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Résultats : 5 texte(s)
2
p. 1773-1781
RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
Début :
Il est assez dangereux de se déterminer sur cette Question ; on s'expose nécessairement [...]
Mots clefs :
Poésie, Poète, Éloquence, Orateur, Prose, Gloire, Homme, Mérite
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
REPONSE à la Queſtion proposée
( dans le Mercute de Juin , page 1 179. )
Si la gloire des Orateurs eft préferable
celle des Poëtes.
I
Left affez dangereux de fe déterminer
fur cette Queſtion ; on s'expofe néceffairement
à déplaire aux uns ou aux autres
de ceux qui affectionnent l'un des deux
partis , jufqu'à fe piquer fouvent d'une
préference qui ne peut neanmoins rien
ôter à leur mérite ; en effet, qu'importe à
l'Orateur que le Poëte lui foit préferable ?
S'il y a plus de gloire à parler le langage
des Dieux que celui des hommes , tout
l'honneur en refte à l'une des Profeffions ,
qui eft plus excellente que l'autre ; mais
l'on ne doit rien imputer à celui qui
n'ayant ni moins d'efprit ni moins d'éloquence
, n'a cependant pas eu cet avantage
de naître favori d'Apollon . On doit
donc , fans crainte d'offenfer perfonne ,
difputer & enfin décider cette Queſtion
où il ne s'agit point de balancer le mérite
perfonnel de l'Orateur avec celui du Poëte
, mais feulement de fçavoir en general
en quel genre d'écrire ou de parler , foir
en Vers , foit en Profe , il eft plus glorieux
d'exceller.
>
Si
1774 MERCURE DE FRANCE
Si nous confiderons en premier lieu la
peine qu'il y a d'écrire & de compofer
le Poëte, fans difficulté , l'emporte fur l'Orateur
, il eſt aſtraint à fuivre des regles
très-étroites , la rime , la cadence & mille
autres loix tiennent fa raifon captive ; de
forte que dans les plus heureux efforts de
fon genie , il faut qu'il confulte toûjours
cette rime fatale , qu'il lui facrifie même
fouvent tout ce que fon efprit a pu produire
de plus jufte ou de plus brillant. Son travail
lui doit coûter d'autant plus que
toutes les expreffions doivent être moins
communes , & qu'il ne parle point comme
le refte des hommes : c'eft ce qui fait peutêtre
auffi qu'en general les Poëtes font
vains, & qu'ils s'imaginent qu'il y a autant
de diftance de leur condition à celle des
prophanes Mortels , qu'il y en a entre leur
façon de parler & celle des autres ; ce
qu'il y a de fûr , eft que du haut de leur
orgueil poëtique ils méprifent tous les
hommes , Odi prophanum vulgus . Ils ont
dans leur maniere de s'énoncer tant de
majefté & de grandeur , que la fuperftitieufe
Antiquité ne les a pas écoutés avec
moins de crainte que de refpect , & les
croyant infpirez , adoroit en quelque maniere
leurs productions divines ; n'y a-t-il
même beaucoup de gens aujourd'hui
qui entendent fineſſe en ces Vers de Virgile?
pas
Fam
AOUST. 1730. 1775
Jam redit & Virgo redeunt Saturnia Regna ,
Jam nova progenies Cælo demittitur alto ,
Tu mode nafcenti puero quo ferrea primum »
Definet ac toto furget gens aurea mundo ,
Cafta fave Lucina ; tuus jam regnat Apollo.
Il ne feroit pas incroyable, en effet, que
Dieu fe fut fervi de la bouche d'un Payen
pour annoncer au Monde la Naiffance
d'un Rédempteur , puifque nous voyons
dans les Saintes Ecritures , que les mauvais
comme les bons Prophetes , prédifoient
auffi certainement l'avenir.
Il eft donc certain , pour retourner à notre
fujet , qui ayant dans la Poëfie plus de
choix,plus de façon,& pour ainfi-dire plus
de miftere , il y a conféquemment plus
de travail. L'Orateur doit , à ce qu'il femble
, moins peiner dans fes compofitions ,
parle un langage ordinaire , plus fimple
& beaucoup moins recherché que celui
du Poëte. Cependant les habiles Connoiffeurs
tiennent qu'il ne faut pas moins de
feu, &, pour ainfi - dire , de ce divin entoufiafme
pour faire une belle Profe que pour
compofer les plus excellens Vers , & même
on a remarqué qu'une belle & élegante:
Profe frappe encore plus agréablement
Foreille que la plus belle Poëfic ; car elle a
auffi comme la Poëfie fes loix , fes regles ,
& fes mefures , elle doit être auffi , comme
1476 MERCURE DE FRANCE
me elle , nombreuſe , cadencée , périodi
que.
Cependant il ne faut pas obmettre une
Reflexion qui eft bien à l'avantage du
Poëte , c'eft que prefque tous ceux qui
excellent dans la Poëfie , écrivent bien en
Profe,quand il leurplaît; ainfi nous voyons
que la Profe de M. Defpreaux eft dans
fon genre auffi belle que fes Vers , ce qui
lui procura l'emploi d'écrire la Vie de
Louis XIV. par un choix qui devoit faire
un double honneur à la memoire de ce
grand Monarque , d'avoir pour Hiftorien
un Ectivain fi habile & un Poëte', qui
comme il le dit lui -même , ayant fait
profeffion de dire la verité à tout fon fiecle
, devoit en être moins fufpect de flatterie
envers la Pofterité.
On n'en peut pas dire autant des Orateurs
, qui ne font pas Poëtes , auffi facilement
que les Poëtes deviennent Orateurs.
Ciceron , ce prodige d'éloquence ', ayant
voulu s'évertuer un jour , ne put enfanter
que ce Vers qui ne mit pas les Rieurs de
fon côté.
O fortunatam natam me Confule Romam
On peut donc conclure delà qu'il eſt
plus difficile d'exceller dans la Poëfie , que
de faite une bonne Profe ; mais à ces raifons
on en pourroit ajoûter une beaucoup
plus
AOUST . 1730 1777
plus confiderable, qui eft que le merite du
Poëte eft d'autant plus fuperieur à celui
de l'Orateur , que la médiocrité dans la
Poëfie , comme dans la Muſique , n'eſt pas
fupportable , ce qu'on ne peut pas dire
des Orateurs , puifque ceux- là même qui
font d'un médiocre génie , ne laiffent pas
d'acquerir de la réputation ; au lieu qu'à
moins d'être excellent Poëte , il eft dangereux
de rimer ; enfin c'eft des Poëtes
qu'on pourroit dire avec le plus de raifon
aut Cefar , aut nihil.
Cependant fi on confidere la réputation
d'un Ciceron ou d'un Hortenfe chez les
Romains, d'un Démofthene , ou d'un Pericles
chez les Grecs , à la gloire d'un Vir
gile , d'un Horace, ou d'un Juvenal , d'un
Hefiode , ou d'un Homere , certainement
on ne trouvera pas que les premiers foient
en rien inferieurs aux autres .
Or fi l'eftime des hommes eft la jufte
mefure du mérite , pourquoi égaler la
gloire de l'Orateur , qui coute beaucoup
moins , à celle du Poëte , fi difficile à acquerir
? C'eſt , à dire le vrai , parce que
malgré toutes les refléxions que nous venons
de faire , la gloire de l'Orateur eft
préferable ; Ciceron gouverna la République
Romaine par fon éloquence , & la
préferva une fois de fa ruine. Démofthene
avec le même talent , déconcerta toute
la
1778 MERCURE DE FRANCE
prudence & toute la politique d'un grand
Roi , & regnoit par ce moyen dans fa Patrie
; car le veritable Empire eft celui qui
fe fait fentir fur les coeurs , du plus fecret
mouvement defquels l'Orateur fe rend
le maître Pericles s'étoit rendu fi puiffant
par la parole , qu'on avoit comparé
fon éloquence au foudre , tant ſes effets
étoient prompts & furprenans.
On a bien admiré les Poëtes dans tous
les temps , on a rendu juftice à leur talent
, mais jamais ont-ils eu la gloire de
fe rendre maîtres de la volonté des hommes
, de les gouverner & de les tourner
en quel fens il leur plaît ?
Virgile eut la gloire en entrant au Theatre
de voir les Affiftans fe lever par honneur
, de même que fi l'Empereur eut
paru ; mais cette diftinction toute flatteufe
qu'elle eft , n'a rien de comparable à la
gloire de gouverner des Etats , d'en difpofer
, d'égaler par la feule force de la
parole , la puiffance des plus grands Rois.
Que file prix & la valeur d'une chofe
fe mefure à la regle de l'utilité , il n'eft
point de Profeffion qui ne foit ou plus
utile , ou plus eftimable que l'art de faire
des Vers ; car outre qu'il y a peu d'exemples
que par le fecours de la Poëfie feule
on ait fait fortune , & que ceux qui la
cultivent fe foient procure feulement par
ce
AOUST. 1730. 1779
ce moyen les chofes neceffaires à la vie ,
on ne voit les Poëtes recherchez prefque
de perfonne , & ils ont raifon de fuir les
compagnies , de chercher la folitude dans
les Bois , dans les Campagnes & fur le
bord des Rivieres , ils préviennent en cela
le gout du Public , qui eft affez injufte
pour ne donner fon approbation & fon
eftime qu'à proportion de l'interêt qu'il
trouve & de l'utilité qui lui revient .
Des efprits chagrins trouveront encore
plus à redire qu'on s'amufe à faire des
Vers , c'est-à - dire , à affervir le bon fens à
la rime , comme fi on avoit de la raifon
de refte , & que des gens fages & fenfez
y perdent un temps qui eft fi précieux
& qu'ils pourroient employer ailleurs
beaucoup plus utilement ; en effet , la verfification
, qui n'eft qu'un arrangement
de mots qui frappent toujours l'oreille
d'un même fon , paroît plutôt un amuſement
d'enfant que l'ouvrage férieux d'un
homme raifonnable ; outre qu'il n'eft prefque
perfonne , qui après qu'on a lû une
longue tirade , même des plus beaux Vers,
n'éprouve qu'à la fin on s'ennuye d'un
ftile toujours fi uniforme , d'une cadence
toujours fi égale , & n'avoue que ce qui
avoit d'abord charmé par un faux éclat ,
devient à la fin fade & infipide.
M. Defpreaux avoit peut-être plus de
raifon
1780 MERCURE DE FRANCE
faifon qu'il ne penfoit l'orfqu'il a dit en
fe joüant :
Maudit foit le premier dont la verve inſenſée ,
Dans les bornes d'un Vers renferma ſa penſée. ”
Car fi on peut s'exprimer en Profe plus
naturellement & avec autant de force. A
quoi bon rechercher les phrafes mifterieufes
& alambiquées , que le vulgaire n'entend
qu'à demi , & dont les loix feveres
affoibliffent prefque toujours les penfées
les plus folides , fi elles ne les perdent
abfolument ?
A parler franchement , la Poëfie n'eft
bonne qu'à un feul ufage , & auquel elle
doit fa naiffance , fi on en croit les anciens,
c'eft qu'elle fe retient plus aifément & fe
conferve plus long-temps dans la memoire
; car comme avant l'invention des
Lettres , l'Hiftoire des temps & des éve
nemens & en general toutes fortes de
connoiffances devoient être renfermées
dans la memoire des hommes , la Naif
fance du Monde , l'Hiftoire , la Religion
même , tout fut mis en Vers , qu'on faifoit
apprendre par coeur aux enfans , & dont
ils fe reffouvenoient plus facilement què
de la Profe , pour en tranfmettre le fouvenir
à la pofterité ; mais aujourd'hui
qu'on a non feulement l'ufage des Lettres,
mais encore celui de l'Imprimerie , la Poëfie
AOUST . 1730. 1781
fie n'a pas même confervé fur la Profe
le foible avantage dont elle n'étoit redevable
qu'à l'ignorance des hommes & à
la neceflité des temps .
Ces differentes confiderations fuffiroient
feules pour fe déterminer en faveur des
Orateurs contre les Poëtes ; mais ce qui
leve, entierement toute la difficulté de
cette Queſtion , à ne laiffer plus aucun ſujet
de douter , c'eft qu'il ne fuffit pas pour l'Orateur
de bien écrire & d'exceller dans la
compofition , il lui eft néceffaire de plus
d'avoir le talent de la parole , une heureufe
memoire , un agréable maintien
une prononciation nette, une voix fonore,
un bon gefte , qui font autant de qualitez
dont le Poëte fe paffe aifément : d'où
l'on doit conclure que la gloire de l'Orateur
eft préferable , puifqu'elle demande
l'affemblage d'un plus grand nombre
de belles qualitez.
Par M. M ... D ... de Besançon,
( dans le Mercute de Juin , page 1 179. )
Si la gloire des Orateurs eft préferable
celle des Poëtes.
I
Left affez dangereux de fe déterminer
fur cette Queſtion ; on s'expofe néceffairement
à déplaire aux uns ou aux autres
de ceux qui affectionnent l'un des deux
partis , jufqu'à fe piquer fouvent d'une
préference qui ne peut neanmoins rien
ôter à leur mérite ; en effet, qu'importe à
l'Orateur que le Poëte lui foit préferable ?
S'il y a plus de gloire à parler le langage
des Dieux que celui des hommes , tout
l'honneur en refte à l'une des Profeffions ,
qui eft plus excellente que l'autre ; mais
l'on ne doit rien imputer à celui qui
n'ayant ni moins d'efprit ni moins d'éloquence
, n'a cependant pas eu cet avantage
de naître favori d'Apollon . On doit
donc , fans crainte d'offenfer perfonne ,
difputer & enfin décider cette Queſtion
où il ne s'agit point de balancer le mérite
perfonnel de l'Orateur avec celui du Poëte
, mais feulement de fçavoir en general
en quel genre d'écrire ou de parler , foir
en Vers , foit en Profe , il eft plus glorieux
d'exceller.
>
Si
1774 MERCURE DE FRANCE
Si nous confiderons en premier lieu la
peine qu'il y a d'écrire & de compofer
le Poëte, fans difficulté , l'emporte fur l'Orateur
, il eſt aſtraint à fuivre des regles
très-étroites , la rime , la cadence & mille
autres loix tiennent fa raifon captive ; de
forte que dans les plus heureux efforts de
fon genie , il faut qu'il confulte toûjours
cette rime fatale , qu'il lui facrifie même
fouvent tout ce que fon efprit a pu produire
de plus jufte ou de plus brillant. Son travail
lui doit coûter d'autant plus que
toutes les expreffions doivent être moins
communes , & qu'il ne parle point comme
le refte des hommes : c'eft ce qui fait peutêtre
auffi qu'en general les Poëtes font
vains, & qu'ils s'imaginent qu'il y a autant
de diftance de leur condition à celle des
prophanes Mortels , qu'il y en a entre leur
façon de parler & celle des autres ; ce
qu'il y a de fûr , eft que du haut de leur
orgueil poëtique ils méprifent tous les
hommes , Odi prophanum vulgus . Ils ont
dans leur maniere de s'énoncer tant de
majefté & de grandeur , que la fuperftitieufe
Antiquité ne les a pas écoutés avec
moins de crainte que de refpect , & les
croyant infpirez , adoroit en quelque maniere
leurs productions divines ; n'y a-t-il
même beaucoup de gens aujourd'hui
qui entendent fineſſe en ces Vers de Virgile?
pas
Fam
AOUST. 1730. 1775
Jam redit & Virgo redeunt Saturnia Regna ,
Jam nova progenies Cælo demittitur alto ,
Tu mode nafcenti puero quo ferrea primum »
Definet ac toto furget gens aurea mundo ,
Cafta fave Lucina ; tuus jam regnat Apollo.
Il ne feroit pas incroyable, en effet, que
Dieu fe fut fervi de la bouche d'un Payen
pour annoncer au Monde la Naiffance
d'un Rédempteur , puifque nous voyons
dans les Saintes Ecritures , que les mauvais
comme les bons Prophetes , prédifoient
auffi certainement l'avenir.
Il eft donc certain , pour retourner à notre
fujet , qui ayant dans la Poëfie plus de
choix,plus de façon,& pour ainfi-dire plus
de miftere , il y a conféquemment plus
de travail. L'Orateur doit , à ce qu'il femble
, moins peiner dans fes compofitions ,
parle un langage ordinaire , plus fimple
& beaucoup moins recherché que celui
du Poëte. Cependant les habiles Connoiffeurs
tiennent qu'il ne faut pas moins de
feu, &, pour ainfi - dire , de ce divin entoufiafme
pour faire une belle Profe que pour
compofer les plus excellens Vers , & même
on a remarqué qu'une belle & élegante:
Profe frappe encore plus agréablement
Foreille que la plus belle Poëfic ; car elle a
auffi comme la Poëfie fes loix , fes regles ,
& fes mefures , elle doit être auffi , comme
1476 MERCURE DE FRANCE
me elle , nombreuſe , cadencée , périodi
que.
Cependant il ne faut pas obmettre une
Reflexion qui eft bien à l'avantage du
Poëte , c'eft que prefque tous ceux qui
excellent dans la Poëfie , écrivent bien en
Profe,quand il leurplaît; ainfi nous voyons
que la Profe de M. Defpreaux eft dans
fon genre auffi belle que fes Vers , ce qui
lui procura l'emploi d'écrire la Vie de
Louis XIV. par un choix qui devoit faire
un double honneur à la memoire de ce
grand Monarque , d'avoir pour Hiftorien
un Ectivain fi habile & un Poëte', qui
comme il le dit lui -même , ayant fait
profeffion de dire la verité à tout fon fiecle
, devoit en être moins fufpect de flatterie
envers la Pofterité.
On n'en peut pas dire autant des Orateurs
, qui ne font pas Poëtes , auffi facilement
que les Poëtes deviennent Orateurs.
Ciceron , ce prodige d'éloquence ', ayant
voulu s'évertuer un jour , ne put enfanter
que ce Vers qui ne mit pas les Rieurs de
fon côté.
O fortunatam natam me Confule Romam
On peut donc conclure delà qu'il eſt
plus difficile d'exceller dans la Poëfie , que
de faite une bonne Profe ; mais à ces raifons
on en pourroit ajoûter une beaucoup
plus
AOUST . 1730 1777
plus confiderable, qui eft que le merite du
Poëte eft d'autant plus fuperieur à celui
de l'Orateur , que la médiocrité dans la
Poëfie , comme dans la Muſique , n'eſt pas
fupportable , ce qu'on ne peut pas dire
des Orateurs , puifque ceux- là même qui
font d'un médiocre génie , ne laiffent pas
d'acquerir de la réputation ; au lieu qu'à
moins d'être excellent Poëte , il eft dangereux
de rimer ; enfin c'eft des Poëtes
qu'on pourroit dire avec le plus de raifon
aut Cefar , aut nihil.
Cependant fi on confidere la réputation
d'un Ciceron ou d'un Hortenfe chez les
Romains, d'un Démofthene , ou d'un Pericles
chez les Grecs , à la gloire d'un Vir
gile , d'un Horace, ou d'un Juvenal , d'un
Hefiode , ou d'un Homere , certainement
on ne trouvera pas que les premiers foient
en rien inferieurs aux autres .
Or fi l'eftime des hommes eft la jufte
mefure du mérite , pourquoi égaler la
gloire de l'Orateur , qui coute beaucoup
moins , à celle du Poëte , fi difficile à acquerir
? C'eſt , à dire le vrai , parce que
malgré toutes les refléxions que nous venons
de faire , la gloire de l'Orateur eft
préferable ; Ciceron gouverna la République
Romaine par fon éloquence , & la
préferva une fois de fa ruine. Démofthene
avec le même talent , déconcerta toute
la
1778 MERCURE DE FRANCE
prudence & toute la politique d'un grand
Roi , & regnoit par ce moyen dans fa Patrie
; car le veritable Empire eft celui qui
fe fait fentir fur les coeurs , du plus fecret
mouvement defquels l'Orateur fe rend
le maître Pericles s'étoit rendu fi puiffant
par la parole , qu'on avoit comparé
fon éloquence au foudre , tant ſes effets
étoient prompts & furprenans.
On a bien admiré les Poëtes dans tous
les temps , on a rendu juftice à leur talent
, mais jamais ont-ils eu la gloire de
fe rendre maîtres de la volonté des hommes
, de les gouverner & de les tourner
en quel fens il leur plaît ?
Virgile eut la gloire en entrant au Theatre
de voir les Affiftans fe lever par honneur
, de même que fi l'Empereur eut
paru ; mais cette diftinction toute flatteufe
qu'elle eft , n'a rien de comparable à la
gloire de gouverner des Etats , d'en difpofer
, d'égaler par la feule force de la
parole , la puiffance des plus grands Rois.
Que file prix & la valeur d'une chofe
fe mefure à la regle de l'utilité , il n'eft
point de Profeffion qui ne foit ou plus
utile , ou plus eftimable que l'art de faire
des Vers ; car outre qu'il y a peu d'exemples
que par le fecours de la Poëfie feule
on ait fait fortune , & que ceux qui la
cultivent fe foient procure feulement par
ce
AOUST. 1730. 1779
ce moyen les chofes neceffaires à la vie ,
on ne voit les Poëtes recherchez prefque
de perfonne , & ils ont raifon de fuir les
compagnies , de chercher la folitude dans
les Bois , dans les Campagnes & fur le
bord des Rivieres , ils préviennent en cela
le gout du Public , qui eft affez injufte
pour ne donner fon approbation & fon
eftime qu'à proportion de l'interêt qu'il
trouve & de l'utilité qui lui revient .
Des efprits chagrins trouveront encore
plus à redire qu'on s'amufe à faire des
Vers , c'est-à - dire , à affervir le bon fens à
la rime , comme fi on avoit de la raifon
de refte , & que des gens fages & fenfez
y perdent un temps qui eft fi précieux
& qu'ils pourroient employer ailleurs
beaucoup plus utilement ; en effet , la verfification
, qui n'eft qu'un arrangement
de mots qui frappent toujours l'oreille
d'un même fon , paroît plutôt un amuſement
d'enfant que l'ouvrage férieux d'un
homme raifonnable ; outre qu'il n'eft prefque
perfonne , qui après qu'on a lû une
longue tirade , même des plus beaux Vers,
n'éprouve qu'à la fin on s'ennuye d'un
ftile toujours fi uniforme , d'une cadence
toujours fi égale , & n'avoue que ce qui
avoit d'abord charmé par un faux éclat ,
devient à la fin fade & infipide.
M. Defpreaux avoit peut-être plus de
raifon
1780 MERCURE DE FRANCE
faifon qu'il ne penfoit l'orfqu'il a dit en
fe joüant :
Maudit foit le premier dont la verve inſenſée ,
Dans les bornes d'un Vers renferma ſa penſée. ”
Car fi on peut s'exprimer en Profe plus
naturellement & avec autant de force. A
quoi bon rechercher les phrafes mifterieufes
& alambiquées , que le vulgaire n'entend
qu'à demi , & dont les loix feveres
affoibliffent prefque toujours les penfées
les plus folides , fi elles ne les perdent
abfolument ?
A parler franchement , la Poëfie n'eft
bonne qu'à un feul ufage , & auquel elle
doit fa naiffance , fi on en croit les anciens,
c'eft qu'elle fe retient plus aifément & fe
conferve plus long-temps dans la memoire
; car comme avant l'invention des
Lettres , l'Hiftoire des temps & des éve
nemens & en general toutes fortes de
connoiffances devoient être renfermées
dans la memoire des hommes , la Naif
fance du Monde , l'Hiftoire , la Religion
même , tout fut mis en Vers , qu'on faifoit
apprendre par coeur aux enfans , & dont
ils fe reffouvenoient plus facilement què
de la Profe , pour en tranfmettre le fouvenir
à la pofterité ; mais aujourd'hui
qu'on a non feulement l'ufage des Lettres,
mais encore celui de l'Imprimerie , la Poëfie
AOUST . 1730. 1781
fie n'a pas même confervé fur la Profe
le foible avantage dont elle n'étoit redevable
qu'à l'ignorance des hommes & à
la neceflité des temps .
Ces differentes confiderations fuffiroient
feules pour fe déterminer en faveur des
Orateurs contre les Poëtes ; mais ce qui
leve, entierement toute la difficulté de
cette Queſtion , à ne laiffer plus aucun ſujet
de douter , c'eft qu'il ne fuffit pas pour l'Orateur
de bien écrire & d'exceller dans la
compofition , il lui eft néceffaire de plus
d'avoir le talent de la parole , une heureufe
memoire , un agréable maintien
une prononciation nette, une voix fonore,
un bon gefte , qui font autant de qualitez
dont le Poëte fe paffe aifément : d'où
l'on doit conclure que la gloire de l'Orateur
eft préferable , puifqu'elle demande
l'affemblage d'un plus grand nombre
de belles qualitez.
Par M. M ... D ... de Besançon,
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Résumé : RÉPONSE à la Question proposée (dans le Mercure de Juin, page 1179.) Si la gloire des Orateurs est préferable à celle des Poëtes.
Le texte traite de la supériorité de la gloire des orateurs par rapport à celle des poètes. L'auteur commence par souligner les risques de prendre parti dans cette controverse, car cela peut déplaire à l'un ou l'autre camp. Il précise que la question ne porte pas sur la comparaison des mérites personnels, mais sur la gloire associée à chaque profession. L'auteur examine ensuite les efforts nécessaires pour écrire des poèmes et des discours. Les poètes doivent suivre des règles strictes comme la rime et la cadence, ce qui peut limiter leur expression. Les orateurs, en revanche, utilisent un langage plus simple et ordinaire, mais nécessitent également un grand talent et une élocution parfaite. Le texte mentionne que les poètes, comme Boileau, peuvent également exceller dans la prose, mais que les orateurs ne deviennent pas aussi facilement poètes. Cependant, la réputation des grands orateurs comme Cicéron ou Démosthène est comparable à celle des grands poètes comme Virgile ou Homère. L'auteur conclut que la gloire des orateurs est préférable, car ils peuvent gouverner et influencer les hommes par leur éloquence. Les poètes, bien qu'admirés, n'ont pas cette capacité de diriger ou de gouverner. De plus, la poésie est souvent perçue comme un amusement et non comme une activité sérieuse. Enfin, l'orateur doit posséder un ensemble de qualités supplémentaires, comme une bonne mémoire et une prononciation claire, ce qui renforce la préférence pour la gloire des orateurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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5
p. 88-89
LOGOGRYPHE.
Début :
Un seul mot dans cinq pieds, sans y rien retrancher, [...]
Mots clefs :
Écran
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LOGOGRYPHE.
LOGOGRYPHE.
UN feul mot dans cinq pieds , fans y rien retrancher
,
Vous en fournira cinq , fi vous fçavez chercher :
MARS. 1756. 89
Tranfpofez - les fi bien , qu'en prenant chaque
lettre ,
Vous commenciez celui que vous voulez connoître.
Le premier en hyver fert dans notre maiſon ,
Et devient inutile en toute autre faifon.
Vous portez le fecond : quoiqu'en votre ſtructure
Il foit effentiel , c'eft fouvent une injure .
Le troifiéme déplaît au goût , તàે l'odorat ;
On peut le rejetter fans être délicat .
Sur mer le quatriéme aide à vaincre l'orage .
C'eft dans ce feul endroit qu'on en peut faire
ufage .
Le dernier , cher Lecteur , eft peut - être fur vous ;
Car on le voit briller dans les plus beaux bijoux.
A Besançon ; par un Officier.
UN feul mot dans cinq pieds , fans y rien retrancher
,
Vous en fournira cinq , fi vous fçavez chercher :
MARS. 1756. 89
Tranfpofez - les fi bien , qu'en prenant chaque
lettre ,
Vous commenciez celui que vous voulez connoître.
Le premier en hyver fert dans notre maiſon ,
Et devient inutile en toute autre faifon.
Vous portez le fecond : quoiqu'en votre ſtructure
Il foit effentiel , c'eft fouvent une injure .
Le troifiéme déplaît au goût , તàે l'odorat ;
On peut le rejetter fans être délicat .
Sur mer le quatriéme aide à vaincre l'orage .
C'eft dans ce feul endroit qu'on en peut faire
ufage .
Le dernier , cher Lecteur , eft peut - être fur vous ;
Car on le voit briller dans les plus beaux bijoux.
A Besançon ; par un Officier.
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