TRADUCTION en Vers libres de la
XIVe Ode du II Livre d'Horace :
Otium divos rogat in patenti , & c.
LORSQU'AU U'AU milieu de la carrière
L'Aftre des nuits dérobe la lumière,
Et que les vents fougueux tyrannifent les flots ;
Le timide Marchand furpris par la tempêre,
14 MERCURE DE FRANCE .
Redoutant les dangers ſuſpendus ſur ſa tête ,
Adreffe aux Immortels des voeux pour le repos.
Ces Favoris du Dieu redouté fur la terre ,
Ces Médes indomptés , brillans par leurs carquois ,
Laffés des longs travaux d'une pénible guerre
Recherchent un loifir qu'ils ont bravé cent fois.
Les rubis éclatans ; la pourpre éblouiſſante
Ces Palais , ces liceurs & ces nombreux troupeaux
Peavent- ils , cher Grofphus , procurer le repos ,
Repouffer des chagrins la foule renaiſſanté ,
Et calmer des efprits par l'ennui dévorés ?
Les foins volent toujours fous des lambris dorés.
Heureux cent fois celui que le Dieu des richeſſe s
Ne berce pas defes vaines promeffes !
Qui vit long-temps du bien de fes a ïeux
Sans crainte , fans remords , fans defirs odieux !
Sur un lit de gazon , couché dans la chaumière ,
Ce mortel peut goûter les douceurs du repos :
Le fommeil à fon gré vient fermer la paupière.
Et prodigue fur lui fes paifibles pavots.
Paifque l'on vit fi peu , pourquoi tout entreprendre
?
Crait- on fixer du temps le trop rapide cours ?
A quoi , mon cher Grofphus , l'homme oſe - t-il
prétendre ?
Prétend t- il reculer le terme de ſes jours ?
On a beau parcourir tous les climats du monde ,
On ne peut s'éviter ; on le trouve toujours.
M A I. 1763. 15
Ce fou , qui s'abandonne au caprice de l'onde ,
Croit- il , fur un vaiffeau plus léger que les vents
Se dérober aux traits des remords dévorans ?
Vaine erreur ! Le chagrin ardent à le poursuivre
S'élance fur la pourpe & fait voile avec lui.
Puifque rien ne nous en délivre ,
Tâchons du moins d'adoucir notre ennui .
Saififfons du préfent le rapide avantage ,
Et laiffons l'avenir entre les mains des Dieux.
Corrigeons du deftin le caprice odieux ,
Et faifons des plaifirs un agréable uſage.
On ne peut en tout être heureux< ;
Et le fort le plus doux a des revers affreux.
Achille eut en naiffant la valeur en partage ;
Achille des Troyens put renverfer les tours ;
Mais la mort a frappé du coup le plus terrible
Dans la fleur de fes ans , ce Héros invincible.
A l'amour de Titon l'Aurore fut fenfible ;
Titon fe vit aimé . Mais malgré fes amours
Une lente vieilleffe afçu miner les jours.
Le fort m'accordera peut -être
Ce qu'il vous aur arefufé.
Des plus riches Palais , les Dieux vous ont fait
maître ;
Plutus de tous fes dons pour vous s'eſt épuifé ;
Pour vous mille taureaux mugiffent dans la plaines
Vos habits font tiffus de pourpre Tyrienne;
Les Dieux des plus grands biens vous ont favorisé :
16 MERCURE DE FRANCE
Votre deftin ne me fait point envie:
Ces Dieux ne m'ont donné , (je les en remercie
Que ce ruftique toît & le foible talent
D'imiter de nos Grecs le lyrique genie.
Auffije fuis heureux ; rien ne trouble ma vie ;
Et je me ris des voeux du Vulgaire infolent.
Par M. B. D. S.