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1
p. 2792-2806
LETTRE du Jardinier Solitaire, à M. *** au sujet d'une Lettre sur la Greffe, inserée dans le Mercure de France.
Début :
Plusieurs personnes de mes amis m'ont apporté le Mercure du mois [...]
Mots clefs :
Greffe, Duhamel du Monceau, Écorce, Écusson, Union, Lettre, Mémoire, Bois, Fibres, Greffes, Observations, Espèces, Cicatrice, Portion ligneuse
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Reconnaissance textuelle : LETTRE du Jardinier Solitaire, à M. *** au sujet d'une Lettre sur la Greffe, inserée dans le Mercure de France.
LETTRE du Jardinier Solitaire , à
M. *** au sujet d'une Lettre sur la
Greffe , inserée dans le Mercure de
P
France.
Lusieurs personnes de mes amis
m'ont apporté le Mercure du mois
d'Octobre dernier , pour me faire voir
une Lettre au sujet de la Greffe , qui
paroît m'être adressée , et qu'ils croyoient
m'interesser à cause de l'application que
je donne à tout ce qui regarde l'Agricul
ture , sur tout depuis quinze ans que je
suis chargé du soin de notre Jardin ; mais
je les ai assurez que cette Lettre ne me
regardoit en aucune maniere ; je n'en connois
pas l'Auteur qui me paroît supposé;
je vous dirai même que je n'ambitionne
pas de le connoître , tant j'ai été choqué
de la malignité de son stile ; je souhaite
seulement de me conformer , autant qu'il
me sera possible , aux grands principes
qu'il a mis au commencement et à la
II. Vol. fin
DECEMBRE . 1733. 2793
fin de sa Lettre ; c'est uniquement dans
cette vûë que je ne crois obligé de vous
dire ce que je pense de cet Ouvrage , pour,
rendre justice à M. Duhamel , qui m'a
tnujours communiqué son travail sur
l'Agriculture , peut - être par une espece
de reconnoissance des secours que notre
Jardin peut lui fournir de tems en tems
pour faire les experiences dont il croit
tirer quelque avantage.
Je distingue deux pa ties dans la Lettre
en question ; l'une qui renferme des
Observations sur l'union de la greffe avec
son sujet , et l'autre qui est une Critique
d'un Memoire de M. Duhamel , ou qui
en est plutôt une Parodie.
La premiere Partie m'a parû assez bonne
et m'a fait plaisir à lire , quoiqu'elle
n'ait rien de nouveau pour moi , puisqu'il
y a plus d'un an que M. D. m'a
fait voir les préparations qu'il avoit faites
au sujet de la greffe , et qu'il venoit
de démontrer à l'Académie...
bois
1 °. Que jamais le bois des greffes , en
fente ou en couronne , ne s'unit au
du sujet,non - plus que le bois des écussons
quand de mauvais Jardiniers y en laissent.
2°. Que l'union de la greffe avec son
sujet se fait dans la portion de l'écorce
qui doit devenir bois , c'est-à-dire, dans
11. Vol.
cette
2794 MERCURE DE FRANCE
cette partie interieure de l'écorce dont
les fibres ont une direction longitudinale,
ce que M. D. regarde comme du bois en
herbe , de telle sorte que l'union se fait
principalement par la jonction des fibres
herbaces , tant de la greffe, que du sujet,
qui correspondent les unes aux autres ,
d'abord et plus intimement par en bas ,
ensuite par en haut , même par les côtez ,
&c. mais rarement du corps de l'écusson .
avec le bois du sujet je dis rarement ,
car M. Duhamel m'a fait remarquer des
cas où cela arrive .
3º . J'ai vû avec beaucoup de plaisir
dans plusieurs préparations que M. D.
a faites sur les greffes que l'union étoit
toûjours plus intime entre certaines especes
, qui constamment réussissent bien
dans nos Pépinieres , comme le Bon Chritien
d'hyver sur Coignassier, qu'entre d'autres
qui ont toujours de la peine à s'allier
comme la Merveille d'hyver sur le
Coignassier , ce qui nous a donné lieu
de remarquer qu'assez souvent les fibres
s'inclinent et se replient pour s'aboucher,
pendant que dans d'autes cas ces fibres
se joignent sans aucune infléxion .
4. Par des dissections du Guy , il m'a
fait remarquer , tantôt la conformité , et
tantôt le peu de ressemblance qu'il y a
II. Vol. entre
DECEMBRE. 1733. 2795
entre l'union que le Guy contracte avec
les arbres et l'union de la greffe avec leurs
sujets .
5. Nous avons fait ensemble des playes
à plusieurs arbres pour en observer la
réunion ou la formation de la cicatrice ,
ce qui a encore fourni à M. D. des lumieres
sur la greffe.
6°. Enfin M. D. m'a fait voir plusieurs
fois une suite curieuse de greffes de tous
les âges , preparées de maniere à faire voir
très- clairement les progrès de leur union
avec leurs sujets.
Il est fâcheux pour le prétendu Solitaire
, que M; D. soit nanti de toutes ces
choses depuis plus d'un an , et qu'il en aft
fait la démonstration à l'Académie , et
en mon particulier je n'ai point fait de
mystere de m'en entretenir avec tous
les Curieux qui sont venus se promener
dans notre Jardin , il faut cependant
l'avouer , il y a quelque chose de nouveau
dans les Observations qui sont au
commencement de la Lettre , mais dont
je crois que M. D. ne conviendra pass
on y Tit que
dins
, la greffe
en
écusson
,
la greffe fait toujours avec le sujet un an-
-gle plus ou moins considerable , selon que
sa situation avec le sujet est plus ou moins
oblique. Comme si l'on pouvoit placer
II. Vol.
un
2/90 IVIL
un écusson plus ou moins obliquement
à l'égard de son su et . L'obliquité de la
pousse ne dépend donc pas de la situation
plus ou moins oblique de la greffe ,
puisque la situation d'une greffe en écusson
ne peut varier , mais elle dépend de la
situation du bouton ou de ce que nous appellons
l'oeil , par rapport aux autres parties
de l'écusson; et la situation de cet oeil
dépend de la situation què la branche sur
laquelle on a levé cet écusson , avoit sur
l'arbre dont on l'a coupée.
Quelques lignes après il dit : Alors la
couche de l'écorce qui est exierieure à la
couche interieure du Livre , commence à
Pousser dans celle du sujet qui lui correspond.
M. Duhamel croit que les fibres
de la greffe et celles du sujet s'allongent
mutuellement , ce qu'il avance après
* C'est pour cela que M. de la Quintinie et
mon Prédecesseur , ont recommandé de lever
toujours des écussons sur des branches droites ,
sur tout quand il s'agit de greffer des beaux Presents
ou des Inconnues , Cheneau , &c. qui sont
fort sujettes à pousser de travers, quelquefois cependant
par une fausse position des écussons , il
peut arriver que les fibres de l'écusson soient un
peu inclinez par rapport à celles du sujet et alors
la pousse fera d'abord un petit coude qui se redressera
en peu de temps , je ne sçai pas si c'est
de cette obliquité que l'Auteur de la Lettre veut
parler.
II. Vol.
des
DECEMBRE . 1733. 2797
des observations dont il a fait part à l Académie.
Il ajoûte : Mais la portion ligneuse du
sujet périt d'abord , cela est faux , et si
l'on n'a pas soin d'étêter les arbres écussonnez
, ils poussent comme si on ne leur
avoit rien fait.
On lit ensuite Pareillement la portion
ligneuse de la greffe , & c. C'est une mau
vaise méthode que de laisser du bois
dans la greffe en écusson . Quelques lignes
après il dir : Que cette portion ligneuse
ne s'unit avec aucune partie du sujet ; cola
est vrai et a été bien prouvé par M. D.
Elles cessent même de croître , continue-t'il
cela est bien necessaire , puisqu'elle meurt :
cependant il le prouve ainsi , car la por
tion ligneuse de la greffe étant parvenuë
presque vis-à- vis celle du sujet , elles font
un petit détour. Elles cessent de croître ;
pour preuve de cela : C'est qu'elles parviennent
vis - à- vis de celles du sujet , et
qu'elles font un détour. Voila ce que je
n'entends pas. Il parle ensuite assez obscurément
de la formation de la cicatrice
sur l'argot, ou de la maniere dont se ferme
la playe qu'on a faite en retranchant
la tige du sujet ; mais s'apercevant de
son obscurité , et pour se rendre plus clair
es plus intelligible dans ce qui lui reste à
II. Val. dire
2798 MERCURE DE FRANCE
c'est
dire sur la greffe en écusson , voici ce qu'il
dit : Il est bon de regarder l'écorce qui environne
la greffe , comme divisée en deux por
tions , séparées par la partie ligneuse qui en
occupe le centre. Il y a bien de la métho-
оссире
de là - dedans, mais point du tout de clatté.
Qui a jamais entendu parler de portion
ligneuse qui sépare en deux l'écorce,
qui environne un écusson ? Encore un
coup , il ne doit point rester de bois for
mé dans un écusson bien fait . Si je veux
faire entendre à quelqu'un ce que
qu'un écusson , je le distinguerai avec
M. D. en deux parties principales ; l'une
sera le bouton qui en occupe le milieu ,
l'autre l'écorce qui l'environne. Le bouton
est formé exterieurement par des
écailles membraneuses , et interieurement
par ce qu'on appelle l'oeil ou le racourci
d'une jeune branche qui est tendre et
herbassée . L'écorce qui appartient à l'écusson
se peut aussi diviser en deux parties
, l'écorce , proprement dite , est la
plus exterieure , elle est mince , membraneuse
et sert d'enveloppe à l'autre ,
qu'on appelle improprement écorce , et
qui doit devenir dans peu une couche
ligneuse.
Maintenant que nous lui avons donné
une idée claire de la greffe , nous pou
11. Vol.
YOUS
DECEMBRE . 1733. 2799
vons distinguer avec lui l'écorce qui environne
l'oeil de l'écusson en deux portions
, l'une superieure et l'autre inferieure.
La portion superieure de l'écorce ,
suivant lui , forme le plus souvent un bourelet
, qui peu peu recouvre la tige qui a
été coupée, Nous avons trop
bien vû que
le recouvrement dont il est question est
formé partie par l'écorce de la greffe et
en plus grande partie par celle du sujet,
pour que M. Duhamel convienne que
ce recouvrement soit fait le plus souvent
par un bourelet formé par un prolongement
de la greffe , qui peu à peu recouvre la tige
qui a été coupées cependant le prétendu
Solitaire persiste dans son sentiment , en
disant ; lly a des greffes où cette écorce après
avoirfait cette espece de calotte pour reconvrir
entierement le bois coupé , s'unit tellement
avec l'écorce du sujet , qu'on ne voit
aucune marque de jonction. Il n'est pas
surprenant qu'après s'être mis dans la
tête que l'argot étoit entierement recouvert
par l'écorce de la greffe , il n'y reconnoisse
plus d'union , puisqu'il la
cherche où elle n'est pas , cependant il
est sûr que cette union est quelquefois
peu apparente. Il rapporte ensuite un
exemple qui n'est pas fort interessant ,
d'un arbre qui a poussé une branche de
II, Vol.
cet
2800 MERCURE DE FRANCE
; cet endroit quelle raison y auroit il
pour qu'il n'en poussât pas de- là , comme
d'ailleurs ?
Ce que notre Solitaire dit de la greffe
en fente , revient , à peu de cbose près ,
à ce qu'il a dit de l'écusson ; ainsi nous
nous contenterons d'inviter les curieux à
aller voir une greffe de Pommier , âgée
de 14. ans , c'est , selon lui , une piece
fort précieuse , qu'il conserve avec soin
dans son Cabinet : on sera bien dédommagé
du voyage d'Auxerre.
Voilà , M. où se terminent les Observations
du Solitaire , et où commence
la Parodie du Memoire de M Duhamel ,
que je n'aurois jamais reconnu dans ceux
de l'Académie , si l'Auteur de la Lettre
ne l'avoit pas indiqué dans le Tome
de l'Année 1728 .
Premierement , il dit avoir lû dans
le Volume de cette année un Memoire
de M. D. sur la greffe , ce qui est faux ,
puisqu'il n'y a que deux Memoires de
M. D. en 1728. l'un où il découvre la
source d'une maladie du Saffran , et l'autre
où il recherche la cause phisique des
nouvelles especes de fruits ; il est vrai
que cette recherche l'a engagé à dire un
mot de la greffe , mais ce n'est que par
occasion et dans l'espace tout au plus
II. Vol. de
DECEMBRE. 1733. 2801
de deux feuilles , * ce qui dispense M.Duhamel
de l'exactitude que j'espere qu'on
trouvera dans les derniers Memoires qu'il
a faits sur cette pratique d'Agriculture ,
et où il traite en particulier de la maniere
dont la greffe s'unit au sujet ; ainsi
le Memoire cité pa Auteur de la Lettre
n'a pas la greffe pour objet principal.
Secondement , l'Auteur de la Lettre essaye
en raprochant plusieurs morceaux
détachez du Mémoire de M. D. de forcer
le vrai sens du Mémoire , pour avoir
occasion ensuite de le tourner en ridicule.
En effet , suivant la Lettre il semble
que M. D. annonce la découverte
d'une vraie glande à laquelle il attribuë
de grands avantages , pendant qu'il n'a
d'autre but que de prouver que la greffe
ne change pas les especes ; pour cela M.
D. commence par rapporter tout ce qui
* Dans le Tome de 1730. M. D. dit , j'eus occasion
l'année derniere dans un Memoire qui
avoit pour titre , Recherche sur les causes , & c.
d'examiner en passant l'Anatomie de la greffe ..
Cet examen des parties de la greffe ne m'ayant
pas paru suffisant pour détruire un sentiment assez
generalement adopté , à moins que les Observations
Anatomiques ne fussent soutenues
par des Experiences exactes et plusieurs fois réïterées
, j'ai rapporté plusieurs greffes que l'on
pratique tous les jours , &c...
11. Vol. C pa
2892 MERCURE DE FRANCE
paroît favorable à li greffe ou plutôt au
Systême qu'il combat ; il avoue qu'on ne
peut gueres concevoir que deux Arbres
de differente espece se joignent sans qu'il
en arrive une cicatrice qui soit d'un tissu
plus serré que le tissu des Bois qui se
sont joints , il ajoute qu'on voit assez
souvent des infléxions ou changemens de
directions dans les fibres et qu'il peut
bien y avoir quelque chose qui approche
de la Méchanique des gandes ; il
croît même qu'on peut attribuer à cette
nouvelle organisation la petite perfection
qu'acquerrent les fuits par la greffe , et
suppose que cette perfection sera plus
considérabe à proportion que la cicatrice
sera d un tissu plus serré , et qu'ain.
si on ne peut pas esperer que la greffe
affranchisse beaucoup les especes quand
y ayant trop de rapport entre la greffe et
le sujet l'union est si intime qu'il n'y a
presque pas de cicatrice ( 1 ) , après tout
ce sont- là de ces points de Physique où il
n'y a que de la vrai- semblance , et sur
lesquels chacun peut avoir son sentimen
; mais M, Duhamel revient bien tột
au but principal de son Mémoire , et il
dit qu'il ne voit rien dans cette organi
&
( 1 ) Ce qu'on peut voir dans un de ses Mémoires
, imprimé en 17319
LI, Vol Zie
DECEMBRE. 1733 . 2803
sation qui puisse changer les especes :
Voici comme il termine cet article.
Si en effet la glande,le filtre ou le noud
qui est produit par l'application de la
greffe , étoit capable de changer si considérablement
la séve il en naîtroit un fruit
totalement different de celui qu'on auroit
greffé ; ce qui n'arrive pas , il donne seulement
une petite perfection à la séve ,
et quelque petite que soit cette perfec
tion , elle ne laisse pas de se faire remar
quer dans le fruit ; ce que M. D. ach ve
de prouver par plusieurs expériences de
pratique,
A l'égard de l'union des fibres de la
greffe avec le Bois déja formé ; quoique
cela arrive quelquefois , je n'ai point
vû que M. D. l'eut avancé dans son Mémoire
; au contraire , il y a plus d'un an
qu'il m'a fait voir que cette union n'arrivoit
que rarement ; mais quand il seroit
vrai que M. Duhamel se seroit trompé
dans ce Mémoire au sujet de la greffe ,
ne seroit- il pas en droit d'en appeller à
la suite de son rravail sur cette matiere ?
Puisqu'on ne continue à observer que
pour acquerir de nouvelles connoissances
et rectifier les anciennes , et je n'ai rien de
mieux à faire pour l'entiere justification
de M.D. que d'exhorter ceux qui auront
II. Vol. Cij lû
2804 MERCURE DE FRANCE
lû la Lettre du prétendu Frere , à lire le
Mémoire qui a été l'objet de la critique ,
en attendant que la suite de ses Observations
soit imprimée.
Cependant comme l'ami du prétendu
Solitaire , suivant l'usage de tous les Critiques
de mauvaise humeur , ne manque
pas de taxer M. D, de Plagiaire. J'ai été
curieux de m'assurer par moi- même , si
effectivement les Auteurs citez avoient
échapé à M. D. comme cela auroit pû
arriver. Mais cette recherche n'a servi qu'à
me faire voir combien l'envie et la jalousie
déguisent les objets aux yeux
de ceux
qui sont susceptibles de ces passions.
Voici le passage de M.Tournefort: Pour
remplir le dénombrement des causes auxquelles
l'on araporté les maladies des Plantes ;
Il nous reste, à parler des bosses qui naissent
autour des greffes comme les Vaisseaux de
la greffe ne répondent pas bout à bout aux
Vaissaux du sujet sur lequel on l'a appliquée
, il n'est pas possible que le suc nourrissier
les enfile en ligne droite , si-bien
que le
cal bossu est inévitable ; d'ailleurs il se trouve
bien de la matiere inutile dans la filtration
qui se fait du sujet dans la greffe , et cette
matiere qui ne sçauroit être vuidée par aucun
Vaisseau , ni defferens ni extrotoires , ne
laisse pas d'augmenter la Bosse,
II, Vol On
DECEMBRE. 1733. 2805
On voit par le passage
de M. de Tournefort
que l'objet
de cet Illustre
Académicien
, étant
d'expliquer
comment
se
forment
les Louppes
qui se rencontrent
au lieu de l'application
de certaines
greffes
, il a recours
à l'extravasion
du suc
ligueux
; mais examine
- t-il si le noeud
,
la cicatrice
ou le cal qui naît de l'union
des deux Bois , est capable'de
changer
les
especes
c'est cependant
là le but de
M. Duhamel
, dit-il , que cette nouvelle
organisation
peut
produire
les petites
perfections
que les fruits
acquerent
par la
greffe , comme
le soupçonne
M. D. Ce
n'est point du tout l'objet
de M.de Tournefort
; ainsi tout ce que l'on peut dire >
c'est
les deux
Académiciens
ne se
que
trouvent
point
en contrariété
de sentimens
; ce qui ne peut faire que plaisir
à
M. D. H. Le sentiment
d'Agricola
ne
ressemble
pas beaucoup
plus à celui de
M: Duhamel
, mais je ne m'arrêterai
pas
à établir
cette différence
, il me fuffit de
faire remarquer
que l'Agriculture
parfaite
d'Agricola
est un Livre Allemand
,
assez nouveau
, et qui n'a été imprimé
en
François
qu'en
1732. ce qui le rend bien
postérieur
au Mémoire
de M. Duhamel
,
qui a été imprimé
en 1728. Vous voyez ,
Monsieur
, combien
le reproche
que l'on
.II. Vol. C iij
fait
2806 MERCURE DE FRANCE
fait à M.D. est ridicule , et le cas que l'on
peut faire des Critiques d'humeur ; on ne
peut que déplorer la misérable inclination
de ceux qui employent leur esprit et
leurs talens à altérer la réputation des
autres , et à les traverser dans leur travail.
J'ai l'honneur d'être , &c .
M. *** au sujet d'une Lettre sur la
Greffe , inserée dans le Mercure de
P
France.
Lusieurs personnes de mes amis
m'ont apporté le Mercure du mois
d'Octobre dernier , pour me faire voir
une Lettre au sujet de la Greffe , qui
paroît m'être adressée , et qu'ils croyoient
m'interesser à cause de l'application que
je donne à tout ce qui regarde l'Agricul
ture , sur tout depuis quinze ans que je
suis chargé du soin de notre Jardin ; mais
je les ai assurez que cette Lettre ne me
regardoit en aucune maniere ; je n'en connois
pas l'Auteur qui me paroît supposé;
je vous dirai même que je n'ambitionne
pas de le connoître , tant j'ai été choqué
de la malignité de son stile ; je souhaite
seulement de me conformer , autant qu'il
me sera possible , aux grands principes
qu'il a mis au commencement et à la
II. Vol. fin
DECEMBRE . 1733. 2793
fin de sa Lettre ; c'est uniquement dans
cette vûë que je ne crois obligé de vous
dire ce que je pense de cet Ouvrage , pour,
rendre justice à M. Duhamel , qui m'a
tnujours communiqué son travail sur
l'Agriculture , peut - être par une espece
de reconnoissance des secours que notre
Jardin peut lui fournir de tems en tems
pour faire les experiences dont il croit
tirer quelque avantage.
Je distingue deux pa ties dans la Lettre
en question ; l'une qui renferme des
Observations sur l'union de la greffe avec
son sujet , et l'autre qui est une Critique
d'un Memoire de M. Duhamel , ou qui
en est plutôt une Parodie.
La premiere Partie m'a parû assez bonne
et m'a fait plaisir à lire , quoiqu'elle
n'ait rien de nouveau pour moi , puisqu'il
y a plus d'un an que M. D. m'a
fait voir les préparations qu'il avoit faites
au sujet de la greffe , et qu'il venoit
de démontrer à l'Académie...
bois
1 °. Que jamais le bois des greffes , en
fente ou en couronne , ne s'unit au
du sujet,non - plus que le bois des écussons
quand de mauvais Jardiniers y en laissent.
2°. Que l'union de la greffe avec son
sujet se fait dans la portion de l'écorce
qui doit devenir bois , c'est-à-dire, dans
11. Vol.
cette
2794 MERCURE DE FRANCE
cette partie interieure de l'écorce dont
les fibres ont une direction longitudinale,
ce que M. D. regarde comme du bois en
herbe , de telle sorte que l'union se fait
principalement par la jonction des fibres
herbaces , tant de la greffe, que du sujet,
qui correspondent les unes aux autres ,
d'abord et plus intimement par en bas ,
ensuite par en haut , même par les côtez ,
&c. mais rarement du corps de l'écusson .
avec le bois du sujet je dis rarement ,
car M. Duhamel m'a fait remarquer des
cas où cela arrive .
3º . J'ai vû avec beaucoup de plaisir
dans plusieurs préparations que M. D.
a faites sur les greffes que l'union étoit
toûjours plus intime entre certaines especes
, qui constamment réussissent bien
dans nos Pépinieres , comme le Bon Chritien
d'hyver sur Coignassier, qu'entre d'autres
qui ont toujours de la peine à s'allier
comme la Merveille d'hyver sur le
Coignassier , ce qui nous a donné lieu
de remarquer qu'assez souvent les fibres
s'inclinent et se replient pour s'aboucher,
pendant que dans d'autes cas ces fibres
se joignent sans aucune infléxion .
4. Par des dissections du Guy , il m'a
fait remarquer , tantôt la conformité , et
tantôt le peu de ressemblance qu'il y a
II. Vol. entre
DECEMBRE. 1733. 2795
entre l'union que le Guy contracte avec
les arbres et l'union de la greffe avec leurs
sujets .
5. Nous avons fait ensemble des playes
à plusieurs arbres pour en observer la
réunion ou la formation de la cicatrice ,
ce qui a encore fourni à M. D. des lumieres
sur la greffe.
6°. Enfin M. D. m'a fait voir plusieurs
fois une suite curieuse de greffes de tous
les âges , preparées de maniere à faire voir
très- clairement les progrès de leur union
avec leurs sujets.
Il est fâcheux pour le prétendu Solitaire
, que M; D. soit nanti de toutes ces
choses depuis plus d'un an , et qu'il en aft
fait la démonstration à l'Académie , et
en mon particulier je n'ai point fait de
mystere de m'en entretenir avec tous
les Curieux qui sont venus se promener
dans notre Jardin , il faut cependant
l'avouer , il y a quelque chose de nouveau
dans les Observations qui sont au
commencement de la Lettre , mais dont
je crois que M. D. ne conviendra pass
on y Tit que
dins
, la greffe
en
écusson
,
la greffe fait toujours avec le sujet un an-
-gle plus ou moins considerable , selon que
sa situation avec le sujet est plus ou moins
oblique. Comme si l'on pouvoit placer
II. Vol.
un
2/90 IVIL
un écusson plus ou moins obliquement
à l'égard de son su et . L'obliquité de la
pousse ne dépend donc pas de la situation
plus ou moins oblique de la greffe ,
puisque la situation d'une greffe en écusson
ne peut varier , mais elle dépend de la
situation du bouton ou de ce que nous appellons
l'oeil , par rapport aux autres parties
de l'écusson; et la situation de cet oeil
dépend de la situation què la branche sur
laquelle on a levé cet écusson , avoit sur
l'arbre dont on l'a coupée.
Quelques lignes après il dit : Alors la
couche de l'écorce qui est exierieure à la
couche interieure du Livre , commence à
Pousser dans celle du sujet qui lui correspond.
M. Duhamel croit que les fibres
de la greffe et celles du sujet s'allongent
mutuellement , ce qu'il avance après
* C'est pour cela que M. de la Quintinie et
mon Prédecesseur , ont recommandé de lever
toujours des écussons sur des branches droites ,
sur tout quand il s'agit de greffer des beaux Presents
ou des Inconnues , Cheneau , &c. qui sont
fort sujettes à pousser de travers, quelquefois cependant
par une fausse position des écussons , il
peut arriver que les fibres de l'écusson soient un
peu inclinez par rapport à celles du sujet et alors
la pousse fera d'abord un petit coude qui se redressera
en peu de temps , je ne sçai pas si c'est
de cette obliquité que l'Auteur de la Lettre veut
parler.
II. Vol.
des
DECEMBRE . 1733. 2797
des observations dont il a fait part à l Académie.
Il ajoûte : Mais la portion ligneuse du
sujet périt d'abord , cela est faux , et si
l'on n'a pas soin d'étêter les arbres écussonnez
, ils poussent comme si on ne leur
avoit rien fait.
On lit ensuite Pareillement la portion
ligneuse de la greffe , & c. C'est une mau
vaise méthode que de laisser du bois
dans la greffe en écusson . Quelques lignes
après il dir : Que cette portion ligneuse
ne s'unit avec aucune partie du sujet ; cola
est vrai et a été bien prouvé par M. D.
Elles cessent même de croître , continue-t'il
cela est bien necessaire , puisqu'elle meurt :
cependant il le prouve ainsi , car la por
tion ligneuse de la greffe étant parvenuë
presque vis-à- vis celle du sujet , elles font
un petit détour. Elles cessent de croître ;
pour preuve de cela : C'est qu'elles parviennent
vis - à- vis de celles du sujet , et
qu'elles font un détour. Voila ce que je
n'entends pas. Il parle ensuite assez obscurément
de la formation de la cicatrice
sur l'argot, ou de la maniere dont se ferme
la playe qu'on a faite en retranchant
la tige du sujet ; mais s'apercevant de
son obscurité , et pour se rendre plus clair
es plus intelligible dans ce qui lui reste à
II. Val. dire
2798 MERCURE DE FRANCE
c'est
dire sur la greffe en écusson , voici ce qu'il
dit : Il est bon de regarder l'écorce qui environne
la greffe , comme divisée en deux por
tions , séparées par la partie ligneuse qui en
occupe le centre. Il y a bien de la métho-
оссире
de là - dedans, mais point du tout de clatté.
Qui a jamais entendu parler de portion
ligneuse qui sépare en deux l'écorce,
qui environne un écusson ? Encore un
coup , il ne doit point rester de bois for
mé dans un écusson bien fait . Si je veux
faire entendre à quelqu'un ce que
qu'un écusson , je le distinguerai avec
M. D. en deux parties principales ; l'une
sera le bouton qui en occupe le milieu ,
l'autre l'écorce qui l'environne. Le bouton
est formé exterieurement par des
écailles membraneuses , et interieurement
par ce qu'on appelle l'oeil ou le racourci
d'une jeune branche qui est tendre et
herbassée . L'écorce qui appartient à l'écusson
se peut aussi diviser en deux parties
, l'écorce , proprement dite , est la
plus exterieure , elle est mince , membraneuse
et sert d'enveloppe à l'autre ,
qu'on appelle improprement écorce , et
qui doit devenir dans peu une couche
ligneuse.
Maintenant que nous lui avons donné
une idée claire de la greffe , nous pou
11. Vol.
YOUS
DECEMBRE . 1733. 2799
vons distinguer avec lui l'écorce qui environne
l'oeil de l'écusson en deux portions
, l'une superieure et l'autre inferieure.
La portion superieure de l'écorce ,
suivant lui , forme le plus souvent un bourelet
, qui peu peu recouvre la tige qui a
été coupée, Nous avons trop
bien vû que
le recouvrement dont il est question est
formé partie par l'écorce de la greffe et
en plus grande partie par celle du sujet,
pour que M. Duhamel convienne que
ce recouvrement soit fait le plus souvent
par un bourelet formé par un prolongement
de la greffe , qui peu à peu recouvre la tige
qui a été coupées cependant le prétendu
Solitaire persiste dans son sentiment , en
disant ; lly a des greffes où cette écorce après
avoirfait cette espece de calotte pour reconvrir
entierement le bois coupé , s'unit tellement
avec l'écorce du sujet , qu'on ne voit
aucune marque de jonction. Il n'est pas
surprenant qu'après s'être mis dans la
tête que l'argot étoit entierement recouvert
par l'écorce de la greffe , il n'y reconnoisse
plus d'union , puisqu'il la
cherche où elle n'est pas , cependant il
est sûr que cette union est quelquefois
peu apparente. Il rapporte ensuite un
exemple qui n'est pas fort interessant ,
d'un arbre qui a poussé une branche de
II, Vol.
cet
2800 MERCURE DE FRANCE
; cet endroit quelle raison y auroit il
pour qu'il n'en poussât pas de- là , comme
d'ailleurs ?
Ce que notre Solitaire dit de la greffe
en fente , revient , à peu de cbose près ,
à ce qu'il a dit de l'écusson ; ainsi nous
nous contenterons d'inviter les curieux à
aller voir une greffe de Pommier , âgée
de 14. ans , c'est , selon lui , une piece
fort précieuse , qu'il conserve avec soin
dans son Cabinet : on sera bien dédommagé
du voyage d'Auxerre.
Voilà , M. où se terminent les Observations
du Solitaire , et où commence
la Parodie du Memoire de M Duhamel ,
que je n'aurois jamais reconnu dans ceux
de l'Académie , si l'Auteur de la Lettre
ne l'avoit pas indiqué dans le Tome
de l'Année 1728 .
Premierement , il dit avoir lû dans
le Volume de cette année un Memoire
de M. D. sur la greffe , ce qui est faux ,
puisqu'il n'y a que deux Memoires de
M. D. en 1728. l'un où il découvre la
source d'une maladie du Saffran , et l'autre
où il recherche la cause phisique des
nouvelles especes de fruits ; il est vrai
que cette recherche l'a engagé à dire un
mot de la greffe , mais ce n'est que par
occasion et dans l'espace tout au plus
II. Vol. de
DECEMBRE. 1733. 2801
de deux feuilles , * ce qui dispense M.Duhamel
de l'exactitude que j'espere qu'on
trouvera dans les derniers Memoires qu'il
a faits sur cette pratique d'Agriculture ,
et où il traite en particulier de la maniere
dont la greffe s'unit au sujet ; ainsi
le Memoire cité pa Auteur de la Lettre
n'a pas la greffe pour objet principal.
Secondement , l'Auteur de la Lettre essaye
en raprochant plusieurs morceaux
détachez du Mémoire de M. D. de forcer
le vrai sens du Mémoire , pour avoir
occasion ensuite de le tourner en ridicule.
En effet , suivant la Lettre il semble
que M. D. annonce la découverte
d'une vraie glande à laquelle il attribuë
de grands avantages , pendant qu'il n'a
d'autre but que de prouver que la greffe
ne change pas les especes ; pour cela M.
D. commence par rapporter tout ce qui
* Dans le Tome de 1730. M. D. dit , j'eus occasion
l'année derniere dans un Memoire qui
avoit pour titre , Recherche sur les causes , & c.
d'examiner en passant l'Anatomie de la greffe ..
Cet examen des parties de la greffe ne m'ayant
pas paru suffisant pour détruire un sentiment assez
generalement adopté , à moins que les Observations
Anatomiques ne fussent soutenues
par des Experiences exactes et plusieurs fois réïterées
, j'ai rapporté plusieurs greffes que l'on
pratique tous les jours , &c...
11. Vol. C pa
2892 MERCURE DE FRANCE
paroît favorable à li greffe ou plutôt au
Systême qu'il combat ; il avoue qu'on ne
peut gueres concevoir que deux Arbres
de differente espece se joignent sans qu'il
en arrive une cicatrice qui soit d'un tissu
plus serré que le tissu des Bois qui se
sont joints , il ajoute qu'on voit assez
souvent des infléxions ou changemens de
directions dans les fibres et qu'il peut
bien y avoir quelque chose qui approche
de la Méchanique des gandes ; il
croît même qu'on peut attribuer à cette
nouvelle organisation la petite perfection
qu'acquerrent les fuits par la greffe , et
suppose que cette perfection sera plus
considérabe à proportion que la cicatrice
sera d un tissu plus serré , et qu'ain.
si on ne peut pas esperer que la greffe
affranchisse beaucoup les especes quand
y ayant trop de rapport entre la greffe et
le sujet l'union est si intime qu'il n'y a
presque pas de cicatrice ( 1 ) , après tout
ce sont- là de ces points de Physique où il
n'y a que de la vrai- semblance , et sur
lesquels chacun peut avoir son sentimen
; mais M, Duhamel revient bien tột
au but principal de son Mémoire , et il
dit qu'il ne voit rien dans cette organi
&
( 1 ) Ce qu'on peut voir dans un de ses Mémoires
, imprimé en 17319
LI, Vol Zie
DECEMBRE. 1733 . 2803
sation qui puisse changer les especes :
Voici comme il termine cet article.
Si en effet la glande,le filtre ou le noud
qui est produit par l'application de la
greffe , étoit capable de changer si considérablement
la séve il en naîtroit un fruit
totalement different de celui qu'on auroit
greffé ; ce qui n'arrive pas , il donne seulement
une petite perfection à la séve ,
et quelque petite que soit cette perfec
tion , elle ne laisse pas de se faire remar
quer dans le fruit ; ce que M. D. ach ve
de prouver par plusieurs expériences de
pratique,
A l'égard de l'union des fibres de la
greffe avec le Bois déja formé ; quoique
cela arrive quelquefois , je n'ai point
vû que M. D. l'eut avancé dans son Mémoire
; au contraire , il y a plus d'un an
qu'il m'a fait voir que cette union n'arrivoit
que rarement ; mais quand il seroit
vrai que M. Duhamel se seroit trompé
dans ce Mémoire au sujet de la greffe ,
ne seroit- il pas en droit d'en appeller à
la suite de son rravail sur cette matiere ?
Puisqu'on ne continue à observer que
pour acquerir de nouvelles connoissances
et rectifier les anciennes , et je n'ai rien de
mieux à faire pour l'entiere justification
de M.D. que d'exhorter ceux qui auront
II. Vol. Cij lû
2804 MERCURE DE FRANCE
lû la Lettre du prétendu Frere , à lire le
Mémoire qui a été l'objet de la critique ,
en attendant que la suite de ses Observations
soit imprimée.
Cependant comme l'ami du prétendu
Solitaire , suivant l'usage de tous les Critiques
de mauvaise humeur , ne manque
pas de taxer M. D, de Plagiaire. J'ai été
curieux de m'assurer par moi- même , si
effectivement les Auteurs citez avoient
échapé à M. D. comme cela auroit pû
arriver. Mais cette recherche n'a servi qu'à
me faire voir combien l'envie et la jalousie
déguisent les objets aux yeux
de ceux
qui sont susceptibles de ces passions.
Voici le passage de M.Tournefort: Pour
remplir le dénombrement des causes auxquelles
l'on araporté les maladies des Plantes ;
Il nous reste, à parler des bosses qui naissent
autour des greffes comme les Vaisseaux de
la greffe ne répondent pas bout à bout aux
Vaissaux du sujet sur lequel on l'a appliquée
, il n'est pas possible que le suc nourrissier
les enfile en ligne droite , si-bien
que le
cal bossu est inévitable ; d'ailleurs il se trouve
bien de la matiere inutile dans la filtration
qui se fait du sujet dans la greffe , et cette
matiere qui ne sçauroit être vuidée par aucun
Vaisseau , ni defferens ni extrotoires , ne
laisse pas d'augmenter la Bosse,
II, Vol On
DECEMBRE. 1733. 2805
On voit par le passage
de M. de Tournefort
que l'objet
de cet Illustre
Académicien
, étant
d'expliquer
comment
se
forment
les Louppes
qui se rencontrent
au lieu de l'application
de certaines
greffes
, il a recours
à l'extravasion
du suc
ligueux
; mais examine
- t-il si le noeud
,
la cicatrice
ou le cal qui naît de l'union
des deux Bois , est capable'de
changer
les
especes
c'est cependant
là le but de
M. Duhamel
, dit-il , que cette nouvelle
organisation
peut
produire
les petites
perfections
que les fruits
acquerent
par la
greffe , comme
le soupçonne
M. D. Ce
n'est point du tout l'objet
de M.de Tournefort
; ainsi tout ce que l'on peut dire >
c'est
les deux
Académiciens
ne se
que
trouvent
point
en contrariété
de sentimens
; ce qui ne peut faire que plaisir
à
M. D. H. Le sentiment
d'Agricola
ne
ressemble
pas beaucoup
plus à celui de
M: Duhamel
, mais je ne m'arrêterai
pas
à établir
cette différence
, il me fuffit de
faire remarquer
que l'Agriculture
parfaite
d'Agricola
est un Livre Allemand
,
assez nouveau
, et qui n'a été imprimé
en
François
qu'en
1732. ce qui le rend bien
postérieur
au Mémoire
de M. Duhamel
,
qui a été imprimé
en 1728. Vous voyez ,
Monsieur
, combien
le reproche
que l'on
.II. Vol. C iij
fait
2806 MERCURE DE FRANCE
fait à M.D. est ridicule , et le cas que l'on
peut faire des Critiques d'humeur ; on ne
peut que déplorer la misérable inclination
de ceux qui employent leur esprit et
leurs talens à altérer la réputation des
autres , et à les traverser dans leur travail.
J'ai l'honneur d'être , &c .
Fermer
Résumé : LETTRE du Jardinier Solitaire, à M. *** au sujet d'une Lettre sur la Greffe, inserée dans le Mercure de France.
Le Jardinier Solitaire répond à une lettre publiée dans le Mercure de France, qui traite de la greffe des plantes. Plusieurs amis lui ont montré cette lettre, pensant qu'elle l'intéresserait en raison de son expertise en agriculture. Cependant, le Jardinier Solitaire affirme que la lettre ne lui est pas adressée et qu'il ne connaît pas son auteur, dont le style l'a choqué. La lettre est divisée en deux parties. La première contient des observations sur l'union de la greffe avec son sujet. Le Jardinier Solitaire trouve cette partie intéressante, bien qu'elle ne contienne rien de nouveau pour lui, car M. Duhamel lui a déjà montré ses préparations et démonstrations sur la greffe à l'Académie. Les observations incluent : le bois des greffes ne s'unit jamais au bois du sujet, l'union se fait principalement par les fibres herbacées de l'écorce, certaines espèces s'unissent mieux que d'autres, des dissections du gui montrent des similitudes et des différences avec l'union des greffes, des expériences sur la cicatrisation des plaies des arbres ont fourni des lumières sur la greffe, et M. Duhamel a montré des séries de greffes préparées pour illustrer les progrès de leur union. Le Jardinier Solitaire critique certaines affirmations de la lettre, notamment sur l'obliquité des greffes en écusson et la formation de la cicatrice, soulignant que certaines observations sont incorrectes ou mal interprétées. La seconde partie de la lettre est une critique d'un mémoire de M. Duhamel, que l'auteur de la lettre présente de manière erronée. Le Jardinier Solitaire corrige ces erreurs et explique que le mémoire de M. Duhamel ne traite pas principalement de la greffe, mais mentionne la greffe de manière incidente. Il dénonce également les tentatives de l'auteur de la lettre de tourner en ridicule le mémoire de M. Duhamel. Le texte traite également des observations de M. Duhamel sur la greffe des plantes, publiées dans un mémoire en 1731. Duhamel affirme que la greffe n'affranchit pas les espèces et que l'union entre la greffe et le sujet est si intime qu'il n'y a presque pas de cicatrice. Il explique que la greffe améliore légèrement la sève, ce qui se remarque dans le fruit, mais ne change pas l'espèce. Le texte mentionne des critiques adressées à Duhamel, notamment l'accusation de plagiat. Cependant, il est souligné que les travaux de Tournefort et Agricola, cités par les critiques, ne contredisent pas les observations de Duhamel et que ces critiques sont motivées par l'envie et la jalousie. Le mémoire de Duhamel, imprimé en 1728, précède la publication des œuvres mentionnées, invalidant ainsi les accusations de plagiat.
Fermer
2
p. 168-189
Lettre à M. Molinard, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine en l'Université d'Aix, sur la rage, & la manière de la guérir, &c.
Début :
MONSIEUR, je vous promis dans ma derniere lettre de vous communiquer [...]
Mots clefs :
Rage, Université d'Aix, Faculté de médecine de l'Université d'Aix, Observations, Mercure, Louve enragée, Chien, Turbith minéral, Douleur, Yeux, Cicatrice, Pommade mercurielle, Plaies, Pommade, Horreur, Guérison
Afficher :
texte
Reconnaissance textuelle : Lettre à M. Molinard, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine en l'Université d'Aix, sur la rage, & la manière de la guérir, &c.
MEDECINE.
Lettre àM. Molinard , Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité
d'Aix , fur la rage , & la maniere de la
guérir , &c.
Mma
ONSIEUR
, je vous promis dans
ma derniere lettre de vous communiquer
au plutôt les obfervations
que j'ai
faites fur la nouvelle méthode de guérir
la rage avec le mercure ; je m'acquitte de
ma parole. Il eft important que le public
foit inftruit des bons & des mauvais effets
qu'il en eft réfulté , & que la Médecine
connoiffe le dégré de confiance
qu'elle
doit accorder à ce remede employé comme
curatifou préfervatif de cette maladie. La
multitude des faits qu'il me reste à vous
décrire feront plus que fuffifans pour fixer
nos doutes fur cet objet , d'autant plus intereffant
que la rage regne affez fréquemment
dans ces cantons , & qu'il ne faut
la plupart du tems qu'un loup enragé pour
caufer des defordres affreux dans tout un
pays , comme vous allez voir.
PREMIERE
JUIN. 1755. 169
PREMIERE OBSERVATION.
Une louve enragée fortant du bois de la
Mole , terre appartenante à M. le Marquis
de Suffren , parcourut rapidement dans
une nuit du mois de Juin de l'année 1747
tout le terroir de Cogolin . On ne fçauroit
exprimer le ravage étonnant qu'elle caufa
dans le court eſpace de quelques heures ; la
campagne fe, trouvant alors remplie de
monde à caufe de la moiffon , hommes ,
femmes , enfans , chiens , chevaux & troupeaux
, rien ne fut exempt de fes morfures
: ceux qu'elle trouva endormis dans
les champs en reçurent d'épouventables ;
ceux qui fe défendirent & lutterent contr'elle
en furent moins maltraités ; enfin
on eut bien de la peine à fe défaire de ce
féroce animal , qu'il fallut pourfuivre une
partie du jour fuivant , & qui traverfa plufieurs
fois une petite riviere à la nage fans
aucune horreur de l'eau.
1
La confternation fut générale , lorfqu'on
vit au matin la quantité prodigieufe
des beftiaux qu'elle avoit en partie ou
égorgés ou déchirés fur fon paffage. Pref
que tous ceux qui furent mordus , parmi
lefquels on en comptoit cinq au vifage, dix
aux mains , aux bras & aux cuiffes ; une
jeune fille à qui la louve avoit emporté
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
toute la mammelle gauche , & nombre
d'autres plus légerement bleffés & à travers
leurs habits , eurent recours aux dévotions
qu'on eft en ufage de pratiquer
alors , & rien de plus. Quelques - uns plus
avifés furent prendre les bains de la mer ,
mangerent l'omelette à l'huître calcinée
panferent leurs plaies fimplement , &
moyennant ces précautions fe crurent fort
en fûreté . Il n'y eut que Jofeph Senequier
& fon Berger , de la Garde-Freinet , qui eurent
volontairement recours à moi.
Senequier avoit reçu plufieurs coups de
dents à travers la joue , & fon Berger avoit
la levre fupérieure percée de la largeur de
deux grands travers de doigt , avec déchirement
de la gencive . J'eus bien de la
peine à raffurer leur efprit alarmé par la
crainte d'une mort prochaine : Senequier
fur- tout paroiffoit troublé à l'excès ; il avoit
déja fait fes dernieres difpofitions , & attendoi:
la mort avec un effroi inexprimable.
Je n'eus garde de réunir par la future
la levre déchirée de fon Berger ; je me
fervis feulement d'un bandage contentif
pour rapprocher les parties divifées , afin
que la pommade mercurielle dont je chargeai
les plaies , eût le tems d'y féjourner
davantage , & que la fuppuration fût plus
longue. L'expérience montra que je penJUIN.
1755 .
171
fois jufte cette manoeuvre amena une cicatrice
plus retardée & un crachottement
continuel dans l'un & l'autre , qu'on aufoit
pu caractérifer dans certains jours de
petits flux de bouche , & que j'entretins
tout le tems convenable par de légeres
frictions le long des bras & des épaules ,
fe tout accompagné des remedes & du régime
néceffaire à l'adminiftration du mercure.
Infenfiblement les plaies fe fermerent
, & j'eus le plaifir de les voir tous les
deux vingt jours après exempts de crainte
& parfaitement guéris.
Je ne m'en tins pas là. Perfuadé qu'un
Médecin chrétien & qui a pour objet le
foulagement des pauvres malades , doit
tendre une main fecourable à tous ceux qui
en ont befoin ; je fis avertir la plupart
des perfonnes qui avoient été mordues ,
que je les traiterois charitablement , &
qu'ils n'avoient qu'à venir au plutôt chez
moi . J'étois bien aife de vérifier par moimême
fi le mercure étoit ce fpécifique
que la Médecine cherche depuis long- tems
contre la rage , & je voyois à regret qu'une
occafion fi favorable à fes progrès m'échappât
; mais je ne fus pas affez heureux
pour le perfuader à ces bonnes gens , dont
la plupart , entierement guéris de leurs
plaies , fe figuroient n'avoir plus rien à
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
craindre : la prévention publique augmen →
toit doublement leur fécurité. On avoit
répandu de part & d'autre que la louve
n'étoit pas enragée ; que la faim feule l'avoit
fait fortir du bois ; on l'avoit vûe
dévorer avidement des chiens & des brébis
, traverſer une riviere à la nâge fans
craindre l'eau , ce qui n'eft pas ordinaire
, difoit - on , aux animaux atteints de
rage. Quelques Médecins publioient encore
qu'on ne connoiffoit aucun remede
affuré contre cette maladie ; qu'il y avoit
du mal à expérimenter un fecours douteux
; il n'en fallut pas davantage pour
détourner ceux qui auroient eu envie de
profiter de mes offres charitables. Le hazard
me procura feulement la vûe d'une
jeune fille que je trouvai un jour fur mon
chemin en allant à la campagne ; elle étoit
dans un pitoyable état . La louve lui avoit
déchiré tous les muſcles frontaux , percé
le cuir chevelu en plufieurs endroits jufqu'au
péricrâne , & avec perte de fubftance
; fes plaies multipliées fur lefquelles
elle n'avoit appliqué depuis plus de vingt
jours qu'un fimple digeftif , étoient encore
toutes ouvertes.
A la vue de cette fille je craignis d'autant
plus pour elle , qu'elle avoit laiffé
écouler un tems favorable à ſa guériſon ,
JUIN. 1755. 173
Comme elle reftoit à la campagne , & que
je ne pus la retenir auprès de moi , je lui
fis donner tout l'onguent mercuriel que
je lui crus néceffaire , avec ordre d'en
charger fes plaies foir & matin , de s'en
frotter légerement les bras & les épaules
lui recommandant de me venir voir au
plutôt pour juger du progrès du remede ,
& avifer à ce qu'il faudroit faire.
>
Huit jours après je la vis de retour chez
moi. J'examinai fes plaies , que je trouvai
à peu - près dans le même état . Sa démarche
tardive & chancelante , un air de trifteffe
répandu fur fa perfonne , des yeux égarés ,
& les frictions mercurielles qu'elle avoit
négligé de faire , s'étant contentée de panfer
fes plaies feulement avec la pommade
me firent foupçonner quelque chofe de
finiftre. Interrogée fi depuis ma derniere
entrevûe elle n'avoit point été attaquée de
quelque fymptome infolite , elle me répondit
naïvement qu'ayant voulu boire
un peu d'eau le jour d'auparavant , elle
avoit reculé d'horreur à l'afpect du liquide
, fans fçavoir à quoi en attribuer la
caufe ; que preffée par la foif elle étoit
venue plufieurs fois à la recharge , mais
que fes tentatives avoient toujours été
inutiles ; ce qui lui faifoit foupçonner ,
difoit - elle , d'avoir avalé quelque arai-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gnée l'inftant d'auparavant qu'elle avoit
bu , pour avoir un tel rebut des liquides.:
Cet aveu fincere me découvrit la trifte
origine de fon mal ; cependant comme elle
ne fe plaignoit qué d'une légere douleur au
gofier , qu'à ce terrible ſymptome près de
l'horreur de l'eau , elle paroiffoit aufli tranquille
que fi elle n'eût point eu de mal , je
réfolus de tenter quelque chofe pour elle.
D'ailleurs , je fçavois qu'on étoit accou
tumé dans le pays de prendre des réfolutions
violentes contre les hydrophobes ,
de les enfermer , de les attacher cruellement
; qu'on en avoit étouffé fous des ma-
'telats , & noyé dans la mer il n'y avoit
pas bien long- tems ; je crus que l'humanité
m'obligeait à prévenir de pareils defor
dres ; que le public raffuré à la vue de mon
intrépidité à les vifiter , à les fecourir , deviendroit
plus compatiffant en leur faveur
& que fi je ne pouvois les fauver , du
moins épargnerois-je ces funeftes horreurs
à ceux que j'augurois devoir être bientôt
les triftes victimes de la rage.
Comme il étoit deja tard je renvoyai
cette fille , avec promeffe de me rendre
chez elle au matin. Je la trouvai dans un
plus grand abattement qu'auparavant ; une
fombre trifteffe répandue fur fon vifage
annonçoit le progrès du mal. Son pouls
JUI N. 1755 175
L
}
étoit tendu & convulfif , fes yeux paroiffoient
brillans & enflammés ; fon golier
devenu beaucoup plus douloureux , ne lui
permettoit plus d'avaler la falive qu'avec
des peines inexprimables ; c'étoient autant
de pointes de feu qui la déchiroient en
paffant je voulus lui faire prendre une
prife de turbith minéral , que je délayai
dans un fyrop convenable , mais je ne pus
jamais l'y réfoudre vainement porta telle
plufieurs fois la cuiller à la bouche ,
elle recula toujours fa main avec horreur .
Ses douleurs ayant augmenté elle fe coucha
quelque tems après fur fon lit , où fa
mere la frotta fur plufieurs parties du corps
de la pommade mercurielle . Je m'apperçus
que pendant cette opération elle étoit agitée
de mouvemens convulfifs dans plufieurs
parties du1 corps , & qu'elle commençoit
à délirer , ce qui augmenta fi fort
que dans peu fon délire & fes convulfions
devinrent continuels . Son vifage s'enflamma
par gradation , fes yeux parurent étincelans
, on les auroit dit électrifés ; elle
vomit plufieurs fois quantité de glaires
épaiffes & verdâtres , avala une prune
qu'on lui préfenta , en grinçant les dents
& d'un air furieux , & mourut le foir fans
autre effort que cette agitation convulfive
de tout le corps dont j'ai parlé , & qui ceſſa
tout à-coup fans agonie . Hiv
.
176 MERCURE DE FRANCE.
La nuit venue, ayant heureufement pour
aide un Chirurgien que j'envoyai chercher
, nous ouvrîmes fon cadavre qui exhaloit
déja une odeur fétide & puante ,
quoiqu'il y eut à peine trois heures qu'elle
étoit expirée : nous trouvâmes l'eftomac
inondé de glaires verdâtres , les membranes
de ce vifcere marquées de taches livides
& gangreneufes , s'en allant en lambeaux
lorfque nous les preffions tant foit
peu , & laiffant échapper de leurs vaiffeaux
engorgés & confidérablement diftendus en
quelques endroits , un fang diffous & fans
confiftance. L'intérieur de l'ofophage nous
parut également tapiflé des mêmes glaires ,
toutes fes glandes muqueufes étoient fort
tuméfiées , & fon orifice fupérieur fi refferré
vers l'arriere bouche qu'à peine póuvoit
- on y introduire un ftilet. Les poumons
étoient engorgés d'un fang diffous
avec des marques de gangrene , ainfi que
le foie & la rate , que nous trouvâmes plus
defféchés ; la véficule du fiel entierement
vuide : les inteftins n'étoient pas exemts
de cette inflammation générale ; le cerveau
nous auroit également paru dans le même
état fi nous euffions été munis des inftrumens
propres pour en faire l'ouverture.
Je crus que cette mort précipitée détruiroit
les préjugés du public , & que l'on
JUIN. 1755. 177
appréhenderoit avec raifon les funeftes fuites
de la rage : mais que les hommes peu
éclairés aiment étrangement à fe faire illufion
! On avoit vû le jour d'auparavant
cette fille traverfer d'un air tranquille le
village de Grimaud , où elle étoit venue
me trouver : étoit- ce là , difoit - on , une
hydrophobe , une enragée , qu'on s'imaginoit
devoir pouffer des cris affreux , &
fouffrir des attaques horribles ? On crut
donc que féduit par les apparences d'un
mal , que je ne connoiffois pas , j'avois
voulu lui en abréger la durée , en la préci
pitant au tombeau par quelque remede approprié
, ainfi qu'une fauffe pitié le faifoit
pratiquer autrefois fur les hydrophobes ,
qu'on faignoit des quatre membres ou
qu'on abreuvoir d'opium.
>
L'événement diffipa bientôt cette calomnie.
Nombre des chiens mordus par la louve
quitterent leurs troupeaux , & difparurent
on vit mourir de la rage quantité
des beftiaux , & les hommes tarderent peu
à les fuivre. Daullioules & Courchet , tous
les deux mordus cruellement au vifage , &
déja parfaitement guéris , payerent fucceffivement
la peine de leur fécurité . Ce qu'il
y a de particulier dans ces deux perfonnes ,
c'eft
que Daullioules étoit fi perfuadé d'être
hors d'atteinte de la rage , qu'ayant
1
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fenti tout-à-coup , un jour qu'il dînoit à la
campagne , une grande difficulté d'avaler
les dernieres gorgées d'un verre d'eau fuivies
de douleurs piquantes au gofier , il ſe
crut attaqué bonnement d'une efquinancie .
De retour chez lui il ne fe plaignit pas
d'autre chofe à fon Chirurgien , qui le
faigna en conféquence , & lui appliqua des
cataplafmes à la gorge. Un Médecin qu'on
envoya chercher dans le voifinage , ne
le crut pas autrement malade. Il est vrai
qu'ayant voulu prendre du bouillon , on
fut étrangement furpris des contorfions
qu'on lui vit faire ; mais on attribuoit
toujours ce fymptome à l'inflammation du
gofier.Daullioules en étoit fi perfuadé qu'il
fe paffa plufieurs fois une bougie dans le
fond de la bouche , pour enlever , difoit-il ,
l'obſtacle qui s'oppofoit à la déglutition , &
l'expulfer par le vomiffement ; mais fes douleurs
dégénerant en étranglement fubit ,
avec perte de la refpiration lorfqu'ilvouloit
boire , & cet étrange fymptôme renaiffant
toutes les fois qu'on lui en préfentoit , il
comprit qu'il y avoit de l'extraordinaire
dans fon mal , & avoua lui - même aux affiftans
qui avoient perdu l'idée de fon dernier
accident , que c'en étoit ici les triftes
fuites. Il fut bientôt dans la grande rage,
& mourut le troifieme jour , après avoir
JUIN 11755: 179
fouffert de terribles attaques , qui l'obligeoient
à traverfer fon jardin en parlant ,
& s'agitant continuellement , de peur d'étouffer
à ce qu'il difoit.
Courchet qui ne fe croyoit pas moins
en fûreté que Daullioules , connut fon mal
à la premiere difficulté qu'il éprouva en
bûvant ; il foupoit alors dans une auberge
où il fe trouvoit , à quelques lieures de chez
lui. L'exemple de Daullioules , qu'il avoit
vû mourir la fémaine d'auparavant , lui
dépeignit encore mieux le danger qui le
menaçoit. Il retourna fur le champ à Cogolin
, non fans beaucoup de peine &
d'embarras , ayant à paffer une riviere ,
au bord de laquelle il héfita long-tems , en
pouffant des cris & des gémiffemens pitoyables
, juſqu'à ce que s'étant bandé les
yeux pour ne pas voir l'eau , il la franchit
de la forte. Arrivé chez lui , on le vit
s'enfermer dans une chambre obfcure fans
vouloir parler à qui que ce foit , priant
feulement de boucher tous les endroits qui
lui donnoient du jour , & menaçant qu'il
pourroit bien mordre fi on l'approchoit de
trop près. Il mourut ainfi le troifieme jour .
Ces accidens réitérés dans l'espace d'un
mois, & demi tout au plus , ouvrirent enfin
les yeux à ceux qui reftoient. Il ne fut
plus queſtion de foutenir que la louve
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ས
n'étoit
pas enragée ; la fécurité fit place à
la crainte d'un femblable malheur . Tous
ceux qui avoient été mordus voyant Sé
nequier & fon Berger plus maltraités que
les autres , jouir également d'une parfaite
fanté , fe rappellerent alors les offres charitables
que je leur avois faites il y avoit
plus d'un mois ; ils accoururent inceffamment
à Grimaud me demander du fecours.
La plupart , au nombre de huit , étoient
déja guéris de leurs plaies , n'ayant été
mordus qu'aux mains & aux jambes ; il n'y
avoit que la jeune fille , appellée Courchet
, à qui la louve avoit déchiré la mammelle
gauche , dont les plaies fe fermoient
à peine. M'ayant avoué qu'elle y fentoit
de la douleur , je redoublai d'attention en
les faifant couvrir trois fois le jour d'une
dragme de la pommade mercurielle : on
en fit autant à fes compagnons ; ils prirent
quelques dofes de turbith minéral & de la
poudre de palmarius , furent affujettis à
des frictions réglées ; & lorfque je les vis
plus tranquilles , je les renvoyai chez eux
en leur prefcrivant ce qu'ils avoient à obferver
jufqu'à entiere guérifon .
Il n'y eut que le pere de la jeune Courchet
qui ayant été feulement égratigné par
la dent de la louve fur le dos de la main ,
& voyant fa petite plaie fermée dès le troi7
JUI N. 1755 .
181
fieme jour , crut n'avoir pas befoin des remedes
préfervatifs que j'avois donnés à ſa
fille. Deux mois & plus s'écoulerent fans
que j'entendiffe parler de lui , lorfqu'un
bruit fourd s'étant répandu qu'il étoit dans
la rage depuis trois jours , je me rendis expreffément
chez lui pour fçavoir au juſte
ce qu'il en étoit.
Je le trouvai affis fur la porte de fa
chambre , fa fille préfente , & nullement
émue du malheur de fon pere , qui me parut
alors fort tranquille , fans donner aucun
figne apparent de rage , quoiqu'on
m'eût affuré qu'il pouffât des hurlemens
affreux depuis deux jours. L'ayant interrogé
par quel accident il fe trouvoit dans
l'état qu'on m'avoit annoncé , & pourquoi
il n'avoit point voulu ufer des remedes
préfervatifs aufquels fa fille plus maltraitée
que lui , devoit fa guérifon .
Il me répondit que voyant fa plaie
qu'il n'avoit caractérisée que de fimple
égratignure , fermée dans l'efpace de deux
ou trois jours , & n'y ayant jamais fenti
la moindre douleur , les fuites lui en
avoient paru de fi peu de conféquence ,
qu'il n'avoit pas jugé à propos de prendre
mes remedes , d'autant mieux qu'il avoit
oublié promptement fon malheur , &que
fans un mouvement extraordinairequi
182 MERCURE DE FRANCE.
s'étoit fait fentir depuis peu fous la petite
cicatrice de fa plaie , rien n'auroit pû lui
en rappeller le fouvenir . Ce mouvement ,
à ce qu'il m'ajoûta , dégénera bientôt en
vapeur fubtile , qui montant diftinctement
le long du bras & du cou , fut fe fixer au
gofier , d'où s'enfuivirent peu-à-peu la perte
d'appétit , la douleur , les étranglemens
la fuffocation & l'hydrophobic .
Ce narré qui me parut intérellant pour
la théorie de la rage , me détermina à reſter
plus long-tems auprès de lui : je trouvai
fon pouls un peu tendu & convulfif , fans
fievre cependant ; il avoit quelque chofe
de hagard & de féroce dans l'afpect ; fes
yeux paroiffoient égarés & menaçans , il
frémiffoit dès qu'on l'approchoit tant ſoit
peu , les tendons de fes bras fouffroient
alors des foubrefauts & des tremblemens involontaires
, & l'on ne pouvoit le fixer fans
émotion . Ayant été me laver enfuite dans
un coin de la chambre , fans trop refléchir
à l'horreur que tous ces malades ont pour
la vue même des liquides , à peine vit - il
quelques gouttes d'eau répandues à terre ,
que fe levant avec fureur de fon fiége il
fe précipita rudement fur le plancher , en
fe bouchant les yeux , s'agitant comme un
épileptique , & pouffant des cris & des
hurlemens fi affreux , que tous les affifJUI
N. 1755.
183
tans faifis d'horreur à cet étrange fpectacle,
s'enfuirent auffi- tôt. Refté feul auprès de
lui je l'encourageai par mes difcours à fe
rendre le maître , s'il pouvoit , de ces mouvemens
; mais il me pria avec inftance de
faire emporter jufqu'aux plus petits vafes
où il y avoit de l'eau , parce que la vûe de
ce liquide étoit pire pour lui que de fouf ..
frir mille morts. Après qu'on lui eut obéi ,
il devint plus tranquille , & fe remit fur
fon féant , comme fi rien ne lui étoit arrivé .
Je lui propofai alors , pour furmonter
fon horreur de l'eau , de fe laiffer plonger
plufieurs fois dans un bain qu'on lui prépareroit
; mais il me conjura , les larmes aux
yeux ,
de ne pas
lui en parler feulement ,
de peur que cela ne réveillât en lui des
idées dont les fuites lui devenoient fi terribles.
Je me contentai feulement de le
preffer de fe couvrir une partie du corps de
la pommade mercurielle que je lui fis don
ner pour cela. Il m'obéit volontiers ; mais
aux premieres frictions qu'il fe fit le long
du bras , il fut pris de fi grands tremblemens
& d'une fuffocation fi convulfive au
gofier , qu'il me protefta plufieurs fois qu'il
alloit fe précipiter de la fenêtre pour s'en
délivrer. Encouragé de nouveau à fupporter
patiémment cette attaque , il continua
fon ouvrage, toujours avec des mouvemens
184 MERCURE DE FRANCE.
fi extraordinaires , des cris fi féroces , des
juremens & des lamentations fi touchantes,
que c'étoit une vraie pitié de voir une fi
étrange alternative : enfin s'étant couvert
de l'onguent une partie du corps , il parut
auffi tranquille que la premiere fois .
Demi-heure après les mêmes accidens
lui reprirent avecun vomiffement de glaires
verdâtres ; fon horreur de l'eau diminua
cependant tout-à-coup : il vit manger
& boire fon époufe fans nulle averfion ,
fans nulle crainte des liquides , ordonna
même qu'on lui préparât à fouper , affurant
qu'il boiroit à fon tour , & qu'il ne ſe
fentoit plus aucune répugnance pour cela .
Depuis ce moment fes accidens convulfifs
furent peu de chofe , il ne fe plaignit d'aucune
douleur. Déja fes parens fe flatoient
qu'il feroit en état de fouper bientôt
n'ayant pu rien manger ni boire depuis
trois jours ; mais ayant fouhaité repoſer
quelques momens auparavant, il fe coucha ,
fe couvrit la tête du drap , & mourut de la
forte fans qu'on s'en apperçut qu'au mo
ment qu'on fut pour l'éveiller . Tous les
autres qui s'attendoient d'avoir le même
fort , furent agréablement trompés , ils
jouiffent encore aujourd'hui d'une parfaite
fanté , & tout le Golfe de Saint-Tropès
pourra vous attefter leur guérifon .
JUIN.
1755 183
II. OBSERVATION.
En 1748 , au mois de Décembre , un
Chirurgien ayant été mordu par un chien
enragé fur le dos de la main , partie trèsdangereufe
comme l'on fçait ; rêvant chaque
nuit à des combats avec des loups &
des chiens enragés , & s'éveillant alors faifi
d'épouvante & couvert de fueur , vint
me faire part vingt jours après de fon trou
ble. L'application de la pommade mercurielle,
réitérée journellement , fur la plaie,
& quelques dofés de la poudre de palmarius
, le préferverent de la rage.
111. OBSERVATIO N.
En 1749 en hiver , je fus mordu au dos
de la jambe par un petit chien qu'une
jeune Demoiſelle tenoit couché fous fes
jupes , & près de laquelle je paffai un jour
que j'étois à la campagne . La qualité de la
morfuré qui faigna peu , l'efpérance pofitive
que cette Demoiſelle me donna que
fon chien n'étoit pas enragé , joint à un
voyage que je fis le lendemain d'affez long
cours , me firent bientôt oublier ce petit
accident'; je n'y aurois même plus penfé
fi ce n'eft qu'ayant fenti de tems à autre
un fentiment douloureux fous la cicatrice
186 MERCURE DE FRANCE.
de la morfure qui fut promptement fermée
, je craignis avec fondement que le
chien ne fût dans un commencement de
rage que la Demoiſelle ne connoifloit pas,
De retour un mois après au même canton ,
je courus m'informer fi le chien vivoit encore
; on m'apprend qu'il s'étoit égaré le
lendemain d'après la morfure qu'il m'avoit
faite , & qu'il avoit pareillement mordu
quantité d'autres chiens. Un trouble
fubit s'empare de moi , je deviens fombre
& rêveur , je me veux du mal d'avoir été
peu attentif à me préferver moi- même,
tandis que j'avois en tant d'empreffement
pour les autres. La cicatrice devient plus
douloureufe ; ma confternation augmente ;
je cherche de l'eau pour voir fi je fuis hydrophobe.
J'accours à la ville , je fais appliquer
fans délibérer une ventoufe fur la
cicatrice de la plaie qu'on fcarifie profondément
, & que je laiffe faigner tout le
tems qu'il faut ; je la couvre de mercure
deux fois la journée , j'en frotte encore
tout le long de la jambe , je prends deux
fois le turbith minéral , à la dofe de trois
grains , qui m'évacue copieufement par
haut & par bas ; je continue les frictions
quinze jours de fuite , le trouble fe diffipe
, l'efpérance renaît , la plaie fe referme
, & les chofes vont au gré de mes
fouhaits.
JUIN. 187 1755.
IV. OBSERVATION .
La fille de Clément Olivier de Sainte-
Maxime , âgée de dix- fept ans , fut mordue
au mois d'Avril de l'année 1750 , par
un gros chien enragé , qui la renverfa par
terre , lui fit plufieurs plaies confidérables
aux bras , à la main & aux jambes , ayant
emporté les chairs dans quelques endroits.
Il fallut bien du tems à toutes ces bleffures
pour être cicatrifées ; on ne les panfa qu'avec
la pommade mercurielle & le digeftif
ordinaire : je lui fis faire quantité de frictions
fur les bras, les épaules & les jambes ,
ayant été faignée auparavant pour prévenir
l'inflammation , & purgée plufieurs fois
avec le turbith mineral. Dès les premiers
jours cette fille avoit fon fommeil interrompu
par des rêves effroyables , croyant
être aux prises avec le chien enragé :
dès que le mercure commença à pénétrer
dans le fang , la confiance reparut , fes alarmes
s'évanouirent ; les plaies ne furent
tout- à- fait fermées que deux mois après.
Elle jouit encore d'une parfaite fanté .
V. OBSERVATION.
Les nommés Olivier , la Rofe & Pafcal ,
de Caillian , furent pareillement mordus`
188 MERCURE DE FRANCE .
par un chien enragé en 1751 , l'un à la
jambe , l'autre à la cuiffe , les lambeaux des
chairs emportés. Je les mis à l'ufage de la
même méthode ; ils laifferent leurs plaies
long- tems ouvertes , prirent deux fois le
turbith minéral , n'employerent que la
pommade mercurielle dans le panfement ,
& les frictions que je leur ordonnai de
faire le long des parties bleffées ; ils vivent
encore aujourd'hui guéris & contens .
VI. OBSERVATION.
La fille du fieur Ferran , Aubergifte , de
Graffe , ayant été mordue à travers la
main gauche le mois de Septembre de l'année
paffée par un chien vraisemblablement
enragé , eut fa plaie bientôt confolidée
par le fecours de fon Chirurgien . Son
pere à qui des perfonnes dignes de foi
affurerent dans la fuite que le chien qu'on
avoit tué fur le champ en avoit mordu
quantité d'autres , me confia fa fille , ſur
la propofition que lui en fit M. l'Abbé
Laugier , Maître de Mufique de cette ville
, pour la préferver du malheur dont
elle étoit menacée . Je trouvai quinze jours
après fon accident la cicatrice de fa plaie
fort douloureufe ; ce qui m'obligea à l'affujettir
d'abord à quelques frictions réglées
JUIN. 189
1755 4
fur cette partie ; elle prit cinq à fix jours
après de petites dofes de turbith minéral ,
& dès que la douleur eut difparu , je fis
difcontinuer les frictions de la pommade
mercurielle elle eft encore aujourd'hui
en bonne fanté .
Tel eft , Monfieur , le précis des obſervations
qui décident de la fûreté du mercure
, comme un préfervatif affuré contre
la rage . Celles qu'il me reste à vous communiquer
pour n'avoir pas eu de fi heureux
fuccès , n'en prouveront pas moins
la bonté de ce remede , & nous fourniront.
aifément des conféquences & des inductions
néceffaires pour établir une théorie
plus exacte & une curation plus certaine
de cette maladie : ce fera à vous à en juger.
Je fuis , Monfieur , &c.
Darlue , Docteur en
Médecine .
A Callian , ce 25 Mars 1755
Lettre àM. Molinard , Docteur- Régent de
la Faculté de Médecine en l'Univerfité
d'Aix , fur la rage , & la maniere de la
guérir , &c.
Mma
ONSIEUR
, je vous promis dans
ma derniere lettre de vous communiquer
au plutôt les obfervations
que j'ai
faites fur la nouvelle méthode de guérir
la rage avec le mercure ; je m'acquitte de
ma parole. Il eft important que le public
foit inftruit des bons & des mauvais effets
qu'il en eft réfulté , & que la Médecine
connoiffe le dégré de confiance
qu'elle
doit accorder à ce remede employé comme
curatifou préfervatif de cette maladie. La
multitude des faits qu'il me reste à vous
décrire feront plus que fuffifans pour fixer
nos doutes fur cet objet , d'autant plus intereffant
que la rage regne affez fréquemment
dans ces cantons , & qu'il ne faut
la plupart du tems qu'un loup enragé pour
caufer des defordres affreux dans tout un
pays , comme vous allez voir.
PREMIERE
JUIN. 1755. 169
PREMIERE OBSERVATION.
Une louve enragée fortant du bois de la
Mole , terre appartenante à M. le Marquis
de Suffren , parcourut rapidement dans
une nuit du mois de Juin de l'année 1747
tout le terroir de Cogolin . On ne fçauroit
exprimer le ravage étonnant qu'elle caufa
dans le court eſpace de quelques heures ; la
campagne fe, trouvant alors remplie de
monde à caufe de la moiffon , hommes ,
femmes , enfans , chiens , chevaux & troupeaux
, rien ne fut exempt de fes morfures
: ceux qu'elle trouva endormis dans
les champs en reçurent d'épouventables ;
ceux qui fe défendirent & lutterent contr'elle
en furent moins maltraités ; enfin
on eut bien de la peine à fe défaire de ce
féroce animal , qu'il fallut pourfuivre une
partie du jour fuivant , & qui traverfa plufieurs
fois une petite riviere à la nage fans
aucune horreur de l'eau.
1
La confternation fut générale , lorfqu'on
vit au matin la quantité prodigieufe
des beftiaux qu'elle avoit en partie ou
égorgés ou déchirés fur fon paffage. Pref
que tous ceux qui furent mordus , parmi
lefquels on en comptoit cinq au vifage, dix
aux mains , aux bras & aux cuiffes ; une
jeune fille à qui la louve avoit emporté
I. Vol. H
170 MERCURE DE FRANCE .
toute la mammelle gauche , & nombre
d'autres plus légerement bleffés & à travers
leurs habits , eurent recours aux dévotions
qu'on eft en ufage de pratiquer
alors , & rien de plus. Quelques - uns plus
avifés furent prendre les bains de la mer ,
mangerent l'omelette à l'huître calcinée
panferent leurs plaies fimplement , &
moyennant ces précautions fe crurent fort
en fûreté . Il n'y eut que Jofeph Senequier
& fon Berger , de la Garde-Freinet , qui eurent
volontairement recours à moi.
Senequier avoit reçu plufieurs coups de
dents à travers la joue , & fon Berger avoit
la levre fupérieure percée de la largeur de
deux grands travers de doigt , avec déchirement
de la gencive . J'eus bien de la
peine à raffurer leur efprit alarmé par la
crainte d'une mort prochaine : Senequier
fur- tout paroiffoit troublé à l'excès ; il avoit
déja fait fes dernieres difpofitions , & attendoi:
la mort avec un effroi inexprimable.
Je n'eus garde de réunir par la future
la levre déchirée de fon Berger ; je me
fervis feulement d'un bandage contentif
pour rapprocher les parties divifées , afin
que la pommade mercurielle dont je chargeai
les plaies , eût le tems d'y féjourner
davantage , & que la fuppuration fût plus
longue. L'expérience montra que je penJUIN.
1755 .
171
fois jufte cette manoeuvre amena une cicatrice
plus retardée & un crachottement
continuel dans l'un & l'autre , qu'on aufoit
pu caractérifer dans certains jours de
petits flux de bouche , & que j'entretins
tout le tems convenable par de légeres
frictions le long des bras & des épaules ,
fe tout accompagné des remedes & du régime
néceffaire à l'adminiftration du mercure.
Infenfiblement les plaies fe fermerent
, & j'eus le plaifir de les voir tous les
deux vingt jours après exempts de crainte
& parfaitement guéris.
Je ne m'en tins pas là. Perfuadé qu'un
Médecin chrétien & qui a pour objet le
foulagement des pauvres malades , doit
tendre une main fecourable à tous ceux qui
en ont befoin ; je fis avertir la plupart
des perfonnes qui avoient été mordues ,
que je les traiterois charitablement , &
qu'ils n'avoient qu'à venir au plutôt chez
moi . J'étois bien aife de vérifier par moimême
fi le mercure étoit ce fpécifique
que la Médecine cherche depuis long- tems
contre la rage , & je voyois à regret qu'une
occafion fi favorable à fes progrès m'échappât
; mais je ne fus pas affez heureux
pour le perfuader à ces bonnes gens , dont
la plupart , entierement guéris de leurs
plaies , fe figuroient n'avoir plus rien à
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
craindre : la prévention publique augmen →
toit doublement leur fécurité. On avoit
répandu de part & d'autre que la louve
n'étoit pas enragée ; que la faim feule l'avoit
fait fortir du bois ; on l'avoit vûe
dévorer avidement des chiens & des brébis
, traverſer une riviere à la nâge fans
craindre l'eau , ce qui n'eft pas ordinaire
, difoit - on , aux animaux atteints de
rage. Quelques Médecins publioient encore
qu'on ne connoiffoit aucun remede
affuré contre cette maladie ; qu'il y avoit
du mal à expérimenter un fecours douteux
; il n'en fallut pas davantage pour
détourner ceux qui auroient eu envie de
profiter de mes offres charitables. Le hazard
me procura feulement la vûe d'une
jeune fille que je trouvai un jour fur mon
chemin en allant à la campagne ; elle étoit
dans un pitoyable état . La louve lui avoit
déchiré tous les muſcles frontaux , percé
le cuir chevelu en plufieurs endroits jufqu'au
péricrâne , & avec perte de fubftance
; fes plaies multipliées fur lefquelles
elle n'avoit appliqué depuis plus de vingt
jours qu'un fimple digeftif , étoient encore
toutes ouvertes.
A la vue de cette fille je craignis d'autant
plus pour elle , qu'elle avoit laiffé
écouler un tems favorable à ſa guériſon ,
JUIN. 1755. 173
Comme elle reftoit à la campagne , & que
je ne pus la retenir auprès de moi , je lui
fis donner tout l'onguent mercuriel que
je lui crus néceffaire , avec ordre d'en
charger fes plaies foir & matin , de s'en
frotter légerement les bras & les épaules
lui recommandant de me venir voir au
plutôt pour juger du progrès du remede ,
& avifer à ce qu'il faudroit faire.
>
Huit jours après je la vis de retour chez
moi. J'examinai fes plaies , que je trouvai
à peu - près dans le même état . Sa démarche
tardive & chancelante , un air de trifteffe
répandu fur fa perfonne , des yeux égarés ,
& les frictions mercurielles qu'elle avoit
négligé de faire , s'étant contentée de panfer
fes plaies feulement avec la pommade
me firent foupçonner quelque chofe de
finiftre. Interrogée fi depuis ma derniere
entrevûe elle n'avoit point été attaquée de
quelque fymptome infolite , elle me répondit
naïvement qu'ayant voulu boire
un peu d'eau le jour d'auparavant , elle
avoit reculé d'horreur à l'afpect du liquide
, fans fçavoir à quoi en attribuer la
caufe ; que preffée par la foif elle étoit
venue plufieurs fois à la recharge , mais
que fes tentatives avoient toujours été
inutiles ; ce qui lui faifoit foupçonner ,
difoit - elle , d'avoir avalé quelque arai-
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
gnée l'inftant d'auparavant qu'elle avoit
bu , pour avoir un tel rebut des liquides.:
Cet aveu fincere me découvrit la trifte
origine de fon mal ; cependant comme elle
ne fe plaignoit qué d'une légere douleur au
gofier , qu'à ce terrible ſymptome près de
l'horreur de l'eau , elle paroiffoit aufli tranquille
que fi elle n'eût point eu de mal , je
réfolus de tenter quelque chofe pour elle.
D'ailleurs , je fçavois qu'on étoit accou
tumé dans le pays de prendre des réfolutions
violentes contre les hydrophobes ,
de les enfermer , de les attacher cruellement
; qu'on en avoit étouffé fous des ma-
'telats , & noyé dans la mer il n'y avoit
pas bien long- tems ; je crus que l'humanité
m'obligeait à prévenir de pareils defor
dres ; que le public raffuré à la vue de mon
intrépidité à les vifiter , à les fecourir , deviendroit
plus compatiffant en leur faveur
& que fi je ne pouvois les fauver , du
moins épargnerois-je ces funeftes horreurs
à ceux que j'augurois devoir être bientôt
les triftes victimes de la rage.
Comme il étoit deja tard je renvoyai
cette fille , avec promeffe de me rendre
chez elle au matin. Je la trouvai dans un
plus grand abattement qu'auparavant ; une
fombre trifteffe répandue fur fon vifage
annonçoit le progrès du mal. Son pouls
JUI N. 1755 175
L
}
étoit tendu & convulfif , fes yeux paroiffoient
brillans & enflammés ; fon golier
devenu beaucoup plus douloureux , ne lui
permettoit plus d'avaler la falive qu'avec
des peines inexprimables ; c'étoient autant
de pointes de feu qui la déchiroient en
paffant je voulus lui faire prendre une
prife de turbith minéral , que je délayai
dans un fyrop convenable , mais je ne pus
jamais l'y réfoudre vainement porta telle
plufieurs fois la cuiller à la bouche ,
elle recula toujours fa main avec horreur .
Ses douleurs ayant augmenté elle fe coucha
quelque tems après fur fon lit , où fa
mere la frotta fur plufieurs parties du corps
de la pommade mercurielle . Je m'apperçus
que pendant cette opération elle étoit agitée
de mouvemens convulfifs dans plufieurs
parties du1 corps , & qu'elle commençoit
à délirer , ce qui augmenta fi fort
que dans peu fon délire & fes convulfions
devinrent continuels . Son vifage s'enflamma
par gradation , fes yeux parurent étincelans
, on les auroit dit électrifés ; elle
vomit plufieurs fois quantité de glaires
épaiffes & verdâtres , avala une prune
qu'on lui préfenta , en grinçant les dents
& d'un air furieux , & mourut le foir fans
autre effort que cette agitation convulfive
de tout le corps dont j'ai parlé , & qui ceſſa
tout à-coup fans agonie . Hiv
.
176 MERCURE DE FRANCE.
La nuit venue, ayant heureufement pour
aide un Chirurgien que j'envoyai chercher
, nous ouvrîmes fon cadavre qui exhaloit
déja une odeur fétide & puante ,
quoiqu'il y eut à peine trois heures qu'elle
étoit expirée : nous trouvâmes l'eftomac
inondé de glaires verdâtres , les membranes
de ce vifcere marquées de taches livides
& gangreneufes , s'en allant en lambeaux
lorfque nous les preffions tant foit
peu , & laiffant échapper de leurs vaiffeaux
engorgés & confidérablement diftendus en
quelques endroits , un fang diffous & fans
confiftance. L'intérieur de l'ofophage nous
parut également tapiflé des mêmes glaires ,
toutes fes glandes muqueufes étoient fort
tuméfiées , & fon orifice fupérieur fi refferré
vers l'arriere bouche qu'à peine póuvoit
- on y introduire un ftilet. Les poumons
étoient engorgés d'un fang diffous
avec des marques de gangrene , ainfi que
le foie & la rate , que nous trouvâmes plus
defféchés ; la véficule du fiel entierement
vuide : les inteftins n'étoient pas exemts
de cette inflammation générale ; le cerveau
nous auroit également paru dans le même
état fi nous euffions été munis des inftrumens
propres pour en faire l'ouverture.
Je crus que cette mort précipitée détruiroit
les préjugés du public , & que l'on
JUIN. 1755. 177
appréhenderoit avec raifon les funeftes fuites
de la rage : mais que les hommes peu
éclairés aiment étrangement à fe faire illufion
! On avoit vû le jour d'auparavant
cette fille traverfer d'un air tranquille le
village de Grimaud , où elle étoit venue
me trouver : étoit- ce là , difoit - on , une
hydrophobe , une enragée , qu'on s'imaginoit
devoir pouffer des cris affreux , &
fouffrir des attaques horribles ? On crut
donc que féduit par les apparences d'un
mal , que je ne connoiffois pas , j'avois
voulu lui en abréger la durée , en la préci
pitant au tombeau par quelque remede approprié
, ainfi qu'une fauffe pitié le faifoit
pratiquer autrefois fur les hydrophobes ,
qu'on faignoit des quatre membres ou
qu'on abreuvoir d'opium.
>
L'événement diffipa bientôt cette calomnie.
Nombre des chiens mordus par la louve
quitterent leurs troupeaux , & difparurent
on vit mourir de la rage quantité
des beftiaux , & les hommes tarderent peu
à les fuivre. Daullioules & Courchet , tous
les deux mordus cruellement au vifage , &
déja parfaitement guéris , payerent fucceffivement
la peine de leur fécurité . Ce qu'il
y a de particulier dans ces deux perfonnes ,
c'eft
que Daullioules étoit fi perfuadé d'être
hors d'atteinte de la rage , qu'ayant
1
Hv
178 MERCURE DE FRANCE.
fenti tout-à-coup , un jour qu'il dînoit à la
campagne , une grande difficulté d'avaler
les dernieres gorgées d'un verre d'eau fuivies
de douleurs piquantes au gofier , il ſe
crut attaqué bonnement d'une efquinancie .
De retour chez lui il ne fe plaignit pas
d'autre chofe à fon Chirurgien , qui le
faigna en conféquence , & lui appliqua des
cataplafmes à la gorge. Un Médecin qu'on
envoya chercher dans le voifinage , ne
le crut pas autrement malade. Il est vrai
qu'ayant voulu prendre du bouillon , on
fut étrangement furpris des contorfions
qu'on lui vit faire ; mais on attribuoit
toujours ce fymptome à l'inflammation du
gofier.Daullioules en étoit fi perfuadé qu'il
fe paffa plufieurs fois une bougie dans le
fond de la bouche , pour enlever , difoit-il ,
l'obſtacle qui s'oppofoit à la déglutition , &
l'expulfer par le vomiffement ; mais fes douleurs
dégénerant en étranglement fubit ,
avec perte de la refpiration lorfqu'ilvouloit
boire , & cet étrange fymptôme renaiffant
toutes les fois qu'on lui en préfentoit , il
comprit qu'il y avoit de l'extraordinaire
dans fon mal , & avoua lui - même aux affiftans
qui avoient perdu l'idée de fon dernier
accident , que c'en étoit ici les triftes
fuites. Il fut bientôt dans la grande rage,
& mourut le troifieme jour , après avoir
JUIN 11755: 179
fouffert de terribles attaques , qui l'obligeoient
à traverfer fon jardin en parlant ,
& s'agitant continuellement , de peur d'étouffer
à ce qu'il difoit.
Courchet qui ne fe croyoit pas moins
en fûreté que Daullioules , connut fon mal
à la premiere difficulté qu'il éprouva en
bûvant ; il foupoit alors dans une auberge
où il fe trouvoit , à quelques lieures de chez
lui. L'exemple de Daullioules , qu'il avoit
vû mourir la fémaine d'auparavant , lui
dépeignit encore mieux le danger qui le
menaçoit. Il retourna fur le champ à Cogolin
, non fans beaucoup de peine &
d'embarras , ayant à paffer une riviere ,
au bord de laquelle il héfita long-tems , en
pouffant des cris & des gémiffemens pitoyables
, juſqu'à ce que s'étant bandé les
yeux pour ne pas voir l'eau , il la franchit
de la forte. Arrivé chez lui , on le vit
s'enfermer dans une chambre obfcure fans
vouloir parler à qui que ce foit , priant
feulement de boucher tous les endroits qui
lui donnoient du jour , & menaçant qu'il
pourroit bien mordre fi on l'approchoit de
trop près. Il mourut ainfi le troifieme jour .
Ces accidens réitérés dans l'espace d'un
mois, & demi tout au plus , ouvrirent enfin
les yeux à ceux qui reftoient. Il ne fut
plus queſtion de foutenir que la louve
H vj
180 MERCURE DE FRANCE.
ས
n'étoit
pas enragée ; la fécurité fit place à
la crainte d'un femblable malheur . Tous
ceux qui avoient été mordus voyant Sé
nequier & fon Berger plus maltraités que
les autres , jouir également d'une parfaite
fanté , fe rappellerent alors les offres charitables
que je leur avois faites il y avoit
plus d'un mois ; ils accoururent inceffamment
à Grimaud me demander du fecours.
La plupart , au nombre de huit , étoient
déja guéris de leurs plaies , n'ayant été
mordus qu'aux mains & aux jambes ; il n'y
avoit que la jeune fille , appellée Courchet
, à qui la louve avoit déchiré la mammelle
gauche , dont les plaies fe fermoient
à peine. M'ayant avoué qu'elle y fentoit
de la douleur , je redoublai d'attention en
les faifant couvrir trois fois le jour d'une
dragme de la pommade mercurielle : on
en fit autant à fes compagnons ; ils prirent
quelques dofes de turbith minéral & de la
poudre de palmarius , furent affujettis à
des frictions réglées ; & lorfque je les vis
plus tranquilles , je les renvoyai chez eux
en leur prefcrivant ce qu'ils avoient à obferver
jufqu'à entiere guérifon .
Il n'y eut que le pere de la jeune Courchet
qui ayant été feulement égratigné par
la dent de la louve fur le dos de la main ,
& voyant fa petite plaie fermée dès le troi7
JUI N. 1755 .
181
fieme jour , crut n'avoir pas befoin des remedes
préfervatifs que j'avois donnés à ſa
fille. Deux mois & plus s'écoulerent fans
que j'entendiffe parler de lui , lorfqu'un
bruit fourd s'étant répandu qu'il étoit dans
la rage depuis trois jours , je me rendis expreffément
chez lui pour fçavoir au juſte
ce qu'il en étoit.
Je le trouvai affis fur la porte de fa
chambre , fa fille préfente , & nullement
émue du malheur de fon pere , qui me parut
alors fort tranquille , fans donner aucun
figne apparent de rage , quoiqu'on
m'eût affuré qu'il pouffât des hurlemens
affreux depuis deux jours. L'ayant interrogé
par quel accident il fe trouvoit dans
l'état qu'on m'avoit annoncé , & pourquoi
il n'avoit point voulu ufer des remedes
préfervatifs aufquels fa fille plus maltraitée
que lui , devoit fa guérifon .
Il me répondit que voyant fa plaie
qu'il n'avoit caractérisée que de fimple
égratignure , fermée dans l'efpace de deux
ou trois jours , & n'y ayant jamais fenti
la moindre douleur , les fuites lui en
avoient paru de fi peu de conféquence ,
qu'il n'avoit pas jugé à propos de prendre
mes remedes , d'autant mieux qu'il avoit
oublié promptement fon malheur , &que
fans un mouvement extraordinairequi
182 MERCURE DE FRANCE.
s'étoit fait fentir depuis peu fous la petite
cicatrice de fa plaie , rien n'auroit pû lui
en rappeller le fouvenir . Ce mouvement ,
à ce qu'il m'ajoûta , dégénera bientôt en
vapeur fubtile , qui montant diftinctement
le long du bras & du cou , fut fe fixer au
gofier , d'où s'enfuivirent peu-à-peu la perte
d'appétit , la douleur , les étranglemens
la fuffocation & l'hydrophobic .
Ce narré qui me parut intérellant pour
la théorie de la rage , me détermina à reſter
plus long-tems auprès de lui : je trouvai
fon pouls un peu tendu & convulfif , fans
fievre cependant ; il avoit quelque chofe
de hagard & de féroce dans l'afpect ; fes
yeux paroiffoient égarés & menaçans , il
frémiffoit dès qu'on l'approchoit tant ſoit
peu , les tendons de fes bras fouffroient
alors des foubrefauts & des tremblemens involontaires
, & l'on ne pouvoit le fixer fans
émotion . Ayant été me laver enfuite dans
un coin de la chambre , fans trop refléchir
à l'horreur que tous ces malades ont pour
la vue même des liquides , à peine vit - il
quelques gouttes d'eau répandues à terre ,
que fe levant avec fureur de fon fiége il
fe précipita rudement fur le plancher , en
fe bouchant les yeux , s'agitant comme un
épileptique , & pouffant des cris & des
hurlemens fi affreux , que tous les affifJUI
N. 1755.
183
tans faifis d'horreur à cet étrange fpectacle,
s'enfuirent auffi- tôt. Refté feul auprès de
lui je l'encourageai par mes difcours à fe
rendre le maître , s'il pouvoit , de ces mouvemens
; mais il me pria avec inftance de
faire emporter jufqu'aux plus petits vafes
où il y avoit de l'eau , parce que la vûe de
ce liquide étoit pire pour lui que de fouf ..
frir mille morts. Après qu'on lui eut obéi ,
il devint plus tranquille , & fe remit fur
fon féant , comme fi rien ne lui étoit arrivé .
Je lui propofai alors , pour furmonter
fon horreur de l'eau , de fe laiffer plonger
plufieurs fois dans un bain qu'on lui prépareroit
; mais il me conjura , les larmes aux
yeux ,
de ne pas
lui en parler feulement ,
de peur que cela ne réveillât en lui des
idées dont les fuites lui devenoient fi terribles.
Je me contentai feulement de le
preffer de fe couvrir une partie du corps de
la pommade mercurielle que je lui fis don
ner pour cela. Il m'obéit volontiers ; mais
aux premieres frictions qu'il fe fit le long
du bras , il fut pris de fi grands tremblemens
& d'une fuffocation fi convulfive au
gofier , qu'il me protefta plufieurs fois qu'il
alloit fe précipiter de la fenêtre pour s'en
délivrer. Encouragé de nouveau à fupporter
patiémment cette attaque , il continua
fon ouvrage, toujours avec des mouvemens
184 MERCURE DE FRANCE.
fi extraordinaires , des cris fi féroces , des
juremens & des lamentations fi touchantes,
que c'étoit une vraie pitié de voir une fi
étrange alternative : enfin s'étant couvert
de l'onguent une partie du corps , il parut
auffi tranquille que la premiere fois .
Demi-heure après les mêmes accidens
lui reprirent avecun vomiffement de glaires
verdâtres ; fon horreur de l'eau diminua
cependant tout-à-coup : il vit manger
& boire fon époufe fans nulle averfion ,
fans nulle crainte des liquides , ordonna
même qu'on lui préparât à fouper , affurant
qu'il boiroit à fon tour , & qu'il ne ſe
fentoit plus aucune répugnance pour cela .
Depuis ce moment fes accidens convulfifs
furent peu de chofe , il ne fe plaignit d'aucune
douleur. Déja fes parens fe flatoient
qu'il feroit en état de fouper bientôt
n'ayant pu rien manger ni boire depuis
trois jours ; mais ayant fouhaité repoſer
quelques momens auparavant, il fe coucha ,
fe couvrit la tête du drap , & mourut de la
forte fans qu'on s'en apperçut qu'au mo
ment qu'on fut pour l'éveiller . Tous les
autres qui s'attendoient d'avoir le même
fort , furent agréablement trompés , ils
jouiffent encore aujourd'hui d'une parfaite
fanté , & tout le Golfe de Saint-Tropès
pourra vous attefter leur guérifon .
JUIN.
1755 183
II. OBSERVATION.
En 1748 , au mois de Décembre , un
Chirurgien ayant été mordu par un chien
enragé fur le dos de la main , partie trèsdangereufe
comme l'on fçait ; rêvant chaque
nuit à des combats avec des loups &
des chiens enragés , & s'éveillant alors faifi
d'épouvante & couvert de fueur , vint
me faire part vingt jours après de fon trou
ble. L'application de la pommade mercurielle,
réitérée journellement , fur la plaie,
& quelques dofés de la poudre de palmarius
, le préferverent de la rage.
111. OBSERVATIO N.
En 1749 en hiver , je fus mordu au dos
de la jambe par un petit chien qu'une
jeune Demoiſelle tenoit couché fous fes
jupes , & près de laquelle je paffai un jour
que j'étois à la campagne . La qualité de la
morfuré qui faigna peu , l'efpérance pofitive
que cette Demoiſelle me donna que
fon chien n'étoit pas enragé , joint à un
voyage que je fis le lendemain d'affez long
cours , me firent bientôt oublier ce petit
accident'; je n'y aurois même plus penfé
fi ce n'eft qu'ayant fenti de tems à autre
un fentiment douloureux fous la cicatrice
186 MERCURE DE FRANCE.
de la morfure qui fut promptement fermée
, je craignis avec fondement que le
chien ne fût dans un commencement de
rage que la Demoiſelle ne connoifloit pas,
De retour un mois après au même canton ,
je courus m'informer fi le chien vivoit encore
; on m'apprend qu'il s'étoit égaré le
lendemain d'après la morfure qu'il m'avoit
faite , & qu'il avoit pareillement mordu
quantité d'autres chiens. Un trouble
fubit s'empare de moi , je deviens fombre
& rêveur , je me veux du mal d'avoir été
peu attentif à me préferver moi- même,
tandis que j'avois en tant d'empreffement
pour les autres. La cicatrice devient plus
douloureufe ; ma confternation augmente ;
je cherche de l'eau pour voir fi je fuis hydrophobe.
J'accours à la ville , je fais appliquer
fans délibérer une ventoufe fur la
cicatrice de la plaie qu'on fcarifie profondément
, & que je laiffe faigner tout le
tems qu'il faut ; je la couvre de mercure
deux fois la journée , j'en frotte encore
tout le long de la jambe , je prends deux
fois le turbith minéral , à la dofe de trois
grains , qui m'évacue copieufement par
haut & par bas ; je continue les frictions
quinze jours de fuite , le trouble fe diffipe
, l'efpérance renaît , la plaie fe referme
, & les chofes vont au gré de mes
fouhaits.
JUIN. 187 1755.
IV. OBSERVATION .
La fille de Clément Olivier de Sainte-
Maxime , âgée de dix- fept ans , fut mordue
au mois d'Avril de l'année 1750 , par
un gros chien enragé , qui la renverfa par
terre , lui fit plufieurs plaies confidérables
aux bras , à la main & aux jambes , ayant
emporté les chairs dans quelques endroits.
Il fallut bien du tems à toutes ces bleffures
pour être cicatrifées ; on ne les panfa qu'avec
la pommade mercurielle & le digeftif
ordinaire : je lui fis faire quantité de frictions
fur les bras, les épaules & les jambes ,
ayant été faignée auparavant pour prévenir
l'inflammation , & purgée plufieurs fois
avec le turbith mineral. Dès les premiers
jours cette fille avoit fon fommeil interrompu
par des rêves effroyables , croyant
être aux prises avec le chien enragé :
dès que le mercure commença à pénétrer
dans le fang , la confiance reparut , fes alarmes
s'évanouirent ; les plaies ne furent
tout- à- fait fermées que deux mois après.
Elle jouit encore d'une parfaite fanté .
V. OBSERVATION.
Les nommés Olivier , la Rofe & Pafcal ,
de Caillian , furent pareillement mordus`
188 MERCURE DE FRANCE .
par un chien enragé en 1751 , l'un à la
jambe , l'autre à la cuiffe , les lambeaux des
chairs emportés. Je les mis à l'ufage de la
même méthode ; ils laifferent leurs plaies
long- tems ouvertes , prirent deux fois le
turbith minéral , n'employerent que la
pommade mercurielle dans le panfement ,
& les frictions que je leur ordonnai de
faire le long des parties bleffées ; ils vivent
encore aujourd'hui guéris & contens .
VI. OBSERVATION.
La fille du fieur Ferran , Aubergifte , de
Graffe , ayant été mordue à travers la
main gauche le mois de Septembre de l'année
paffée par un chien vraisemblablement
enragé , eut fa plaie bientôt confolidée
par le fecours de fon Chirurgien . Son
pere à qui des perfonnes dignes de foi
affurerent dans la fuite que le chien qu'on
avoit tué fur le champ en avoit mordu
quantité d'autres , me confia fa fille , ſur
la propofition que lui en fit M. l'Abbé
Laugier , Maître de Mufique de cette ville
, pour la préferver du malheur dont
elle étoit menacée . Je trouvai quinze jours
après fon accident la cicatrice de fa plaie
fort douloureufe ; ce qui m'obligea à l'affujettir
d'abord à quelques frictions réglées
JUIN. 189
1755 4
fur cette partie ; elle prit cinq à fix jours
après de petites dofes de turbith minéral ,
& dès que la douleur eut difparu , je fis
difcontinuer les frictions de la pommade
mercurielle elle eft encore aujourd'hui
en bonne fanté .
Tel eft , Monfieur , le précis des obſervations
qui décident de la fûreté du mercure
, comme un préfervatif affuré contre
la rage . Celles qu'il me reste à vous communiquer
pour n'avoir pas eu de fi heureux
fuccès , n'en prouveront pas moins
la bonté de ce remede , & nous fourniront.
aifément des conféquences & des inductions
néceffaires pour établir une théorie
plus exacte & une curation plus certaine
de cette maladie : ce fera à vous à en juger.
Je fuis , Monfieur , &c.
Darlue , Docteur en
Médecine .
A Callian , ce 25 Mars 1755
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Résumé : Lettre à M. Molinard, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine en l'Université d'Aix, sur la rage, & la manière de la guérir, &c.
La lettre adressée à M. Molinard, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine à l'Université d'Aix, discute d'une nouvelle méthode de traitement de la rage à l'aide du mercure. L'auteur rapporte des observations faites après une attaque de louve enragée en juin 1747 à Cogolin. La louve a causé de nombreux ravages, mordant hommes, femmes, enfants et animaux, provoquant une grande panique. Parmi les victimes, Joseph Senequier et son berger ont été traités avec du mercure et ont guéri après vingt jours. L'auteur a tenté de convaincre d'autres victimes de recourir à son traitement, mais la plupart étaient sceptiques, croyant que la louve n'était pas enragée ou que les remèdes existants étaient inefficaces. Une jeune fille, mordue gravement, a succombé à la rage malgré les soins. L'autopsie a révélé des lésions internes graves. Plusieurs chiens et bétails ont également succombé à la rage, ainsi que deux hommes, Daullioules et Courchet, qui avaient initialement cru être guéris. En 1755, plusieurs cas de rage ont été rapportés. Daullioules, tentant de soulager ses douleurs, est mort trois jours après des attaques violentes. Courchet, ayant observé la mort de Daullioules, a reconnu les symptômes de la rage et est mort trois jours plus tard malgré ses efforts pour éviter l'eau. Ces incidents ont alerté les habitants sur la dangerosité de la rage. Une jeune fille nommée Courchet, mordue par une louve, a été soignée avec une pommade mercurielle et des frictions. Son père, légèrement égratigné, a refusé les remèdes préventifs et est mort de la rage deux mois plus tard après avoir montré des symptômes caractéristiques. Des observations antérieures, en 1748 et 1749, montrent que des individus mordus par des chiens enragés ont été traités avec des pommades mercurielles et des purgatifs, évitant ainsi la rage. En 1750 et 1751, d'autres cas de morsures par des chiens enragés ont été traités avec la même méthode, permettant aux patients de guérir et de survivre. Le Dr. Darlue, auteur de la lettre, décrit un cas où l'application d'une pommade mercurielle et des frictions a permis à un patient de rester en bonne santé. Il mentionne d'autres observations, même si elles n'ont pas toutes été couronnées de succès, afin de contribuer à une théorie plus précise et à un traitement plus sûr de la rage. La lettre est datée du 25 mars 1755 à Callian.
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