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p. 159-172
ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Début :
Une société de Gens de Lettres, vient de publier un nouveau volume de ses [...]
Mots clefs :
Architecture, Architecte, Mémoires, Gloire, Architecture antique, Église, Édifices, Goût, Portail, Marchés, Louvre, Bâtiment, Société de gens de Lettres
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texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
Mercure du mois de Juin de l'année 2355-
Ne fociété de Gens de Lettres , vient
de publier un nouveau volume de fes
Mémoires *.
C'eft une chofe admirable que la vertueuſe
ténacité avec laquelle cet illuftre
corps s'attache à multiplier fes découvertes
fur nos antiquités françoiſes .
J'en rendrai compte , non fuivant l'ordre
felon lequel les Mémoires font arrangés
dans le volume , mais en mettant de
* Ces mémoires fontd'autant plus rares , qu'ils
font l'ouvrage des fçavans qui font à naître , &
qu'ils ont été faits plufieurs fiecles après le nôtre.
Jufqu'ici l'érudition avoit employé fa fagacité à
débrouiller le cahos des tems paffés , mais elle
étend aujourd'hui fes lumieres jufqu'à percer les
ténébres d'un âge à venir. C'eſt donner un être à
la poffibilité , c'eft réaliſer les conjectures , & ( ce
que j'eftime le plus dans ce morceau , ) c'est trouver
une maniere auffi nouvelle qu'ingénieufe , de
louer le fiecle préfent , fans bleffer la modeftie de
perfonne. Je crois faire un vrai préſent au public
de l'inférer dans mon journal.
160 MERCURE DE FRANCE.
fuite ceux qui traittent des matieres qui ont
du rapport les unes aux autres. Ainfi , je
rapporterai d'abord ceux qui concernent
l'Architecture antique.
Le premier eft celui du célébre M. Scarcher
, déja connu par tant d'ouvrages remplis
de la plus profonde érudition , il Y
traite des reftes d'Architecture de l'ancienne
ville de Paris. Il prouve d'abord d'une
maniere irréfiftible que le quartier de la
Cour , que nous diftinguons fous le nom
de quartier de Verfailles , étoit autrefois
hors de la ville de Paris , & qu'il y avoit
même une étendue confidérable de terrein
inhabité entre l'une & l'autre , il prétend
qu'alors la ville n'avoit qu'environ une
lieue d'étendue. On eft furpris , fans doute ,
de voir que cette ville magnifique ait eû
de fifoibles commencemens. Cependant il
eft difficile de fe refufer à la force des
ves qu'il a recueillies avec un courage infatigable
dans une quantité prodigieufe
d'anciens livres qu'il lui a fallu parcourir.
Il entreprend de prouver que la ville finiffoit
où l'on voit à préfent cette admirable
ftatue du grand Roi Louis XV. qui fut
furnommé par fes fujets le Bien -aimé
comme on le voit par les infcriptions de
la ftatue qui nous refte auffi bien confervée
que fi elle fortoit de la fonte , & qui
preuJUILLET.
1755 161
durera moins encore que la mémoire d'un
fi beau titre & la gloire de ce grand Monarque.
Enfuite il fait voir par un raifonnement
très étendu & plein d'érudition , que le
pont qu'on nomme Royal a pris fon nom
de cette ſtatue, contre le fentiment de quelques-
uns qui croyent qu'il fe nommoit
ainfi avant qu'elle fut érigée, Ce qu'il dit
fur ce fujer eft fi evident qu'il ne femble
pas qu'on puiffe le contefter d'avantage.
Il paffe enfuite à des recherches trèscurieufes
fur le merveilleux bâtiment du
Louvre , il réfute furabondamment le mémoire
donné dans la même Société l'année
précédente où l'on avoit avancé que ce fuperbe
édifice avoit été achevé & porté à fon
entiere perfection fous le regne de Louis
XIV. fondé fur l'autorité des Hiftoires ,
confervées dans les anciennes bibliothetheques
; il fait voir qu'il a été long- temps
abandonné à caufe des guerres qui ont troublé
la fin du XVIIe fiécle & le commencement
du XVIII , & qui ont affuré à la
France la fupériorité fur fes voifins , la
fplendeur & le repos dont elle jouit depuis
ces deux fiécles également célébres . Il rapporte
à ce fujet un trait d'hiftoire curieux
où l'on voit que celui qui étoit alors à la
tête des Arts , fecondant avec zele & avec
162 MERCURE DE FRANCE.
un goût peu commun , les intentions & l'inclination
du Roy régnant , pour les grandes
chofes , entreprit de reftaurer & d'achever
cet édifice , dont une partie tomboit
en ruine. Il fixe la datte de cet important
événement vers le milieu du XVIIIe fiécle .
"
Il détruit enfuite entiérement l'objection
la plus impofante que fon antagoniſte
avoit alléguée contre la vérité de ce fait
qui étoit le peu de vraisemblance qu'il
trouvoit à croire qu'une perfonne en place
pût avoir abandonné la gloire de conftruire
de nouveaux édifices , & s'être contentée
de celle d'amener à leur fin les ouvrages
commencés par fes prédéceffeurs , qui
méritoient d'être confervés à la postérité.
M. Scarcher fait voir combien cette idée
eft fauffe , & qu'elle n'eft fondée que fur
la reffemblance que nous fuppofons entre
les hommes d'alors , & ceux du temps où
nous vivons. Il eſt bien vrai que de nos
jours nous voyons rarement achever les
grandes entrepriſes , parce qu'il eft du bon
air de ne point fuivre les maximes ni les
idées de fes prédéceffeurs , mais il n'en
étoit pas ainfi dans ces temps héroïques ;
chacun mettoit fa gloire à contribuer autant
qu'il étoit en lui à celle du Roy
régnant , & lorfque le moyen le plus digne
avoit été trouvé par fon devancier , on le
JUILLET. 1755. 163
fuivoit fans difficulté. D'ailleurs , on ne
peut pas dire que le Supérieur de ces tempslà
fe foit uniquement borné à fuivre ou à
finir ce que les autres avoient tracé . Il nous
refte plufieurs édifices très confidérables
& d'une grande beauté qui ont été commencés
& achevés fous ce regne.
On ne peut trop admirer la facilité & la
juftefle avec laquelle notre Sçavant éclaircit
ces temps que leur éloignement nous
rend fi obfcurs . Si d'une part il nous fait
voir avec certitude que ce fuperbe bâtiment
a été négligé pendant quelques années
, en même temps il s'éleve avec la plus
grande force contre ceux qui ont avancé
que pendant long-temps cet édifice a été
environné d'écuries , de petites maiſons ,
même d'échoppes. Il fait voir quelle abfurdité
il y a à penfer que dans un fiècle auffi
éclairé , on ait fouffert une pareille profanation
, ce qu'il dit là- deffus eft rempli
d'éloquence.
J'abrege quantité de réflexions non moins
curieufes qu'il fait fur les beautés du Lou
vre & qu'il faut lire dans l'original , pour
paffer à ce qu'il dit fur l'Eglife antique de
fainte Génevieve de la montagne. Il croit
que cet admirable édifice a été bâti par le
même architecte que le fuperbe périftile du
Louvre. La tradition reçue jufqu'à préfent
164 MERCURE DE FRANCE.
étoit que cette églife avoit été commencée
vers le milieu du dix -huitiéme fiécle : en
admettant fes preuves , il faudroit en établir
la datte environ un fiécle plûtôt , ce
qui répugne un peu à la beauté de fa confervation
, cependant les raifons qu'il apporte
ne font point à rejetter. Il s'appuie
fur le fentiment de nos plus habiles architectes
, qui en conſidérant la noble ſimplicité
du goût de cette architecture , y reconnoiffent
le même ſtile qu'au Louvre , quoique
dans une compofition différente. Ils
prétendent que le goût du dix- huitiéme
fiécle a été inférieur , à en juger par quelques
reftes de bâtimens dont la datte eft
certaine & par quelques écrits de ces
temps- là qui font remplis de plaintes contre
le mauvais goût qui régnoit alors , &
où l'on en explique les défauts de maniere
à nous en donner une idée affez diftincte.
Or , on ne voit aucun de ces défauts ni
dans cette églife , ni au Louvre ; au contraire
ces édifices font encore les regles du
vrai beau .
La feconde preuve qu'il tire du nom
de l'architecte , fait voir avec quelle fagacité
il éclaircit les antiquités les plus épineuſes.
L'hiſtoire nous a confervé le nom
de l'architecte de ce beau periftile du Louvre
qui regarde le Levant , il fe nommoit
JUILLE T. 1755. 165
Perrault. M. Scarcher prouve à travers
mille difficultés que c'eft ce même nom qui
eft tracé à fainte Genevieve , & qui eft tellement
effacé , qu'il n'y a qu'un homme
auffi verfé dans les antiquités que M. Scarcher
, qui puiffe nous en donner l'intelligence.
La premiere difficulté qui fe rencontre
eft que le nom de Perrault eft compofé
de huit lettres & qu'on n'en apperçoit
que fept dans les foibles traces qui restent
fur ce marbre ; mais nous verrons bien-tôt
comment on doit expliquer cela. Les deux
dernieres lettres de ce nom , qui fe voyent
encore affez diftin&tement , font OT, & il
ya tout lieu de croire que celle qui les
précede eft une L. M. Scarcher prouve premierement
par un grand nombre d'autorités
refpectables que les anciens François
prononçoient la diphtongue an , de même
que la lettre o , & qu'ainfi ils mettoient indifféremment
l'une pour l'autre. Cette découverte
répond en même temps d'une ma
niere évidente à la premiere difficulté des
fept premieres lettres qui fe trouvent à
fainte Génevieve au lieu de huit , que demande
fa fuppofition , car il eft clair qu'ici
la lettre o tient lieu de deux . Il reste la difficulté
de L qui fe trouve avant l'O , au
lieu que dans le nom de Perrault , elle ſe
trouve après an. 11 y fatisfait du moins
曩
166 MERCURE DE FRANCE .
d'une maniere probable , en difant qu'il eft
poffible que la modeſtie de l'architecte
l'ayant empêché d'y mettre lui-même fon
nom , il n'a été mis qu'après la mort , &
que ceux qui l'ont gravé , l'ont ainfi défiguré
, ou par corruption , ou plûtôt parce
que c'étoit en effet la véritable prononciation
de ce temps- là , comme nous voyons
encore dans le nôtre que les Allemands
prononcent Makre quoiqu'ils écrivent Maker
, ainfi on peut avoir prononcé OLT,
quoiqu'il foit écrit LOT. Nous nous fommes
un peu étendus fur cet article , quoique
nous l'ayons beaucoup abrégé , parce
que c'eft un des plus importans de ce fçavant
mémoire & celui où l'on découvre la
plus rare érudition ; s'il y a quelque choſe
qui paroiffe inadmiffible , c'eft cet excès
de modeſtie qu'il ſuppoſe dans un architecte
; mais encore une fois , nous ne deyons
pas juger des hommes de ces fiécles
vertueux par ceux du nôtre. Il reſte encore
une objection. Plufieurs fçavans ont prétendu
que la premiere lettre de ce nom eft
une S , & qu'il eft difficile avec les traces
qui en reftent d'en faire un P * . C'eſt là
* Il y en a qui vont plus loin . Ayant de meilleurs
yeux , ils ont cru entrevoir uneƒavant l , &
fuppléant à la diphtongue qui manque , ils ont
conjecturé que le véritable nom de l'architecte
JUILLET. 1755- 167
qu'il faut voir M. Scarcher employer toutes
les forces de fon éloquence pour y trouver
un P , il faut le lire dans l'original ,
mais il eft vrai qu'il eft bien difficile quand
on l'a lû de ne l'y pas trouver avec lui ,
malgré les difficultés que préfente l'infpection
du marbre.
M. Scarcher traite enfuite des reftes antiques
de l'Eglife de faint Pierre & faint
Paul , qu'une tradition fans fondement
nomme faint Sulpice. Il démontre que nous
n'avons pas cet édifice ( dont il ne refte
prefque que le portail ) tel qu'il a été bâti .
Que les arcades qui font au fecond ordre ,
y ont été conftruites depuis par quelque
raifon de folidité occafionnée par les ravages
du temps , & qu'il n'y a nulle apparènce
qu'un architecte de ce mérite eut mis ces
maffifs au fecond ordre n'en ayant pas mis
au premier , c'eft- à-dire , le fort fur le
foible. Il prouve encore que les coloffes
monftrueux qui font fur les tours , ont été
pareillement ajoûtés par quelque raifon de
dévotion populaire , qui a voulu que l'on
vit les patrons de cette églife les plus
grands qu'il étoit poffible ; que les tours
ont été terminées en ligne droite par l'architecte
premier auteur de cet édifice , &
étoit Sauflot ou Souflot. J'avoue que je ferois affez
de ce dernier ſentiment,
168 MERCURE DE FRANCE:
que le couronnement que nous y voyons
maintenant eft une augmentation faite
dans un fiecle où le goût avoit dégénéré.
Il ne paroît pas auffi bien fondé , lorfqu'il
foutient que le fronton eft dans le même
cas d'être venu après coup. Il prétend
décider le problême qui embarraffe tous
nos architectes , c'est - à - dire , l'impoffibilité
qu'il y a que l'églife dont nous jugeons
par quelques arcades demi ruinées
qui fubfiftent encore , puiffe avoir été liée
avec ce portail . En effet , on ne voit aucune
hauteur ni aucune ligne qui y ait du rapport.
Il dit qu'alors l'intérieur de l'égliſe
étoit à deux ordres l'un fur l'autre femblables
à ceux du portail avec un rang de galleries
regnant tout au tour, que cette églife
ayant été détruite ou par quelque accident
ou par la barbarie des fiecles fuivans , on a
édifié à fa place ce bâtiment irrégulier qui
s'y accorde fi peu ; ce qui donne quelque
vraisemblance à fa fuppofition , c'eft qu'indépendamment
de leur peu de rapport avec
le portail ces fragmens qui nous reftent
n'en ont pas même entr'eux . Ce fentiment
n'eft cependant pas fans difficulté , on a
peine à concevoir que dans l'efpace de
temps qui s'est écoulé depuis fa premiere
conftruction , une égliſe auffi bien bâtie
que celle qui devoit tenir à ce portail , ait
été
JUILLET. 1755. 169
été détruite , relevée une feconde fois aufli
folidement que nous le voyons par ces
reftes , & encore ruinée . On ne peut que
difficilement fuppofer qu'elle ait été abbattue
exprès , d'ailleurs nous ne connoiffons
point de fiecle de barbarie depuis ces temps
mémorables. Les arts ont toujours été floriffans
, & n'ont fait que fe perfectionner
jufqu'au point d'élévation où nous les
voyons maintenant. M. Scarcher permettra
que nous ne nous rendions pas encore
fur cet article , & que nous attendions des
preuves plus fortes que le temps & fon
profond fçavoir lui feront découvrir.
Notre favant auteur paffe enfuite à un
refte de bâtiment ancien qu'on croit avoir
été une églife fous l'invocation de faint
Roch. Ce qu'on trouve de plus fatisfaiſant
dans les réflexions de M. Scarcher fur cette
églife , ce font les raifons dont il s'appuye
pour détruire le fentiment de ceux qui foutiennent
que le double focle qui porte les
arcades de la nef a été apparent dans fa
premiere conftruction . Il fait voir que le
focle d'enbas étoit la fondation qui fe trouvoit
enfevelie dans l'intérieur du terrein
qu'il n'eft vifible que parce qu'on a baiffé
le terrein intérieur de l'églife , & combien
il eft ridicule de penfer que jamais aucun
architecte fe foit avifé de mettre deux fo-
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cles l'un fur l'autre , & fi élévés que les
bazes des colonnes font de beaucoup audeffus
de la vue. Il établit une feconde
preuve fur ce qu'on trouve par d'anciennes
eftampes qu'on croit gravées dans ces mêmes
tems , qu'il y a eu 15 ou 16 marches
pour monter à cette églife , au lieu qu'à
préfent il ne s'en trouve que cinq. Selon
fon idée , on a détruit les marches qui
montoient jufqu'au niveau du premier
focle. Ce fentiment n'eft probable que dans
la fuppofition que les marches que l'on y
voit maintenant ne font point du tout les
anciennes , car il auroit fallu pour monter
jufqu'à la hauteur des bazes du portail
qu'elles n'euffent laiffé aucun pallier ; ce
qui , quoique poffible , laiffe quelque doute
, d'autant plus qu'en calculant la hauteur
& l'enfoncement que produifent un
nombre de marches femblables à celles qui
reftent , on n'y trouve pas un rapport jufte
avec le nombre des marches indiquées dans
l'eftampe , il eft vrai qu'il ajoute une raifon
plaufible pour remédier au défaut de
juftelle du calcul de ces marches , il fait
remarquer que naturellement le terrein
des villes fe hauffe par un abus auquel on
ne fonge point à tenir la main , parce que
l'on apporte toujours & qu'on ne remporte
jamais. Tout ceci porta un caractere de
JUILLET. 1755. 171
vraisemblance auquel on a peine à ſe
refufer.
·
Il entreprend de prouver que cette églife
précede au moins d'un fiecle le bâtiment
du Louvre , c'est- à- dire , avant que la bonne
architecture fut bien connue . Premierement
par le défaut infupportable des bazes
& des chapiteaux des colomnes qui ſe pénetrent
avec les pilaftres , défaut ridicule
qu'on n'eut jamais fouffert dans un fiecle
plus éclairé. Secondement , par les fauffes
courbes qui font l'enfoncement des efpeces
de niches où font les petites portes de
l'églife . Il prétend que ces courbes font
les effais par où l'on a commencé avant
que de trouver les formes régulieres . Cette
feconde preuve n'eſt pas de la force de la
premiere , car on trouve plufieurs édifices
dont la datte eft certaine , & qui font conftruits
plus d'un fiecle & demi après , où
l'on voit ces mêmes courbes employées &
de plus mauvaiſes encore , d'ailleurs plufieurs
fçavans prétendent quele propre de
l'efprit humain , eft de trouver d'abord
tour naturellement le fimple qui eft le vrai
beau ; & que le goût ne fe corrompt qu'à
force de vouloir aller au-delà.
Au refte , il eft fi difficile de pénétrer
dans ces tems anciens , que les conjectures
vraisemblables doivent être regardées
Hij
172 MERCURE DE FRANCE:
comme des démonftrations . Ce mémoire
renferme quantité de recherches intéreſfantes
aufquelles je renvoye le lecteur
pour ne pas être trop long.
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Résumé : ARCHITECTURE. Mercure du mois de Juin de l'année 2355.
Le Mercure de juin 1755 présente un nouveau volume des Mémoires de la Société de Gens de Lettres, qui se distingue par son exploration des antiquités françaises, y compris celles des siècles futurs. Le journal souligne la ténacité et l'érudition de cette société, qui étend ses recherches au-delà des temps passés pour éclairer les époques à venir. L'article se concentre sur les mémoires relatifs à l'architecture antique, notamment ceux de M. Scarcher. Ce dernier traite des vestiges architecturaux de l'ancienne ville de Paris, prouvant que le quartier de la Cour, aujourd'hui connu sous le nom de quartier de Versailles, était autrefois en dehors de la ville. Il démontre également que Paris avait une étendue limitée à l'époque, environ une lieue. Scarcher examine ensuite la statue de Louis XV et le pont Royal, affirmant que ce dernier tire son nom de la statue. Il réfute une affirmation précédente selon laquelle le Louvre aurait été achevé sous le règne de Louis XIV, expliquant que l'édifice a été négligé en raison des guerres et restauré au milieu du XVIIIe siècle. Le texte aborde également l'église Sainte-Geneviève, que Scarcher attribue au même architecte que le péristyle du Louvre, Perrault. Il discute des difficultés de lecture des inscriptions et des preuves historiques pour soutenir ses assertions. Scarcher traite également des vestiges de l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, aujourd'hui connue sous le nom de Saint-Sulpice, démontrant que l'édifice a subi des modifications au fil du temps. Il conclut que l'église actuelle ne correspond pas à l'original et que certaines parties ont été ajoutées pour des raisons de solidité ou de dévotion populaire. Scarcher conteste l'idée que le double socle des arcades de la nef de l'église dédiée à saint Roch ait été visible lors de la première construction. Il argue que le socle inférieur était enfoui et n'est visible que parce que le terrain intérieur a été abaissé. Il trouve ridicule l'hypothèse que deux socles aient été construits l'un sur l'autre à une telle hauteur. Scarcher présente des preuves basées sur des anciennes estampes montrant 15 ou 16 marches pour accéder à l'église, contre cinq actuellement. Il suggère que les marches originales ont été détruites et que le terrain des villes tend à s'élever naturellement. Enfin, Scarcher tente de démontrer que cette église précède de plus d'un siècle le bâtiment du Louvre, avant que l'architecture ne soit bien maîtrisée. Il cite des défauts dans les bases et chapiteaux des colonnes, ainsi que des courbes incorrectes dans les niches des portes. Cependant, cette seconde preuve est contestée par des savants qui affirment que l'esprit humain trouve d'abord le beau simple et que le goût se corrompt en cherchant à aller au-delà.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 172-177
Nouveau projet de décoration pour les Théatres.
Début :
L'économie d'accord avec le bon goût & la raison, a porté M*** à construire [...]
Mots clefs :
Goût, Bon goût, Décoration pour les théâtres, Machine, Représentation, Scène
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texteReconnaissance textuelle : Nouveau projet de décoration pour les Théatres.
Nouveau projet de décoration pour les
L
Théatres.
'Économie d'accord avec le bon goût
& la raiſon , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréſentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la fcene con--
fifte en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé
cela étoit bon.
que
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins.
Ainfi l'endroit de la ſcene eft dormant ;
il eft composé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLET.
1755. 173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene. On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
ou corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit . Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer. L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniſtes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréfentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obſervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la fcene fe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce ſyſtême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur fe prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755 175
dre des deux. Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut-on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréfentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilir.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la ſcene , pour
en mieux cacher les défauts.
La raifon d'économie feroit miférable
fi le ſpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépense &
de magnificence fur d'autres chofes . La
fcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décotations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
1
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréfentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du : ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréſenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés ,, comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes.
L'on pourroit effſayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eft tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755. 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit.
L
Théatres.
'Économie d'accord avec le bon goût
& la raiſon , a porté M *** à conftruire
un théatre dans fon château , où il
a fupprimé les couliffes & les bandes
du haut de la ſcene , qui repréſentent tantôt
le ciel , d'autres fois le plafond d'un
appartement , des berceaux d'allées , ou la
voûte d'une caverne . Toute la fcene con--
fifte en un très- beau fallon , figuré par des
peintures plates , tant en haut qu'en bas ;
& quand cela a été fait , on a trouvé
cela étoit bon.
que
Au fond du théatre il y a deux piliers
de chaque côté ; ils font fort éclairés par
derriere , & font voir un tableau qui
change felon les pieces que l'on repréſente.
Tantôt c'est une place publique que
l'on voit , tantôt un palais , une forêt , la
mer , ou des jardins.
Ainfi l'endroit de la ſcene eft dormant ;
il eft composé d'un plafond , & de deux
côtés richement ornés d'architecture , méJUILLET.
1755. 173
nuiferie fculptée , ftatues & glaces , des
chandeliers à plufieurs branches , torcheres
& bras qui éclairent fort la fcene. On
y a ménagé deux portes de chaque côté
pour l'entrée & la fortie des Acteurs , ce
qui fait le même effet que les couliffes .
Aux quatre coins de la fcene font quatre
gros piliers , deux fur le devant furmontés
d'un fronton d'où defcend la toile ,
& les deux du fond avec pareil fronton ,
ou corniche pour encadrer la ferme ,
comme j'ai dit . Une de ces fermes ou décorations
, peut être affortie avec la ſcene,
& ne former qu'un bel appartement.
Il m'a paru que cette maniere de décorer
un théatre avoit de grands avantages
fur celle des couliffes changeantes & des
bandes d'en- haut qui les accompagnent
.
Toute illufion de l'art doit être rendue la
plus vraisemblable qu'il eft poffible ; celle
des couliffes approche trop près de l'oeil
du fpectateur , pour ne pas paroître pauvre
& groffiere. La perfpective , la dégradation
de lumiere , & les proportions des
perfonnages avec le lieu de la fcene ne
peuvent jamais s'y rencontrer. L'on apperçoit
par les couliffes le jeu des machines
& le travail des Machiniſtes : l'on y
voit tous les coopérateurs étrangers au
fpectacle , & on y place même des fpecta-
H iij
174 MERCURE DE FRANCE.
teurs , dont la préfence & les mouvemens
choquent toujours la vérité des repréfentations.
Remarquons à ce fujet deux chofes intéreffantes
; l'une , combien les loges , balcons
, ou amphithéatre placés fur le théatre
, jettent de confufion dans les repréfentations
de l'Opéra ou de la Comédie ,
& combien les fpectateurs mêlés avec les
Acteurs y font nuifibles & indécens ; l'autre
obſervation eft que par ce même ufage
auquel on a accoutumé le public , on a
déja adopté mon fyftême , en deftinant
pour la fcene un lieu différent de celui
des décorations . Au théatre de Fontainebleau
, par exemple , la fcene fe paffe entre
deux rangs de loges , & la décoration
ne change qu'au fond du théatre ; mais
il feroit bien mieux d'adopter entierement
, ou de rejetter tout - à - fait ce ſyſtême.
Il confifte à deftiner un lieu exprès &
exclufivement pour la fcene , à l'imitation
des anciens. Ce lieu ne peut être mieux
entendu qu'en un très- beau fallon , & tout
un côté en feroit ouvert pour laiffer voir
celui que defire le fujet de la piece , on le
fuppoferoit joint aux lieux divers où fe
paffe l'action . Illufion pour illufion , le
fpectateur fe prêtera facilement à la moinJUILLET.
1755 175
dre des deux. Tout eft orné dans les repréfentations
dramatiques ; on y parle en
vers ou en chants ; les perfonnages les plus
fatigués fortans d'un naufrage , y font parés
& bien mis , les payfans y font galamment
vêtus. Ne peut-on pas fuppofer de
même qu'ils s'avancent vers le public , &
dans un lieu qui eft au public pour parler
de leurs intérêts , lorfqu'on voit par le
fond du théatre qu'ils en traitent dans
une chambre , dans une place , ou dans
une campagne ? L'on fuppofera que ce fallon
eft bâti fur le bord d'une forêt ou
d'une rue par cette illufion on ennoblit
la repréfentation , & par celle des couliffes
& de tout ce qui s'y paffe , on l'avilir.
Le jeu des machines , comme vols ,
chars , gloires , doit fe paffer au fond du
théatre & hors du lieu de la ſcene , pour
en mieux cacher les défauts.
La raifon d'économie feroit miférable
fi le ſpectacle ne s'en trouvoit pas mieux ;
en récompenfe fi l'on veut calculer les
frais , on pourra augmenter de dépense &
de magnificence fur d'autres chofes . La
fcene en fera mieux éclairée par des flambeaux
apparens que par ceux qui font à
moitié cachés derriere les couliffes ; l'on
pourra renouveller plus fouvent les décotations
& le fallon de la fcene ; l'on pro-
Hiv
176 MERCURE DE FRANCE.
1
fitera des progrès de l'architecture moderne
& du deffein d'ornement.
La falle ( ou lieu des loges & des fpectateurs
) ne doit jamais avoir rien de commun
avec la fcene qui fe cache derriere
un rideau jufqu'au commencement de la
repréfentation : ce font , pour ainfi dire ,
deux pays différens ; l'on ne devroit orner
la falle qu'avec la plus grande fimplicité
pour contrafter & faire briller davantage
la magnificence & l'éclat du fpectacle
quand la toile fe leve .
On ne doit rien épargner pour la beauté
de la ferme du : ond du théatre. Dans
le plan que je propofe , ce devroit être
autant de tableaux exquis peints par les
meilleurs Maîtres , & toujours d'un coloris
frais ; ils ne doivent jamais être difpofés
en deux parties , ce qui y y forme au
milieu une raye noire & defagréable ; ces
tableaux feroient plus ou moins reculés &
diftans des deux colonnes de la fcene , felon
les lieux qu'ils repréſenteroient & les
machines qui devroient paroître dans cette
diſtance. On y verroit donc quelquefois
le théatre très- profond avec des morceaux
avancés ,, comme portiques , tours , arbres ,
rochers , &c. mais jamais de couliffes.
L'on pourroit effſayer ce projet au théatre
de l'Opéra qui y eft tout difpofé , l'on
JUILLE T. 1755. 177
formeroit un fallon des fix premieres couliffes
de chaque côté , & le goût du public
décideroit.
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Résumé : Nouveau projet de décoration pour les Théatres.
Le texte présente un projet de décoration pour les théâtres, visant à allier économie et esthétique. L'auteur propose de supprimer les coulisses et les bandes au-dessus de la scène, remplacées par des peintures plates figurant un fallon. La scène est ainsi composée d'un plafond et de deux côtés richement ornés d'architecture, de menuiserie sculptée, de statues, de glaces, de chandeliers et de torches. Au fond du théâtre, deux piliers de chaque côté sont fortement éclairés par derrière, affichant des tableaux changeants selon les pièces représentées, tels qu'une place publique, un palais, une forêt, la mer ou des jardins. Deux portes de chaque côté permettent l'entrée et la sortie des acteurs, remplaçant ainsi les coulisses. L'auteur critique les coulisses changeantes et les bandes du haut, jugées trop proches de l'œil du spectateur, révélant les machines et le travail des machinistes, ce qui perturbe l'illusion du spectacle. Les loges et balcons placés sur le théâtre créent de la confusion et nuisent à la représentation. Le projet propose de définir un lieu exclusif pour la scène, imitant les anciens théâtres, avec un côté ouvert pour montrer le décor souhaité par la pièce. Les machines, comme les vols ou les chars, devraient se passer au fond du théâtre pour mieux cacher leurs défauts. L'auteur estime que, bien que l'économie soit une raison misérable, le spectacle en bénéficierait. La scène serait mieux éclairée par des flambeaux apparents, et les décorations pourraient être renouvelées plus souvent. La salle des spectateurs ne doit avoir rien en commun avec la scène, qui se cache derrière un rideau jusqu'au début de la représentation. La ferme du fond du théâtre devrait être ornée de tableaux exquis peints par les meilleurs maîtres, toujours d'un coloris frais, et jamais divisés en deux parties. Ce projet pourrait être testé au théâtre de l'Opéra, en utilisant les premières coulisses de chaque côté, et le goût du public déciderait de son succès.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 177-183
HORLOGERIE. Lettre du sieur Caron fils, Horloger du Roi, à l'Auteur du Mercure.
Début :
MONSIEUR, je suis un jeune artiste qui n'ai l'honneur d'être connu du [...]
Mots clefs :
Académie des sciences, Horloger du roi
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : HORLOGERIE. Lettre du sieur Caron fils, Horloger du Roi, à l'Auteur du Mercure.
HORLOGERI E.
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artiſte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres , que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée. Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la fcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enle- ver le peu de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorſqu'elle me fut conteſtée il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
,
a environ dix-huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui- même ,
& c'eft l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur lui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préfenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le ſoir même de ſa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement . Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujet : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très - galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & mor
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui anime
les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable. J'ai l'honneur d'être , & c.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
>
MM . de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eft adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préfentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auffr
petit qu'on le juge à propos : de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi , l'un des Commiffaires, lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable.
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiffaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très- près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette invention
au point de perfection dont elle
étoit fufceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat . A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences .
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a-t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très-incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe . Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que mon
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les pièces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres aufſi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLE T. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates:& auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
Lettre du fieur Caron fils , Horloger du Roi ,
à l'Auteur du Mercure.
M
ONSIEUR , je fuis un jeune artiſte
qui n'ai l'honneur d'être connu du
public que par l'invention d'un nouvel
échappement à repos pour les montres , que
l'Académie a honoré de fon approbation
& dont les Journaux ont fait mention l'année
paffée. Ce fuccès me fixe à l'état d'horloger
, & je borne toute mon ambition à
acquerir la fcience de mon art ; je n'ai jamais
porté un oeil d'envie fur les productions
de mes confreres :( cette lettre le
prouve ) mais j'ai le malheur de fouffrir
fort impatiemment qu'on veuille m'enle- ver le peu de terrein que l'étude & le travail
m'ont fait défricher ; c'eſt cette chaleur
de fang dont je crains bien que l'âge
ne me corrige pas , qui m'a fait défendre
avec tant d'ardeur les juftes prétentions
que j'avois fur l'invention de mon échappement
, lorſqu'elle me fut conteſtée il y
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
,
a environ dix-huit mois. L'Académie des
Sciences , non feulement me déclara auteur
de cet échappement , mais elle jugea
qu'il étoit dans fon état actuel le plus parfait
qu'on eut encore adapté aux montres ;
cependant elle fçavoit , & je voyois bien
qu'il étoit fufceptible de quelques perfections
mais la néceffité de conftater
promptement mon titre , à laquelle mon
adverfaire me força en publiant fes fauffes
prétentions , m'empêcha de les y ajouter.
Alors devenu poffeffeur tranquille de mon
échappement , j'ai donné tous mes foins
à le rendre encore fupérieur à lui- même ,
& c'eft l'état où il eft maintenant ; mais
en même-tems trop bon citoyen pour en
faire un myftere , je l'ai rendu public autant
qu'il m'a été poffible. Les divers écrits
que cet échappement a occafionné & le
jugement que l'Académie en a porté , attirant
fur lui l'attention des Horlogers , il
devint l'objet des réflexions & des recherches
de quelques- uns des plus habiles d'entr'eux
: deforte que pendant que j'y ajoutois
les petites perfections qui lui manquoient
, M. de Romilly s'apperçut qu'effectivement
il en étoit fufceptible ; il y travailla
de fon côté , & préfenta à l'Académie
en Décembre 1754 le changement
qu'il y avoit fait ; le ſoir même de ſa préJUILLET.
1755. 179
fentation M. Le Roy m'en ayant apporté la
nouvelle , je demandai fur le champ à
l'Académie , qu'en faveur de ma qualité
d'Auteur , elle voulut bien examiner avant
tout l'état de perfection auquel j'avois moimême
porté mon échappement . Cette perfection
étoit des repos plus près du centre
& des arcs de vibrations plus étendus ,
elle y confentit , & l'examen qu'elle fit
des piéces que nous préfentâmes , l'un &
l'autre lui montra que M. Romilly avoit
atteint le même but que moi en travaillant
fur le même fujet : ainfi l'Académie
toujours équitable dans les jugemens , ne
voulant pas accorder plus d'avantage fur
cette perfection à ma qualité d'Auteur de
l'échappement qu'à l'antériorité de préfentation
de M. de Romilly , qui n'eft
effectivement que d'un feul jour , a dévré
à chacun de nous le certificat fuivant
, que je publie d'autant plus volontiers
que M. de Romilly qui a jugé mon
échappement digne de fes recherches , eft
un très - galant homme , & que j'eftime véritablement
d'ailleurs je ferois fâché que
cette petite concurrence entre lui & mor
pût être envisagée comme une difpute femblable
à la premiere ; l'émulation qui anime
les honnêtes gens mérite un nom plus
honorable. J'ai l'honneur d'être , & c.
Extrait des Regiftres de l'Académie royale
des Sciences , du 11 Juin 1755.
>
MM . de Mairan, de Montigni & Le Roi,
qui avoient été nommés pour examiner une
montre à fecondes , à laquelle eft adapté
l'échappement du fieur Caron fils , perfectionné
par le fieur Romilly , Horloger ,
citoyen de Genêve , & par lui préfentée
à l'Académie , avec un mémoire fur les
échappemens en général , en ayant fait
leur rapport , l'Académie a jugé que le
changement fait à cet échappement , &
qui permet d'en rendre le cylindre auffr
petit qu'on le juge à propos : de rapprocher
les points de repos du centre , & de
donner aux arcs du balancier plus de trois
cens dégrés d'étendue , étoit ingénieux &
utile , mais en même- tems elle ne peut douter
que le fieur Caron n'ait de fon côté
porté fon échappement au même dégré de
perfection ; puifque le jour même que M.
Le Roi , l'un des Commiffaires, lui en donna
connoiffance en Décembre 1754 , cet
Horloger lui fit voir un modele de fon
échappement qu'il avoit perfectionné , auquel
il travailloit alors, & dont la roue d'échappement
avoit les dents fouillées par
derriere , & étoit exactement femblable.
à la conftruction du fieur Romilly , dont
JUILLET. 1755. 181
il n'avoit cependant point eu de communication
; d'ailleurs dans la boîte de preuve
que le fieur Caron dépofa en Septembre
1753 au Secrétariat de l'Académie , &
qui eft jufques à préfent reftée entre les
mains de MM. les Commiffaires , il y a
plufieurs petits cylindres dont les repos
font très- près du centre , mais qu'il n'eut
pas alors le tems de perfectionner.
Ainfi le mérite d'avoir amené cette invention
au point de perfection dont elle
étoit fufceptible , appartient également au
fieur Romilly & au fieur Caron fon auteur
; mais le fieur Romilly en a préſenté
la premiere exécution : en foi de quoi j'ai
figné le préfent certificat . A Paris , ce 14
Juin 1715.
Grandjean de Fouchy , Secrétaire
perpétuel de l'Académie royale
des Sciences .
Je profite de cette occafion pour répondre
à quelques objections qu'on a faites fur
mon échappement dans divers écrits rendus
publics. En fe fervant de cet échappement
, a-t-on dit , on ne peut pas faire des
montres plates , ni même de petites montres.
Ce qui fuppofé vrai , rendroit le meilleur
échappement connu très-incommode , des
182 MERCURE DE FRANCE.
faits feront toute ma réponſe . Plufieurs
expériences m'ayaut démontré que mon
échappement corrigeoit par fa nature les
inégalités du grand reffort fans aucun befoin
d'un autre régulateur , j'ai fupprimé
de mes montres toutes les pièces qui exigeoient
de la hauteur au mouvement ,
comme la fufée , la chaîne , la potence ,
toute roue à couronne , fur- tout celles dont
l'axe eft parallele aux platines dans les
montres ordinaires , & toutes les piéces
que ces principales entraînoient à leur fuite.
Par ce moyen je fais des montres aufſi
plates qu'on le juge à propos , & plus plates
qu'on en ait encore faites , fans que
cette commodité diminue en rien de leur
bonté. La premiere de ces montres fimplifiées
eft entre les mains du Roi. Sa Majefté
la porte depuis un an , & en eft trèscontente.
Si des faits répondent à la premiere
objection , des faits répondent également
à la feconde . J'ai eu l'honneur de
préfenter à Mme de Pompadour ces jours
paffés une montre dans une bague, de cette
nouvelle conftruction fimplifiée , la plus
petite qui ait encore été faite ; elle n'a que
quatre lignes & demie de diametre , &
une ligne moins un tiers de hauteur entre
les platines . Pour rendre cette bague plus
commode , j'ai imaginé en place de clef
JUILLE T. 1755. 183
un cercle autour du cadran , portant un
petit crochet faillant ; en tirant ce crochet
avec l'ongle , environ les deux tiers
du tour du cadran , la bague eft remontée ,
& elle va trente heures. Avant que de la
porter à Mme de Pompadour , j'ai vû cette
bague fuivre exactement pendant cinq
jours ma pendule à fecondes , ainfi en
fe fervant de mon échappement & de ma
conftruction on peut donc faire d'excellentes
montres auffi plates:& auffi petites
qu'on le jugera à propos.
J'ai l'honneur d'être , &c.
CARON fils , Horloger du Roi.
Rue S. Denis , près celle de la Chanvererie.
A Paris , le 16 Juin 1755 .
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Résumé : HORLOGERIE. Lettre du sieur Caron fils, Horloger du Roi, à l'Auteur du Mercure.
Caron fils, horloger du Roi, adresse une lettre à l'auteur du Mercure pour présenter son nouvel échappement à repos pour montres, inventé et approuvé par l'Académie des Sciences. Il exprime son désir de se concentrer sur l'amélioration de son art sans envie envers ses confrères, mais défend ses inventions lorsqu'elles sont contestées. En 1754, l'Académie des Sciences a reconnu Caron fils comme l'auteur de cet échappement, le jugeant le plus parfait à l'époque, bien que susceptible de perfectionnements. Forcé de confirmer rapidement sa paternité, il n'a pas pu ajouter immédiatement ces améliorations. Par la suite, il a continué à perfectionner son échappement et l'a rendu public. L'échappement a attiré l'attention de plusieurs horlogers, dont M. de Romilly, qui a également apporté des améliorations. En décembre 1754, Romilly a présenté ses modifications à l'Académie. Caron fils a alors demandé à l'Académie d'examiner son propre échappement perfectionné. L'Académie a conclu que les deux horlogers avaient atteint un même niveau de perfection, et a délivré un certificat reconnaissant leurs contributions égales, tout en notant que Romilly avait présenté ses modifications en premier. Caron fils répond également à des objections sur son échappement, affirmant qu'il permet de fabriquer des montres plates et petites. Il mentionne que le Roi possède une montre simplifiée selon sa nouvelle construction et que Mme de Pompadour a reçu une montre-bague extrêmement petite et précise.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 183-192
Remarques de M. de Lalande de l'Académie royale des Sciences sur un ouvrage d'Horlogerie.
Début :
Monsieur J.... ci-devant Horloger à Saint-Germain-en-laye vient de publier [...]
Mots clefs :
Horlogerie, Échappement, Académie royale des sciences, Montres, Roue
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Remarques de M. de Lalande de l'Académie royale des Sciences sur un ouvrage d'Horlogerie.
Remarques de M. de Lalande de l'Académie
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
M pu-
Onfieur J.... ci-devant Horloger à
Saint-Germain-en- laye vient de
blier ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens , dans laquelle il con-
*
Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , rue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t-il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui-même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie eft tombée .
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 1754 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET . 1755 185
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au-delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappe
ment , étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement :
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui-même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eft un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la préci-
Lon poffible.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très - fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un raifonnement
( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve ja
mais dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménager
l'application .
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eſt bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiſtes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLET. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que
celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches .
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produi.e
moins d'uniformité dans le rouage , le dófaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eft
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
quant
nera l'horlogerie , c'eſt par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
à la difficulté d'exécution , c'est une
chofe affez arbitraire , qui dépend prefque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun ..
Après cela , j'imagine que
l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raiſonner fur
les chofes de pratique ; faut-il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la juſteſſe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eftil
réſervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miftère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanifme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné , 1755
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les
propriétés &
les défauts ;
j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard.
J'avouerai
cependant que les
avantages
de cette grande
pratique qui forme l'entouſiaſme
de M. J. me
paroiffent bien méprifables
dans la
circonftance
préfente , en
voyant
malgré fa
fupériorité dans ce genre,
les
contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de
raifonner ou
d'approfondir
.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres
confidérations
, il avoit
démontré les vices de la manivelle
qu'on
employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
L'espace qu'elle occupe
inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de
conftruction , les
difficultés
d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette
manivelle ; on fe
tromperoit
cependant
beaucoup , puiſqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la
manivelle eft plus dans
Pimagination que
dans la réalité furtout
relativement à la prife
qu'elle peut
donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour
faire
voir
encore
mieux
combien
la grande
pratique
de M. J. eft aveugle
, stérile
, incertaine
& peu
propre
à le
faire
juger
fainement
d'une
nouvelle
invention
d'horlogerie
, je vais
montrer
en
comparant
deux
paffages
de fon livre
, qu'il
ne connoît
pas même
en véritable
artiſte
,
l'échappement
à cylindre
auquel
il travaille
depuis
quinze
ans .
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
ſpéculation , lui avoit fait faire les plus
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eft
d'aucune importance que chacune des par,
JUILLET. 1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe . M. J. étoit-il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonftration de la page.
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il eft donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la
tique n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonftances .
pra-
Ainfi M. J. réduit lui-même à rien tout
ce qu'il a écrit là - deffus , & montre que
ce n'eft qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il ſe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître, il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir- là ; l'adreſſe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE .
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
royale des Sciences fur un ouvrage d'Horlogerie.
M pu-
Onfieur J.... ci-devant Horloger à
Saint-Germain-en- laye vient de
blier ces jours paffés une addition à * fon
Traité des échappemens , dans laquelle il con-
*
Ce traité , ainfi que l'addition , fe trouve chez
Jombert , rue Dauphine.
184 MERCURE DE FRANCE.
tinue des confidérations fur le nouvel
échappement de M. Lepaute qu'il avoit
commencées en 1754. dans le fecond volume
du mercure de Juin . Depuis un an il
a eu le tems d'accroître fes prétentions ,
aufli ne fe contente- t-il plus comme auparavant
de reprocher à cet échappement en
montres des défauts qu'il n'a pas , il ofe
aujourd'hui s'en attribuer à lui-même les
perfections , & comme le feul juge du mérite
d'une nouvelle invention , il entreprend
de montrer les erreurs où il prétend que
l'Académie eft tombée .
Cependant M. J. ne fait que répéter ce
qu'il avoit déja dit fur les chûtes des chevilles
& fur l'inégalité des rayons de la
roue , j'ai fait voir dans une lettre inférée
au mercure du mois d'Août 1754 , qu'il étoit
abfolument faux que cet échappement ,
bien exécuté , eut aucune chûte , ou que
les rayons de la roue fuffent inégaux , la
difficulté ne peut donc venir que de ce que
M. J. n'a point encore conçu la véritable
difpofition de cet échappement.
Il faut mettre au même rang ce que dit
M. J. de l'impulfion de la roue fur les
plans au moment ou chaque cheville quitte
les arcs de repos ; rien n'empêche qu'on ne
donne à ces plans , tout comme aux courbes
de l'échappement à cylindre , une
JUILLET . 1755 185
courbure fuffifante pour imprimer peu de
force au balancier dans le commencement
de la pulfion . Cette courbure n'augmentera
point l'arc conftant ou la levée de l'échappement
au-delà de trente ou quarante
degrés , qui eft celle de toutes les bonnes
montres .
Il y a beaucoup de vaine gloire de la
part de M. J. à prétendre que les perfections
que j'ai fait valoir dans cet échappe
ment , étoient le fruit de ſes converſations ; la
prétention à cet égard eft auffi fauffe qu'injurieufe
; cet échappement fortit en 1753
des mains de M. Lepaute dans le même
état de perfection où il eft actuellement :
fi l'on eut eu befoin de fecours , les auroiton
demandé à M. J. qui non - feulement
n'entendoit point alors l'échappement , mais
qui prouve encore aujourd'hui par des objections
triviales que faute de s'y être exercé
lui-même , il ne l'a point entendu . M. J.
dit encore page 239 , qu'il a connoiffance
de la variété des montres où cet échappement
eft appliqué ; c'eft un fait fuppofé
dont le public d'ailleurs pourra juger fans
lui , & le jugement du public a été juſqu'à
préfent fort contraire à cette allégation
puifque le grand nombre de montres où il
a été appliqué , vont avec toute la préci-
Lon poffible.
186 MERCURE DE FRANCE.
Pour ce qui eft de la diffipation de l'huile
, l'expérience a prouvé qu'en en mettant
fur le cylindre ( qui eft un peu arrondi de
bas en haut , & qui ne touche point à la
roue ) elle s'y étendoit & s'y confervoit
fort long-temps. L'huile fait même ici
beaucoup mieux fon effet que dans l'échappement
à cylindre , où l'on voit très - fouvent
une rainure profonde faite dans le
cylindre par les pointes des dents , ce qui
ruine en peu de temps toute l'exactitude
d'une montre. Au refte , M. J. fait un raifonnement
( page 220 ) fur l'attraction ou
fur la direction des huiles qui tendroit à
prouver que l'huile ne fe conferve ja
mais dans une même place , ce qui eft
contraire à l'expérience ; il ne fuffit pas de
connoître la regle , il faut fçavoir en ménager
l'application .
Le prix des montres faites avec le nouvel
échappement , n'ôte rien , ce me femble
, à leur bonté ; il eſt bien fûr qu'elles
coûtent moins que les montres à cylindre
ne coûtoient dans les premiers tems qu'elles
parurent ; elles ne coûtent pas aujourd'hui
plus que les montres à cylindre les
plus parfaites ; au refte, cela ne dépend que
du nombre plus ou moins grand des artiſtes
qui y travaillent. Lorfque Charles V. fut
obligé d'appeller du fond de l'Allemagne
JUILLET. 1755. 187
Henri de Vic , pour faire à Paris une horloge
, elle coûta fans doute plus que
celles
qui fe font aujourd'hui beaucoup mieux
par les ouvriers de tourne- broches .
J'ai répondu dans la lettre que je viens
de citer , à toutes les autres difficultés que
M. J. avoit faites ; mais je ne fçai pourquoi
ce que j'ai dit des montres plattes lui paroît
fi éloigné des regles de la pratique ; quelque
foit fon avis là- deffus , on ne peut
s'empêcher de reconnoître avec tout le
monde dans les montres abfolument plates,
un reffort trop foible , une réſiſtance trop
grande de la part des frottemens ; des roues
trop nombrées par rapport à leurs pignons ,
qui par conféquent doivent produi.e
moins d'uniformité dans le rouage , le dófaut
des jours , la trop grande proximité
des pieces , qui caufe toujours au bout de
peu de temps des frottemens du barillet
contre la petite platine & fur la grande
roue moyenne , de la roue de longue tige
avec la platine des pilliers , une grande
variation dans l'engrénage de la roue de
champ , tout cela eft de théorie autant que
de pratique.
Ce que M. J. appelle théorie , n'eft
qu'un bon fens éclairé qu'il auroit grand
tort de rejetter , ce n'eft pas en exécutant
d'une maniere fupérieure qu'on perfection188
MERCURE DE FRANCE.
quant
nera l'horlogerie , c'eſt par la réflexion , le
raifonnement , l'examen , le calcul , la
combinaiſon des forces , des frottemens ;
à la difficulté d'exécution , c'est une
chofe affez arbitraire , qui dépend prefque
uniquement de l'habitude que plufieurs
perfonnes ont contractée , on fçait que ce
qui étoit d'abord très- difficile , peut devenir
fort aifé & fort commun ..
Après cela , j'imagine que
l'on trouvera
un peu de petiteffe & de ridicule dans le
confeil que me donne M. J. page 230 de
refter dans les bornes de la théorie jusqu'à
nouvel ordre , & de ne point raiſonner fur
les chofes de pratique ; faut-il avoir limé
pendant trente ans pour connoître la force
d'un reffort , le mauvais effet d'un frottement
, pour diftinguer un grand arc d'un
plus petit , & une forme rectiligne d'une
forme circulaire . Pour voir fi les aîles d'un
pignon font égales , faut-il en avoir travaillé
deux ou trois mille ; la juſteſſe de
l'oeil , l'ufage du compas ou des verres eftil
réſervé exclufivement aux horlogers ; je
demande enfin en quoi confiftent les principes
particuliers de l'art ( page 228 ) que
M. J. prétend me faire regarder comme
un miftère impénétrable pour moi , & fans
lequel je ne fçaurois juger du mécanifme
d'un échappement ; s'il ne me fuffit pas
JUILLET.
189
d'en avoir vû faire , d'en avoir examiné , 1755
d'en avoir fait , d'en avoir éprouvé plufieurs
, pour en connoître les
propriétés &
les défauts ;
j'attendrai avec plaifir qu'on
m'inftruife de ce j'ignore à cet égard.
J'avouerai
cependant que les
avantages
de cette grande
pratique qui forme l'entouſiaſme
de M. J. me
paroiffent bien méprifables
dans la
circonftance
préfente , en
voyant
malgré fa
fupériorité dans ce genre,
les
contradictions où il tombe toutes les
fois qu'il s'agit de
raifonner ou
d'approfondir
.
Il nous rappelle , par exemple , ( page
222 ) que dans fes premieres
confidérations
, il avoit
démontré les vices de la manivelle
qu'on
employe dans le nouvel
échappement ; il infifte encore fur la divifion
qu'elle apporte dans la grandeur des arcs,
L'espace qu'elle occupe
inutilement , le poids
dont elle charge les pivots , la prife qu'elle
donne à l'air , les défauts de
conftruction , les
difficultés
d'exécution , qui ne croiroit après
cela M. J. bien affermi dans fon préjugé
contre cette
manivelle ; on fe
tromperoit
cependant
beaucoup , puiſqu'à la page fuivante
223 , ligne 3 , il dit que l'obftacle de
la
manivelle eft plus dans
Pimagination que
dans la réalité furtout
relativement à la prife
qu'elle peut
donner à l'air.
190 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour
faire
voir
encore
mieux
combien
la grande
pratique
de M. J. eft aveugle
, stérile
, incertaine
& peu
propre
à le
faire
juger
fainement
d'une
nouvelle
invention
d'horlogerie
, je vais
montrer
en
comparant
deux
paffages
de fon livre
, qu'il
ne connoît
pas même
en véritable
artiſte
,
l'échappement
à cylindre
auquel
il travaille
depuis
quinze
ans .
M. J. nous dit page 103 de fon Traité
des échappemens , qu'il a enfin déterminé la
nature des courbes qui doivent être placées
à la circonférence de la roue , en leur donnant
cette propriété , qu'étant divisées en
parties égales , ces parties operent chacune des
quantités de levée égales , il employe pluheurs
pages pour apprendre à former cette
courbe , & il lui donne de grands éloges ;
on s'imagine d'abord que ces recherches
font le fruit d'une expérience confommée
& que fans aller plus loin , elles peuvent
fervir de regle à tout le monde. On doit
être fort étonné en lifant un autre chapitre
de trouver ( page 116 ) en parlant de la
même courbe , que s'étant attaché à cette
courbe , il n'en avoit pas été plus fatisfait
que d'une autre qui après une très- profonde
ſpéculation , lui avoit fait faire les plus
mauvais échappemens ; il ajoûte qu'il n'eft
d'aucune importance que chacune des par,
JUILLET. 1755. 191
ties de la courbe faffe décrire des arcs
égaux , & il démontre enfin qu'on doit rejetter
cette courbe . M. J. étoit-il moins éclairé,
lorfqu'il fit fa démonftration de la page.
103 , qu'en faifant celle de la page 116 ,
ou a-t-il mis vingt ans d'intervalle entre
ces deux chapitres ?
Il eft donc clair que pour bien faire
une piece d'horlogerie , il n'eft pas toujours
néceffaire de fçavoir ce que l'on fait , ni
pourquoi l'on opere ; le coup de main qui
eft la feule qualité effentielle dans la
tique n'apprend point à juger des effets que
doit avoir une machine , avant que de les
avoir éprouvé dans toutes les fituations &
dans toutes les circonftances .
pra-
Ainfi M. J. réduit lui-même à rien tout
ce qu'il a écrit là - deffus , & montre que
ce n'eft qu'au hazard qu'il nous a fatigué
jufqu'à préfent de fes réflexions fur ces
matieres : l'intérêt fut d'abord fon principal
motif , il ſe perfuada que venant demeurer
à Paris , & étant obligé de s'y faire
connoître, il falloit s'annoncer par un livre,
il prit pour fon fujet l'échappement à cylindre
, il apprit aux horlogers la maniere
dont il s'y prenoit pour le bien exécuter ;
il falloit s'en tenir- là ; l'adreſſe & le talent
d'une heureuſe exécution , ne pouvoient
ſe tranſmettre au public ; mais en voulant
192 MERCURE DE FRANCE .
approfondir il s'égara ; il a cru depuis être
obligé de défendre l'échappement qu'il
avoit adopté contre un nouvel échappement
qui lui eft fupérieur , & qui alloit
faire abandonner l'ufage du premier ; mais
fes idées fe font confondues en voulant
foutenir un jugement qu'il avoit d'abord
hafardé. Il l'a fait fans équité , fans connoiffances
, fans égards , & il a préfervé le
public par fes contradictions des erreurs
qu'il avoit entrepris de répandre.
A Paris , le 22 Juin 1755 .
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Résumé : Remarques de M. de Lalande de l'Académie royale des Sciences sur un ouvrage d'Horlogerie.
Le document expose une critique de M. de Lalande à l'encontre d'un ouvrage d'horlogerie de M. J., ancien horloger à Saint-Germain-en-Laye. M. J. a publié une addition à son traité sur les échappements, dans laquelle il critique le nouvel échappement introduit par M. Lepaute en 1753. M. de Lalande conteste les affirmations de M. J., affirmant que les défauts reprochés à l'échappement de M. Lepaute sont infondés et que les prétentions de M. J. sont exagérées. Il souligne que M. J. répète des arguments déjà réfutés et ne comprend pas la véritable disposition de l'échappement de M. Lepaute. M. de Lalande défend la courbure des plans et l'efficacité de l'huile dans le nouvel échappement, tout en critiquant les contradictions et l'absence de fondement théorique dans les arguments de M. J. Il conclut que la pratique seule ne suffit pas pour juger une invention et que M. J. a été motivé par l'intérêt personnel plutôt que par la rigueur scientifique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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