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1
p. 2939-2949
REMEDIUM AMORIS.
Début :
Beau Sexe, c'est en vain que tes Adorateurs, [...]
Mots clefs :
Beaux sexe, Amour, Femmes, Discours, Grâces
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texteReconnaissance textuelle : REMEDIUM AMORIS.
REMEDIUM AMORIS.
BEEAaUu Sexe, c'est en vain que tes Adorateurs ,
De tes moindres attraits faux apréciateurs ,
Par un culte , fondé sur de fameux exemples ,
Te dressent des Autels et t'élevent des Temples ;
En vain dans leur yvresse et leur enchantement
Je les entends par tout publier hautement ,
Que les Palais des Rois, que le Ciel, le Ciel même,
Ne vaut pas un Desert où l'on voit ce qu'on aime,
Et qu'il n'est point enfin de sauvage séjour
Qui ne soit embelli par les mains de l'Amour ,
D'un fanatisme outré Sectateur temeraire ,
Je l'abjure , et j'ai trop éprouvé le contraire,
O vous à qui ce Dieu fait perdre la raison ,
Je vous offre ces Vers pour votre guérison.
Puissent dans ce récit mes tristes avantures ,
Passer de main en main jusqu'aux races futures.
D'un Enclos tout couvert d'ossemens infectez ,
Restes encor chéris , mais fuis et respectez ,
S'éleve une vapeur du centre de la Terre ,
Que le Dieu des Enfers pour nous livrer la
Et grossir à la fois ses immenses trésors ,
Exhale contre nous de l'Empire des Morts.
Des arbres jaunissans couvrent de leur verdure ,
guerre,
* Cimetiere.
I I. Vol.
Bij
Les
2940 MERCURE DE FRANCE
Les Squeletes voisins privez de sépulture ,
Et semblent reconnoître , en cachant leurs af
fronts ,
Le suc qui les sustente en passant dans leurs
-troncs .
Nul Oyseau ne nicha sous leur triste feuillage ,
Et nul n'y fit jamais entendre son ramage ,
Si ce n'est le Hibou qui s'en vient tous les soirs ,
Effrayer par ses cris les plus prochains Manoirs,
Les Corbeaux , attirez par tant de pourriture ,
Y croassent le jour en cherchant leur pâture ;
Mais leur croassement cede aux chants importuns
,
Que l'usage consacre à l'honneur des deffunts.
Ici les hurlemens dune veuve affligée ,
Et ceux de sa famille autour d'elle rangée ,
De leurs cris pénetrants formant des unissons ,
Font lever les chassis de toutes les maisons.
Quel spectacle d'y voir et le fils et le pere ,
Et le frere et la soeur , et la fille et la mere ,
Embrasser un cadavre , et vouloir avec lui
S'enfermer au tombeau pour finir leur ennui ;
Tous dans le desespoir dont l'excès les consume,
Semblent de l'Indoustan envier la coûtume :
Mais malgré les horreurs qu'on trouve dans ces
lieux ,
Il est d'autres objets encor plus odieux ;
Car jamais , après tout, quoiqu'on en puisse dire,
11. Vol.
Les
DECEMBRE 1737. 2941
Les Morts sur les vivans n'ont eu beaucoup d'Empire
;
Malgré les Contes bleux dont nous sommes
bercez ,
Je crains plus un Voleur que mille Trépassez ;
Et je traverserois plutôt dix Cimetieres ,
Quelqu'horreur que l'on ait et des Morts et des
Bieres ,
Que je n'affronterois le Cul-de - sac affreux ,
Que je passois les soirs , lorsqu'étant amoureux
J'allois me délasser avec ma Dulcinée ,
Des occupations de toute ma journée ,
Et chercher auprès d'elle un aimable loisir ;
Je risquois plus cent fois lorsque j'osois franchir ,
De ces lieux meurtiers le terrible passage ,
Que l'Amant de Hero qui gagnoit à la nâge ,
Les bords de l'Helespont , éclairé d'une Tour,
Ou plutôt du flambeau que lui prêtoit l'Amour .
Lieu terrible où cent fois Cartouche en ses batailles
,
A teint du sang humain le pied de ses murailles ,
Si je n'y reçûs point quelque coup de poignard ,
J'en rends graces au Dieu qui préside au hazard;
Ainsi dans l'Art d'aimer j'éprouvois plus d'allarmes
,
Qu'on n'en peut essuyer dans le métier des arines.
Quand après ces dangers et ces désagrémens ,
Je voulois à l'Amour donner quelques momens ,
II. Vol.
Bij
Tou
2942 MERCURE DE FRANCE
Toujours au tête-à- tête on mettoit quelqu'obs
tacle ,
Et pour nous trouver seuls , il falloit un miracle.
Tantôt une Nourrice apportoit son Poupon ,
Qu'allaitoit devant nous un dégoutant teton ;
L'enfant crie ; Amours , Jeux , Plaisirs , tout se
disperse
Un giron le reçoit ; on l'agite , on le berce ,
Il s'endort ; par malheur ce n'est pas pour longtemps
,
Nous entendons bien- tôt des cris plus éclatans.
Un bruit sourd de boyaux nous annonce une
pluye ;
L'enfant est inondé ; la Nourrice l'essuye ,
Et du débordement à nos yeux étalé ,
Notre nez pour surcroît est encor régalé.
En vain par des secours , maussadement utiles ,
Le Poupon se rendort ; sommes -nous plus tranquiles
a
La Nourrice bientôt nous apprend à quel prix ;
Elle entonne des chants plus aigres que les cris ;
Elle a pourtant le front de demander silence ,
Et , croyant nous payer de notre complaisance ,
Par de longs tremblemens elle commence un air
Propre à sonner l'allarmes aux Rives de l'Enfer.
Nous respirons enfin , grace au sommeil propice ,
Qui saisit à la fois et Poupon et Nourrice ;
Lorsqu'une Chambriere encor vient nous troubler
;
11. Vol. La
DECEMBRE. 1731. 2943
La Maîtresse l'envoye et nous fait appeller ;
On nous dit desa part qu'il n'est pas trop honnête;
De faire si long - temps durer un tête - à-tête.
C'est ainsi qu'abusoit de son autorité ,
La Dame du Logis sur la foi d'un Traité ,
Dont j'avois bien voulu convenir avec elle ,
Quand je lui confiai ma jeune Jouvencelle ;
Sur tout prendre bien soin de sauver les dehors,
Etoit specifié par nos communs accords ,
Et comme c'est la loy qui rend l'homme cou
pable ,
Par ces mots à ses yeux tout étoit condamnable..
Jugez par ces objets fâcheux et dégoutans ,
Si ma Maitresse et moi nous étions bien contens ,
Et moi , sur tout , qui hais à tel point la con
trainte ;
Que je préfererois à la plus belle Aminte ,
Le précieux trésor de vivre en liberté .
Un Soldat qu'on reprend quand il a deserté,
Bt qu'un Sergent conduit à la prison prochaine ,
L'Esclave fugitif qu'à son Maître on ramene ,
Ont l'air plus assuré que nous n'avions tous deux,
Quand nous obéissions à l'ordre rigoureux ,
De venir augmenter la charmante Assemblée ;
A peine arrivons-nous , que dix femmes d'emblée,
Se levent et nous font un assez froid accueil ;
Cependant on nous traîne à chacun un fauteiiil ,
Quand trois chiens , que pour nous on fit sortir.
de place ,
t
2944 MERCURE DE FRANCE
2
Semblent pour s'en venger et punir notre audace ,
Par de longs aboyemens
, réunis contre nous ,
Témoigner
à la fois leur peine et leur couroux :
On a beau menacer cette Troupe en furie ,
Elle aboye encor plus à mesure qu'on crie ;
On capitule enfin , et par convention
,
Trois Dames les prenant sous leur protection
Au mal qu'on leur a fait fournissent le remede ;
Mais quel triste silence à ce grand bruit succede !
Harpocrate , ce Dieu des femmes , ignoré ,
Pour la premiere fois , là se vit honoré .
Toutes se regardoient , honteuses d'un silence ,
Qu'elles ne supportoient
qu'avec impatience
;
La Dame du logis le prit pour un affront ,
La rougeur à l'instant lui monta sur le front
Puis donnant à son cercle une libre carriere ,
A rompre le silence elle fut la premiere :
Au flux de leurs caquets laissant un libre cours ,
Nos Dames à l'instant commencent
cent discours
,
Toutes dix à la fois saisissant la parole ;
Tels Virgile nous peint les Vents que lâche Eole ,
Pour faire succomber la Flotte des Troyens ;
Tels sont tous ces discours qui renferment des
riens ;
Encore s'ils sortoient de ces bouches vermeilles ,
Qui font plaisir aux yeux pour mieux plaire aux
oreilles
11. Vol.
Qui
DECEMBRE . 1731. 2945
Qui montrent en s'ouvrant deux rateliers charmans
Garnis d'un beau corail et de plus belles dents ;
Tout ce qui sort alors d'une si belle bouche ,
Paroît spirituel , nous enchante et nous touche ,
Et ne nous parla - t'on qu'ajustement , couleur ,
Tout est dit avec grace et tout va jusqu'au coeur
Mais celles qui parloient exhaloient une haleine ,
Qui n'auroit pas permis d'entendre Demosthene .
Quels furent donc pour moi les ennuyeux discours
,
Ausquels dans tout le cercle on donnoit libre
cours ?
A chaque quolibet que l'on venoit de dire ,
J'entendois coup sur coup de grands éclats de rires
J'aurois aussi ri moi ; mais à juste raison
De tous ces ris lâchez si fort hors de saison ,
Si toutes ces beautez, rien moins que Printanieres,,
Ne m'eussent fait songer aux quatre fins der
nieres.
Hélas ! disois-je alors , leur Eté s'est passé ,
Et tout leur sang bien - tôt dans leurs veines glacé,,
Ne soutenir leurs tremblantes carcasses pourra ;
Temps cruel, il n'est rien qu'à la fin tu n'effaces;
Et malgré les efforts du Talc et du Carmin ,
On reconnoît toujours l'ouvrage de la main ; ,
L'on ne voit plus ici l'éclar de la Jeunesse ;
Le tems l'a moissonnée avec trop de vitesse ,
Et les tristes regrets d'avoir jadis été ,
11. Vol,
B.V Est
2946 MERCURE DE FRANCE
Est tout ce qu'elles ont du fruit de leur beautés
J'avouerai cependant qu'à leur dixiéme lustre,
Ces femmes faisoient voir encore quelque lustre,
Quelqu'agrément , leur front , leur teint étoient
unis
Leurs sourcils n'étoient pas tout- à -fait dégarnis ;
C'étoient leurs propres dents qu'on voyoit dans
leur bouche ;
Elles n'avoient pas tant l'air de femmes en cou→
che ,
Enfin , en ménageant adroitement leur jour ,
Elles auroient encore inspiré de l'amour.
J'en aurois pû choisir sur tout une d'entre elles ,
Digne , à quelques ans près , d'être au nombre
des belles;
Mais , nouvelle Niobe , elle vantoit toujours ,
Deux enfans , jeunes fruits de ses vieilles amours.
J'aurois voulu la voir en Rocher transformée ,
Qu du moins que sa bouche à jamais fût fermée
Faites venir mon fils , qu'il amene sa soeur ;
»Dit - elle , vous verrez leur beauté , leur douceur:
» Mon fils est gros et fort , se tient plus droit
qu'un cierge ;
Ma fille a le teint frais et tout l'air d'une vierge,
Elle n'a qu'un deffaut, sa bouche enfonce un peu;
Mais ( vous devez m'en croire après un tel aveu) .
Combien elle a d'attraits ! sa beauté feroit honte
» A la Divinité qui regne en Amathonte ;
C'est tout mon vrai Portrait , il n'est rien de
plus beau ;
DECEMBRE . 1731 2947
Dans quelque temps
peau !
d'ici que de coups de cha-
Quelle nombreuse Cour , quand sa beauté
formée ,
Fera par tout Paris voler sa renommée !
» Que d'infidelitez causeront ses appas !
Que de femmes voudroient qu'on ne la connûr
pas !
Mais ce ne sera point son unique appanage ,
Elle aura de l'esprit , des talens , du langage ,
➡ Elle danse , elle chante , et sur un Clavecin ,
Les Graces et les Jeux guident sa juste main.
»Je reviens à mon fils ; à lui rendre justice ,
» Ce n'est point un Rival d'Adonis, de Narcisse ;
Il n'est pas des plus beaux , mais l'Empire
amoureux ,
»Demande seulement des Heros vigoureux.
2
Jamais en son chemin ne trouvant de cruelles ,
>>Sur tous ses concurrens primant dans les ruelles,
Je le vois devenir la terreur des Maris ,
Et les associer à l'Epoux de Cypris .
Quel flux ! ma patience à bout étoit poussée ,
Lorsqu'une Hebé parat la main embarassée ,
De cinq verres de vin rangez entre ses doigts ,
Dont elle m'arrosa de la valeur de trois ,
En voulant de son pied sur nous fermer la porte
Cet accident fit rire , et d'une telle sorte ,
Qu'à peine entendoit on la Dame de ces lieux ,
1.1. Vol Byj Qui
2948 MERCURE DE FRANCE
Qui crioit cependant et juroit de son mieux
Contre la pauvre Hebé , qu'on traita d'étourdie ;
Mais ne la croyant pas encore assez punie
Des paroles , la Dame en vint à l'action ,
Un soufflet mit le comble à la punition ,
Et ce coup , peu s'en faut ensanglantant la Scene,
Les ris à la pitié , firent place sans peine.
Alors voyant la part qu'on prend à son malheur,
Hebé fait sans contrainte éclater sa douleur ,
Se venge par ses cris des coups de sa Maîtresse
Et le cercle lui sert comme de Forteresse.
Pour moi , ne méditant que mon évasion ,
Je voulus profiter de la confusion ,
Pour quitter ce Sabbat et regagner mon gîte ,
Et j'enfilois déja le palier au plus vite ,
Quand , tel que Don Japhet , transi sur son-
Balcon
Je me trouve arrosé de la tête au talon ,,
D'une eau.... Grand Dieu ! quelle cau , je ne
pris pas le change ,
Jusqu'à prendre cela pour eau de fleur d'Orange ;
Je ne m'épuisai point en regrets superflus ,
Mais je résolus bien de n'y revenir plus.
Encore trop heureux même dans mes disgraces
Et je rendis au Ciel mille actions de graces ,
De me voir éloigné d'une telle maison ,
Plus affreuse pour moi qu'une horrible prison.
Amans qui gémissez sous le poids de vos chaînes;
II. Vol Voulez
DECEMBRE 1731. 2949%
Voulez - vous pour toujours mettre fin à vos
peines ?
Dans de semblables lieux allez faire l'amour ;.
Et comptez de guérir avant la fin du jour.
BEEAaUu Sexe, c'est en vain que tes Adorateurs ,
De tes moindres attraits faux apréciateurs ,
Par un culte , fondé sur de fameux exemples ,
Te dressent des Autels et t'élevent des Temples ;
En vain dans leur yvresse et leur enchantement
Je les entends par tout publier hautement ,
Que les Palais des Rois, que le Ciel, le Ciel même,
Ne vaut pas un Desert où l'on voit ce qu'on aime,
Et qu'il n'est point enfin de sauvage séjour
Qui ne soit embelli par les mains de l'Amour ,
D'un fanatisme outré Sectateur temeraire ,
Je l'abjure , et j'ai trop éprouvé le contraire,
O vous à qui ce Dieu fait perdre la raison ,
Je vous offre ces Vers pour votre guérison.
Puissent dans ce récit mes tristes avantures ,
Passer de main en main jusqu'aux races futures.
D'un Enclos tout couvert d'ossemens infectez ,
Restes encor chéris , mais fuis et respectez ,
S'éleve une vapeur du centre de la Terre ,
Que le Dieu des Enfers pour nous livrer la
Et grossir à la fois ses immenses trésors ,
Exhale contre nous de l'Empire des Morts.
Des arbres jaunissans couvrent de leur verdure ,
guerre,
* Cimetiere.
I I. Vol.
Bij
Les
2940 MERCURE DE FRANCE
Les Squeletes voisins privez de sépulture ,
Et semblent reconnoître , en cachant leurs af
fronts ,
Le suc qui les sustente en passant dans leurs
-troncs .
Nul Oyseau ne nicha sous leur triste feuillage ,
Et nul n'y fit jamais entendre son ramage ,
Si ce n'est le Hibou qui s'en vient tous les soirs ,
Effrayer par ses cris les plus prochains Manoirs,
Les Corbeaux , attirez par tant de pourriture ,
Y croassent le jour en cherchant leur pâture ;
Mais leur croassement cede aux chants importuns
,
Que l'usage consacre à l'honneur des deffunts.
Ici les hurlemens dune veuve affligée ,
Et ceux de sa famille autour d'elle rangée ,
De leurs cris pénetrants formant des unissons ,
Font lever les chassis de toutes les maisons.
Quel spectacle d'y voir et le fils et le pere ,
Et le frere et la soeur , et la fille et la mere ,
Embrasser un cadavre , et vouloir avec lui
S'enfermer au tombeau pour finir leur ennui ;
Tous dans le desespoir dont l'excès les consume,
Semblent de l'Indoustan envier la coûtume :
Mais malgré les horreurs qu'on trouve dans ces
lieux ,
Il est d'autres objets encor plus odieux ;
Car jamais , après tout, quoiqu'on en puisse dire,
11. Vol.
Les
DECEMBRE 1737. 2941
Les Morts sur les vivans n'ont eu beaucoup d'Empire
;
Malgré les Contes bleux dont nous sommes
bercez ,
Je crains plus un Voleur que mille Trépassez ;
Et je traverserois plutôt dix Cimetieres ,
Quelqu'horreur que l'on ait et des Morts et des
Bieres ,
Que je n'affronterois le Cul-de - sac affreux ,
Que je passois les soirs , lorsqu'étant amoureux
J'allois me délasser avec ma Dulcinée ,
Des occupations de toute ma journée ,
Et chercher auprès d'elle un aimable loisir ;
Je risquois plus cent fois lorsque j'osois franchir ,
De ces lieux meurtiers le terrible passage ,
Que l'Amant de Hero qui gagnoit à la nâge ,
Les bords de l'Helespont , éclairé d'une Tour,
Ou plutôt du flambeau que lui prêtoit l'Amour .
Lieu terrible où cent fois Cartouche en ses batailles
,
A teint du sang humain le pied de ses murailles ,
Si je n'y reçûs point quelque coup de poignard ,
J'en rends graces au Dieu qui préside au hazard;
Ainsi dans l'Art d'aimer j'éprouvois plus d'allarmes
,
Qu'on n'en peut essuyer dans le métier des arines.
Quand après ces dangers et ces désagrémens ,
Je voulois à l'Amour donner quelques momens ,
II. Vol.
Bij
Tou
2942 MERCURE DE FRANCE
Toujours au tête-à- tête on mettoit quelqu'obs
tacle ,
Et pour nous trouver seuls , il falloit un miracle.
Tantôt une Nourrice apportoit son Poupon ,
Qu'allaitoit devant nous un dégoutant teton ;
L'enfant crie ; Amours , Jeux , Plaisirs , tout se
disperse
Un giron le reçoit ; on l'agite , on le berce ,
Il s'endort ; par malheur ce n'est pas pour longtemps
,
Nous entendons bien- tôt des cris plus éclatans.
Un bruit sourd de boyaux nous annonce une
pluye ;
L'enfant est inondé ; la Nourrice l'essuye ,
Et du débordement à nos yeux étalé ,
Notre nez pour surcroît est encor régalé.
En vain par des secours , maussadement utiles ,
Le Poupon se rendort ; sommes -nous plus tranquiles
a
La Nourrice bientôt nous apprend à quel prix ;
Elle entonne des chants plus aigres que les cris ;
Elle a pourtant le front de demander silence ,
Et , croyant nous payer de notre complaisance ,
Par de longs tremblemens elle commence un air
Propre à sonner l'allarmes aux Rives de l'Enfer.
Nous respirons enfin , grace au sommeil propice ,
Qui saisit à la fois et Poupon et Nourrice ;
Lorsqu'une Chambriere encor vient nous troubler
;
11. Vol. La
DECEMBRE. 1731. 2943
La Maîtresse l'envoye et nous fait appeller ;
On nous dit desa part qu'il n'est pas trop honnête;
De faire si long - temps durer un tête - à-tête.
C'est ainsi qu'abusoit de son autorité ,
La Dame du Logis sur la foi d'un Traité ,
Dont j'avois bien voulu convenir avec elle ,
Quand je lui confiai ma jeune Jouvencelle ;
Sur tout prendre bien soin de sauver les dehors,
Etoit specifié par nos communs accords ,
Et comme c'est la loy qui rend l'homme cou
pable ,
Par ces mots à ses yeux tout étoit condamnable..
Jugez par ces objets fâcheux et dégoutans ,
Si ma Maitresse et moi nous étions bien contens ,
Et moi , sur tout , qui hais à tel point la con
trainte ;
Que je préfererois à la plus belle Aminte ,
Le précieux trésor de vivre en liberté .
Un Soldat qu'on reprend quand il a deserté,
Bt qu'un Sergent conduit à la prison prochaine ,
L'Esclave fugitif qu'à son Maître on ramene ,
Ont l'air plus assuré que nous n'avions tous deux,
Quand nous obéissions à l'ordre rigoureux ,
De venir augmenter la charmante Assemblée ;
A peine arrivons-nous , que dix femmes d'emblée,
Se levent et nous font un assez froid accueil ;
Cependant on nous traîne à chacun un fauteiiil ,
Quand trois chiens , que pour nous on fit sortir.
de place ,
t
2944 MERCURE DE FRANCE
2
Semblent pour s'en venger et punir notre audace ,
Par de longs aboyemens
, réunis contre nous ,
Témoigner
à la fois leur peine et leur couroux :
On a beau menacer cette Troupe en furie ,
Elle aboye encor plus à mesure qu'on crie ;
On capitule enfin , et par convention
,
Trois Dames les prenant sous leur protection
Au mal qu'on leur a fait fournissent le remede ;
Mais quel triste silence à ce grand bruit succede !
Harpocrate , ce Dieu des femmes , ignoré ,
Pour la premiere fois , là se vit honoré .
Toutes se regardoient , honteuses d'un silence ,
Qu'elles ne supportoient
qu'avec impatience
;
La Dame du logis le prit pour un affront ,
La rougeur à l'instant lui monta sur le front
Puis donnant à son cercle une libre carriere ,
A rompre le silence elle fut la premiere :
Au flux de leurs caquets laissant un libre cours ,
Nos Dames à l'instant commencent
cent discours
,
Toutes dix à la fois saisissant la parole ;
Tels Virgile nous peint les Vents que lâche Eole ,
Pour faire succomber la Flotte des Troyens ;
Tels sont tous ces discours qui renferment des
riens ;
Encore s'ils sortoient de ces bouches vermeilles ,
Qui font plaisir aux yeux pour mieux plaire aux
oreilles
11. Vol.
Qui
DECEMBRE . 1731. 2945
Qui montrent en s'ouvrant deux rateliers charmans
Garnis d'un beau corail et de plus belles dents ;
Tout ce qui sort alors d'une si belle bouche ,
Paroît spirituel , nous enchante et nous touche ,
Et ne nous parla - t'on qu'ajustement , couleur ,
Tout est dit avec grace et tout va jusqu'au coeur
Mais celles qui parloient exhaloient une haleine ,
Qui n'auroit pas permis d'entendre Demosthene .
Quels furent donc pour moi les ennuyeux discours
,
Ausquels dans tout le cercle on donnoit libre
cours ?
A chaque quolibet que l'on venoit de dire ,
J'entendois coup sur coup de grands éclats de rires
J'aurois aussi ri moi ; mais à juste raison
De tous ces ris lâchez si fort hors de saison ,
Si toutes ces beautez, rien moins que Printanieres,,
Ne m'eussent fait songer aux quatre fins der
nieres.
Hélas ! disois-je alors , leur Eté s'est passé ,
Et tout leur sang bien - tôt dans leurs veines glacé,,
Ne soutenir leurs tremblantes carcasses pourra ;
Temps cruel, il n'est rien qu'à la fin tu n'effaces;
Et malgré les efforts du Talc et du Carmin ,
On reconnoît toujours l'ouvrage de la main ; ,
L'on ne voit plus ici l'éclar de la Jeunesse ;
Le tems l'a moissonnée avec trop de vitesse ,
Et les tristes regrets d'avoir jadis été ,
11. Vol,
B.V Est
2946 MERCURE DE FRANCE
Est tout ce qu'elles ont du fruit de leur beautés
J'avouerai cependant qu'à leur dixiéme lustre,
Ces femmes faisoient voir encore quelque lustre,
Quelqu'agrément , leur front , leur teint étoient
unis
Leurs sourcils n'étoient pas tout- à -fait dégarnis ;
C'étoient leurs propres dents qu'on voyoit dans
leur bouche ;
Elles n'avoient pas tant l'air de femmes en cou→
che ,
Enfin , en ménageant adroitement leur jour ,
Elles auroient encore inspiré de l'amour.
J'en aurois pû choisir sur tout une d'entre elles ,
Digne , à quelques ans près , d'être au nombre
des belles;
Mais , nouvelle Niobe , elle vantoit toujours ,
Deux enfans , jeunes fruits de ses vieilles amours.
J'aurois voulu la voir en Rocher transformée ,
Qu du moins que sa bouche à jamais fût fermée
Faites venir mon fils , qu'il amene sa soeur ;
»Dit - elle , vous verrez leur beauté , leur douceur:
» Mon fils est gros et fort , se tient plus droit
qu'un cierge ;
Ma fille a le teint frais et tout l'air d'une vierge,
Elle n'a qu'un deffaut, sa bouche enfonce un peu;
Mais ( vous devez m'en croire après un tel aveu) .
Combien elle a d'attraits ! sa beauté feroit honte
» A la Divinité qui regne en Amathonte ;
C'est tout mon vrai Portrait , il n'est rien de
plus beau ;
DECEMBRE . 1731 2947
Dans quelque temps
peau !
d'ici que de coups de cha-
Quelle nombreuse Cour , quand sa beauté
formée ,
Fera par tout Paris voler sa renommée !
» Que d'infidelitez causeront ses appas !
Que de femmes voudroient qu'on ne la connûr
pas !
Mais ce ne sera point son unique appanage ,
Elle aura de l'esprit , des talens , du langage ,
➡ Elle danse , elle chante , et sur un Clavecin ,
Les Graces et les Jeux guident sa juste main.
»Je reviens à mon fils ; à lui rendre justice ,
» Ce n'est point un Rival d'Adonis, de Narcisse ;
Il n'est pas des plus beaux , mais l'Empire
amoureux ,
»Demande seulement des Heros vigoureux.
2
Jamais en son chemin ne trouvant de cruelles ,
>>Sur tous ses concurrens primant dans les ruelles,
Je le vois devenir la terreur des Maris ,
Et les associer à l'Epoux de Cypris .
Quel flux ! ma patience à bout étoit poussée ,
Lorsqu'une Hebé parat la main embarassée ,
De cinq verres de vin rangez entre ses doigts ,
Dont elle m'arrosa de la valeur de trois ,
En voulant de son pied sur nous fermer la porte
Cet accident fit rire , et d'une telle sorte ,
Qu'à peine entendoit on la Dame de ces lieux ,
1.1. Vol Byj Qui
2948 MERCURE DE FRANCE
Qui crioit cependant et juroit de son mieux
Contre la pauvre Hebé , qu'on traita d'étourdie ;
Mais ne la croyant pas encore assez punie
Des paroles , la Dame en vint à l'action ,
Un soufflet mit le comble à la punition ,
Et ce coup , peu s'en faut ensanglantant la Scene,
Les ris à la pitié , firent place sans peine.
Alors voyant la part qu'on prend à son malheur,
Hebé fait sans contrainte éclater sa douleur ,
Se venge par ses cris des coups de sa Maîtresse
Et le cercle lui sert comme de Forteresse.
Pour moi , ne méditant que mon évasion ,
Je voulus profiter de la confusion ,
Pour quitter ce Sabbat et regagner mon gîte ,
Et j'enfilois déja le palier au plus vite ,
Quand , tel que Don Japhet , transi sur son-
Balcon
Je me trouve arrosé de la tête au talon ,,
D'une eau.... Grand Dieu ! quelle cau , je ne
pris pas le change ,
Jusqu'à prendre cela pour eau de fleur d'Orange ;
Je ne m'épuisai point en regrets superflus ,
Mais je résolus bien de n'y revenir plus.
Encore trop heureux même dans mes disgraces
Et je rendis au Ciel mille actions de graces ,
De me voir éloigné d'une telle maison ,
Plus affreuse pour moi qu'une horrible prison.
Amans qui gémissez sous le poids de vos chaînes;
II. Vol Voulez
DECEMBRE 1731. 2949%
Voulez - vous pour toujours mettre fin à vos
peines ?
Dans de semblables lieux allez faire l'amour ;.
Et comptez de guérir avant la fin du jour.
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Résumé : REMEDIUM AMORIS.
Le texte 'Remedium Amoris' critique l'amour et ceux qui l'idéalisent. L'auteur, ayant vécu des expériences contraires, propose ses vers comme remède à ceux qui perdent la raison à cause de l'amour. Il décrit un cimetière lugubre, peuplé de squelettes et d'oiseaux comme le hibou et les corbeaux, préférant affronter des dangers réels plutôt que cette atmosphère morbide. L'auteur relate ensuite les obstacles rencontrés lors de ses rendez-vous amoureux, tels que la présence d'un nourrisson et de sa nourrice, ou les interruptions constantes par des servantes et des visites impromptues. Les réunions sociales sont dépeintes comme des moments de contrainte et de malaise, avec des femmes âgées et des chiens hostiles. L'auteur exprime son dégoût pour ces situations et préfère la liberté à l'amour contraint. Il conclut en conseillant aux amants de fréquenter de tels lieux pour se guérir rapidement de leurs peines amoureuses.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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