Retournons à la Guerre ,
1 rien n'arreſte les François quand il s'agit de ſervir leur Prince , &d'acquerir de la ré- putation. Vous venez de voir
combattre fur Terre , voyez à
preſent combattre ſur Mer.
Nous y avons remporté des avantages dont ceux qui ne ſontpasaccoûtumez àvaincre touslesjours par tout , feroient plus de bruit que nous n'en faifons.
Le Capitaine Tobias fort eſtimé chez les Hollandois ,
158 LE MERCVRE 1
éprouva il y a quelque temps combien les Armes du Roy fontàcraindre. Il revenoit de
Smirne , & commandoit une
Flote compoſée de trois gros Vaiſſeaux de guerre ,de cinq Navires , & de huit grandes Fluftes , le tout extraordinaire- ment riche. Le Vaiſſeauqu'il montoit eſtoit de foixante &
fix Pieces de Canon, & chaque Naviredequarante. Il fut rencontré dans la Manche à
la hauteur d'Oüeſſant , par M. le Chevalier de Chasteaure- naut Chefd'Efcadre, qui croi- foit de ce coſté-là, Quoy qu'il n'euſt que quatre Vaiſſeaux de guerre& trois legeres Fré- gates , cette inégalité ne l'em- pefcha pas de prendre la ré- folution de lattaquer. LesEn- nemis l'attendirent en bon
ordre,
GALANT. 159
-
ce qu'il
ordre , & voyant leurs forces beaucoup au deſſus de celles desAttaquans , ils ſe prépare- rent à les recevoir avec une
confiance qui ne leur permet- toit point de douter de la Vi- ctoire. Leurs huit Baſtimens
s'eſtant mis en ligne , & les ☐ Fluſtes ſous le vent , M. de
Chaſteaurenaut arriva fur eux
à la petitepointedujour. Il fit tout cequ'il put pour aborder Commandant , qui évita fix fois l'abordage. Le Combat fut long&opiniâtre. NosFré- gates prirent quatre grandes Fluftes chargées d'Huile , de Tabac , & d'indigo , & deux Vaiſſeaux Hollandois coulerent à fond , avec del'Argent
en barre , & plufieurs mar- chandifes de grand prix. Leurs autres Vaiſſeaux ont eſte fort
Tome VI.
le
160 LE MERCVRE
mal traitez. Ils s'échaperent à
la faveur d'une brune qui empeſcha M. le Chevalier de
Chaſteaurenaut de les ſuivre.
Chacun ſçait qu'on ne peut avoir plus de cœur qu'il en fait paroiſtre , que le peril ne l'é- tonne point , &qu'il n'est pas ſeulement bon Soldat & bon
Capitaine , mais encor bon Homme de Mer , & fort intelligentdans tout ce qui regarde l'employ qu'on luy a donné.
Meſſieurs les Comtes de Sourdis&de Rofmadec , & M. Foran Capitaines de Vaiſſeaux ,
ſe ſont extraordinairementdiſtinguez. Meſſieurs Huet du Rueaux , de Banville , & de Maiſon-neuve , ont donné des
marques de leur courage tant que le Combat a duré. M. le Baron d'Audengervat , Mef-
GALANT. 161
LYCA
ſieurs de Moran- Boiſamis &
de Sancé Lieutenans , deBoncour &de Courbon Enfeignes,
de la Haudiniere &de la Robiniere Volontaires , &deBel- limont Garde de la Marine,
ont eſté bleſſez en ſe ſignalant.
Les Ennemis ont perdu beau- coup de monde , & il ne nous en a couſté que M. Mercadet Enſeigne , qu'ils notus ont Cét avantage n'eſt pas le ſeul que nous ayons eu ur
Mer. M. leChevalierde Bre
teüil qui commande l'Efcadre desGaleres Françoiſes enRof- fillon , a enlevé deux Barques d'un Convoy qui venoit aux Eſpagnols , & dont tout le feu de laMouſqueterie des Enne- mis ne pût empeſcher la prife.
Il pourſuivit les autres juſques fous le Canon de la Tour de
O ij
162 LE MERCVRE
Palmos aux Coſtes de Catalogne. M. le Chevalier deBour- feville ſe rendit maître d'une
troiſieme , &on ne peut trop eſtimer les marques d'intrépi- dité & de valeur que tous les
deux ont données.
Il ne faut qu'eftre François pour porter la terreur en pre- nant les armes. Un Marchand
duHavre s'eſtant plaintqu'un Corſaire nommé,le Capitaine Mauvel, venoitde luy enlever une Barque affez confiderable , avec le Pilote qu'il avoit deffus , Monfieur le Duc de S.
Aignan détacha fans perdre temps fix Soldats par Compa- gnies , &les faiſant prompte- ment embarquer das des Cha- loupes,&quelques autresdans un Bateau qui ſert à porter le Bois , afin qu'on les pûft pren-
GALANT. 163 dre pour des Marchands , ils allerent joindre le Corſaire qui eftoit encor à l'ancre. M. de
Brevedent Capitaine de Fré- gate legere , & M.du Buiffon Enſeigne du Port , ſe trouve- rent à cette attaque , il y eut un Combat de Mouſquererie qui ſe fit preſque à bout tou- chant, &qui étonna tellement le Corſaire , qu'il prit la fuite.
aprés la décharge de quatre Pieces de Canon dont il eſtoit
armé. Son Pilote fut tué ,trois
de ſes Matelots demeurerent
fur la Place , & il fut bleffé
luy-meſme. Il n'y eutde l'au- tre coſté qu'un ſeul Soldat bleffé jambe , & le Maſt
de l'une des Chaloupes en- dommagé d'un coup de Ca- non. La Barque fut repriſe.. Elle eſt eſtimée à prés de mil
Oiij
164 LE MERCVRE Ecus, &c'eſt duPilote duMarchand qui estoit avec le Cor- faire pendant le Combat , &
qu'il a relâché depuis , qu'on a ſçeu ces particularitez.
Je nevous parle point d'un petit Corfaire de Saint Mało ,
armé de fix pieces de Canon ,
qui s'eſtant rendu maiſtre de trois grandes Fluftes de Dan.
nemarc chargées de Froment,
de Seigle , & de Pluſieurs au- tres chofes, les a menées dans ce Port. Ces fortes de priſes y
font ordinaires , un autre Cor- faire ayant amené preſque en -meſme temps un Hollandois ;
&deux autres , un Biſcayen chargé de diverſes marchan- difes.
Vous voyez , Madame, que le Roy triomphe de tous cô- tez fur Mer , comme il triom
GALANT. 165 phe par tout fur Terre. Il eſt vray qu'on nous imputoit une diſgrace qui donnoit grande joye à nos Ennemis. On pré- tendoit que toutes nos Gale- res avoient eſté conſommées à
Civitavechia par un Incendie dont on n'avoit pû arreſter la violence. Le bruit en courut à
Naples ; & dans le temps que cette nouvelle s'y debitoit , el- les parurent à l Iſle de Pont,
où elles prirent trois gros Vaif- ſeaux àla veuë meſme de cet.
te Ville.