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1
p. 175-178
« La gravure en général est un talent soumis, c'est-à-dire l'imitation d'un autre [...] »
Début :
La gravure en général est un talent soumis, c'est-à-dire l'imitation d'un autre [...]
Mots clefs :
Gravure, Graveurs, Peintres
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texteReconnaissance textuelle : « La gravure en général est un talent soumis, c'est-à-dire l'imitation d'un autre [...] »
А
BEAUX ARTS.
Agravure en général eft un talent ſoumis
, c'eft- à- dire l'imitation d'un autre
Art. Il ne faut pas entendre par ce mot ,
une copie féche & fervile ; car l'Artiſte
Graveur ne réuffit que par les équivalens
qu'il fçait préfenter . L'intelligence & le
talent lui font donc néceffaires pour arriver
par des voies différentes au même but
que le Peintre. Cette définition générale
renferme l'idée d'un travail particulier , &
le travail exige des variétés fans nombre.
Un Graveur eft néceffairementobligé de
les obferver , felon les circonftances ; mais
fon premier devoir eft d'être toujours foumis
à l'imitation du trait , & à la maniere
du Maître. Hiv
376 MERCURE DE FRANCE.
L'hiſtoire & le portrait ne font pas traités
de la même façon par les Peintres ; des
paffions , des malles de lumiere très- étendues
, des grouppes , des payſages , des
ciels , de l'air , de la vagueffe , &c. Toutes
ces chofes font fort oppofées à une compofition
fimple , à une lumiere répandue fur
un feul point , à des ornemens foumis &
faits pour concourir à un feul objet ; voilà
les idées générales de ces deux genres. Un
Graveur doit faire fentir leurs différens
effets , fans avoir d'autres fecours que le
blanc & le noir , & les oppofitions qu'il
peut tirer de la variété de fon travail.
Ces difficultés doivent augmenter par la
réflexion , le mérite que l'on reconnoît à
ceux dont le burin a fçu rendre des effets
fi flatteurs à la vûe ; on doit même fouvent
excufer les Artiftes , & ne reprocher qu'aux
Peintres plufieurs chofes moins heureufes
qu'on remarque quelquefois dans leurs
planches ; car tous les Peintres n'ont pas
l'intelligence ou la patience néceffaires pour
retoucher les épreuves , & conduire un
Graveur à l'avantage de fon Art. Rubens
fera toujours le mieux gravé des Peintres.
Plein de goût & d'intelligence , il a formé
fes Graveurs , il retouchoit les épreuves ,
& les accordoit pour le blanc & le noir ,
& donnoit , pour ainfi dire , une nouvelle
DECEMBRE. 1754. 177
harmonie différente de fon tableau , mais
Toujours conféquente & plus convenable.
M. Rigaud a eu les mêmes attentions &
la même conduite pour la belle collection
de fes portraits qu'il a laiffés à la poftérité.
L'un & l'autre de ces grands Artiſtes fçavoient
que dans quelques fiécles leurs Ou
vrages ne feroient plus connus que par la
gravure , & cette idée vraie & humiliante
en quelque façon pour des hommes qui
ont excellé , n'avoit point encore frappé
les Maîtres célébres qui ont paru dans
le premier fiécle du renouvellement des
Arts ; ils faifoient peu de cas de la gravure,
ils la regardoient comme une copie privée
de plufieurs fecours , & s'embarraffoient
peu de la façon dont elle les traduifoit.
Ces réflexions font occafionnées
par un portrait qui repréfente un homme
Tranquille , & dont le loifir ne prend rien
fur Refprit , car fa tête eft vive & animée ;
il eft peint par M. Nonnote , & gravé par
M. Daulé.
La compofition en eft belle & aifée , &
Pexécution du Graveur eft fçavante & d'un
beau détail. Le travail de la tête & des
mains est jufte & careffé ; le fond & les
accompagnemens font bien traités , ils font
à leur ton , & préfentent les variétés de
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
burin , fi néceffaires dans la gravure . If
feroit peut - être à defirer que la robe de
chambre & la vefte euffent été un peu
teintées pour donner plus de repos au refte
du tableau .
Malgré cette legere critique , pour la
quelle même il faudroit que l'on pût comparer
l'original à l'eftampe , nous pouvons
affurer que c'eft un très - bel ouvrage de
gravure , & qui doit faire honneur à foa
Auteur.
On lit ces Vers au bas de l'eftampe :
Latus inprafens animus , quod ultrà eft
Oderit curare , & amara lento
Temperet rifu..... HOR.
Daulé demeure rue du Plâtre S. Jacques.
BEAUX ARTS.
Agravure en général eft un talent ſoumis
, c'eft- à- dire l'imitation d'un autre
Art. Il ne faut pas entendre par ce mot ,
une copie féche & fervile ; car l'Artiſte
Graveur ne réuffit que par les équivalens
qu'il fçait préfenter . L'intelligence & le
talent lui font donc néceffaires pour arriver
par des voies différentes au même but
que le Peintre. Cette définition générale
renferme l'idée d'un travail particulier , &
le travail exige des variétés fans nombre.
Un Graveur eft néceffairementobligé de
les obferver , felon les circonftances ; mais
fon premier devoir eft d'être toujours foumis
à l'imitation du trait , & à la maniere
du Maître. Hiv
376 MERCURE DE FRANCE.
L'hiſtoire & le portrait ne font pas traités
de la même façon par les Peintres ; des
paffions , des malles de lumiere très- étendues
, des grouppes , des payſages , des
ciels , de l'air , de la vagueffe , &c. Toutes
ces chofes font fort oppofées à une compofition
fimple , à une lumiere répandue fur
un feul point , à des ornemens foumis &
faits pour concourir à un feul objet ; voilà
les idées générales de ces deux genres. Un
Graveur doit faire fentir leurs différens
effets , fans avoir d'autres fecours que le
blanc & le noir , & les oppofitions qu'il
peut tirer de la variété de fon travail.
Ces difficultés doivent augmenter par la
réflexion , le mérite que l'on reconnoît à
ceux dont le burin a fçu rendre des effets
fi flatteurs à la vûe ; on doit même fouvent
excufer les Artiftes , & ne reprocher qu'aux
Peintres plufieurs chofes moins heureufes
qu'on remarque quelquefois dans leurs
planches ; car tous les Peintres n'ont pas
l'intelligence ou la patience néceffaires pour
retoucher les épreuves , & conduire un
Graveur à l'avantage de fon Art. Rubens
fera toujours le mieux gravé des Peintres.
Plein de goût & d'intelligence , il a formé
fes Graveurs , il retouchoit les épreuves ,
& les accordoit pour le blanc & le noir ,
& donnoit , pour ainfi dire , une nouvelle
DECEMBRE. 1754. 177
harmonie différente de fon tableau , mais
Toujours conféquente & plus convenable.
M. Rigaud a eu les mêmes attentions &
la même conduite pour la belle collection
de fes portraits qu'il a laiffés à la poftérité.
L'un & l'autre de ces grands Artiſtes fçavoient
que dans quelques fiécles leurs Ou
vrages ne feroient plus connus que par la
gravure , & cette idée vraie & humiliante
en quelque façon pour des hommes qui
ont excellé , n'avoit point encore frappé
les Maîtres célébres qui ont paru dans
le premier fiécle du renouvellement des
Arts ; ils faifoient peu de cas de la gravure,
ils la regardoient comme une copie privée
de plufieurs fecours , & s'embarraffoient
peu de la façon dont elle les traduifoit.
Ces réflexions font occafionnées
par un portrait qui repréfente un homme
Tranquille , & dont le loifir ne prend rien
fur Refprit , car fa tête eft vive & animée ;
il eft peint par M. Nonnote , & gravé par
M. Daulé.
La compofition en eft belle & aifée , &
Pexécution du Graveur eft fçavante & d'un
beau détail. Le travail de la tête & des
mains est jufte & careffé ; le fond & les
accompagnemens font bien traités , ils font
à leur ton , & préfentent les variétés de
Hy
178 MERCURE DE FRANCE.
burin , fi néceffaires dans la gravure . If
feroit peut - être à defirer que la robe de
chambre & la vefte euffent été un peu
teintées pour donner plus de repos au refte
du tableau .
Malgré cette legere critique , pour la
quelle même il faudroit que l'on pût comparer
l'original à l'eftampe , nous pouvons
affurer que c'eft un très - bel ouvrage de
gravure , & qui doit faire honneur à foa
Auteur.
On lit ces Vers au bas de l'eftampe :
Latus inprafens animus , quod ultrà eft
Oderit curare , & amara lento
Temperet rifu..... HOR.
Daulé demeure rue du Plâtre S. Jacques.
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Résumé : « La gravure en général est un talent soumis, c'est-à-dire l'imitation d'un autre [...] »
Le texte explore la gravure comme un art imitant la peinture, nécessitant intelligence et talent pour reproduire les œuvres originales. Les graveurs doivent adapter leur travail aux circonstances tout en restant fidèles au trait et à la manière du maître. Ils doivent également rendre les différences entre l'histoire et le portrait, en utilisant uniquement le blanc et le noir. Les difficultés de la gravure augmentent avec la réflexion, et le mérite est reconnu à ceux qui réussissent à créer des effets flatteurs. Rubens et Rigaud sont mentionnés pour leur collaboration réussie avec des graveurs, retouchant les épreuves pour harmoniser les couleurs. Le texte cite également un portrait gravé par Daulé, représentant un homme tranquille avec une composition belle et aisée, et une exécution savante. Malgré une légère critique sur les teintes de la robe de chambre et de la veste, l'œuvre est jugée très belle et honorable. Daulé réside rue du Plâtre S. Jacques.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 178-187
« SUPPLICATION aux Orfévres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartemens [...] »
Début :
SUPPLICATION aux Orfévres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartemens [...]
Mots clefs :
Sculpteurs, Ornements, Orfèvres, Ciseleurs, Appartement
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : « SUPPLICATION aux Orfévres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartemens [...] »
La plaifanterie tout- à-fait inſtructive qu'on
va lire eft d'un Artifle du premier merite &
de la plus grande réputation. Puiſſe- t - elle pour
l'honneur & le progrès de nos Arts , produire
tout l'effet qu'il eft en droit d'en attendre.
SUPPLICATION aux Orfévres , Cifeleurs ,
Sculpteurs en bois pour les appartemens
& autres , par une fociété d'Artiſtes .
Soit très humblement repréſenté à ces
Meffieurs , que quelques efforts que la Nation
Françoife ait fait depuis plufieurs anDECEMBRE
. 1754. 179
nées pour accoutumer fa raifon à fe plier
aux écarts de leur imagination , elle n'a pâ
y parvenir entierement : ces Meffieurs font
donc fuppliés de vouloir bien dorénavant
obferver certaines régles fimples , qui font
dictées par le bon fens , & dont nous ne
pouvons arracher les principes de notre efprit.
Ce feroit un acte bien méritoire à
ces Meffieurs , que de vouloir bien fe ptêter
à notre foibleffe , & nous pardonner
l'impoffibilité réelle où nous fommes de
détruire, par complaifance pour eux , toutes
les lumieres de notre raifon.
Exemple. Sont priés les Orfévres , lorfque
fur le couvercle d'un pot à ouille ou
fur quelqu'autre piéce d'orfévrerie , its
exécutent un artichaut ou un pied de céleri
de grandeur naturelle , de vouloir bien
ne pas mettre à côté un lievre grand comme
le doigt , une allouette grande comme
le naturel , & un faiſan du quart ou du
cinquième de fa grandeur ; des enfans de
la même grandeur qu'une feuille de vigne ;
des figures fuppofées de grandeur naturelle
, portées fur une feuille d'ornement
qui pourroit à peine foutenir fans plier
un petit oifeau ; des arbres dont le tronc
n'eſt pas fi gros qu'une de leurs feuilles ,
& quantité d'autres chofes également bien
caifonnées.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Nous leur ferions encore infiniment
obligés s'ils vouloient bien ne pas changer
la deftination des chofes , & fe fouvenir,
par exemple , qu'un chandelier doit être
droit &perpendiculaire pour porter la lumiere
, & non pas tortué , comme fi quelqu'un
l'avoit forcé ; qu'une bobeche doit
être concave pour recevoir la cire qui coule
, & non pas convexe pour la faire tomber
en nape fur le chandelier , & quantité
d'autres agrémens non moins déraiſonnables
qu'il feroit trop long de citer.
Pareillement , font priés Meffieurs les
Sculpteurs d'appartemens d'avoir agréable
dans les trophées qu'ils exécutent , de ne
pas faire une faux plus petite qu'une horloge
de fable , un chapeau ou un tambour
de bafque plus grand qu'une baffe de viole
, une tête d'homme plus petite qu'une
rofe , une ferpe auffi grande qu'un rateau ,
&c. C'eft avec bien du regret que nous
nous voyons obligés de les prier de reftreindre
leur génie à ces loix de proportion ,
quelque fimples qu'elles foient . Nous ne
fentons que trop qu'en s'affujettiffant au
bon fens , quantité de perfonnes qui paffent
maintenant pour de beaux génies fe
trouveront n'en avoir plus du tout ; mais
enfin il ne nous eft plus poffible de nous y
prêter. Avant que de jetter les hauts cris ,
DECEMBRE. 1754. r8r
nous avons enduré avec toute la patience
poffible , & nous avons fait des efforts in
croyables pour admirer ces inventions &
merveilleufes qu'elles ne font plus du ref
fort de la raifon ; mais notre ſens commun
groffier nous excite toujours à les trouver
ridicules. Nous nous garderons bien cependant
de trouver à redire au goût régnant
dans la décoration intérieure de nos
édifices ; nous fommes trop bons citoyens.
pour vouloir tout d'un coup mettre à la
mendicité tant d'honnêtes gens qui ne fçavent
que cela. Nous ne voulons pas même
leur demander un peu de retenue dans l'ufage
des palmiers qu'ils font croître fi abondamment
dans nos appartemens , fur les
cheminées , autour des miroirs , contre les
murs , enfin par- tout ; ce feroit leur ôter
leur derniere reffource. Mais du moins
pourrions- nous efperer d'obtenir que lorf
que les chofes pourront être quarrées , ils
veuillent bien ne les pas tortuer ; que lorfque
les couronnemens pourront être en
plein ceintre , ils veuillent ne les pas corrompre
par ces contours en S , qu'ils femblent
avoir appris des Maîtres Ecrivains ,
& qui font fi fort à la mode , qu'on s'en,
fert même pour faire des plans de bâtimens.
On appelle cela des formes , mais on
oublie d'y ajouter l'épithete de mauvaises
182 MERCURE DE FRANCE.
qui en eft inféparable. Nous confentons
cependant qu'ils fervent de cette marchandife
tortue à tous Provinciaux ou Etrangers
qui feront affez mauvais connoiffeurs
pour préférer notre goût moderne à celui
du fiécle paffé. Plus on répandra de ces inventions
chez les Etrangers , & plus on
pourra efpérer de maintenir la fupériorité
de la France. Nous les fupplions de confiderer
que nous leur fourniffons de beaux
bois bien droits , & qu'ils nous ruinent en
frais en les faifant travailler avec toutes
ces formes finueufes ; qu'en faifant courber
nos portes pour les affujettir aux asrondiffemens
qu'il plaît au bon goût de
nos Architectes modernes de donner à
toutes nos chambres , il nous les font couter
beaucoup plus qu'en les faifant droites ,
& que nous n'y trouvons aucun avantage ,
puifque nous paffons également par une
porte droite comme par une porte arrondie.
Quant aux courbures des murailles
de nos appartemens , nous n'y trouvons
d'autre commodité que de ne fçavoir plus
oùplacer ni comment y arranger nos chaifes
ou autres meubles. Les Sculpteurs font
donc priés de vouloir bien ajouter foi aux
affurances que nous leur donnons , nous
qui n'avons aucun intérêt à les tromper ,
que les formes droites , quarrées , rondes
DECEMBRE. 1754. 183
& ovales régulieres , décorent auffi richement
que toutes leurs inventions ; que
comme leur exécution exacte eft plus difficile
que celle de tous ces herbages , aîles
de chauve-fouris , & autres miferes qui
font en ufage , elle fera plus d'honneur à
leur talent. Qu'enfin les yeux de nombre.
de bonnes gens dont nous fommes, leur auront
une obligation inexprimable de n'être
plus moleftés par des difproportions déraifonnables
, & par cette abondance d'ornemens
tortueux & extravagans.
Que fi nous demandons trop de chofes à
la fois , qu'ils nous accordent du moins
une grace , que dorénavant la moulure
principale qu'ils tourmentent ordinairement
, fera & demeurera droite , conformément
aux principes de la bonne architecture
; alors nous confentirons qu'ils faffent
tortiller leurs ornemens autour & par
deffus tant que bon leur femblera , nous
nous estimerons moins malheureux , parce
qu'un homme de bon goût , à qui un tel
appartement échoira , pourra avec un cifeau
abattre toutes ces drogues , & retrou
ver la moulure fimple qui lui fera une décoration
fage , & dont fa raifon ne fouffrira
pas.
On fent bien qu'une bonne partie des
plaintes que nous adreffons aux Sculpteurs
184 MERCURE DE FRANCE.
pourroient avec raifon s'adreffer aux Archi
tectes mais la vérité eft , que nous n'ofons
pas ; ces Meffieurs ne fe gouvernent
pas fi facilement , il n'en eft preſque aucun
qui doute de fes talens , & qui ne les vante
avec une confiance entiere ; nous ne préfumons
pas affez de notre crédit auprès
d'eux , pour nous flatter qu'avec les meilleures
raifons du monde nous puiflions
opérer leur converfion . Si nous nous étions
fentis affez de hardieffe , nous les aurions
refpectueufement invités à vouloir bien
examiner quelquefois le vieux Louvre , les
Tuileries , & plufieurs autres bâtimens
royaux du fiécle paffé , qui font univerfellement
reconnus pour de belles chofes ,
& à ne nous pas donner fi fouvent lieu de
croire qu'ils n'ont jamais vû ces bâtimens
qui font fi près d'eux . Nous les aurions
priés de nous faire grace de ces mauvaiſes
formes à pans qu'il femble qu'ils foient
convenus de donner à tous les avant- corps,
& nous les aurions affurés , dans la fincérité
de nos confciences , que tous les angles
obtus & aigus ( à moins qu'ils ne foient
donnés néceffairement , comme dans la
fortification ) font defagréables en architecture
, & qu'il n'y a que l'angle droit
qui puiffe faire un bon effet ; ils y perdroient
leurs fallons octogones : mais pour
DECEMBRE . 1754. 185
pas
quoi un fallon quarré ne feroit- il pas auffi
beau On ne feroit pas obligé de fupprimer
les corniches dans les dedans , pour
fauver la difficulté d'y bien diftribuer les
ornemens qui y font propres : ils n'auroient
été réduits à fubftituer des herbages ,
& autres gentilleffes mefquines , aux mọ-
dillons , aux denticules , & autres ornemens
inventés par des gens qui en fçavoient
plus qu'eux , & reçus de toutes les
Nations , après un mur examen .. Nous les
aurions priés d'admirer la beauté des pierres
qu'ils tirent de la carriere , qui font
naturellement droites & à angle droit , &
de vouloir bien ne les pas gâter pour leur
faire prendre des formes qui nous en font
perdre la moitié , & donnent des marques
publiques du dérangement de nos cervelles.
Nous les aurions priés de nous délivrer
de l'ennui de voir à toutes les maifons
des croifées ceintrées , depuis le rez-dechauffée
jufqu'à la manſarde , tellement
qu'il femble qu'il y ait un pacte fait de
n'en plus exécuter d'autres. Il n'y a pas
jufqu'au bois des chaffis de croifées qui veulent
auffi fe faire de fête , & qui fe tortuent
le plus joliment du monde , fans
autre avantage que de donner beaucoup
de peine au Menuifier , & de l'embarras
au Vitrier , lorfqu'il lui faut couper des
186 MERCURE DE FRANCE.
verres dans ces formes barroques.
Nous aurions bien eu encore quelques
petites repréſentations à leur faire fur ce
moule général , où il femble qu'ils jettent
toutes les portes cocheres , en faiſant toujours
retourner les moulures de la corniche
en ceintre , fans que celles de l'architrave
les fuivent , tellement que cette
corniche porte à faux ,
à faux , & que s'ils mettent
leur chere confole , toute inutile qu'elle y
eft , ils ne fçavent où la placer. Hors du
milieu du pilaftre elle eft ridicule ; au milieu
elle ne reçoit point la retombée de
cet arc. N'aurions nous pas en leur
accordant que la manfarde eft une invention
merveilleuſe , admirable , digne de
paffer à la poftérité la plus reculée , fi on
pouvoit la conftruire de marbre , les prier
néanmoins de vouloir bien en être plus chiches
, & nous faire voir quelquefois à fa
place un Attique qui étant perpendiculaire
& de pierre , fembleroit plus régu
lier & plus analogue au refte du bâtiment ?
car enfin on fe laffe de voir toujours une
maifon bleue fur une maifon blanche.
Combien de graces n'aurions nous pas
eu à leur demander ! mais nous efpererions
vainement qu'ils vouluffent nous en accorder
aucune. Il ne nous refte à leur égard
que de foupirer en fecret , & d'attendre
DECEMBRE . 1754 187
que leur invention étant épuifée , ils s'en
laffent eux-mêmes. Il paroît que ce tems
eft proche , car ils ne font plus que fe répéter
, & nous avons lieu d'efpérer que l'envie
de faire du nouveau , ramenera l'architecture
ancienne.
va lire eft d'un Artifle du premier merite &
de la plus grande réputation. Puiſſe- t - elle pour
l'honneur & le progrès de nos Arts , produire
tout l'effet qu'il eft en droit d'en attendre.
SUPPLICATION aux Orfévres , Cifeleurs ,
Sculpteurs en bois pour les appartemens
& autres , par une fociété d'Artiſtes .
Soit très humblement repréſenté à ces
Meffieurs , que quelques efforts que la Nation
Françoife ait fait depuis plufieurs anDECEMBRE
. 1754. 179
nées pour accoutumer fa raifon à fe plier
aux écarts de leur imagination , elle n'a pâ
y parvenir entierement : ces Meffieurs font
donc fuppliés de vouloir bien dorénavant
obferver certaines régles fimples , qui font
dictées par le bon fens , & dont nous ne
pouvons arracher les principes de notre efprit.
Ce feroit un acte bien méritoire à
ces Meffieurs , que de vouloir bien fe ptêter
à notre foibleffe , & nous pardonner
l'impoffibilité réelle où nous fommes de
détruire, par complaifance pour eux , toutes
les lumieres de notre raifon.
Exemple. Sont priés les Orfévres , lorfque
fur le couvercle d'un pot à ouille ou
fur quelqu'autre piéce d'orfévrerie , its
exécutent un artichaut ou un pied de céleri
de grandeur naturelle , de vouloir bien
ne pas mettre à côté un lievre grand comme
le doigt , une allouette grande comme
le naturel , & un faiſan du quart ou du
cinquième de fa grandeur ; des enfans de
la même grandeur qu'une feuille de vigne ;
des figures fuppofées de grandeur naturelle
, portées fur une feuille d'ornement
qui pourroit à peine foutenir fans plier
un petit oifeau ; des arbres dont le tronc
n'eſt pas fi gros qu'une de leurs feuilles ,
& quantité d'autres chofes également bien
caifonnées.
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
Nous leur ferions encore infiniment
obligés s'ils vouloient bien ne pas changer
la deftination des chofes , & fe fouvenir,
par exemple , qu'un chandelier doit être
droit &perpendiculaire pour porter la lumiere
, & non pas tortué , comme fi quelqu'un
l'avoit forcé ; qu'une bobeche doit
être concave pour recevoir la cire qui coule
, & non pas convexe pour la faire tomber
en nape fur le chandelier , & quantité
d'autres agrémens non moins déraiſonnables
qu'il feroit trop long de citer.
Pareillement , font priés Meffieurs les
Sculpteurs d'appartemens d'avoir agréable
dans les trophées qu'ils exécutent , de ne
pas faire une faux plus petite qu'une horloge
de fable , un chapeau ou un tambour
de bafque plus grand qu'une baffe de viole
, une tête d'homme plus petite qu'une
rofe , une ferpe auffi grande qu'un rateau ,
&c. C'eft avec bien du regret que nous
nous voyons obligés de les prier de reftreindre
leur génie à ces loix de proportion ,
quelque fimples qu'elles foient . Nous ne
fentons que trop qu'en s'affujettiffant au
bon fens , quantité de perfonnes qui paffent
maintenant pour de beaux génies fe
trouveront n'en avoir plus du tout ; mais
enfin il ne nous eft plus poffible de nous y
prêter. Avant que de jetter les hauts cris ,
DECEMBRE. 1754. r8r
nous avons enduré avec toute la patience
poffible , & nous avons fait des efforts in
croyables pour admirer ces inventions &
merveilleufes qu'elles ne font plus du ref
fort de la raifon ; mais notre ſens commun
groffier nous excite toujours à les trouver
ridicules. Nous nous garderons bien cependant
de trouver à redire au goût régnant
dans la décoration intérieure de nos
édifices ; nous fommes trop bons citoyens.
pour vouloir tout d'un coup mettre à la
mendicité tant d'honnêtes gens qui ne fçavent
que cela. Nous ne voulons pas même
leur demander un peu de retenue dans l'ufage
des palmiers qu'ils font croître fi abondamment
dans nos appartemens , fur les
cheminées , autour des miroirs , contre les
murs , enfin par- tout ; ce feroit leur ôter
leur derniere reffource. Mais du moins
pourrions- nous efperer d'obtenir que lorf
que les chofes pourront être quarrées , ils
veuillent bien ne les pas tortuer ; que lorfque
les couronnemens pourront être en
plein ceintre , ils veuillent ne les pas corrompre
par ces contours en S , qu'ils femblent
avoir appris des Maîtres Ecrivains ,
& qui font fi fort à la mode , qu'on s'en,
fert même pour faire des plans de bâtimens.
On appelle cela des formes , mais on
oublie d'y ajouter l'épithete de mauvaises
182 MERCURE DE FRANCE.
qui en eft inféparable. Nous confentons
cependant qu'ils fervent de cette marchandife
tortue à tous Provinciaux ou Etrangers
qui feront affez mauvais connoiffeurs
pour préférer notre goût moderne à celui
du fiécle paffé. Plus on répandra de ces inventions
chez les Etrangers , & plus on
pourra efpérer de maintenir la fupériorité
de la France. Nous les fupplions de confiderer
que nous leur fourniffons de beaux
bois bien droits , & qu'ils nous ruinent en
frais en les faifant travailler avec toutes
ces formes finueufes ; qu'en faifant courber
nos portes pour les affujettir aux asrondiffemens
qu'il plaît au bon goût de
nos Architectes modernes de donner à
toutes nos chambres , il nous les font couter
beaucoup plus qu'en les faifant droites ,
& que nous n'y trouvons aucun avantage ,
puifque nous paffons également par une
porte droite comme par une porte arrondie.
Quant aux courbures des murailles
de nos appartemens , nous n'y trouvons
d'autre commodité que de ne fçavoir plus
oùplacer ni comment y arranger nos chaifes
ou autres meubles. Les Sculpteurs font
donc priés de vouloir bien ajouter foi aux
affurances que nous leur donnons , nous
qui n'avons aucun intérêt à les tromper ,
que les formes droites , quarrées , rondes
DECEMBRE. 1754. 183
& ovales régulieres , décorent auffi richement
que toutes leurs inventions ; que
comme leur exécution exacte eft plus difficile
que celle de tous ces herbages , aîles
de chauve-fouris , & autres miferes qui
font en ufage , elle fera plus d'honneur à
leur talent. Qu'enfin les yeux de nombre.
de bonnes gens dont nous fommes, leur auront
une obligation inexprimable de n'être
plus moleftés par des difproportions déraifonnables
, & par cette abondance d'ornemens
tortueux & extravagans.
Que fi nous demandons trop de chofes à
la fois , qu'ils nous accordent du moins
une grace , que dorénavant la moulure
principale qu'ils tourmentent ordinairement
, fera & demeurera droite , conformément
aux principes de la bonne architecture
; alors nous confentirons qu'ils faffent
tortiller leurs ornemens autour & par
deffus tant que bon leur femblera , nous
nous estimerons moins malheureux , parce
qu'un homme de bon goût , à qui un tel
appartement échoira , pourra avec un cifeau
abattre toutes ces drogues , & retrou
ver la moulure fimple qui lui fera une décoration
fage , & dont fa raifon ne fouffrira
pas.
On fent bien qu'une bonne partie des
plaintes que nous adreffons aux Sculpteurs
184 MERCURE DE FRANCE.
pourroient avec raifon s'adreffer aux Archi
tectes mais la vérité eft , que nous n'ofons
pas ; ces Meffieurs ne fe gouvernent
pas fi facilement , il n'en eft preſque aucun
qui doute de fes talens , & qui ne les vante
avec une confiance entiere ; nous ne préfumons
pas affez de notre crédit auprès
d'eux , pour nous flatter qu'avec les meilleures
raifons du monde nous puiflions
opérer leur converfion . Si nous nous étions
fentis affez de hardieffe , nous les aurions
refpectueufement invités à vouloir bien
examiner quelquefois le vieux Louvre , les
Tuileries , & plufieurs autres bâtimens
royaux du fiécle paffé , qui font univerfellement
reconnus pour de belles chofes ,
& à ne nous pas donner fi fouvent lieu de
croire qu'ils n'ont jamais vû ces bâtimens
qui font fi près d'eux . Nous les aurions
priés de nous faire grace de ces mauvaiſes
formes à pans qu'il femble qu'ils foient
convenus de donner à tous les avant- corps,
& nous les aurions affurés , dans la fincérité
de nos confciences , que tous les angles
obtus & aigus ( à moins qu'ils ne foient
donnés néceffairement , comme dans la
fortification ) font defagréables en architecture
, & qu'il n'y a que l'angle droit
qui puiffe faire un bon effet ; ils y perdroient
leurs fallons octogones : mais pour
DECEMBRE . 1754. 185
pas
quoi un fallon quarré ne feroit- il pas auffi
beau On ne feroit pas obligé de fupprimer
les corniches dans les dedans , pour
fauver la difficulté d'y bien diftribuer les
ornemens qui y font propres : ils n'auroient
été réduits à fubftituer des herbages ,
& autres gentilleffes mefquines , aux mọ-
dillons , aux denticules , & autres ornemens
inventés par des gens qui en fçavoient
plus qu'eux , & reçus de toutes les
Nations , après un mur examen .. Nous les
aurions priés d'admirer la beauté des pierres
qu'ils tirent de la carriere , qui font
naturellement droites & à angle droit , &
de vouloir bien ne les pas gâter pour leur
faire prendre des formes qui nous en font
perdre la moitié , & donnent des marques
publiques du dérangement de nos cervelles.
Nous les aurions priés de nous délivrer
de l'ennui de voir à toutes les maifons
des croifées ceintrées , depuis le rez-dechauffée
jufqu'à la manſarde , tellement
qu'il femble qu'il y ait un pacte fait de
n'en plus exécuter d'autres. Il n'y a pas
jufqu'au bois des chaffis de croifées qui veulent
auffi fe faire de fête , & qui fe tortuent
le plus joliment du monde , fans
autre avantage que de donner beaucoup
de peine au Menuifier , & de l'embarras
au Vitrier , lorfqu'il lui faut couper des
186 MERCURE DE FRANCE.
verres dans ces formes barroques.
Nous aurions bien eu encore quelques
petites repréſentations à leur faire fur ce
moule général , où il femble qu'ils jettent
toutes les portes cocheres , en faiſant toujours
retourner les moulures de la corniche
en ceintre , fans que celles de l'architrave
les fuivent , tellement que cette
corniche porte à faux ,
à faux , & que s'ils mettent
leur chere confole , toute inutile qu'elle y
eft , ils ne fçavent où la placer. Hors du
milieu du pilaftre elle eft ridicule ; au milieu
elle ne reçoit point la retombée de
cet arc. N'aurions nous pas en leur
accordant que la manfarde eft une invention
merveilleuſe , admirable , digne de
paffer à la poftérité la plus reculée , fi on
pouvoit la conftruire de marbre , les prier
néanmoins de vouloir bien en être plus chiches
, & nous faire voir quelquefois à fa
place un Attique qui étant perpendiculaire
& de pierre , fembleroit plus régu
lier & plus analogue au refte du bâtiment ?
car enfin on fe laffe de voir toujours une
maifon bleue fur une maifon blanche.
Combien de graces n'aurions nous pas
eu à leur demander ! mais nous efpererions
vainement qu'ils vouluffent nous en accorder
aucune. Il ne nous refte à leur égard
que de foupirer en fecret , & d'attendre
DECEMBRE . 1754 187
que leur invention étant épuifée , ils s'en
laffent eux-mêmes. Il paroît que ce tems
eft proche , car ils ne font plus que fe répéter
, & nous avons lieu d'efpérer que l'envie
de faire du nouveau , ramenera l'architecture
ancienne.
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Résumé : « SUPPLICATION aux Orfévres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartemens [...] »
En décembre 1754, une supplique est publiée dans le Mercure de France, adressée aux orfèvres, ciseleurs et sculpteurs d'appartements. Cette supplique, rédigée par une société d'artistes, appelle à respecter certaines règles de bon sens pour améliorer l'artisanat. Les auteurs reconnaissent que, bien que la nation française s'habitue aux écarts de l'imagination, la raison n'a pas entièrement triomphé. Les orfèvres sont invités à éviter les mélanges disproportionnés, comme des légumes de taille naturelle à côté de petits animaux ou des figures humaines sur des feuilles d'ornement trop petites. Ils doivent également respecter la destination des objets, par exemple en utilisant des chandeliers droits pour porter la lumière. Les sculpteurs d'appartements sont sollicités pour éviter les disproportions dans les trophées, comme des faux plus petites que des horloges ou des têtes humaines plus petites que des roses. Ils sont encouragés à utiliser des formes régulières, telles que des formes droites, carrées, rondes et ovales, qui décorent aussi richement que leurs inventions actuelles. Les auteurs reconnaissent que ces changements pourraient mettre au chômage des artisans habitués à des styles extravagants. Cependant, ils espèrent que les artistes accepteront ces règles pour le bien de l'art et du bon sens. Ils expriment également leur regret de ne pas pouvoir adresser ces plaintes aux architectes, jugés plus difficiles à convaincre. La supplique se termine par un souhait que les artisans se lassent de leurs inventions actuelles et reviennent à des formes plus classiques.
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