LA RENOMME'E,
O D E.
Ymphe qui d'une aîle legere ,
Parcours sans cesse l'Univers ,
Qui , diligente Messagere ,
Annonces nos succès divers ,
Interrompt la route inconstante ,
De ta Trompette impatiente ,
Suspends le son audacieux ,
Sois attentive à ta loüange ,
Et va de l'Hebre jusqu'au Gange ,
Reprendre mes Vers en tous lieux.
M
Cent fois dans un foible courage ,
Tu fis naître un noble transport ,
Cent fois jaloux de ton suffrage
Il brava les fers et la mort ;
De l'honneur Arbitre suprême
T*
$ 66 MERCURE DE FRANCE
Ta voix peut à la vertu même ,
Ajoûter un éclat nouveau ;
Et tes cent bouches immortelles ,
Sçavent mieux que l'Art des Apelles ;
Affranchir un nom du tombeau.
Pourquoi ce Guerrier intrépide,'
Court- il affronter le trépas ?
En vain ta valeur qui le guide ,
Voit l'abyme ouvert sous ses pas ;
Est-ce le mépris de la vie ,
Est -ce l'amour de la Patrie ,
Qui conduit le jeune Vainqueur ?
Non , mais sous les yeux d'une armée ,
• Il combat pour sa Renommée ;
Seule elle anime son grand coeur.
Quel Mortel ici se presente ,
Dont la docte tranquillité ,
Par une route differente ,
Sçait trouver l'immortalité
Sa voix enfante des miracles ,
Et des misterieux Oracles ,
Sa plume éclaircit le cahos ;
Quel espoir le flatte et l'anime ?
C'est de se voir dans notre estime ,
A côté même des Heros,
Qui
AVRIL:
967 1731.
Oui, l'équitable Renommée ,
A placé dans un rang égal ,
Le Chantre (a) de Troye enflammée ,
Et le fier vainqueur (b) d'Annibal :
Ces grands hommes dignes d'un Temple ;
Serviront à jamais d'exemple ,
Aux coeurs jaloux d'un nom fameux
Les vertus qu'ils ont fait paroître ,
De leurs cendres semblent renaître ,
Et parmi nous vivre pour eux.
Mais que cette estime est trompeuse !
Que mal à propos notre orgueil ,
Porte sa vûë ambitieuse ,
Au-delà même du cercueil !
Vains efforts ! frivole esperance !
Nous cherchons une récompense ,
Dont nous ne serons plus témoins ;
Ah ! plutôt d'un prix si sterile ,
Dédaignons l'honneur inutile ;
Bornons nous à nos vrais besoins
Loin ce pernicieux langagé ,
Triste fruit des Reflexions ;
Suivons d'un favorable usage
Les flateuses impressions ,
>
(a) Virgile. (b) Scipion
Pro
968
MERCURE DE
FRANCE
Proposons - nous ces grands modeles ,
Qui malgré les Parques cruelles ,
A leur trépas ont survécu :
Aspirons à la même gloire ,
Et pour atteindre à leur memoire ,
Osons imiter leur vertu.
粥
Heureux qui peut pendant sa vie,
Recueillir le fruit précieux ,
Des Eloges qu'envain l'envie ,
Dispute à son nom glorieux !
Témoin du tribut legitime ,
Qu'à ses écrits rend notre estime ;
Lui-même en goute les douceurs ;
Déja ses sublimes ouvrages ,
S'attirent autant de suffrages ,
Qu'ils trouvent de nouveaux Lecteurs.
Comme un Fleuve auprès de sa source ;
Voit se perdre mille Ruisseaux ,
Superbe au milieu de sa course ,
Voit tout à coup enfler ses eaux ;
Ou comme la neige en la Trace,
Des floccons voisins qu'elle entasse
Grossit et roule en augmentant ,
Telle est plus abondante encore ,
D'un nom que notre estime honoré
La gloire croît à chaque instant,
Vous
AVRIL. 1731.
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•
Vous donc , qu'un noble feu consume
'Auteurs , redoublez vos travaux
Que desormais chacun rallume ,
L'ardeur de vaincre ses Rivaux ;
Méprisez les vils Plagiaires ,
Ces Chantres dont les Airs vulgaires ,
Sçavent moins toucher qu'ébloüir ;
Et malgré l'envie allarmée ,
Faites-vous une Renommée ,
Dont vous-mêmes puissiez joüir.
Par M. de M. D. S. d'Aix la Chapelle: