A MADAME d'Hurigny , sur le
souhait qu'elle avoit fait à l- Auteur
pour son Etrenne , de vivre cent ans.
EPIT RE..
Vous m'oi donnez , sage Uranie
De vivre cent ans bien comptez ;
Souhait qui plaît à mon génie ;
Pourquoi j'y résiste ; écoutez.
Je suis en chemin pour le faire.
Mon âge touche presque au but z
Mais le dessein est témeraire ,
Si jamais un dessein le fut.
Sçavez-vous ce que dit l'Histoire ,
De ces souhaits exhorbitans ?
C'est , dit- elle , la Mer à boire ,
Que tâcher à vivre cent ans.
Aujourd'hui les forces humaines ,
Ne nous permettent rien d'égal ,
Compter son âge par centaines ,
C'est un souhait Patriarchal.
Nos vieux Peres à longue haleine ,
De la vie eurent les gros lots ,
Et la Genese est toute pleine ,
De Mathusalems et d'Enocs ,
Un siecle n'étoit qu'amusette ;
Puisqu'un enfant jeune vieillard ,
A cent ans portoit la jacquette ,
II. Val Hr Us
2930 MERCURE DE FRANCE
1
Et jouoit à colin maillard .
Le Déluge aux longues années ,
Mit un clou pour les arrêter ,
Et par ses eaux empoisonnées ,
Les obligea de décompter.
Pourquoi voulez -vous que je vive
n'ont vécu tant de gens , Plus que
A qui la Parque fugitive ,
Fit subir ses ordres urgents ?
Un siecle ! David grand Prophete ,
Grand Compilateur de Pseautiers ,
Grand Roy , grand Guerrier , grand Poëte ,
A peine parvtnt aux deux tiers.
A quatre-vingst , Pinfirmerie ,
A soixante et dix ; c'est assez ,
Il mit ces bornes à la vie ,
Et fit lui - même son procès.
Mais retournons dans notre Sphere;
Sans nous faufiler aux Herps ;
Vivre cent ans est une affaire
Où je coucherois un peu gros.
*
Et quand je mordrois à la grappe ,
Par l'espoir d'un doux avenir ,
Quand Millet mon cher Esculape
Pourroit m'y faire parvenir ,
Garantiroit-il ma vieillesse
De langueur , d'assoupissement ,
* Habile Medecin de Mâcon.
J. Vel.
:
N
DECEMBRE. 1733. 2931
Ni de l'importune foiblesse,
Qui me prive du mouvement ?
Mes héritiers au coeur si tendre ,
Bien que je leur paroisse cher ,
Pourroient-ils par fois se deffendre ,
D'enrager entre cuir et chair a
Mes gens à rente viagere ,
En déboursant le premier son ,
Font cette dévote priere
Le diable. emporte le vieux fou.
» Quand sa mort pourroit à merveille ,
» De ce tribut nous liberer ,
» Plus qu'un Cerf , plus qu'une Corneille ,
» Il vit pour nous désesperer .
Venons aux Dames respectables ,
Dont je tiens à vie un taudis ,
Elles sont assez charitables
Pour me souhaiter Paradis.
Je n'entends parler des Discretes ,
Leur esprit n'est pas si badin ,
Mais les jeunes Soeurs , les folettes ,
Qui soupirent pour mon Jardin.
Sage Uranie , ainsi je n'ose ,
A vos voeux joindre mon desir ,
Puisque ma longue vie est cause
De cent chagrins pour un plaisir.
Les ans sont mauvaises Patentes ,
Pour donner de grands artributs ,
1 I. Vol. Pas-
Hvj
2932 MERCURE DE FRANCE
Pascal à peine en vecut trente ,
Et la Bruyere guere plus.
Cependant , armé de constance ,
Je porte ces fardeaux pesants ,
Suppliant d'avoir patience ,
Mes débiteurs et mes Enfans.
Si quelque chose me travaille ,
Je laisse tout à l'abandon;
Je fais des Vers , vaille que vaille,
Et je trouve encor le vin bon.
Si par hazard je suis en doute ,
Pour quelque symptôme fievreux ,
J'appelle un Medecin , l'écoute ;
Puis je fais tout ce que je veux.
Si ma Méthode est salutaire ,
Pour vivre un siecle , plus ou moins.
Vous obéir est une affaire ,
Où je veux mettre tous mes soins.
C'est à vous aimable Uranie ,
Qu'il convient de vivre cent ans ;
Quand leur course en sera finie ,
Nos Neveux pleureront long- temps.
Vous êtes sage , riche et belle ,
Bienfaisante et pleine d'esprit ,
Le Ciel vous fit sur un modele ,
Qu'il ne montre que quand il rit.
Qui tous vos talens voudroit suivre,
Il ne finiroit d'aujourd'hui
L
II. Vol.
DECEMBR E. 1733. 2932
Obon coeur ! 8 coeur , bon à vivre !
Bon pour vous , et bon pour autrui !
DE SENECE'.