E MEPRIS DES RICHESSES.
ODE.
Qui a remporté le premier Prix à
l'Académie des Jeux Floraux .
Par M. Rainaud , de l'Oratoire , Préfet du
College de Soissons.
PLutus , qui de nos coeurs avides ;
Bannis les innocens plaisirs ,
I. Vol.
Dvj Jusqu'à
1126 MERCURE DE FRANCE
Jusqu'à quand tes trésors perfides ,
Irriteront- ils nos désirs ?
Jusqu'à quand irons-nous , par d'aveugles ma
ximes ,
D'un Encens criminel et du sang des Victimes >
Offrir l'hommage à tes Autels ?
Tes funestes présents, enfantent nos miséres ,
Et qui sçait mépriser ces biens imaginaires ,
Est le plus riche des Mortels..
C'est en vain que
粥
de l'Opulence ,
'Adorant l'Eclat suborneur ,
Dans le luxe et dans l'abondance ,
On met le suprême bonheur.
Contemplons ce Crésus , pour qui les Arts s'épuisent
,
Pour qui la Terre et l'Onde à l'envi reprodui—
sent ,
Tout ce qui peut combler ses voeux ;
Dans le sein des plaisirs qu'enfante la molesse ,
Ce superbe mortel , aux yeux de la sagesse,
N'est qu'un illustre malheureux.
Quels traits à ma vûë il décéle !
Des besoins , toujours renaissans ;
J'apperçois la Troupe cruelle,
1. Vol. Qui
JUIN. 1733. 11-27
Qui le rend Esclave des sens.
Que de pâles soucis ! que de mortelles® craintes !
Sous ses lambris dorez , j'entends les tristes plaintes
;
C'est peu , quel spectacle nouveau !
Implacable Vautour , dans sa tristesse extrême ,
Son coeur qui se déchire , est toujours de luimême
,
Et la Victime et le Bourrean.
Doux repos que l'homme désire ,
Heureuse Paix , charme des coeurs r
Tu n'établis pas ton Empire ,
Dans les fastueuses grandeurs.
Loin des Palais pompeux , que le Luxe envi
ronne ,
De ceux que nos respects accablent sur le Thrône
,
Tu fuis la haute Majesté ;
Et des coeurs sans désirs , délicieux partage ;
Tu vas sous l'humble toît , habité par le Sage
Assurer sa félicité.
諾
Là , des Trésors , à qui tout céde ,
II dédaigne les vains appas ;
Trop content de ce qu'il possede',
Il méprise ce qu'il n'a pas..
I. Vol A
T128 MERCURE DE FRANCE
1
A l'envie , aux soupçons toujours inacsessible ,
L'inquiete Avarice , à son bonheur paisible ;
Ne vient jamais mêler l'ennui ;
Soleil , tu ne vois rien , dont son coeur soit
avide ;
Trop heureux ! il jouit d'un trésor plus solide ,
Qu'il porte toujours avec lui.
Fidelle aux Loix de la nature ,
Et Souverain de ses désirs ,
Sans soins , sans trouble , sans murmure ,
Il goute de parfaits plaisirs.
Envain sur l'Ocean , s'élevent les Tempêtes ;
Les Foudres menaçans , qui grondent sur nos
têtes
,
Ne l'arrachent point au sommeil ;
Tranquille , il ne va point , affrontant les maufrages
,
De leurs riches métaux , dépoüiller des rivages,
Eclairez d'un autre Soleil.
粥
Aveugle et bizare * Déesse ,
Qui regles le sort des humains ,
Dont les Autels fument sans cesse ;
De l'encens que t'offrent leurs mains ,
Tes éclatans revers signalant ta puissance ,
* La Fortune.
1. Vel. Ne
JUIN . 1733 .
1129
Ne sçauroient de son ame , ébranler la constance
Il brave leurs vaines rigueurs ,
Que pourroit contre lui ton courroux infléxible
Tu ne fais qu'affermir son courage invincible ,
En multipliant ses malheurs
Mais Dieux ! quel spectacle m'étonne !
L'Orage fond sur ses Moissons ,
L'Air s'embraze , l'Olympe tonne ,
Les Vents ont forcé leurs prisons.
Des Aquilons fougueux la cohorte effrénée ;
Emporte avec les dons de Cérès consternée ;
Ceux de Pomone et de Bachus .
De regreter ces biens ne peut -il se deffendre ›
Non , non , son coeur tranquille , avoit sçû les
attendre ,
Et tranquile, il les a perdus.
*
Vous qu'une implacable furie ,
Retient sous un joug odieux ,
Ministres de sa barbarie ,;
Brisez ses fers injurieux .
Dans ces frêles trésors , vos cruelles délices ,
Vous trouvez vos tourmens
supplices.
* L'Avarice.
Vous trouvez vos
1. Vol.
Ardens
1130 MERCURE DE FRANCE
Ardens à vous tyranniser ;
Plus heureux , ce * Romain , dont la vertu constante
,
Préfére au vain éclat de l'or qu'on lui présente ,
La gloire de le mépriser.
柒
Heureux le monde en son Enfance ,
Où l'homme , maître de son coeur
Dans la paix et dans l'innocence
Trouvoit un solide bonheur !
y
Pomone , tes présens faisoient sa nourriture ;
Son corps d'un vil feuillage , empruntoit sa pa→
rure "
Modeste ouvrage de ses mains ;
Et toujours affranchi de la sombre tristesse ,
Il goutoit ces vrais biens qu'au sein de la mo→
lesse ,
Regretent encor les humains.
Revivez „ antiques Exemples ,
De l'active frugalité ;
Que nos coeurs ne soient plus les temples
D'une aveugle Divinité.
Etoufons , au mépris de ses vaines largesses ,
Les désirs effrénez , qu'enfantent les Richesses ,
Sources fécondes de nos maux ,
* Curius.
I. Vol. Ec
JUIN. 1733. - 1131
It bornant ces besoins d'où renaissent nos peines
,
Sur les débris du faste et des grandeurs humai
mes ,
Etablissons notre repos,
潞
Quantò quisque sibi plura negaverit ,
A dis plura feret.
រ
Horat. Ode 16. lib. 3 .