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1
p. 193-219
HISTORIETTE.
Début :
Il y auroit plus d'Amans heureux que l'on en voit, [...]
Mots clefs :
Amants, Marquis, Conseiller, Comte, Jeune héritière, Soeur, Parente, Coeur, Pouvoir, Amant, Mariage
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texteReconnaissance textuelle : HISTORIETTE.
HISTORIETTE,
IL y auroit plus d'Amans
heureux que l'on n'en voit
fi on laiffoit l'amour mail
tre de fes entrepriſes , mais
s'il peut toucher les coeurs
quand il luy plaiſt , il n'a
pas toûjours le pouvoir de
les unir. Des obftacles invincibles
renverfent fouvent
fes plus grands deffeins
, & ce qui eft le plus
chagrinant , c'eft qu'il fe
Mars
1714.
R
194 MERCURE
rencontre des occafions où
il fe nuit par luy même.
Un jeune Homme de qualité
, qui ayant un Marquifat
eftoit Marquis à bon titre,
devint amoureux d'une
des plus aimables Perfonnes
de la Ville où il demeuroit.
Elle eftoit d'une Famille
de Robe , & un Frere
unique qu'elle avoit
eftoit Confeiller au Parlement
de fa Province
mais il s'attendoit bien à
monter avec l'âge dans des
Charges plus confidéra-
Eles. Ce Frere eftoit alors
GALANT. 195
fur le point de revenir d'un
voyage d'Italie , & quoy
que fon retour fuft fort
proche , le Marquis nelaiffa
pas de faire affez de progrés
dans le coeur de cette
Belle , avant qu'il fuft revenu.
Elle eftoit vive naturel.
lement,, pleine de foins &
de zele pour ce qu'elle aimoit
, & fi fenfible à l'amitié
qu'on luy témoignoit
,
qu'il y avoit fujet d'efperer
que les empreffemens
de
l'amour ne luy feroient pas
indifférens
. Elle trouva le
Marquis affez aimable
Rij
196 MERCURE
>
pour le perfuader qu'elle
en pourroit eftre aimée , &
elle eftoit trop fincere pour
douter long- temps de la
fincerité des autres fur
tout quand ils eftoient agréables
. Enfin de la ma.
niere dont le Confeiller
vit les chofes difpofées à
fon retour
il jugea bien
qu'il ne feroit plus chargé
de fa Soeur , qu'autant que
des Articles de mariage à
regler le demanderoient
car elle ne dépendoit que
de luy. Le Marquis fit tous.
les pas neceffaires , & les
GALANT
* . 197
Amans alloient eftre heureux
, s'il n'y euft point eu
d'autre amour que le leur
dans leur Famille . Le Marquis
avoit une Couſine germaine
, qui eftoit demeurée
feule Heritiere d'un
grand Ben , par la mort
de fon Pere & de fa Mere.
Elle eftoit tombée fous fa
Tutelle , parce qu'un autre
Tuteur qu'elle avoit eu
d'abord , cftoit mort depuis
fix mois. C'eftoit au jeune
Tuteur à difpofer de fa jeu
ne Pupille ; mais elle avoit
difpofé elle mefme de fon
FR iij
198 MERCURE
coeur , fans avis de Parens .
Un Gentilhomme fort fpirituel
, & qui avoit affez
de naiffance , pour pouvoir
prendre le titre de Comte ,
avoit entrepris de plaire à
la Belle , & luy avoit plû.
Il avoit fait diverfes Campagnes
avec beaucoup de
dépenfe , & affez de réputation
. Cela ébloüiffoit fort:
l'aimable Héritiere
avoit le coeur tres - bien placé
. Par malheur pour le
Marquis , le Confeiller la
vit trop fouvent , & fon
coeur en fut touché. Elle
qui
THEQUE
GALANT.
BIBLIO
avoit tout l'air d'une
LY
BAD
DE
LA
VILLE
de naiſſance , une certain e
fierté qui luy feyoit bien ,
moins de beauté que de
manieres agréables , & un
art particulier de fe faire
extrémement valoir , fans
avoir pourtant d'orgueil
qui choquaft . Peut - eftre
auroit - il choqué dans une
Perfonne, qui cuft eu moins
de naiffance , moins de jeuneffe
, & moins de Bien .
Elle ne regardoit guére les
Hommes qu'avec une efpece
de dédain . Le Comre
eftoit le plus excepté ; en-
R iiij
200 MERCURE
core le traitoit elle quelquefois
comme les autres
, quand elle en avoit
envie . Tout cela charma
le Confeiller, Ileftoit affez
riche pour ne devoir pas
eftre foupçonné d'aimer la
jeune Heritiere pour fon
Bien. Cependant il ne laif
fa peut eft e pas d'avoir
quelques veues de ce coftélà.
Ce qui luy parut d'un
fort bon augure pour fa
paffion , ce fut l'amour du
Marquis & de fa Soeur. 11
trouvoit mefme quelque
chofe d'agréable à s'imaGALANT
. 201
giner la double alliance de
leurs Maifons , & l'échange
qu'elles ferojent entreelles
de ces deux jeunes
Perfonnes . Il découvrit fon
deffein au Marquis , & luy
exagera fort le plaifir qu'il
fe feroit de devenir fon
Coufin-germain , en mef
me temps qu'il deviendroit
fon Beau -frere . Le Marquis
ne reçût point cette
propofition avec autant de
joye qu'il euft dû naturellement
la recevoir . Il luy
parut auffi - toft , fans qu'il
fçuft trop pourquoy , que
202 MERCURE
4
c'eftoit une difficulté furvenue
à fes affaires il
euft beaucoup mieux aimé
qu'on n'euft parlé que d'une
alliance. Cependant
quand il y eut fait refléxion
, il ne trouva pas que
le mariage du Confeiller
avec la Parente , duft cftre
une chofe fi malaisée , &
it fe perfuada , ou il tâcha
de fe le perfuader que
quand mefme il ne fe feroit
pas , cela n'apportéroit
point d'obſtacle à fon
bonheur. Il alla donc propofer
le Confeiller à fa
.
GALANT. 103
Coufine , avec toute l'addreffe
dont fa paffion le
rendoit capable ; mais elle
luy fit connoiftre combien
elle eftoit peu difpofée à
fonger à ce Party . Il pric
encore trois ou quatre fois
le temps le plus favorable
qu'il put , pour traiter la
mefme matiere mais ce
fut toûjours inutilement .
Le Comte n'eftoit point
trop connu pour un Amant
de la Parente du Marquis ,
& moins encore pour un
Amant qu'elle aimaſt . Elle
avoit avec luy une manie-
>
204 MERCURE
re d'agir fi inégale , que
l'on eftoit bien embaraffé à
pouvoir juger de ce qui
eftoit entre eux . Ainfi le
Marquis ne fceut pas précifement
s'il devoit fe prendre
au Comte , de l'éloi
gnement que fa Coufine
montroit pour leConfeiller,
ou s'il ne devoit s'en pren
dre qu'au peu d'inclination
qu'elle faifoit voir en general
pour la Robe , ce qui
femblait eftre affez natu
rel à une jeune Perfonne ,
dont les yeux font plus fla
tez de l'équipage d'un Ca.
GALANT.
205
valier , que de celuy d'un
Magiftrat , & dont les oreilles
fe plaifent davantage au
récit d'une Campagne
qu'à celuy du jugement
d'un Procés. Le Marquis
fit entendre au Confeiller .
le plus honneftement qu'il
luy fur poffible , le mauvais
fuccés de fa négotiation. 11
ne luy en dit qu'un partie ,
pour l'accoûtumer douce
ment au déplaifir d'être refufé
, & il quita ce difcours
fort vifte , pour luy parler
de ce qui le regardoit
mais le Confeiller luy parut
206 MERCURE
fort refroidy fur le mariage
de fa Soeur , & le Marquis
jugea bien déflors qu'il auroit
de la peine à eftre le
Beau- frere du Confeiller ,
s'il ne devenoit auffi fon
Coufin. Il fit de nouveaux
efforts fur fa Parente , qui
luy parut toûjours moins
difpofée à faire ce qu'il
vouloit. Il loüa le Confeiller
& toute la Robe & dit
tout le mal qu'il put des
Gens d'Epée . Il alla meſme
jufqu'à tourner le Comte
en ridicule , & juſqu'à
le décrier , fans épargner
•
GALANT . 207
que fon nom ; mais tout
cela ne gagna rien fur cette
Parente . A la fin voyant
qu'il ne pouvoit luy donner
de gouft pour le Confeiller
, il crut devoir le dégoûter
d'elle . Il luy dit en confidence
qu'elle n'eftoit pas
d'une humeur aiſée , & qu'-
elle donneroit aſſez de peine
à un Mary ; que mefme
elle n'avoit pas autant de
Bien qu'on s'imaginoit ,
qu'il le fçavoit mieux qu'un
autre , puis qu'il eftoit fon`
Tuteur ; mais le Confeiller
ne fe rendit point à ces ar-
&
208 MERCURE
tifices . Il foupçonna que le
Marquis ne les employoit
que pour ſe diſpenſer de le
fervir de tout fon pouvoir ,
& dans l'humeur chagrine
où il fe trouva , il luy déclara
fort nettement que le
feul moyen d'obtenir la
Soeur , eftoit de le faire aimer
de fa Parente . Le Marquis
qui eftoit fort amoureux
, fut au défefpoir. Il
repréſenta au Confeiller ,
avec toute la force & toute
la vivacité imaginable
qu'il ne devoit pas eftre
puny des bizarreries de fa
Pupille
GALANT. 209
Pupille ; mais le Confeiller
fut inexorable
. Sa Soeur
commença
à fentir pour
la jeune Heritiere
, toute la
haine qu'elle euft pû avoir
pour une Rivale . Elle n'en
parloit jamais que comme
d'une Demoifelle de Campagne
, qu'une fierté ridicule
rendoit infuportable
par tout , & qui fe croyoit
d'une meilleure Maifon
qu'une autre , parce que
fes Parens n'avoient pas
coûtume de demeurer dans
les Villes . Le Comte eftoit
charmé de la réfiftance
Mars 1714.
"
S
110 MERCURE
qu'on faiſoit pour luy aux
volontez du Marquis ; mais
il fut au déſeſpoir , quand
le Marquis dit un jour à
fa Coufine , d'un ton ferme
& prefque abfolu , que
fi c'eftoit à caufe du Comte
'qu'elle refufoit le Confeiller
, elle devoit s'affeurer
qu'il s'oppoferoit toûjours
de tout fon pouvoir aux
prétentions de cet Amant.
Elle nia que le Comte fuft
fon Amant , & qu'elle l'euft
jamais regardé fur ce piedlà
. Le Comte qui vit fes
affaires en défordre , s'aviGALANT.
21I
fa d'un expédient affez extraordinaire
. Il confidera
qui s'il pouvoit rompre l'u
nion du Marquis & de l'aimable
Perfonne à qui il
eftoit fi fort attaché , le
Marquis ne s'obſtineroit
plus à vouloir donner fa
Parente au Conſeiller ;
mais comment mettre mal
enfemble deux Perfonnes
qui s'aimoient fi tendrement
1 eftoit entreprenant
ne défefperoit jamais
de rien , & fur tout
il comptoit beaucoup fur
l'inconftance des Femmes.
,
Sij
212 MERCURE
Ainfi de concert avec la
jeune Heritiere , il réfolut
de fe feindre Amant de la
Soeur du Confeiller , & de
la conduire à faire une infidélité
au Marquis . Il fe
rendit peu à peu & fans
marque d'affectation , plus
affidu à la voir. Comme il
n'eftoit pas Amant déclaré
de l'Heritiere , fa conduite
ne parut pas fi étrange.
Le Confeiller luy - mefme
qui le foupçonnoit d'eftre
fon Rival , eftoit bien - aiſe
de commencer à avoir lieu
d'en douter. L'Heritiere de
GALANT . 20:3
fon cofté , qui vouloit favorifer
les affiduitez du
Comte chez la Soeur du
Confeiller , recevoit le Confeiller
bien plus agréablement
, depuis que le Comte
alloit moins fouvent chez
elle . Ainfi il n'y ayoit que le
Marquis à qui le nouvel attachement
du Comte ne
plaifoit pas trop. Elle eftoit
née pour la tendreffe , mais
non pas pour la conftance.
Elle avoit un coeur qui recevoit
des impreffions affez
vivement mais encore plus
facilement . Enfin elle eftoit
214 MERCURE
faite comme la plupart des
Femmes ont accoûtumé de
l'eftre . Le Comte avoit de
l'aſcendant ſur le Marquis.ll
l'étoufoit , & l'empefchant
de paroiftre en fa préfence ,
il pouffoit la converſation
jufqu'à un ton de gayeté &
d'enjouëment , où le Marquis
ne pouvoit aller , &
avoit l'adreſſe de mettre
toujours fon Rival hors de
fon génie naturel . La diférence
qui eftoit entre - eux ,
frapoit trop les yeux de la
Belle pour nnee la pas déterminer
en faveur du Com-
3
GALANT .
215
te. D'abord elle luy applaudiffoit
bien plus qu'au
Marquis. Enfuite elle le
trouva beaucoup plus à dire
quand il n'eftoit pas chez
elle , que quand le Marquis
n'y eftoit pas. Enfin
foit par fes regards , foit par
fes manieres, elle luy donna
une préference fi viſible ,
que le Marquis , aprés plufieurs
plaintes qui furent
affez mal reçûës , ne pút
douter qu'il ne fuft trahy.
Le Confeiller qui fe crut
heureux , fur ce qu'il ne
trouvoit plus le Comte en
216
MERCURE
fon chemin , & qui s'apper- '
eevoit qu'il eftoit micux
dans l'efprit de l'Heritiere ,
s'imagina que
le
temps
eftoit favorable pour pref
fer le Marquis d'achever
ce qu'il avoit commencé ;
mais le Marquis luy répondit
léchement , que fa Soeur
avoit changé , qu'elle l'avoit
quitté pour un autre , qu'il
ne fongeoit plus à elle ; &
vous ne devez pas trouver
mauvais , pourfuivir - il , que
je vous redile ce que vous
m'avez dit fi fouvent , que
nous ne pouvons faire aucunc
GALANT. 217
>
cune alliance , fi nous n'en
faifons deux à la fois. Jamais
le Confeiller ne fut
plus furpris . Il querella fa
Soeur , & luy fit mille reproches
. Il éloigna tout- àfait
le Comte de chez luy
& de Comte en fut trescontent.
La Seur meſme
qui foupçonna quelque
trahison ; auroit fouhaité
de tout fon coeur fe raccommoder
avec le Marquis.
Le Confeiller y travailla
de tout fon pouvoir ;
mais le Marquis ne put digerer
l'injure qu'on luy
Mars
1714.
T
218
MERCURE
pas
;
avoit faite . Le Comte , qui
eftoit caufe de toute cette
révolution , ne fut pas plus
heureux que les autres . Son
deffein luy avoit paru plai
fant à imaginer , & à executer
mais il n'en avoit
bien préveu les fuites.
Le Marquis conceur pour
luy toute la haine que l'on
peut avoir pour un Rival.
il mit bon ordre à empef
cher qu'il ne put voir fouvent
la jeune Heritiere , &
il fouleva tellement toute
la Parenté contre luy >
qu'il n'auroit pas efté bien
GALANT .• 0219
receu à parler de Mariage .
Ainfi perfonne ne ſe maria ;
ce ne fut que divifion de
tous coftez. Peut - eftre
quand la belle Heritiere
fera en âge de difpofer
d'elle , elle fera choix du
Comte qui l'aime toujours
; mais dans le temps
qu'il faudra attendre , c'eſt
grande merveille , fi l'une
des deux paffions ne s'affoiblit.
Aprés tout pour
tant , elles pourront ne s'affoiblir
pas , car les deux
Amans ne fe voyent guére.
IL y auroit plus d'Amans
heureux que l'on n'en voit
fi on laiffoit l'amour mail
tre de fes entrepriſes , mais
s'il peut toucher les coeurs
quand il luy plaiſt , il n'a
pas toûjours le pouvoir de
les unir. Des obftacles invincibles
renverfent fouvent
fes plus grands deffeins
, & ce qui eft le plus
chagrinant , c'eft qu'il fe
Mars
1714.
R
194 MERCURE
rencontre des occafions où
il fe nuit par luy même.
Un jeune Homme de qualité
, qui ayant un Marquifat
eftoit Marquis à bon titre,
devint amoureux d'une
des plus aimables Perfonnes
de la Ville où il demeuroit.
Elle eftoit d'une Famille
de Robe , & un Frere
unique qu'elle avoit
eftoit Confeiller au Parlement
de fa Province
mais il s'attendoit bien à
monter avec l'âge dans des
Charges plus confidéra-
Eles. Ce Frere eftoit alors
GALANT. 195
fur le point de revenir d'un
voyage d'Italie , & quoy
que fon retour fuft fort
proche , le Marquis nelaiffa
pas de faire affez de progrés
dans le coeur de cette
Belle , avant qu'il fuft revenu.
Elle eftoit vive naturel.
lement,, pleine de foins &
de zele pour ce qu'elle aimoit
, & fi fenfible à l'amitié
qu'on luy témoignoit
,
qu'il y avoit fujet d'efperer
que les empreffemens
de
l'amour ne luy feroient pas
indifférens
. Elle trouva le
Marquis affez aimable
Rij
196 MERCURE
>
pour le perfuader qu'elle
en pourroit eftre aimée , &
elle eftoit trop fincere pour
douter long- temps de la
fincerité des autres fur
tout quand ils eftoient agréables
. Enfin de la ma.
niere dont le Confeiller
vit les chofes difpofées à
fon retour
il jugea bien
qu'il ne feroit plus chargé
de fa Soeur , qu'autant que
des Articles de mariage à
regler le demanderoient
car elle ne dépendoit que
de luy. Le Marquis fit tous.
les pas neceffaires , & les
GALANT
* . 197
Amans alloient eftre heureux
, s'il n'y euft point eu
d'autre amour que le leur
dans leur Famille . Le Marquis
avoit une Couſine germaine
, qui eftoit demeurée
feule Heritiere d'un
grand Ben , par la mort
de fon Pere & de fa Mere.
Elle eftoit tombée fous fa
Tutelle , parce qu'un autre
Tuteur qu'elle avoit eu
d'abord , cftoit mort depuis
fix mois. C'eftoit au jeune
Tuteur à difpofer de fa jeu
ne Pupille ; mais elle avoit
difpofé elle mefme de fon
FR iij
198 MERCURE
coeur , fans avis de Parens .
Un Gentilhomme fort fpirituel
, & qui avoit affez
de naiffance , pour pouvoir
prendre le titre de Comte ,
avoit entrepris de plaire à
la Belle , & luy avoit plû.
Il avoit fait diverfes Campagnes
avec beaucoup de
dépenfe , & affez de réputation
. Cela ébloüiffoit fort:
l'aimable Héritiere
avoit le coeur tres - bien placé
. Par malheur pour le
Marquis , le Confeiller la
vit trop fouvent , & fon
coeur en fut touché. Elle
qui
THEQUE
GALANT.
BIBLIO
avoit tout l'air d'une
LY
BAD
DE
LA
VILLE
de naiſſance , une certain e
fierté qui luy feyoit bien ,
moins de beauté que de
manieres agréables , & un
art particulier de fe faire
extrémement valoir , fans
avoir pourtant d'orgueil
qui choquaft . Peut - eftre
auroit - il choqué dans une
Perfonne, qui cuft eu moins
de naiffance , moins de jeuneffe
, & moins de Bien .
Elle ne regardoit guére les
Hommes qu'avec une efpece
de dédain . Le Comre
eftoit le plus excepté ; en-
R iiij
200 MERCURE
core le traitoit elle quelquefois
comme les autres
, quand elle en avoit
envie . Tout cela charma
le Confeiller, Ileftoit affez
riche pour ne devoir pas
eftre foupçonné d'aimer la
jeune Heritiere pour fon
Bien. Cependant il ne laif
fa peut eft e pas d'avoir
quelques veues de ce coftélà.
Ce qui luy parut d'un
fort bon augure pour fa
paffion , ce fut l'amour du
Marquis & de fa Soeur. 11
trouvoit mefme quelque
chofe d'agréable à s'imaGALANT
. 201
giner la double alliance de
leurs Maifons , & l'échange
qu'elles ferojent entreelles
de ces deux jeunes
Perfonnes . Il découvrit fon
deffein au Marquis , & luy
exagera fort le plaifir qu'il
fe feroit de devenir fon
Coufin-germain , en mef
me temps qu'il deviendroit
fon Beau -frere . Le Marquis
ne reçût point cette
propofition avec autant de
joye qu'il euft dû naturellement
la recevoir . Il luy
parut auffi - toft , fans qu'il
fçuft trop pourquoy , que
202 MERCURE
4
c'eftoit une difficulté furvenue
à fes affaires il
euft beaucoup mieux aimé
qu'on n'euft parlé que d'une
alliance. Cependant
quand il y eut fait refléxion
, il ne trouva pas que
le mariage du Confeiller
avec la Parente , duft cftre
une chofe fi malaisée , &
it fe perfuada , ou il tâcha
de fe le perfuader que
quand mefme il ne fe feroit
pas , cela n'apportéroit
point d'obſtacle à fon
bonheur. Il alla donc propofer
le Confeiller à fa
.
GALANT. 103
Coufine , avec toute l'addreffe
dont fa paffion le
rendoit capable ; mais elle
luy fit connoiftre combien
elle eftoit peu difpofée à
fonger à ce Party . Il pric
encore trois ou quatre fois
le temps le plus favorable
qu'il put , pour traiter la
mefme matiere mais ce
fut toûjours inutilement .
Le Comte n'eftoit point
trop connu pour un Amant
de la Parente du Marquis ,
& moins encore pour un
Amant qu'elle aimaſt . Elle
avoit avec luy une manie-
>
204 MERCURE
re d'agir fi inégale , que
l'on eftoit bien embaraffé à
pouvoir juger de ce qui
eftoit entre eux . Ainfi le
Marquis ne fceut pas précifement
s'il devoit fe prendre
au Comte , de l'éloi
gnement que fa Coufine
montroit pour leConfeiller,
ou s'il ne devoit s'en pren
dre qu'au peu d'inclination
qu'elle faifoit voir en general
pour la Robe , ce qui
femblait eftre affez natu
rel à une jeune Perfonne ,
dont les yeux font plus fla
tez de l'équipage d'un Ca.
GALANT.
205
valier , que de celuy d'un
Magiftrat , & dont les oreilles
fe plaifent davantage au
récit d'une Campagne
qu'à celuy du jugement
d'un Procés. Le Marquis
fit entendre au Confeiller .
le plus honneftement qu'il
luy fur poffible , le mauvais
fuccés de fa négotiation. 11
ne luy en dit qu'un partie ,
pour l'accoûtumer douce
ment au déplaifir d'être refufé
, & il quita ce difcours
fort vifte , pour luy parler
de ce qui le regardoit
mais le Confeiller luy parut
206 MERCURE
fort refroidy fur le mariage
de fa Soeur , & le Marquis
jugea bien déflors qu'il auroit
de la peine à eftre le
Beau- frere du Confeiller ,
s'il ne devenoit auffi fon
Coufin. Il fit de nouveaux
efforts fur fa Parente , qui
luy parut toûjours moins
difpofée à faire ce qu'il
vouloit. Il loüa le Confeiller
& toute la Robe & dit
tout le mal qu'il put des
Gens d'Epée . Il alla meſme
jufqu'à tourner le Comte
en ridicule , & juſqu'à
le décrier , fans épargner
•
GALANT . 207
que fon nom ; mais tout
cela ne gagna rien fur cette
Parente . A la fin voyant
qu'il ne pouvoit luy donner
de gouft pour le Confeiller
, il crut devoir le dégoûter
d'elle . Il luy dit en confidence
qu'elle n'eftoit pas
d'une humeur aiſée , & qu'-
elle donneroit aſſez de peine
à un Mary ; que mefme
elle n'avoit pas autant de
Bien qu'on s'imaginoit ,
qu'il le fçavoit mieux qu'un
autre , puis qu'il eftoit fon`
Tuteur ; mais le Confeiller
ne fe rendit point à ces ar-
&
208 MERCURE
tifices . Il foupçonna que le
Marquis ne les employoit
que pour ſe diſpenſer de le
fervir de tout fon pouvoir ,
& dans l'humeur chagrine
où il fe trouva , il luy déclara
fort nettement que le
feul moyen d'obtenir la
Soeur , eftoit de le faire aimer
de fa Parente . Le Marquis
qui eftoit fort amoureux
, fut au défefpoir. Il
repréſenta au Confeiller ,
avec toute la force & toute
la vivacité imaginable
qu'il ne devoit pas eftre
puny des bizarreries de fa
Pupille
GALANT. 209
Pupille ; mais le Confeiller
fut inexorable
. Sa Soeur
commença
à fentir pour
la jeune Heritiere
, toute la
haine qu'elle euft pû avoir
pour une Rivale . Elle n'en
parloit jamais que comme
d'une Demoifelle de Campagne
, qu'une fierté ridicule
rendoit infuportable
par tout , & qui fe croyoit
d'une meilleure Maifon
qu'une autre , parce que
fes Parens n'avoient pas
coûtume de demeurer dans
les Villes . Le Comte eftoit
charmé de la réfiftance
Mars 1714.
"
S
110 MERCURE
qu'on faiſoit pour luy aux
volontez du Marquis ; mais
il fut au déſeſpoir , quand
le Marquis dit un jour à
fa Coufine , d'un ton ferme
& prefque abfolu , que
fi c'eftoit à caufe du Comte
'qu'elle refufoit le Confeiller
, elle devoit s'affeurer
qu'il s'oppoferoit toûjours
de tout fon pouvoir aux
prétentions de cet Amant.
Elle nia que le Comte fuft
fon Amant , & qu'elle l'euft
jamais regardé fur ce piedlà
. Le Comte qui vit fes
affaires en défordre , s'aviGALANT.
21I
fa d'un expédient affez extraordinaire
. Il confidera
qui s'il pouvoit rompre l'u
nion du Marquis & de l'aimable
Perfonne à qui il
eftoit fi fort attaché , le
Marquis ne s'obſtineroit
plus à vouloir donner fa
Parente au Conſeiller ;
mais comment mettre mal
enfemble deux Perfonnes
qui s'aimoient fi tendrement
1 eftoit entreprenant
ne défefperoit jamais
de rien , & fur tout
il comptoit beaucoup fur
l'inconftance des Femmes.
,
Sij
212 MERCURE
Ainfi de concert avec la
jeune Heritiere , il réfolut
de fe feindre Amant de la
Soeur du Confeiller , & de
la conduire à faire une infidélité
au Marquis . Il fe
rendit peu à peu & fans
marque d'affectation , plus
affidu à la voir. Comme il
n'eftoit pas Amant déclaré
de l'Heritiere , fa conduite
ne parut pas fi étrange.
Le Confeiller luy - mefme
qui le foupçonnoit d'eftre
fon Rival , eftoit bien - aiſe
de commencer à avoir lieu
d'en douter. L'Heritiere de
GALANT . 20:3
fon cofté , qui vouloit favorifer
les affiduitez du
Comte chez la Soeur du
Confeiller , recevoit le Confeiller
bien plus agréablement
, depuis que le Comte
alloit moins fouvent chez
elle . Ainfi il n'y ayoit que le
Marquis à qui le nouvel attachement
du Comte ne
plaifoit pas trop. Elle eftoit
née pour la tendreffe , mais
non pas pour la conftance.
Elle avoit un coeur qui recevoit
des impreffions affez
vivement mais encore plus
facilement . Enfin elle eftoit
214 MERCURE
faite comme la plupart des
Femmes ont accoûtumé de
l'eftre . Le Comte avoit de
l'aſcendant ſur le Marquis.ll
l'étoufoit , & l'empefchant
de paroiftre en fa préfence ,
il pouffoit la converſation
jufqu'à un ton de gayeté &
d'enjouëment , où le Marquis
ne pouvoit aller , &
avoit l'adreſſe de mettre
toujours fon Rival hors de
fon génie naturel . La diférence
qui eftoit entre - eux ,
frapoit trop les yeux de la
Belle pour nnee la pas déterminer
en faveur du Com-
3
GALANT .
215
te. D'abord elle luy applaudiffoit
bien plus qu'au
Marquis. Enfuite elle le
trouva beaucoup plus à dire
quand il n'eftoit pas chez
elle , que quand le Marquis
n'y eftoit pas. Enfin
foit par fes regards , foit par
fes manieres, elle luy donna
une préference fi viſible ,
que le Marquis , aprés plufieurs
plaintes qui furent
affez mal reçûës , ne pút
douter qu'il ne fuft trahy.
Le Confeiller qui fe crut
heureux , fur ce qu'il ne
trouvoit plus le Comte en
216
MERCURE
fon chemin , & qui s'apper- '
eevoit qu'il eftoit micux
dans l'efprit de l'Heritiere ,
s'imagina que
le
temps
eftoit favorable pour pref
fer le Marquis d'achever
ce qu'il avoit commencé ;
mais le Marquis luy répondit
léchement , que fa Soeur
avoit changé , qu'elle l'avoit
quitté pour un autre , qu'il
ne fongeoit plus à elle ; &
vous ne devez pas trouver
mauvais , pourfuivir - il , que
je vous redile ce que vous
m'avez dit fi fouvent , que
nous ne pouvons faire aucunc
GALANT. 217
>
cune alliance , fi nous n'en
faifons deux à la fois. Jamais
le Confeiller ne fut
plus furpris . Il querella fa
Soeur , & luy fit mille reproches
. Il éloigna tout- àfait
le Comte de chez luy
& de Comte en fut trescontent.
La Seur meſme
qui foupçonna quelque
trahison ; auroit fouhaité
de tout fon coeur fe raccommoder
avec le Marquis.
Le Confeiller y travailla
de tout fon pouvoir ;
mais le Marquis ne put digerer
l'injure qu'on luy
Mars
1714.
T
218
MERCURE
pas
;
avoit faite . Le Comte , qui
eftoit caufe de toute cette
révolution , ne fut pas plus
heureux que les autres . Son
deffein luy avoit paru plai
fant à imaginer , & à executer
mais il n'en avoit
bien préveu les fuites.
Le Marquis conceur pour
luy toute la haine que l'on
peut avoir pour un Rival.
il mit bon ordre à empef
cher qu'il ne put voir fouvent
la jeune Heritiere , &
il fouleva tellement toute
la Parenté contre luy >
qu'il n'auroit pas efté bien
GALANT .• 0219
receu à parler de Mariage .
Ainfi perfonne ne ſe maria ;
ce ne fut que divifion de
tous coftez. Peut - eftre
quand la belle Heritiere
fera en âge de difpofer
d'elle , elle fera choix du
Comte qui l'aime toujours
; mais dans le temps
qu'il faudra attendre , c'eſt
grande merveille , fi l'une
des deux paffions ne s'affoiblit.
Aprés tout pour
tant , elles pourront ne s'affoiblir
pas , car les deux
Amans ne fe voyent guére.
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Résumé : HISTORIETTE.
Au début du XVIIIe siècle, une histoire d'amour complexe se déroule entre plusieurs personnages de la noblesse et de la robe. Un jeune marquis s'éprend d'une femme issue d'une famille de robe, dont le frère unique est conseiller au Parlement. Bien que le marquis fasse des progrès dans le cœur de cette femme, des obstacles surgissent. Le conseiller, de retour d'Italie, approuve l'union de sa sœur avec le marquis. Cependant, il est lui-même amoureux de la cousine germaine du marquis, une jeune héritière sous la tutelle de ce dernier. Cette héritière est éprise d'un comte spirituel et réputé. Le conseiller espère une double alliance et propose au marquis d'épouser l'héritière, mais celle-ci refuse. Pour faciliter son propre mariage, le comte tente de semer la discorde entre le marquis et sa bien-aimée en se faisant passer pour son amant. Cette manœuvre échoue, et les relations entre les familles se dégradent. Finalement, personne ne se marie, et les passions restent vives, bien que les amants ne se voient plus fréquemment.
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