'époufer fa fille ; il ajoute :
"
""
Mon rival doit au fond avoir la préférence ,
Sous mon nom il a fçu faifir l'occafion
› D'avoir pour vous ,Mylord , un procédé fort bont
Si je deviens le mari de Clarice ; ""
,, Il eft homme peut-être à rendre encor fervices
„, Je ſuis accoutumé d'être ſon prête-nom .
Le Mylord donne fa fille à DARMANT
& lui- même épouſe la Marquiſe.
SUDMER applaudit à cette double al
liance & dit au François.
,,Daignez , mon cher Darmant , en cette circon .
,, ftance ,
,, Me foulager du poids de la reconnoiffance :
,,Jefens queje fuis vieux,je me vois de grands biens,
Je n'ai point d'héritiers ; foyez tous deux les
"
""
miens....
Point de remerciment , ce feroit une offenfe.
,, Si je vous fçais heureux , mes amis , c'eſt affez ,
C'est vous , c'est vous qui me récompenfez.
La Marquife termine la Pièce
"
quatre vers fuivans.
39
par
les
Lecourage & l'honneur rapprochent les pays,
,,Et deux Peuples égaux en vertus , en lumières,,
De leurs divifions renverfent les barrières
"> Pour demeure toujours amis.
AVRIL. 1763. 167
OBSERVATIONS SUR L'ANGLOIS
A BORDEAUX.
Il ne nous refte que peu de chofes à ajouter
à ce que nous avons dit fur cette Piéce dans le
précédent Mercure , auquel nous prions les Lecteurs
de vouloir bien permettre que nous les
renvoyons.
Tout le monde conçoit aifément ce que doit
être un Drame fait & conftruit pour une circonftance
à laquelle , action , intrigue , carac
tères , fituations , jeu de Théâtre , & furtout le
dénoûment doivent ſe rapporter. On peut donc
fentir par la difficulté de l'ouvrage , le prix de
l'intelligence & de l'art qui regnent dans celleci
; puifqu'en y faifant la plus légére attention ,
on apperçoit que cette Comédie fans éprouver
beaucoup de changemens , & fans aucun renverfement
de conftruction ni dans le fond ni dans
les détails , deviendra une Comédie de tous les
temps , & une Comédie toujours agréable.
On fe difpenfera de répondre à ceux qui ju
geroient le caractère du Mylord trop obstinément
mifanthrope. Il y a dans la conſtitution du
Drame & dans la néceflité des contraſtes , dequoi
juftifier à cet égard la touche un peu forte de ce
caractère. On doit fe prêter aux difficultés de
l'art pour nuancer le fond d'un caractère national
, de manière à produire par les conféquences
des mêmes principes , des fentimens , une humeur
& une conduite auffi oppofés qu'on les voit
à tous momens entre Sudmer & ce Mylord . L'ef168
MERCURE DE FRANCE .
fet qui en réſulte eft fans contredit affez agréable
pour ne pas s'attacher à en critiquer fcrupuleufement
les moyens , d'autant qu'ils ne préfentent
rien de forcé au premier afpect .
Les détails du rôle de la Marquife le rour
agréable de fa Philofophie , ce qu'il prêtoit au
plaifir de voir & d'entendre plus longtemps Mlle
Dangeville , l'objet de regrets fi juftes & fi vivement
fentis par le Spectateur, tout devoit nous
empêcher d'examiner s'il n'y auroit pas eu quelques
moyens de rendre les progrès de la conquê
te fur le Mylord un peu plus fenfibles dans leur
gradation.
Nous avons déja parlé précédemment du coloris
de cette Piéce. Aujourd'hui que nous venons
d'en mettre une partie fous les yeux du Public ,
ce feroit faire tort à l'Auteur , que de prévenir
les éloges qu'il recevra de chaque Lecteur ,
éloges plus fateurs pour lui que ceux que nous
répéterions ici.
Les Comédiens François ont fait l'ouverture
de leur Théâtre,Lundi 11 Avril,
par Sémiramis , Tragédie de M. DE
VOLTAIRE & le Somnambule.
Nous ne pouvons plus nous diffimuler
, ni au Public , la perte que nous
avions différé de conftater. Toutes les
follicitations , les offres les plus avantageufes
& les plus honorables , l'attrait
de fa propre gloire , attrait renouvellé
autant de fois que paroiffoit Mademoifelle
DANGEVILLE rien n'a pû la
détourner du projet annoncé de fa retraite,
,
AVRIL. 1763. 169
traite , malheureuſement trop indiſpen :
fa fanté.
fable
pour
Le Public , amateur du Théâtre , a eu
d'autres regrets à joindre à celui - ci , par
la perte de Mademoiſelle GAUSSIN.
M. DANGEVILE , frère de l'admirable
Actrice dont on ne peut fe confoler ,
vient auffi de fe retirer.
Le Compliment que M. DAUBERVAL
a prononcé à l'ouverture du Théàtre
, contenant le jufte tribut d'éloges
que nous nous propofions de payer
aux deux A&trices dont on vient de
parler nous allons le rapporter en
entier.
Fermer
Résumé : EXTRAIT DE L'ANGLOIS A BORDEAUX.
La pièce de théâtre se déroule à Bordeaux, dans la maison de Darmant, où Lord Brumton et sa fille Clarice sont hébergés après avoir survécu à un naufrage causé par un navire français commandé par Darmant. Brumton refuse toute aide, malgré la générosité de Darmant, qui est secrètement amoureux de Clarice. La Marquise de Floricourt, sœur de Darmant, encourage ce dernier à se déclarer à Clarice et à gagner la bienveillance de Brumton. Darmant aide secrètement Brumton financièrement, en se faisant passer pour un patriote anglais via son valet Robinson. Clarice, inquiète de la mélancolie de son père, joue du clavecin pour le distraire. Une scène entre Darmant et Clarice révèle leur amour mutuel, bien que tous deux tentent de le dissimuler. Brumton, frustré par l'insouciance des Français, est confronté par la Marquise, qui défend la joie de vivre française contre la philosophie austère de Brumton. Sudmer, un riche négociant anglais, reconnaît Darmant comme son bienfaiteur et critique l'attitude nationaliste de Brumton. Dans une autre scène, Sudmer rencontre Clarice et lui demande si elle pourrait l'aimer, mais la réponse de Clarice laisse place à des soupçons. Brumton répond à sa place, affirmant que sa fille est reconnaissante des bienfaits de Sudmer. Sudmer découvre qu'il a reçu une lettre de change en son nom, ce qui le met en colère. Robinson révèle que Darmant est l'auteur des bienfaits. Clarice avoue à son père qu'elle aime Darmant, mais nie toute connaissance des sentiments de ce dernier. La Marquise annonce la ratification de la paix et propose que sa nièce, Clarice, épouse Sudmer. Cependant, Sudmer reconnaît la générosité de Darmant et accepte que Clarice épouse Darmant. Le lord épouse alors la Marquise. Sudmer applaudit à cette double alliance et offre ses biens à Darmant et Clarice. La pièce se termine par une réflexion sur la manière dont le courage et l'honneur rapprochent les peuples, abolissant les divisions.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer
2
p. 169-173
COMPLIMENT prononcé par M. DAUBERVAL, à l'ouverture du Théatre François, le 11 Avril 1763.
Début :
MESESSIEURS LA fonction aussi flateuse qu'honorable que j'ai à remplir, met celui qui [...]
Mots clefs :
Acteurs, Comédie, Actrice, Art, Regretter , Théâtre français
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMPLIMENT prononcé par M. DAUBERVAL, à l'ouverture du Théatre François, le 11 Avril 1763.
COMPLIMENT prononcé par
M. DAUBERVAL , à l'ouverture du
Théatre François , le 11 Avril 1763 .
MESESSIEURS , JRS ,
" LA fonction auffi flateufe qu'hono-
» rable
que j'ai à remplir , met celui qui
» en eft chargé à portée d'ofer vous ren-
» dre compte de fon zèle , de fes efforts
» pour mériter vos bontés , & de folliciter
» votre indulgence dont perfonne n'a plus
II. Vol.
"
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» befoin que moi. C'eft en connoiffant &
» en fentant tout le prix de ce précieux
» avantage , que je ne puis cependant
» me diffimuler qu'aujourd'hui il de-
» voit regarder un des Acteurs le plus
» en poffeffion de vous plaire ; vous
» feriez moins affectés des pertes qu'il
» vous apprendroit , fi vous aviez fous
» les yeux une des reffources qui vous
reftent. Vous préffentez aifément ,
» Meffieurs , que je vais parler de Ma-
» demoiſelle GAUSSIN & de Made-
» moiſelle DANGEVILLE.
"
» On a l'obligation à la premiere d'un
» genre nouveau de Comédie ; fa figure
» charmante , les graces ingénues de fon
» jeu , le fon intéreffant de fa voix ont
» fait imaginer de mettre en action des
» tableaux anacréontiques : fes yeux
parloient à l'âme ; & l'amour fembloit
l'avoir fait naître pour prouver
» que la volupté n'a pas de parure plus
piquante que la naïveté . Cette perte
» étoit affez grande ; celle de Mademoi-
» felle DANGEVILLE achève de nous
accabler.
"3
»
» Cette Actrice fi pleine de fineffe
» & de vérité , qui renfermoit en elle
» feule de quoi faire la réputation de
» cinq ou fix A&trices , cette favorite
AVRIL. 1763 . 171
des grâces à laquelle perfonne ne
» peut reffembler , puifque dans tous
» les rôles elle ne fe reffembloit pas elle-
» même : Mademoiſelle DANGEVILLE
» fe dérobe à fa propre gloire , & fair
» fuccéder vos regrets à vos acclama-
» tions .
» Vous n'avez rien épargné , Mef-
» fieurs , pour la retenir ; vos applau-
» diffemens réitérés exprimoient ce que
»vous paroiffiez en droit d'en éxiger ,
» & fembloient lui dire , vous faites nos
" plaifirs ; Thalie vous a ouvert tous
» fes tréfors ; elle vous a difpenfé les
» richeffes de tous les âges ; vos per-
» fections toujours nouvelles triomphe-
» ront dutemps . Pourquoi nous quittez-
» vous ?
»
» Les Auteurs lui répétoient fans
» ceffe : nous trouvons fi rarement un
» Acteur pour chaque caractère , vous
» les faififfez tous ; nous avons tant de
» peine à vaincre les cabales , votre
préfence les enchaîne . Notre art eft fi
» difficile , vous applaniffiez nos obſta-
» cles , vous n'en rencontrez point pour
» atteindre l'excellence du vôtre ; &c
vous fçavez fi bien le ménager , qu'il
» femble que ce foit la nature même
» qui vous en épargne les frais. Pour
"
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
"" chère
» quoi nous abandonnez - vous ? Enfin
» Meffieurs , vous regrettez un Actrice
» qui vous enchantoit , & nous ne nous
» confolons pas de nous voir privés
» d'une Camarade qui nous étoit auffi
que précieufe. Au lieu d'avoir
» le fafte trop ordinaire au grand ta-
» lent , elle ignoroit fa fupériorité &
» doutoit d'elle - même quand nous la
prenions pour modèle . Elle fçavoit
» par le liant de fon caractère fe con-
» cilier tous les efprits ; & fans fe don-
» ner aucun foin pour ſe faire un parti ,
» elle n'en avoit que plus de partiſans :
» nous l'admirions & nous l'aimions .
" Sa famille eft depuis long-temps ,
Meffieurs , en poffeflion de vous plaire;
», & fon frère , qui fe retire auffi , vous
a tracé fouvent le fouvenir d'un oncle
fon modèlé. L'un & l'autre ont
39
"
prouvé par leurs fuccès, dans ces rôles
» peu brillans par eux- mêmes, qu'aucun
» genre comique n'eft ftérile , que lorf-
», que l'on manque de talens .
Ces pertes multipliées , au lieu de
nous décourager , Meffieurs , vont-ré-
» doubler notre application pour avoit
droit à vos fuffrages : ce n'eft qu'en
» vous offrant des progrès dans nos ta
lens , ce n'eft qu'en en découvrait
AVRIL. 1763. 173
de naiffans , que l'on peut vous con- .
» foler , Meffieurs , de ceux que vous
» aurez peut-être trop long-temps fujet
» de regretter. »
M. DAUBERVAL , à l'ouverture du
Théatre François , le 11 Avril 1763 .
MESESSIEURS , JRS ,
" LA fonction auffi flateufe qu'hono-
» rable
que j'ai à remplir , met celui qui
» en eft chargé à portée d'ofer vous ren-
» dre compte de fon zèle , de fes efforts
» pour mériter vos bontés , & de folliciter
» votre indulgence dont perfonne n'a plus
II. Vol.
"
H
170 MERCURE DE FRANCE.
» befoin que moi. C'eft en connoiffant &
» en fentant tout le prix de ce précieux
» avantage , que je ne puis cependant
» me diffimuler qu'aujourd'hui il de-
» voit regarder un des Acteurs le plus
» en poffeffion de vous plaire ; vous
» feriez moins affectés des pertes qu'il
» vous apprendroit , fi vous aviez fous
» les yeux une des reffources qui vous
reftent. Vous préffentez aifément ,
» Meffieurs , que je vais parler de Ma-
» demoiſelle GAUSSIN & de Made-
» moiſelle DANGEVILLE.
"
» On a l'obligation à la premiere d'un
» genre nouveau de Comédie ; fa figure
» charmante , les graces ingénues de fon
» jeu , le fon intéreffant de fa voix ont
» fait imaginer de mettre en action des
» tableaux anacréontiques : fes yeux
parloient à l'âme ; & l'amour fembloit
l'avoir fait naître pour prouver
» que la volupté n'a pas de parure plus
piquante que la naïveté . Cette perte
» étoit affez grande ; celle de Mademoi-
» felle DANGEVILLE achève de nous
accabler.
"3
»
» Cette Actrice fi pleine de fineffe
» & de vérité , qui renfermoit en elle
» feule de quoi faire la réputation de
» cinq ou fix A&trices , cette favorite
AVRIL. 1763 . 171
des grâces à laquelle perfonne ne
» peut reffembler , puifque dans tous
» les rôles elle ne fe reffembloit pas elle-
» même : Mademoiſelle DANGEVILLE
» fe dérobe à fa propre gloire , & fair
» fuccéder vos regrets à vos acclama-
» tions .
» Vous n'avez rien épargné , Mef-
» fieurs , pour la retenir ; vos applau-
» diffemens réitérés exprimoient ce que
»vous paroiffiez en droit d'en éxiger ,
» & fembloient lui dire , vous faites nos
" plaifirs ; Thalie vous a ouvert tous
» fes tréfors ; elle vous a difpenfé les
» richeffes de tous les âges ; vos per-
» fections toujours nouvelles triomphe-
» ront dutemps . Pourquoi nous quittez-
» vous ?
»
» Les Auteurs lui répétoient fans
» ceffe : nous trouvons fi rarement un
» Acteur pour chaque caractère , vous
» les faififfez tous ; nous avons tant de
» peine à vaincre les cabales , votre
préfence les enchaîne . Notre art eft fi
» difficile , vous applaniffiez nos obſta-
» cles , vous n'en rencontrez point pour
» atteindre l'excellence du vôtre ; &c
vous fçavez fi bien le ménager , qu'il
» femble que ce foit la nature même
» qui vous en épargne les frais. Pour
"
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
"" chère
» quoi nous abandonnez - vous ? Enfin
» Meffieurs , vous regrettez un Actrice
» qui vous enchantoit , & nous ne nous
» confolons pas de nous voir privés
» d'une Camarade qui nous étoit auffi
que précieufe. Au lieu d'avoir
» le fafte trop ordinaire au grand ta-
» lent , elle ignoroit fa fupériorité &
» doutoit d'elle - même quand nous la
prenions pour modèle . Elle fçavoit
» par le liant de fon caractère fe con-
» cilier tous les efprits ; & fans fe don-
» ner aucun foin pour ſe faire un parti ,
» elle n'en avoit que plus de partiſans :
» nous l'admirions & nous l'aimions .
" Sa famille eft depuis long-temps ,
Meffieurs , en poffeflion de vous plaire;
», & fon frère , qui fe retire auffi , vous
a tracé fouvent le fouvenir d'un oncle
fon modèlé. L'un & l'autre ont
39
"
prouvé par leurs fuccès, dans ces rôles
» peu brillans par eux- mêmes, qu'aucun
» genre comique n'eft ftérile , que lorf-
», que l'on manque de talens .
Ces pertes multipliées , au lieu de
nous décourager , Meffieurs , vont-ré-
» doubler notre application pour avoit
droit à vos fuffrages : ce n'eft qu'en
» vous offrant des progrès dans nos ta
lens , ce n'eft qu'en en découvrait
AVRIL. 1763. 173
de naiffans , que l'on peut vous con- .
» foler , Meffieurs , de ceux que vous
» aurez peut-être trop long-temps fujet
» de regretter. »
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Résumé : COMPLIMENT prononcé par M. DAUBERVAL, à l'ouverture du Théatre François, le 11 Avril 1763.
Le 11 avril 1763, M. Dauberval prononce un discours à l'ouverture du Théâtre François. Il exprime son honneur et son zèle à remplir sa fonction et sollicite l'indulgence du public. Dauberval évoque la perte récente de deux actrices, Mademoiselle Gaussin et Mademoiselle Dangeville, dont les talents sont grandement regrettés. Mademoiselle Gaussin est louée pour son rôle dans un nouveau genre de comédie, ses charmes et sa voix intéressante. Sa disparition est comparée à celle de Mademoiselle Dangeville, actrice reconnue pour sa finesse et sa vérité, capable de briller dans tous les rôles. Le public et les auteurs regrettent son départ, soulignant son talent unique et sa capacité à surmonter les obstacles. La famille de Mademoiselle Dangeville, notamment son frère, est également reconnue pour ses succès. Malgré ces pertes, Dauberval encourage ses collègues à redoubler d'efforts pour mériter les suffrages du public, en offrant des progrès et en découvrant de nouveaux talents.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 173
COMÉDIE ITALIENNE.
Début :
LES Comédiens Italiens ont fait l'ouverture de leur Théâtre le même jour [...]
Mots clefs :
Comédiens italiens
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMÉDIE ITALIENNE.
COMÉDIE ITALIENNE.
LEE
S Comédiens Italiens ont fait l'ouverture
de leur Théâtre le même jour,
11 Avril, par les Soeurs Rivales , le Bucheron
, & Arlequin crú mort.
LEE
S Comédiens Italiens ont fait l'ouverture
de leur Théâtre le même jour,
11 Avril, par les Soeurs Rivales , le Bucheron
, & Arlequin crú mort.
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4
p. 173-174
OPERA.
Début :
LA Salle de l'Opéra, comprise dans l'incendie qui a consumé (le Mercredi [...]
Mots clefs :
Salle, Académie royale de musique, État, Incendie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : OPERA.
OPERA.
LA Salle de l'Opéra , compriſe dans
l'incendie qui a confumé ( le Mercredi
6 de ce mois ) quelques parties des Bâtimens
du Palais Royal , ayant été
totalement détruite par la violence
des flammes , en moins d'un quart
d'heure , l'Académie Royale de Mufique
n'a pu reprendre le cours de fes repréfentations
dans le temps accoutumé.
Cependant, l'attention du Gouvernement
pour tout ce qui peut intéreffer le
Public , n'a pas laiffé un moment d'incertitude
fur le fort d'un Spectacle auffi
néceffaire à l'amufement des Citoyens,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE,
que convenable à la fplendeur de la Ca
pitale . Dès le lendemain de l'embrâſement
, M. le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , adreffa aux
fieurs Rebel & Francoeur , Directeurs de
cette Académie , des ordres par écrit à
l'effet d'affurer les Sujets qui la compofent
, de la continuité de leur état , en
enjoignant à chacun d'eux de ne fe pas
écarter , & d'être prêts à reprendre l'exercice
de leurs talens inceffamment ,
dans le lieu qui aura été déterminé ,
en attendant qu'on ait pris les mefures
& les moyens convenables pour la
conftruction d'une nouvelle Salle.
LA Salle de l'Opéra , compriſe dans
l'incendie qui a confumé ( le Mercredi
6 de ce mois ) quelques parties des Bâtimens
du Palais Royal , ayant été
totalement détruite par la violence
des flammes , en moins d'un quart
d'heure , l'Académie Royale de Mufique
n'a pu reprendre le cours de fes repréfentations
dans le temps accoutumé.
Cependant, l'attention du Gouvernement
pour tout ce qui peut intéreffer le
Public , n'a pas laiffé un moment d'incertitude
fur le fort d'un Spectacle auffi
néceffaire à l'amufement des Citoyens,
H iij
174 MERCURE DE FRANCE,
que convenable à la fplendeur de la Ca
pitale . Dès le lendemain de l'embrâſement
, M. le Comte de S. Florentin , Miniftre
& Secrétaire d'Etat , adreffa aux
fieurs Rebel & Francoeur , Directeurs de
cette Académie , des ordres par écrit à
l'effet d'affurer les Sujets qui la compofent
, de la continuité de leur état , en
enjoignant à chacun d'eux de ne fe pas
écarter , & d'être prêts à reprendre l'exercice
de leurs talens inceffamment ,
dans le lieu qui aura été déterminé ,
en attendant qu'on ait pris les mefures
& les moyens convenables pour la
conftruction d'une nouvelle Salle.
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Résumé : OPERA.
Le 6 mai, un incendie a ravagé la Salle de l'Opéra du Palais Royal en moins de quinze minutes, empêchant l'Académie Royale de Musique de reprendre ses représentations à la date prévue. Le gouvernement, reconnaissant l'importance de ce spectacle pour le divertissement des citoyens et la splendeur de la capitale, a réagi promptement. Le lendemain, le Comte de Saint-Florentin, Ministre et Secrétaire d'État, a envoyé des instructions écrites aux directeurs de l'Académie, Rebel et Francoeur, leur ordonnant de maintenir la disponibilité des membres pour reprendre les activités dès qu'un nouveau lieu serait trouvé, en attendant la construction d'une nouvelle salle.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 174-179
SUITE des Concerts Spirituels.
Début :
Il y a eu Concert tous les jours de la Semaine Sainte. [...]
Mots clefs :
Musique, Concert, Public, Chœurs, Talents, Applaudissements, Célébrité, Concerto
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SUITE des Concerts Spirituels.
SUITE des Concerts Spirituels.
Il y a eu Concert tous les jours de la Semaine
Sainte.
"
;
Dans les premiers , on a repris quelques- uns
des Moters à grand choeur qui avoient été éxécutés
précédemment Inclina Domine , de M.
BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. Confitemini , autre Moter à grand choeur
de M. l'Abbé GOULET , ancien Maître de Mufide
l'Eglife de Paris ; le Deus venerunt Moter
a grand choeur de feu M. FANTON , d'une belle
& fçavante diftribution & d'un grand effet. Le
Lundi Saint on avoit éxécuté pour la première
fois Dixit Dominus Domino meo , Motet àgrand
choeur del Signor Leonardo Leo , Ouvrage d'un
que
AVRIL. 1763. 175
affez beau travail pour l'harmonie & d'un genr
qui porte le caractère du temps où la Mufique
Italienne n'avoit pas encore été corrompue par
l'extravagance des faillies & par la furabondante.
affluence des tours d'éxécution .
On éxécuta le Mercredi Saint , l'admirable
Stabat de PERGOLEZE . Mademoiſelle HARDI ,
dont nous avons déja parlé , & M. AIUTO de la
Mufique du Roi y récitoient . On connoît le mérite
de ce célébre Motet ; on l'a donné les deux
autres jours fuivans , & il a été tous les jours trèsbien
éxécuté . Mademoiſelle HARDI y a eu beaucoup
d'applaudiffemens. Les autres grands Motets
qu'on a donnés avec le Stabat , n'ont ni moins
de mérite ni moins de célébrité dans leur genre.
Le même jour , on éxécuta le Miferere de feu
M. de LALANDE. Mademoiſelle ARNOULD y
chanta le récit Sacrificium Deo , avec cette expreffion
touchante qui eft naturelle à la qualité
de fa voix & au caractère de fon talent ; les applaudiffemens
qu'elle y reçut , font garans de cet
éloge. Le Jeudi , on donna le Motet connu fous
le nom de Meffe de GILLES ; ouvrage dont la
célébrité difpenfe d'ajouter aux éloge sde tous
les connoiffeurs.
Ce même jour ( Jeudi Saint ) M. AIUTO ,
par quelqu'accident imprévu , n'ayant pu arriver
de Verfailles pour le temps du Concert , M. BBSCHE
fe prêta à y fuppléer dans le Stabat. L'art
avec lequel il s'acquitta de l'éxécution de cette
partie , mérite autant d'éloges que fa bonne volonté.
Sans beaucoup de connoiffance en mufique
on conçoit facilement de quelle difficulté il eft
de convertir fur le champ une partie de deffus
en haute-contre , en n'altérant point la modu
lation d'un chant auffi précieux que l'eft
H. iv
176 MERCURE DE FRANCE.
celui du Stabat . C'eft ce que fit M. BESCHE avec
une préciſion , une fageffe & un goût qui attirerent
les applaudiffemens de tous les auditeurs.
Le Vendredi Saint , on donna le De profundis
de M. REBEL , Sur- Intendant de la Mufique du
Roi. Nous avons déja eu occafion de parler de
ce Motet , dont la célébrité eft actuellement établie
avec juftice. Il fut fort bien éxécuté & fit un
très- grand effet . On finit par le Stabat.
Les Moters du Samedi Saint furent Regina
cali , de M. l'Abbé TOUSSAINT , Maître de Mufique
de la Cathédrale de Dijon , qui parut être
goûté ; & un Salve Regina à grand choeur ,
de
M. KOHAULT , duquel nous avons parlé à l'occafion
des Duos de Luth & de Violoncelle avec
M. DUPORT. Ce Motet avoit été éxécuté le Jeudi
précédent entre les deux grands Moters & jugé
très digne d'être au même rang & de ter
miner un Concert. Le génie , le goût & l'agrément
regnent dans toute la compofition de ce
morceau : il eft travaillé d'une manière brillante ,
mais fans bifarrerie . Mlle FEL y chantoit des récits
avec un accompagnement de Violoncelle
obligé , éxécuté par M. DUPORT. C'étoit avoir
réuni tout ce qui eft le plus agréable au Public
dans un Motet qui par lui -même méritoit les
fuffrages.
Le jour de Pâques, on éxécuta Dominus regnavit,
de feu M. DE LALANDE . Mlle ARNOULD Y chanta
un récit. On finit par Deus venerunt , de feu M.
FANTON . Nous avons parlé plus haut de ce motet.
Il nous refte à ajouter que le Public & les connoiffeurs
paroiffent aimer beaucoup la musique de
cet Auteur & regretter que l'on n'en donne pas
plus fouvent.
M. BESCHE fit beaucoup de plaifir dans le pe
tit Motet de M. Mouret Benedictus .
AVRIL 1763. 177
Le Lundi , le Concert commença par Notus in
Judæa, de la compofition de M. MATHIEU , le fils ,
Ordinaire de la Mufique du Roi , & finit par Lauda
Jerufalem , de M. l'Abbé GIROULT , Maître de
Mufique de la Cathédrale d'Orléans.
Le Mardi de Pâques , Cantemus , motet de M.
GIRAULT , Ordinaire de la Mufique du Roi & de
l'Académie Royale , dans lequel il y a beaucoup
de chofes agréables & bien travaillées , qui furent
applaudies . Le Dixit , da Signor LEO .
Le Vendredi , après les Fêtes , il y eur Concert.
On y reprit le Miferere , de M. DE LA LANDE, dans
lequel Mile ARNOULD , avec plus de fuccès encore
que la premiere fois ,y chanta l'admirable recit Sacrificium.
L'impreffion qu'elle fit fur le Public
dans ce morceau fut univerfelle & de la plus
grande vivacité ; les applaudiffemens qu'on lui
donna exprimerent d'une manière inconteftable
la juftice que nous rendons ici aux grands talens
de Mile ARNOULD pour tout qui ce porte le caaractère
du Sentiment. i
2
On termina cé Concert par Mifericordias Domini
, Motet de M. BLANCHARD , digne du
métite reconnu de cet Auteur.
Le Dimanche de Quafimodo , jour de la clôcure
des Concerts , on commença par Lauda
Jerufalem de M. DE LALANDE Mlle ARNOULD
y chanta un récit. On reprit le Motet Mifericordias
Domini..
3
1.K
&
Ce Concet fut remarquable par une nowveauté
très - intéreſſante pour le Public ,
qui par le fuccès lui devint on ne peut pas plus
agréable . Mlle DUBOIS , de la Comédie Fran
çoife , dont nous avons eu occafion d'annoncer
les progrès dans le grand art de la Déclama
tion tragique, fit l'eflai le plus flatteur pour elle
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de fes autres talens , en chantant à ce Concert
un Motet à voix feule de feu M. MOURET , avec
une très -belle voir, la plus belle articulation ' ,
la juftelle des fons & la précifion des mouvemens
, qu'on loueroit dans une Cantatrice confommée
& journellement exercée. On conjecture
facilement combien elle fut applaudie..
Les divers talens , foit fymphoniſtes , foit chanzeurs
qui font habituellement les plaifirs du Public
à ce Concert , ne nous fçauront pas mauvais
gré ne de pas répéter ni détailler ici tout ce
qu'ils ont reçus & mérités de nouveaux éloges.
M. GAVINIES , M. BALBASTRE , M. DUPORT "
prodige fur lequel nous n'avons plus d'expref
fions ) ont joué chacun des Concerto ou dés
Sonates dans plufieurs de ces Concets. Les Duos
entre M. KOHAUT fur le Luth & M. DUPORT
fur le Violoncelle , ont été fréquemment répétés
& jamais trop applaudis au gré du Public.
M. LE MIERRE , M, CAPRON , déja connus &
arès-goûtés du public, ont éxécuté fur le violon des
morceaux de diſtinction à pluſieurs de ces Concerts.
M. MAYER , dont on a parlé ci - devant, a
joué de la Harpe au dernier Concert , avec le
même fuccès qu'il avoit eu cet Hyver.
M. LEGRAND a éxécuté un Concerto fur l'Or
gue, qui a été généralement approuvé.
M. BOUTEUX joua le Vendredi 8 , un Concerto
de Violon dans lequel il eut beaucoup
d'approbateurs .
M. FELIX REINER , ordinaire de la Mufique
du Duc de BAVIERE , a éxécuté plufieurs fois .
divers morceaux fur le Baffon , avec beaucoup
de talent & une grande pratique de cet inftru
ment .
Nous croyons nous être rappellés les nou
AVRIL. 1763. 170
veautés en talens qui ont contribué à l'agrément
& à la beauté des Concerts pendant les trois
femaines de Pâques.
Nous ne devons pas obmettre que le jeune
M. DUBUT , cité dans le précédent Volume , a
paru dans prefque tous les Concerts fuivans , où.
il a toujours fait plaifir .
>
Mlle HARDI , qui a chanté à tous les Concerts,
& dont nous avons parlé au commencement du
mois , paroît avoir été la nouveauté intéreffante
cette année qui a fixé l'attention & les fuffrages
des Auditeurs. Il eft honorable pour ce
jeune Sujet d'avoir par une épreuve auffi peu
fufpecte que l'approbation univerfelle , prouvé
qu'elle mérite les bienfaits de fes auguftes Protecteurs.
Mlle ROZET a chanté plufieurs Moters à voix
feule avec une très- belle voix & les marques
d'un progrès fenfible dans l'art.
Mlle BERNARD , de laquelle on a parlé dans
plufieurs Mercures , a chanté auffi quelquefois.
Ce font Mlle FEL , Mrs GELIN , BESCHE &
MUGUET qui ont foutenu feuls , cette année, le
fonds de la Mufique pour les grands récits pendant
tout le cours des Concerts.
Le Public paroît confirmé dans l'opinion avan -
tageufe qu'il avoit conçue d'abord des nouveaux
Directeurs du Concert , par le bon choix des
ouvrages & des talens qui ont paru pendant
ces trois ſemaines de Pâques.
Il y a eu Concert tous les jours de la Semaine
Sainte.
"
;
Dans les premiers , on a repris quelques- uns
des Moters à grand choeur qui avoient été éxécutés
précédemment Inclina Domine , de M.
BLANCHARD , Maître de Mufique de la Chapelle
du Roi. Confitemini , autre Moter à grand choeur
de M. l'Abbé GOULET , ancien Maître de Mufide
l'Eglife de Paris ; le Deus venerunt Moter
a grand choeur de feu M. FANTON , d'une belle
& fçavante diftribution & d'un grand effet. Le
Lundi Saint on avoit éxécuté pour la première
fois Dixit Dominus Domino meo , Motet àgrand
choeur del Signor Leonardo Leo , Ouvrage d'un
que
AVRIL. 1763. 175
affez beau travail pour l'harmonie & d'un genr
qui porte le caractère du temps où la Mufique
Italienne n'avoit pas encore été corrompue par
l'extravagance des faillies & par la furabondante.
affluence des tours d'éxécution .
On éxécuta le Mercredi Saint , l'admirable
Stabat de PERGOLEZE . Mademoiſelle HARDI ,
dont nous avons déja parlé , & M. AIUTO de la
Mufique du Roi y récitoient . On connoît le mérite
de ce célébre Motet ; on l'a donné les deux
autres jours fuivans , & il a été tous les jours trèsbien
éxécuté . Mademoiſelle HARDI y a eu beaucoup
d'applaudiffemens. Les autres grands Motets
qu'on a donnés avec le Stabat , n'ont ni moins
de mérite ni moins de célébrité dans leur genre.
Le même jour , on éxécuta le Miferere de feu
M. de LALANDE. Mademoiſelle ARNOULD y
chanta le récit Sacrificium Deo , avec cette expreffion
touchante qui eft naturelle à la qualité
de fa voix & au caractère de fon talent ; les applaudiffemens
qu'elle y reçut , font garans de cet
éloge. Le Jeudi , on donna le Motet connu fous
le nom de Meffe de GILLES ; ouvrage dont la
célébrité difpenfe d'ajouter aux éloge sde tous
les connoiffeurs.
Ce même jour ( Jeudi Saint ) M. AIUTO ,
par quelqu'accident imprévu , n'ayant pu arriver
de Verfailles pour le temps du Concert , M. BBSCHE
fe prêta à y fuppléer dans le Stabat. L'art
avec lequel il s'acquitta de l'éxécution de cette
partie , mérite autant d'éloges que fa bonne volonté.
Sans beaucoup de connoiffance en mufique
on conçoit facilement de quelle difficulté il eft
de convertir fur le champ une partie de deffus
en haute-contre , en n'altérant point la modu
lation d'un chant auffi précieux que l'eft
H. iv
176 MERCURE DE FRANCE.
celui du Stabat . C'eft ce que fit M. BESCHE avec
une préciſion , une fageffe & un goût qui attirerent
les applaudiffemens de tous les auditeurs.
Le Vendredi Saint , on donna le De profundis
de M. REBEL , Sur- Intendant de la Mufique du
Roi. Nous avons déja eu occafion de parler de
ce Motet , dont la célébrité eft actuellement établie
avec juftice. Il fut fort bien éxécuté & fit un
très- grand effet . On finit par le Stabat.
Les Moters du Samedi Saint furent Regina
cali , de M. l'Abbé TOUSSAINT , Maître de Mufique
de la Cathédrale de Dijon , qui parut être
goûté ; & un Salve Regina à grand choeur ,
de
M. KOHAULT , duquel nous avons parlé à l'occafion
des Duos de Luth & de Violoncelle avec
M. DUPORT. Ce Motet avoit été éxécuté le Jeudi
précédent entre les deux grands Moters & jugé
très digne d'être au même rang & de ter
miner un Concert. Le génie , le goût & l'agrément
regnent dans toute la compofition de ce
morceau : il eft travaillé d'une manière brillante ,
mais fans bifarrerie . Mlle FEL y chantoit des récits
avec un accompagnement de Violoncelle
obligé , éxécuté par M. DUPORT. C'étoit avoir
réuni tout ce qui eft le plus agréable au Public
dans un Motet qui par lui -même méritoit les
fuffrages.
Le jour de Pâques, on éxécuta Dominus regnavit,
de feu M. DE LALANDE . Mlle ARNOULD Y chanta
un récit. On finit par Deus venerunt , de feu M.
FANTON . Nous avons parlé plus haut de ce motet.
Il nous refte à ajouter que le Public & les connoiffeurs
paroiffent aimer beaucoup la musique de
cet Auteur & regretter que l'on n'en donne pas
plus fouvent.
M. BESCHE fit beaucoup de plaifir dans le pe
tit Motet de M. Mouret Benedictus .
AVRIL 1763. 177
Le Lundi , le Concert commença par Notus in
Judæa, de la compofition de M. MATHIEU , le fils ,
Ordinaire de la Mufique du Roi , & finit par Lauda
Jerufalem , de M. l'Abbé GIROULT , Maître de
Mufique de la Cathédrale d'Orléans.
Le Mardi de Pâques , Cantemus , motet de M.
GIRAULT , Ordinaire de la Mufique du Roi & de
l'Académie Royale , dans lequel il y a beaucoup
de chofes agréables & bien travaillées , qui furent
applaudies . Le Dixit , da Signor LEO .
Le Vendredi , après les Fêtes , il y eur Concert.
On y reprit le Miferere , de M. DE LA LANDE, dans
lequel Mile ARNOULD , avec plus de fuccès encore
que la premiere fois ,y chanta l'admirable recit Sacrificium.
L'impreffion qu'elle fit fur le Public
dans ce morceau fut univerfelle & de la plus
grande vivacité ; les applaudiffemens qu'on lui
donna exprimerent d'une manière inconteftable
la juftice que nous rendons ici aux grands talens
de Mile ARNOULD pour tout qui ce porte le caaractère
du Sentiment. i
2
On termina cé Concert par Mifericordias Domini
, Motet de M. BLANCHARD , digne du
métite reconnu de cet Auteur.
Le Dimanche de Quafimodo , jour de la clôcure
des Concerts , on commença par Lauda
Jerufalem de M. DE LALANDE Mlle ARNOULD
y chanta un récit. On reprit le Motet Mifericordias
Domini..
3
1.K
&
Ce Concet fut remarquable par une nowveauté
très - intéreſſante pour le Public ,
qui par le fuccès lui devint on ne peut pas plus
agréable . Mlle DUBOIS , de la Comédie Fran
çoife , dont nous avons eu occafion d'annoncer
les progrès dans le grand art de la Déclama
tion tragique, fit l'eflai le plus flatteur pour elle
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
de fes autres talens , en chantant à ce Concert
un Motet à voix feule de feu M. MOURET , avec
une très -belle voir, la plus belle articulation ' ,
la juftelle des fons & la précifion des mouvemens
, qu'on loueroit dans une Cantatrice confommée
& journellement exercée. On conjecture
facilement combien elle fut applaudie..
Les divers talens , foit fymphoniſtes , foit chanzeurs
qui font habituellement les plaifirs du Public
à ce Concert , ne nous fçauront pas mauvais
gré ne de pas répéter ni détailler ici tout ce
qu'ils ont reçus & mérités de nouveaux éloges.
M. GAVINIES , M. BALBASTRE , M. DUPORT "
prodige fur lequel nous n'avons plus d'expref
fions ) ont joué chacun des Concerto ou dés
Sonates dans plufieurs de ces Concets. Les Duos
entre M. KOHAUT fur le Luth & M. DUPORT
fur le Violoncelle , ont été fréquemment répétés
& jamais trop applaudis au gré du Public.
M. LE MIERRE , M, CAPRON , déja connus &
arès-goûtés du public, ont éxécuté fur le violon des
morceaux de diſtinction à pluſieurs de ces Concerts.
M. MAYER , dont on a parlé ci - devant, a
joué de la Harpe au dernier Concert , avec le
même fuccès qu'il avoit eu cet Hyver.
M. LEGRAND a éxécuté un Concerto fur l'Or
gue, qui a été généralement approuvé.
M. BOUTEUX joua le Vendredi 8 , un Concerto
de Violon dans lequel il eut beaucoup
d'approbateurs .
M. FELIX REINER , ordinaire de la Mufique
du Duc de BAVIERE , a éxécuté plufieurs fois .
divers morceaux fur le Baffon , avec beaucoup
de talent & une grande pratique de cet inftru
ment .
Nous croyons nous être rappellés les nou
AVRIL. 1763. 170
veautés en talens qui ont contribué à l'agrément
& à la beauté des Concerts pendant les trois
femaines de Pâques.
Nous ne devons pas obmettre que le jeune
M. DUBUT , cité dans le précédent Volume , a
paru dans prefque tous les Concerts fuivans , où.
il a toujours fait plaifir .
>
Mlle HARDI , qui a chanté à tous les Concerts,
& dont nous avons parlé au commencement du
mois , paroît avoir été la nouveauté intéreffante
cette année qui a fixé l'attention & les fuffrages
des Auditeurs. Il eft honorable pour ce
jeune Sujet d'avoir par une épreuve auffi peu
fufpecte que l'approbation univerfelle , prouvé
qu'elle mérite les bienfaits de fes auguftes Protecteurs.
Mlle ROZET a chanté plufieurs Moters à voix
feule avec une très- belle voix & les marques
d'un progrès fenfible dans l'art.
Mlle BERNARD , de laquelle on a parlé dans
plufieurs Mercures , a chanté auffi quelquefois.
Ce font Mlle FEL , Mrs GELIN , BESCHE &
MUGUET qui ont foutenu feuls , cette année, le
fonds de la Mufique pour les grands récits pendant
tout le cours des Concerts.
Le Public paroît confirmé dans l'opinion avan -
tageufe qu'il avoit conçue d'abord des nouveaux
Directeurs du Concert , par le bon choix des
ouvrages & des talens qui ont paru pendant
ces trois ſemaines de Pâques.
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Résumé : SUITE des Concerts Spirituels.
Durant la Semaine Sainte de l'année 1763, des concerts spirituels ont été organisés quotidiennement. Les premiers concerts ont repris des motets à grand chœur déjà exécutés, tels que 'Inclina Domine' de M. Blanchard, 'Confitemini' de l'Abbé Goulet, et 'Deus venerunt' de M. Fanton. Le lundi saint, le motet 'Dixit Dominus Domino meo' de Leonardo Leo a été exécuté pour la première fois. Le mercredi saint, le célèbre 'Stabat Mater' de Pergolèse a été interprété par Mademoiselle Hardi et M. Aiuto, suscitant de nombreux applaudissements. Le même jour, le 'Miserere' de M. de Laland a été exécuté avec Mademoiselle Arnould chantant le récit 'Sacrificium Deo'. Le jeudi saint, le motet 'Messe de Gilles' a été joué, et M. Besche a remplacé M. Aiuto dans le 'Stabat Mater'. Le vendredi saint, le 'De profundis' de M. Rebel a été exécuté. Le samedi saint, les motets 'Regina caeli' de l'Abbé Toussaint et 'Salve Regina' de M. Kohault ont été interprétés, avec Mademoiselle Fel chantant des récits accompagnés par M. Duport au violoncelle. Le jour de Pâques, les motets 'Dominus regnavit' de M. de Laland et 'Deus venerunt' de M. Fanton ont été exécutés. M. Besche a interprété le petit motet 'Benedictus' de M. Mouret. Les concerts se sont poursuivis après Pâques avec divers motets et concerts instrumentaux, notamment des œuvres de M. Mathieu, l'Abbé Giroult, et M. Girault. Plusieurs artistes ont été salués pour leurs performances, notamment Mademoiselle Dubois, M. Gaviniès, M. Balbastre, M. Duport, M. Legrand, M. Bouteux, et M. Felix Reiner. Mademoiselle Hardi a été particulièrement remarquée pour ses interprétations. Le public a apprécié le choix des œuvres et des talents présentés par les nouveaux directeurs du concert.
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