Résultats : 1 texte(s)
Accéder à la liste des mots clefs.
Détail
Liste
1
p. 13[4]4-1367
SECONDE LETTRE de M. de L. R. à M. Boyer, Docteur Médecine, de la Faculté de Montpellier, Docteur Regent de celle de Paris, sur une Médaille Latine de la Ville de Troade; et sur une Médaille Grecque des Dardaniens.
Début :
Je vous avouë, Monsieur, que ce n'est pas sans [...]
Mots clefs :
Troade, Médaille latine, Médaille grecque, Dardaniens, Erreur, Ruines, Alexandrie, M. Vaillant, Alexandre Severe, Historien, Ouvrage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : SECONDE LETTRE de M. de L. R. à M. Boyer, Docteur Médecine, de la Faculté de Montpellier, Docteur Regent de celle de Paris, sur une Médaille Latine de la Ville de Troade; et sur une Médaille Grecque des Dardaniens.
SECONDE LETTRE de M.de L. R..
à M. Boyer, Docteur en Médecine , de
la Faculté de Montpellier, Docteur Regent de celle de Paris , sur une Médaille
Latine de la Ville de Troade et sur une
Médaille Grecque des Dardaniens.
J
E vous avoue , Monsieur , que ce n'est
pas sans quelque espece de chagrin que
dans ma précedente Lettre j'ai été obligé
de déclarer l'erreur de pius d'un Ecrivain
moderné , qui prétendent que la Ville de
Troade soit la seconde Troye , comme
ayant été bâtie par les ordres d'AlexanII. Vol. dre
JUIN. 1732 1343
dre, des ruines de la premiere Ville qui a
porté ce fameux nom , et que c'est pour
cela même que Troade a été surnommée Alexandrine; en citant pour garants , des
Auteurs de réputation , lesquels bien examinez , n'ont jamais écrit ce qu'on leur
fait dire ; j'avoue , dis- je , que j'ai là- dessus quelque espece de regret ; car si ces
prétentions étoient aussi fondées, qu'elles
m'ont paru vaines jusqu'à present ,
CC
ne seroit pas un petit reliefpour cetre ancienne Ville , pour notre Médaille , et
un médiocre ornementà ma Dissertation:
mais vous sçavez , Monsieur , combien je
suis éloigné d'adopter des Faits brillants.
aux dépens de la vérité ; peut-être trouverons- nous assez dequoi illustrer Troade et de quoi mériter l'attention des Leçteurs sensez dans ce que j'ai à vous en
dire , sans avoir recours à des embellissemens dont la vanité peut être démontrée.
Je suis, au reste, persuadé que M.Vaillant n'a erré là-dessus que par une certaine prévention dont il étoit frappé sur le
nom d'Alexandrine , que portent quantité de Médailles de Troade ; mais ce qui
me paroît icy de singulier , c'est quele
P. Hardouin , ce grand Critique , qui n'a
point hesité d'appeller ses Ouvrages ,
Errata des Antiquaires: Errata Antiqua
II. Vol. riorum
1346 MERCURE DE FRANCE
riorum , qui a même fait un Livre exprès ,
pour reprendre M. Vaillant de ses pré
tendues fautes sur les Médailles des Colonies et des Municipes , et qui le reprend
nommément , avec beaucoup de hauteur,
au sujet d'une Médaille d'Aquilia severa ,
frappée par la Colonie de Troade ; il pa
roît , dis-je , singulier que ce Censeur , si
acharné', pour ainsi dire , contre Vaik
lant , qui le chicane le plus souvent sur
des minuties , ou sur des erreurs imagi
naires , ne se soit pas apperçu de la veritable méprise de cet Antiquaire , au sujet
de la Médaille de Troade.
Bien, loin , Monsieur , de s'en aperce
voir , je trouve le P. Hardouin •presque
dans la mêmeerreur ; car en parlant d'une
( a ) Medaille d'Antonin Pie , frappée , d
ce qu'il croit , par la même Colonie de
Troade , il dit que le nom d'Alexandrine
lui vient d'Alexandre le Grand. Alexan
dria ab Alexandro Magno. C'est cependant ce que Strabon qu'il cite , ni aucun
autre Auteur , ne nous apprennent point.
Mais ne quittons pas le P. H sans vous
donner en passant un échantillon de la
hauteur insultante avec laquelle il a traité M. Vaillant , votre illustre confrere.
(a ) Nummi Populorum et Urbium illustrati ,
&c. pag. 507.
II. Vol. Un
JUIN. 17320 1347
Un seul trait suffira ›, et ce trait vous fera
rire. Je le trouve à la page 115. de son
ANTIRRHETICUS.Vide jam , lui dit-il, quot
sibi sintex opere tuo placita tradenda,quantaque tibi sit laudifuturum , cum eos , à qui
bus hac didicisti , à nobis monitus dedocebis. N'est-il pas vrai , Monsieur , qu'un
hommequi parle avec cet air de Maître ,
doit du moins être irréprochable dans ses
Ecrits , et qu'il doit lui- même être bien
endoctriné , avant que de s'ériger en Censeur de la doctrine d'autrui ? On rempliroit cependant un volume raisonnable
des Erreurs , des Paradoxes , et des Ecarts
duP. H. revenons à notre Troade ,
nommée Alexandrine.
surJ'ai crû que je trouverois sur ce sujet
quelque lumiere dans le curieux Ouvrage
d'Etienne de Byzance ; cet Auteur m'apprend , tom. 1. pag. 61. qu'on comptoit
de son temps jusqu'à dix- huit Villes qui
portoient le nom d'Alexandrie , dont la
premiere est la fameuse Alexandrie d'Egypte; la seconde , dit-il , est la Ville de
Troye , don't Démosthène fait mention :
Bithyniacorum 42. Il met la onzième dans
l'Isle de Chypre , et il dit ensuite , selon
Pinedo son Traducteur; est et locus in Ida
Trojana, qui dicitur Alexandria , in quo
ferunt Paridem Dearum certaminajudicasse,
II. Vol. ut
1348 MERCURE DE FRANCE
ut Timosthenes. Cela s'accorde avec ce que
nous avons déja remarquéau sujet de cette Alexandrie du Mont Ida, qui n'est pas
notre Troade. L'Auteur Grec parle aussi
de cette derniere ; mais le même Traducteur a , ce me semble , fort embroüillé les
choses à cet égard par son interprétation.
Luc de Holstein , de qui nous avons une
belle Edition d'Etienne de Byzance avec
des Notes et des Corrections , a plus heureusement expliqué cet endroit. TROIAS ,
dit Pinedo, Regio Ilii qua vocabatur Teucris
et Dardania et Xante.Gentile Troadeus. Ce
qui n'est pas , selon le SçavantEditeur , let
sens de l'Auteur original , et il corrige Pinedo de la maniere qui suit : Cum deberes
vertere et Alexandria Troas. Hoc in locoTroas non accipitur de Regione , sed de ipsa Alexandria Troadis Urbe que Troas
etiam dicta fuit ut Plinius , lib.v.cap 30.
N'oublions pas icy , au sujet de ce Passage de Pline , qui est tel : Troas Antigonia dicta nunc Alexandria Colonia Romana: n'oublions pas , dis-je , de remarquer
que Goltzius rapporte dans son Tresor
une Médaille de Tite , où l'on donne à
Troade ce nom d'Antigonia. Elle est citée
dans le P. Hardouin , qui semble l'adopter comme légitime , et dans les Colonies de Vaillant , qui la regarde comme
II. Vol. .. dou-
JUIN. 1732. 1349
douteuse. On peut dire qu'elle est absolument fausse , et qu'elle a été forgée sur
le Passage de Pline.
Voilà cependant notre Troade au nom
bre des 18 Villes , qui , selon Etienne de
Byzance , ont aussi porté le nom d'Alexandrie ; ce qui est confirmé par les Medailles et par le témoignage de plusieurs
Ecrivains ; mais nous n'avons aucune autorité , comme je vous l'ai déja dit , qui
établisse , que c'est pour avoir été bâtie
des ruines de Troye , par les ordres d'Alexandre , ainsi que l'ont écrit quelques
Modernes. Il se peut faire , au reste, que
quelque Evenement considérable • que
nous ignorons , ait donné lieu à la dénomination dont il s'agit icy. Toutes les *
grandes actions du Conquerant de l'Asie
ne sont pas connuës , comme l'a particu
lierement remarqué l'un de ses Historiens : Ita estfactum , dit Arrien , Liv. 1 .
ut nobis minus nota sint Alexandri Rex
magna et præclara , quam multorum veterum
infima exiguaque.
M. Vaillant , au reste , propose une autre origine du nom d'Alexandrie , donné
à la Ville de Troade. Il remarque d'abord,
au sujet d'une Medaille de Fulia Domna,
Epouse de Septime Severe, frappée à
Troade; qu'avant ce tems-là la Ville dont
II. Vol. nous
1350 MERCURE DE FRANCE
nous parlons ne prit point le nom d'Aleandrie: Urbs non se Alexandriam Troadem nuncupavit , licet , ajoute-t- il , Troas
et Alexandria eadem sit apud veteres Historicos ut videre est apud Strabonem , lib. 2.
ce qui semble se contredire. Troade,poursuit M. Vaillant , devant son nom d'Alexandrie au Grand Alexandre , affecta de
marquer particulierement ce nom ' sur les
Medailles qu'elle frappoit sous l'Empire
de ( a ) Caracalla , pour flatter un Prince
qui , au rapport de Dion, liv. 78. se donnoit pour un autre Alexandre , sese Alexandrum Orientalem Augustum appellavit,
dit cet Historien.
M. Vaillant repete à peu près la même
chose en parlant d'une autre Medaille de
Troade , frappée en l'honneur d'Alexandre Severe , fils de Caracalla. Alexandria
appellationem habet,dit-il, vel ab Alexandro
M.àquo exTroja ruderibus extructa est Strabone Q Curtio testibus , vel ab Alexandro-Severo , quod maximum illius esset , ut
Caracalla Patris studium , ut tradit Lampridius ; sans compter , ajoute notre Antiquaire , que cet Empereur visita en personne la Ville de Troade, en allant en Sy.
.
(a) Aurelia et Antoniana , in Caracalla gratiam vocata , dit ailleurs le même M. Vaillant, en
parlant de Troade.
11.Vol.
tie ,
JUIN. 1732. 135r
tie ; il avoit dit la même chose à l'égard
de Trajan ; ce qui est avancé gratuitement .
et sans aucune authorité.
Il est vrai cependant qu'avant le Regne de Sept. Severe on ne voit point le
nom d'Alexandrie,ajouté à celui de Troade,dans les Médailles de cette Ville, ce qui
semble donner quelque vrai- semblance à
la conjecture de M. Vaillant ; mais il faut
convenir aussi que cette conjecture est affoiblie par les témoignages des Histeriens
qu'il rapporte lui - même , selon lesquels
Troade portoit le nom d'Alexandrie dès
le temps de la République Romaine.Je ne
produirai icy que celui de Tite-Live, omis
par Vaillant.
Ce celebre Historien en parlant de la
guerre que les Romains eurent à soutenir
contre le Roy Antiochus , sous le Consulat de L. Quintius et de Cn. Domitius,
dit que trois Villes occupoient principalement les forces de ce Prince , sçavoir
(a)Smyrne, Alexandrie-Troade et Lampsa-
(a ) Smyrne.et Troade n'étoient pas fort éloignées l'une de l'autre , et il y avoit une alliance ,
une union particuliere entre les deux Villes ; ce
qui est prouvépar une Medaille de Marc - Aurele ;
sur le revers de laquelle en lit : ΤΡΟΑΔΕΩΝ C
ΜΥΡΝΑΙΩΝ ΟΜΟΝΟΙΑ , rapportée par le Pere
Hardouin.
11. Vole ques
Y352 MERCURE DE FRANCE
ques , dont il n'avoit pû venir à bout
jusqu'alors par la force , ni par aucun
Traité , ne voulant pas d'ailleurs , en passant en Europe , laisser ces Places derriere lui , Tres eum civitates tenebant , Smyrna
et Alexandria- Troas , et Lampsacus ; quas
neque vi expugnare ad eam diem poterat,
neque conditionibus in amicitiam perlicere;
neque કે tergo relinquere trajiciens ipse in
Europam volebat , Lib. xxxv. cap. XLII.
Ce qui paroît décisif pour l'ancienneté du
nom d'Alexandrie , joint à celui de la
Ville de Troade ; cela doit aussi nous déterminer à tirer cette dénomination d'Alexandre le Grand , comme Fondateur
ou comme Restaurateur dela Ville dont
il s'agit icy , sans qu'on soit obligé pour
cela de croire et de prouver que Troade
ait été bâtie des ruines de Troye.
,
Nous n'avons en effet aucune autorité pour le prétendre. Une seule Ville du
Pays de Troade a pû se vanter de cette
distinction;c'est Sigée, bâtie certainement
des ruines de Troye , par les habitans de
Metelin , ville de l'Isle de Lesbos. J'aurai dans quelque temps occasion de vous
prouverce fait , en vous faisant part d'un
Monument des plus singuliers de l'Antiquité Grecque , trouvé dans le siecle
passé , au voisinage de Sigée , et publié
II. Vol.
par
JUIN. 17320 1353
par un sçavant Anglois en l'année 1721.
Son Ouvrage ne m'a été apporté d'Angleterre que depuis quelques mois ; ce
que j'ai à vous en dire peut encore jetter
de la clarté sur la matiere que nous traitons icy.
Je vous ai dit , Monsieur , dans ma premiere Lettre, que la Ville de Troade étoit
Colonie Romaine dès le temps d'Auguste. Pour le prouver , je n'ai presque besoin
que du titre d'Auguste qu'elle porte sur
notre Medaille. Les Antiquaires tiennent
communément que les Colonies nommées Julia, dénotent qu'elles ont été fondées par Jules- Cesar ; et Augusta , par
I'Empereur Auguste. Je sçai que Gens difficiles pourroient contester cette regle en
certain cas ; mais enfin , c'est- là un de ces
Principes generalement avoüez , et contre lesquels on n'est presque pas reçu à
disputer. Dans ce cas particulier on auroit encore moins de raison , parce qu'on
voit que la Ville de Troade étoit Colonie
Romaine , non seulement du temps de
Pline , mais même du temps de Strabon
qui a vécu sous Tibere , et même sous
Auguste. Ainsi il est presque démontré
qu'Auguste a été le Fondateur de cette
Colonie.
Il n'est guere moins certain qu'elle fut
II. Vol. E dans
1354 MERCURE DE FRANCE
dans une singuliere recommandation auprès des Empereurs. On y envoyoit les
Soldats veterans , choisis parmi les Légions qui avoient bien servi , pour s'y reposer comme dans un séjour agréable , et
dans un Païs abondant ; c'est ce que désigne particulierement l'Enseigne Militaire , qui paroît sur notre Medaille de
Troade.
par
Quelques- uns de ces Empereurs l'orne:
rent et lui accorderent des Privileges.
Adrien , sur tout , y fit faire (a) des Bains
magnifiques et des Aqueducs, comme on
le lit dans la vie d'Herode le Sophiste
écrite Philostrate. La Ville, en reconnoissance , fit frapper une Medaille où
l'on voit d'un côté la tête de cet Empereur , et sur le revers, le Type de Troade
tel qu'on le voit sur la face de la nôtre ,
avec ces mots : COL. TROAD. Elle étendit
même la reconnoissance de ce bienfait
jusqu'à la personne d'Antonin Pie , fils
adoptif d'Adrien , et jusqu'à Marc- Aurele, en faisant aussi frapper des Medailles
pour ces deux Empereurs.
•
(a ) On voit par un Passage de Pline , livre
XXXI. ch. VI. qu'avant ce temps-là il y avoit à
Troade des Bains d'Eau chaude , que P. Belon
liv. 2. ch. 6. de ses Observ. a confondus avec ceux
de Larissa , dans le même Païs ; quoique bien distinguez dans Pline , qu'il cite.
1
11. Vol A
JUIN. 17320 1355
-
A l'égard des Privileges et des immunitez accordez à Troade , quelques Me
dailles frappées par la même Ville , les
prouvent ; entr'autres celles de SeptimeSevere , et de Julia Domna sa Femme s
au revers de laquelle on voit pour Symbole , un Cheval qui paît en liberté. M. Vaillant remarque , en rapportant ces
deux Medailles , que l'Empereur Claude
avoit rendu la Colonie de Troade exempte de toutes sortes de charges , ajoutant
qu'entre les autres Colonies , fondées par
Auguste, celle- ci avoit été particulierement
avantagée duDroit dont jouissoient lesVilles d'Italic:Juris Italici pronunciata est. Dequoi deux Auteurs ont fait une mention
expresses sçavoir , Caïus ( a ) sur les Loix
Julia et Papia, lib. 6. et Paulus , lib. 2. des Cens. Ce dernier ajoute que Troade étoit
du Proconsulat d'Asie . In Provincia Asia
Dua sunt Juris Italici Troas et Purinus .
M. Vaillant observe à propos , à l'oc
casion d'une Medaille frappée à Troade ,
pour Philippe le Peres que toutes les Colonies n'avoient pas ce beau Droit dont
nous venons de parler , qui distinguoit si
fort une Ville d'une autre; mais je ne sçai
s'il faut s'en tenir à son explication du
MOV.
(a ) Juris Italici sunt , rpwas Bupytos , AuppoH. Vol E ij revers
5 MERCURE DE FRANCE
revers de la même Medaille. On y voit
une Aigle qui tient dans ses Serres , en
volant la Tête d'un Bœuf. Cela , dit-il
dénote l'origine et l'antiquité de cette
Villes car quand il fut question de la
fonder , on sacrifia un Bœuf , dont un
Aigle emporta la tête, ce qui fut pris
pour un ordre du Ciel et servit d'Augure pour déterminer le lieu où elle devoit
être bâtie. Elle le fut à l'endroit même
où l'Aigle transporta cette tête. L'antiquité payenne et fabuleuse a pû debiter
cela au sujet de la fondation de Troade
comme vous sçavez , Monsieur , qu'elle
on a usé à l'égard de Rome , et à l'égard
des plus anciennes Villes ; mais la chose
ne peut guere passer que pour une conjectite , aussi , M. Vaillant ne nous cite làdessus aucune autorité.
Passons- lui donc la conjecture ; mais je
le crois dans ( a) l'erreur, quand dans l'explication de deux Medailles de la Colonie
de Troade, frappées, l'une pour Elagabale,et l'autre pour Volusien, notre Sçavant
:
(a ) M. Vaillant se trompe encore quand an
sujet d'une Medaille de Geta , frappée à Troade ,
qu'il appelle Insignem Urbem Veterum Hefoum. Il cite Dyonisius Afer pour premier Auteur
de cette Expression , cet Ecrivain n'ayant point
parlé deTroale dans son Poëme , Desitu Orbis.
14. Vol.
Me-
JUIN. 1732. 1357
Medecin confond Troade avec Ilium, attribuant à la premiere ce qui certainement
regarde la seconde de ces deux Villes, qui
sont cependant tres- distinctes'; sur quoi
les citations mêmes qu'il allegue sont
contre lui , en particulier celle du Digeste , où il s'agit visiblement des Privi
leges d'Ilium et non pas de Troade. Com
cessum est ut qui Matre Iliensi natus est ,
sit eorum Municeps , lib. 5. tom. 1
dont le
Ce qu'il y a icy de singulier , c'est que
M. Vaillant a reconnu parfaitement lui
même, tom. I. la distinction de ces deuxVilles, en expliquant une Medaille d'Alexandre-Severe , frappée à Troade. Troas
et Ilium , dit- il , dua sunt Urbes , post Tro
jam antiquam dirutam seorsim condite, quod
nummi confirmant , &c. Ce que notre An
tiquaire prouve par l'autorité de Polybe,.
liv. 5. décisif est rappor passage
té, ajoutant , par surcroit de lumiere sur
ce sujet , la distinction que voicy : Troadenses cum Romani sint Coloni , latinè nummos scribunt, Ilienses verò Epigraphem Gracam : IAIEON praferunt. Il pouvoit prouver encore cette distinction par l'Itineraire d'Antonin , par les Tables de Peutinger , et enfin par les Souscriptions des
Evêques des deux Villes , qui ont assisté
aux Conciles , &c.
. II. Vol E iij Re-
1358 MERCURE DE FRANCE
Remarquons , en passant , à cette occasion , une faute toute differente qu'a faite
Casaubon , Traducteur latin de Strabon
à l'égard de notre Alexandrie-Troade dont
il fait deux Villes ; au lieu que, comme je ·
l'ai observé dans ma premiere Lettre , ce
n'en est qu'une, suivant la force du Grec,
Αλεξανδρείαν τω τριαδα , qu'il faut traduire , et Alexandria que est Troas, et non
pas comme ont fait Casaubon et d'autres,
et Alexandria , ac Troas. Pinedo dans son
Commentaire sur Etienne de Byzance ,
a relevé cette méprise au mot Troïas, et
après lui Spanheim et Vaillant.
Mais c'est assez parlé de Troade Payenne, Grecque et Romaine ; disons un mot,
en finissant ma Lettre de Troade Chré
tienne , devenuë telle , selon toute apparence , par le bonheur qu'elle a eu de recevoir si souvent dans son sein l'Apôtre
S. Paul , ainsi qu'il est rapporté dans plus
d'un endroit des Actes des Apôtres. C'est
à Troade que ce grand Apôtre eût la vision du Macedonien , qui le pria de pas
ser dans la Macedoine, et de venir au secours de ses Compatriotes , ch . 16. Grotius dans son Commentaire sur ce chapitre , a pris la Ville de Troade pour la Region de même nom. Nous avons vû qu'il
n'est pas le premier qui s'est trompé là- II. Vel. des-
JUIN. 1732. 7359
dessus ; il commence à s'en appercevoir
au chapitre 20.
On lit dans le même chap. 16. qu'en
conséquence de sa vision,S. Paul s'embarqua àTroade même , d'où étant venu
droit à Samothrace et à Neapolis , il arriva à Philippes : Et inde Philippos, que est
primapartis Macedonia Civitas COLONIA.
Je ne sçai , Monsieur , si ces dernieres
paroles ne peuvent pas donner lieu à une
Remarque. Le Saint Ecrivain n'oublie pas d'observer que la Ville de Philippes, dont
il parle pour la premiere fois , étoit une
Colonie; il ne dit rien de pareil de Troade , nommée plusieurs fois dans son Itineraire , où S. Paul séjourna une fois sept
jours entiers; et où la veille de son départ , il fit le miracle éclatant de ressusciter le jeune Homme tombé d'une fenê
tre,&c. Ch. 20. Peut - être Troade n'étoitelle pas alors honorée de ce Titre , ce qui
détruiroit le sentiment des meilleurs Antiquaires , qui veulent , comme nous l'avons vu plus haut , que le Titre d'Au
gusta , marqué sur les Medailles de cette
Ville , dénote qu'elle a reçu cette qualité
dès le temps d'Auguste.
Quoiqu'il en soit , Troade éclairée des
lumieres de la Foy , par le Docteur des
Nations , ou par ses Disciples , a dû avoir
II. Vol. E iiij des
1360 MERCURE DE FRANCE
des Pasteurs dès les premiers temps du
Christianisme. On reconnoîtroit volop-.
tiers le premier de tous en la personne de
Carpus , chez qui S. Paul logeoit dans cette Ville , et dont il ( a ) parle particulierement dans sa II. Epître à Timoth.ch.2.
Si on pouvoit faire quelque fond sur ce
qu'on lit de Carpus, dans la Lettre à Démophile, la vini de celles qui portent le
nom de S. Denis l'Areopagite ; mais il y a
long - temps que les meilleurs Critiques.
ont reconnu pour supposez tous les Ou
vrages cy - devant attribuez à ce S. Athénien; ce qui n'a pas empêché que l'Auteur
d'une compilation de Vies des Saints , intitulée : Fasti Mariani , et publiée à Anvers en l'année 1633. n'ait fait de ce Disciple de S.Paul un veritable Evêque, dontil marque la Fête au 26 May, en citant:
à la fin Denis l'Areopagite, pour garant de
ce qu'il a trouvé à propos d'en rapporter.
Pour moi , Monsieur , je ne connois
point d'Evêque de Troade avant Marin
qui assista au Concile de Nicée avec Théonas de Cyzique , son Métropolitain, com
me on le voit par les Actes de ce fameux
Concile , recueillis par Gelase, un des suc-
(a ) Penulam quam reliqui Troade apud Carpum veniens affer tecum et libros , maximè autem membranas. verf. 13 .
•
II.Vol.
cesseurs
JUIN. 1732. 1361
cesseurs de Théonas , et rapportez dans
les Editions des Conciles du P. Labbe et
du P. Hardoüin.
J'ai crû pendant quelque temps qu'un
S. Evêque , nommé Silvain , dont parle
Pallade dans la vie de S. Jean Chrysostome , et qui fut envelopé dans la disgrace
du S. Archevêque de Constantinople, avoit
été Evêque de Troade ; mais on ne peut,
ce me semble , recueillir des paroles de
Pallade autre chose, au sujet de ce Prélat ,
si ce n'est qu'il fût réduit à ce point d'in
digence que d'être obligé de gagner sa vie
à pêcher du Poisson à Troade , où il s'étoit vrai semblablement réfugié.Silvanus,
sanctus Episcopus Troade piscatur et piscatu vivit , selon la version de Bigot.
Il est vrai que Socrate, dans le 8 ° Livre
de son Histoire Ecclesiastique , chap. 36.
parle au long d'un Silvain , Evêque de
Troade , qui l'avoit auparavant êté de
Philipolis mais en lisant cet Historien
avec quelque attention , il est aisé de voir
que ce n'est pas le même dont Pallade a
fait mention. Le Silvain de Socrate a été
constamment Evêque de Troade , mais il
l'a été par le choix d'Atticus, second suc
cesseur de S. Jean Chrysostome en l'Archevêché de Constantinople , temps posterieur à la vie de l'autre Sylvain , et cirH. Vol. Ev cons-
1362 MERCURE DE FRANCE
constance décisive , pour ne pas confon dre ces deux Prélats de même nom en
un seul. On pourroit s'y méprendre par ;
la ressemblance des qualitez. Celui de Pallade étoit un S. Evêque , celui de Socrate
étoit aussi un Saint et un Saint à Miracles ,témoin celui que rapporte le même
Historien Socrate , d'un gros Vaisseau
construit sur le rivage de la Mer , auprès
de Troade , et destiné à transporter des
Colomnes d'un poids immense, lequel ,
quand il fut question de le mettre en
Mer , on ne pouvoit en aucune façon.
faire remuer , et qui ne fut ébranlé , tiré
et mis à flot , qu'après que le S. Evêque ,
cedant aux instances des habitans , qui
croyoient que c'étoit un prestige , se fut
transporté sur le lieu, et eut fait des prieres , dont on vit bien-tôt l'efficacité.
C'est ce même Silvain , S. Evêque de
Troade, qui , au rapport de Métaphraste,
vit en songe Corneille le Centenier Evêque de Césarée et de ( a ) Scepsis , lequel
lui apprit l'endroit où reposoit son corps,
lui marquant tout ce qu'il devoit faire
pour sa translation , pour la construction
d'un Temple , &c. On peut voir dans
(a) Scepsis, Ville de la petite Mysie , selon Strabon , ou de la Troade , selon Etienne de By- zance.
II. Vol. l'Au-
JUI N. 1732. 1363
P'Auteur Grec les suites de ' cette vision , et
de l'obéissance de l'Evêque de Troade, les
Miracles operez à cette occasion , la conversion d'un grand nombre de Payens , à
laquelle ils donnerent lieu , &c.
Les illustres Compilateurs des Actes
des Saints , publiez à Anvers , ont observé au 2 Février , jour destiné au culte du
S. Centenier Corneille , dans leurs Notes.
sur le texte de Métaphrate , que le temps
de cet Evenement peut être à peu près fixé
par celui auquel Atticus , Archevêque de
Constantinople, qui avoit fait notre S.Silvain , Evêque de Troade , cessa de vivre :
or sa mort arriva, disent-ils , le 10 d'Octobre de l'année 425. sous le Consulat de
Théodose le Jeune et de Valentinien. Ils.
s'engagent dans les mêmes Notes à donner la vie du S. Evêque Silvain de Troade au 1 jour de Decembre , temps auquel
le Martyrologe Romain fait mémoire de
lui.
Enfin surce que Métaphraste ajoute qu'après le decès de notre Silvain , Athanase
fut nommé son successeur ; les mêmes
Historiens des Saints pensent que ce Prélat pourroit être le même qui souscrivit
à la VI Session du Concile d'Ephese , en
qualité d'Evêque de Scepse, depuis transferé au Siége de Troade, mais quelque soit
EL. Volar E VI CEL
1364 MERCURE DE FRANCE
cet Athanase , continuent- ils , il est cer
tainement mort avant la célébration du
Concile de Calcedoine , puisque les Actes
de ce Concile se trouvent souscrits par
Pionius , alors Evêque de la même Ville
de Troade.
Mais laissons à un sçavant (a) Ecrivain ,
qui fait imprimer auLouvre une Histoire entiere de l'Eglise Orientale , &c. à
laquelle il travaille depuis plusieurs années , avec une application infatigable ;
laissons- lui , dis- je , le soin de nous donner sur le Christianisme.de Troade , et sur
ses Evêques, une plus ample instruction.
je me contente d'ajoûter au peu que je
viens de dire,que dans la distribution des
Provinces Ecclesiastiques , l'Evêque de
Troade devint Suffragant du Metropoli
tain de Cyzique , dequoi on a déja rapporté une preuve; il y a tout lieu de croi
( a ) Le R. P. Michel le Quien, Dominiquain .
voyez le Projet de son Ouvrage dans le Mercure
de Mars 1731.Nous avons du même Auteur , une belle Edition des Oeuvres de S.Jean de Damas , et
dans la Préface de cette Edition , une Dissertation
dans laquelle il est démontré que les Ecrits , attriuez à S. Denys l'Areopagite , dont il est parlé cilessus , sont des Ecrits supposez, &c. fabriquez par
an Monophysite , ou Disciple de Severe d'Antiothe , ou par ce Patriarche lui-même, pour appuier ses erreurs.
II. Vol. re
JUIN. 1732. 1363
re , malgré la désolation de cette ancienne Ville , qui n'est presque aujourd'hui
qu'un amas de ruines, que son Siege Episcopal subsiste toujours , avee la même
dépendance.
L'Auteur (a ) Italien d'une Histoire
moderne des Patriarchats d'Antioche et
de Jerusalem , et d'un Abregé de celle
des Patriarchats d'Alexandrie et de Cons
tantinople , qui avoit fait lui-même le
voyage d'Orient , le témoigne ainsi , en
donnant sur la fin de son Ouvrage une
Notice tres- étendue du Patriarchat de
Constantinople. On y voir , en effet , les
Eglises de Cyzique et de Troade , parmi
celles qui composent dans ce Patriarchat
la seconde Province de l'Hellespont , divisée en 17 Diocèses ; on y trouve aussi
que Troade est aujourd'hui connue sous
le nom de Carasia , et que Cyzique n'a
point changé de nom. Baudran, dans son
Dictionaire Géographique et Historique ,
assure que. les ruines de Troade , encore
(a) SIRIA SACRA , Descrittione Istorico , Geo---
grafica , Cronologico- Topografica delle due Chiese ,
Patriarcali Antiochia , e Gerusalemme , &c. Com.
due Trattati nel fine della Patriarcali d'Alessandria , e Constantinopoli , &c. Opera dell'Abb . Biagio Terzi di Lauria , &c. 1. vol. fol. in Roma
16.95. pag. 448. avec des Cartes Géografiques.
L. Vol. visitées
1366 MERCURE DE FRANCE
visitées , dit- il , par les Curieux , portent
le nom d'Eski- Stamboul. Il les place sur
les côtes de la Natolie, à 13 lieuës des Dar
danelles , et vers l'Isle de Tenedos.
Dans la Turquie Chrétienne , &c. Ou--
vrage imprimé à Paris en 1695. 1. vol. 12.
chez Herissant.
On voit aussi un Etat des Eglises soumises au Patriarchat de Constantinople; l'Auteur n'y fait aucune mention de Troade ;
il n'a pas même nommé Cyzique parmi
les Métropoles de ce Patriarchat , ce qui
démontre le peu de recherches qu'il a faites. Il a aussi manqué d'exactitude sur
d'autres sujets qui entrent dans son Quvrage.
Au reste , Monsieur , vous sçavez que
ce beau Païs , autrefois rempli de grandes
et fameuses Villes , ne présente presqueplus aujourd'hui que des ruines. Vous
m'avez appris qu'un assez petit Bourg ,
nommé en grec vulgaire Troaki , ou petite Troye, est tout ce qui reste , pour rappeller la mémoire et la situation de la celebre Troye;et j'apprens de l'Auteur de la
Bibliotheque Orientale , que Cari- Ili , est
le nom que les Turcs donnent au Païs
dont je parle , comprenant sous ce même
nom , la Lydie , la Troade, avec une partie de la Mysie et de la Phrygie des Anciens.
II. Vol Voilà
JUIN. 1732. 1367
Voilà tout ce que j'avois à vous dire au
sujet et à l'occasion de votre curieuse
Médaille de Troade. Je vous parlerai sans
faute dans ma premiere Lettre , de la pe
tite Médaille des Dardaniens , qui ne nous.
occupera pas si long- temps. Je suis , Monsieur , &c.
AParis , le Mars 17 31.
à M. Boyer, Docteur en Médecine , de
la Faculté de Montpellier, Docteur Regent de celle de Paris , sur une Médaille
Latine de la Ville de Troade et sur une
Médaille Grecque des Dardaniens.
J
E vous avoue , Monsieur , que ce n'est
pas sans quelque espece de chagrin que
dans ma précedente Lettre j'ai été obligé
de déclarer l'erreur de pius d'un Ecrivain
moderné , qui prétendent que la Ville de
Troade soit la seconde Troye , comme
ayant été bâtie par les ordres d'AlexanII. Vol. dre
JUIN. 1732 1343
dre, des ruines de la premiere Ville qui a
porté ce fameux nom , et que c'est pour
cela même que Troade a été surnommée Alexandrine; en citant pour garants , des
Auteurs de réputation , lesquels bien examinez , n'ont jamais écrit ce qu'on leur
fait dire ; j'avoue , dis- je , que j'ai là- dessus quelque espece de regret ; car si ces
prétentions étoient aussi fondées, qu'elles
m'ont paru vaines jusqu'à present ,
CC
ne seroit pas un petit reliefpour cetre ancienne Ville , pour notre Médaille , et
un médiocre ornementà ma Dissertation:
mais vous sçavez , Monsieur , combien je
suis éloigné d'adopter des Faits brillants.
aux dépens de la vérité ; peut-être trouverons- nous assez dequoi illustrer Troade et de quoi mériter l'attention des Leçteurs sensez dans ce que j'ai à vous en
dire , sans avoir recours à des embellissemens dont la vanité peut être démontrée.
Je suis, au reste, persuadé que M.Vaillant n'a erré là-dessus que par une certaine prévention dont il étoit frappé sur le
nom d'Alexandrine , que portent quantité de Médailles de Troade ; mais ce qui
me paroît icy de singulier , c'est quele
P. Hardouin , ce grand Critique , qui n'a
point hesité d'appeller ses Ouvrages ,
Errata des Antiquaires: Errata Antiqua
II. Vol. riorum
1346 MERCURE DE FRANCE
riorum , qui a même fait un Livre exprès ,
pour reprendre M. Vaillant de ses pré
tendues fautes sur les Médailles des Colonies et des Municipes , et qui le reprend
nommément , avec beaucoup de hauteur,
au sujet d'une Médaille d'Aquilia severa ,
frappée par la Colonie de Troade ; il pa
roît , dis-je , singulier que ce Censeur , si
acharné', pour ainsi dire , contre Vaik
lant , qui le chicane le plus souvent sur
des minuties , ou sur des erreurs imagi
naires , ne se soit pas apperçu de la veritable méprise de cet Antiquaire , au sujet
de la Médaille de Troade.
Bien, loin , Monsieur , de s'en aperce
voir , je trouve le P. Hardouin •presque
dans la mêmeerreur ; car en parlant d'une
( a ) Medaille d'Antonin Pie , frappée , d
ce qu'il croit , par la même Colonie de
Troade , il dit que le nom d'Alexandrine
lui vient d'Alexandre le Grand. Alexan
dria ab Alexandro Magno. C'est cependant ce que Strabon qu'il cite , ni aucun
autre Auteur , ne nous apprennent point.
Mais ne quittons pas le P. H sans vous
donner en passant un échantillon de la
hauteur insultante avec laquelle il a traité M. Vaillant , votre illustre confrere.
(a ) Nummi Populorum et Urbium illustrati ,
&c. pag. 507.
II. Vol. Un
JUIN. 17320 1347
Un seul trait suffira ›, et ce trait vous fera
rire. Je le trouve à la page 115. de son
ANTIRRHETICUS.Vide jam , lui dit-il, quot
sibi sintex opere tuo placita tradenda,quantaque tibi sit laudifuturum , cum eos , à qui
bus hac didicisti , à nobis monitus dedocebis. N'est-il pas vrai , Monsieur , qu'un
hommequi parle avec cet air de Maître ,
doit du moins être irréprochable dans ses
Ecrits , et qu'il doit lui- même être bien
endoctriné , avant que de s'ériger en Censeur de la doctrine d'autrui ? On rempliroit cependant un volume raisonnable
des Erreurs , des Paradoxes , et des Ecarts
duP. H. revenons à notre Troade ,
nommée Alexandrine.
surJ'ai crû que je trouverois sur ce sujet
quelque lumiere dans le curieux Ouvrage
d'Etienne de Byzance ; cet Auteur m'apprend , tom. 1. pag. 61. qu'on comptoit
de son temps jusqu'à dix- huit Villes qui
portoient le nom d'Alexandrie , dont la
premiere est la fameuse Alexandrie d'Egypte; la seconde , dit-il , est la Ville de
Troye , don't Démosthène fait mention :
Bithyniacorum 42. Il met la onzième dans
l'Isle de Chypre , et il dit ensuite , selon
Pinedo son Traducteur; est et locus in Ida
Trojana, qui dicitur Alexandria , in quo
ferunt Paridem Dearum certaminajudicasse,
II. Vol. ut
1348 MERCURE DE FRANCE
ut Timosthenes. Cela s'accorde avec ce que
nous avons déja remarquéau sujet de cette Alexandrie du Mont Ida, qui n'est pas
notre Troade. L'Auteur Grec parle aussi
de cette derniere ; mais le même Traducteur a , ce me semble , fort embroüillé les
choses à cet égard par son interprétation.
Luc de Holstein , de qui nous avons une
belle Edition d'Etienne de Byzance avec
des Notes et des Corrections , a plus heureusement expliqué cet endroit. TROIAS ,
dit Pinedo, Regio Ilii qua vocabatur Teucris
et Dardania et Xante.Gentile Troadeus. Ce
qui n'est pas , selon le SçavantEditeur , let
sens de l'Auteur original , et il corrige Pinedo de la maniere qui suit : Cum deberes
vertere et Alexandria Troas. Hoc in locoTroas non accipitur de Regione , sed de ipsa Alexandria Troadis Urbe que Troas
etiam dicta fuit ut Plinius , lib.v.cap 30.
N'oublions pas icy , au sujet de ce Passage de Pline , qui est tel : Troas Antigonia dicta nunc Alexandria Colonia Romana: n'oublions pas , dis-je , de remarquer
que Goltzius rapporte dans son Tresor
une Médaille de Tite , où l'on donne à
Troade ce nom d'Antigonia. Elle est citée
dans le P. Hardouin , qui semble l'adopter comme légitime , et dans les Colonies de Vaillant , qui la regarde comme
II. Vol. .. dou-
JUIN. 1732. 1349
douteuse. On peut dire qu'elle est absolument fausse , et qu'elle a été forgée sur
le Passage de Pline.
Voilà cependant notre Troade au nom
bre des 18 Villes , qui , selon Etienne de
Byzance , ont aussi porté le nom d'Alexandrie ; ce qui est confirmé par les Medailles et par le témoignage de plusieurs
Ecrivains ; mais nous n'avons aucune autorité , comme je vous l'ai déja dit , qui
établisse , que c'est pour avoir été bâtie
des ruines de Troye , par les ordres d'Alexandre , ainsi que l'ont écrit quelques
Modernes. Il se peut faire , au reste, que
quelque Evenement considérable • que
nous ignorons , ait donné lieu à la dénomination dont il s'agit icy. Toutes les *
grandes actions du Conquerant de l'Asie
ne sont pas connuës , comme l'a particu
lierement remarqué l'un de ses Historiens : Ita estfactum , dit Arrien , Liv. 1 .
ut nobis minus nota sint Alexandri Rex
magna et præclara , quam multorum veterum
infima exiguaque.
M. Vaillant , au reste , propose une autre origine du nom d'Alexandrie , donné
à la Ville de Troade. Il remarque d'abord,
au sujet d'une Medaille de Fulia Domna,
Epouse de Septime Severe, frappée à
Troade; qu'avant ce tems-là la Ville dont
II. Vol. nous
1350 MERCURE DE FRANCE
nous parlons ne prit point le nom d'Aleandrie: Urbs non se Alexandriam Troadem nuncupavit , licet , ajoute-t- il , Troas
et Alexandria eadem sit apud veteres Historicos ut videre est apud Strabonem , lib. 2.
ce qui semble se contredire. Troade,poursuit M. Vaillant , devant son nom d'Alexandrie au Grand Alexandre , affecta de
marquer particulierement ce nom ' sur les
Medailles qu'elle frappoit sous l'Empire
de ( a ) Caracalla , pour flatter un Prince
qui , au rapport de Dion, liv. 78. se donnoit pour un autre Alexandre , sese Alexandrum Orientalem Augustum appellavit,
dit cet Historien.
M. Vaillant repete à peu près la même
chose en parlant d'une autre Medaille de
Troade , frappée en l'honneur d'Alexandre Severe , fils de Caracalla. Alexandria
appellationem habet,dit-il, vel ab Alexandro
M.àquo exTroja ruderibus extructa est Strabone Q Curtio testibus , vel ab Alexandro-Severo , quod maximum illius esset , ut
Caracalla Patris studium , ut tradit Lampridius ; sans compter , ajoute notre Antiquaire , que cet Empereur visita en personne la Ville de Troade, en allant en Sy.
.
(a) Aurelia et Antoniana , in Caracalla gratiam vocata , dit ailleurs le même M. Vaillant, en
parlant de Troade.
11.Vol.
tie ,
JUIN. 1732. 135r
tie ; il avoit dit la même chose à l'égard
de Trajan ; ce qui est avancé gratuitement .
et sans aucune authorité.
Il est vrai cependant qu'avant le Regne de Sept. Severe on ne voit point le
nom d'Alexandrie,ajouté à celui de Troade,dans les Médailles de cette Ville, ce qui
semble donner quelque vrai- semblance à
la conjecture de M. Vaillant ; mais il faut
convenir aussi que cette conjecture est affoiblie par les témoignages des Histeriens
qu'il rapporte lui - même , selon lesquels
Troade portoit le nom d'Alexandrie dès
le temps de la République Romaine.Je ne
produirai icy que celui de Tite-Live, omis
par Vaillant.
Ce celebre Historien en parlant de la
guerre que les Romains eurent à soutenir
contre le Roy Antiochus , sous le Consulat de L. Quintius et de Cn. Domitius,
dit que trois Villes occupoient principalement les forces de ce Prince , sçavoir
(a)Smyrne, Alexandrie-Troade et Lampsa-
(a ) Smyrne.et Troade n'étoient pas fort éloignées l'une de l'autre , et il y avoit une alliance ,
une union particuliere entre les deux Villes ; ce
qui est prouvépar une Medaille de Marc - Aurele ;
sur le revers de laquelle en lit : ΤΡΟΑΔΕΩΝ C
ΜΥΡΝΑΙΩΝ ΟΜΟΝΟΙΑ , rapportée par le Pere
Hardouin.
11. Vole ques
Y352 MERCURE DE FRANCE
ques , dont il n'avoit pû venir à bout
jusqu'alors par la force , ni par aucun
Traité , ne voulant pas d'ailleurs , en passant en Europe , laisser ces Places derriere lui , Tres eum civitates tenebant , Smyrna
et Alexandria- Troas , et Lampsacus ; quas
neque vi expugnare ad eam diem poterat,
neque conditionibus in amicitiam perlicere;
neque કે tergo relinquere trajiciens ipse in
Europam volebat , Lib. xxxv. cap. XLII.
Ce qui paroît décisif pour l'ancienneté du
nom d'Alexandrie , joint à celui de la
Ville de Troade ; cela doit aussi nous déterminer à tirer cette dénomination d'Alexandre le Grand , comme Fondateur
ou comme Restaurateur dela Ville dont
il s'agit icy , sans qu'on soit obligé pour
cela de croire et de prouver que Troade
ait été bâtie des ruines de Troye.
,
Nous n'avons en effet aucune autorité pour le prétendre. Une seule Ville du
Pays de Troade a pû se vanter de cette
distinction;c'est Sigée, bâtie certainement
des ruines de Troye , par les habitans de
Metelin , ville de l'Isle de Lesbos. J'aurai dans quelque temps occasion de vous
prouverce fait , en vous faisant part d'un
Monument des plus singuliers de l'Antiquité Grecque , trouvé dans le siecle
passé , au voisinage de Sigée , et publié
II. Vol.
par
JUIN. 17320 1353
par un sçavant Anglois en l'année 1721.
Son Ouvrage ne m'a été apporté d'Angleterre que depuis quelques mois ; ce
que j'ai à vous en dire peut encore jetter
de la clarté sur la matiere que nous traitons icy.
Je vous ai dit , Monsieur , dans ma premiere Lettre, que la Ville de Troade étoit
Colonie Romaine dès le temps d'Auguste. Pour le prouver , je n'ai presque besoin
que du titre d'Auguste qu'elle porte sur
notre Medaille. Les Antiquaires tiennent
communément que les Colonies nommées Julia, dénotent qu'elles ont été fondées par Jules- Cesar ; et Augusta , par
I'Empereur Auguste. Je sçai que Gens difficiles pourroient contester cette regle en
certain cas ; mais enfin , c'est- là un de ces
Principes generalement avoüez , et contre lesquels on n'est presque pas reçu à
disputer. Dans ce cas particulier on auroit encore moins de raison , parce qu'on
voit que la Ville de Troade étoit Colonie
Romaine , non seulement du temps de
Pline , mais même du temps de Strabon
qui a vécu sous Tibere , et même sous
Auguste. Ainsi il est presque démontré
qu'Auguste a été le Fondateur de cette
Colonie.
Il n'est guere moins certain qu'elle fut
II. Vol. E dans
1354 MERCURE DE FRANCE
dans une singuliere recommandation auprès des Empereurs. On y envoyoit les
Soldats veterans , choisis parmi les Légions qui avoient bien servi , pour s'y reposer comme dans un séjour agréable , et
dans un Païs abondant ; c'est ce que désigne particulierement l'Enseigne Militaire , qui paroît sur notre Medaille de
Troade.
par
Quelques- uns de ces Empereurs l'orne:
rent et lui accorderent des Privileges.
Adrien , sur tout , y fit faire (a) des Bains
magnifiques et des Aqueducs, comme on
le lit dans la vie d'Herode le Sophiste
écrite Philostrate. La Ville, en reconnoissance , fit frapper une Medaille où
l'on voit d'un côté la tête de cet Empereur , et sur le revers, le Type de Troade
tel qu'on le voit sur la face de la nôtre ,
avec ces mots : COL. TROAD. Elle étendit
même la reconnoissance de ce bienfait
jusqu'à la personne d'Antonin Pie , fils
adoptif d'Adrien , et jusqu'à Marc- Aurele, en faisant aussi frapper des Medailles
pour ces deux Empereurs.
•
(a ) On voit par un Passage de Pline , livre
XXXI. ch. VI. qu'avant ce temps-là il y avoit à
Troade des Bains d'Eau chaude , que P. Belon
liv. 2. ch. 6. de ses Observ. a confondus avec ceux
de Larissa , dans le même Païs ; quoique bien distinguez dans Pline , qu'il cite.
1
11. Vol A
JUIN. 17320 1355
-
A l'égard des Privileges et des immunitez accordez à Troade , quelques Me
dailles frappées par la même Ville , les
prouvent ; entr'autres celles de SeptimeSevere , et de Julia Domna sa Femme s
au revers de laquelle on voit pour Symbole , un Cheval qui paît en liberté. M. Vaillant remarque , en rapportant ces
deux Medailles , que l'Empereur Claude
avoit rendu la Colonie de Troade exempte de toutes sortes de charges , ajoutant
qu'entre les autres Colonies , fondées par
Auguste, celle- ci avoit été particulierement
avantagée duDroit dont jouissoient lesVilles d'Italic:Juris Italici pronunciata est. Dequoi deux Auteurs ont fait une mention
expresses sçavoir , Caïus ( a ) sur les Loix
Julia et Papia, lib. 6. et Paulus , lib. 2. des Cens. Ce dernier ajoute que Troade étoit
du Proconsulat d'Asie . In Provincia Asia
Dua sunt Juris Italici Troas et Purinus .
M. Vaillant observe à propos , à l'oc
casion d'une Medaille frappée à Troade ,
pour Philippe le Peres que toutes les Colonies n'avoient pas ce beau Droit dont
nous venons de parler , qui distinguoit si
fort une Ville d'une autre; mais je ne sçai
s'il faut s'en tenir à son explication du
MOV.
(a ) Juris Italici sunt , rpwas Bupytos , AuppoH. Vol E ij revers
5 MERCURE DE FRANCE
revers de la même Medaille. On y voit
une Aigle qui tient dans ses Serres , en
volant la Tête d'un Bœuf. Cela , dit-il
dénote l'origine et l'antiquité de cette
Villes car quand il fut question de la
fonder , on sacrifia un Bœuf , dont un
Aigle emporta la tête, ce qui fut pris
pour un ordre du Ciel et servit d'Augure pour déterminer le lieu où elle devoit
être bâtie. Elle le fut à l'endroit même
où l'Aigle transporta cette tête. L'antiquité payenne et fabuleuse a pû debiter
cela au sujet de la fondation de Troade
comme vous sçavez , Monsieur , qu'elle
on a usé à l'égard de Rome , et à l'égard
des plus anciennes Villes ; mais la chose
ne peut guere passer que pour une conjectite , aussi , M. Vaillant ne nous cite làdessus aucune autorité.
Passons- lui donc la conjecture ; mais je
le crois dans ( a) l'erreur, quand dans l'explication de deux Medailles de la Colonie
de Troade, frappées, l'une pour Elagabale,et l'autre pour Volusien, notre Sçavant
:
(a ) M. Vaillant se trompe encore quand an
sujet d'une Medaille de Geta , frappée à Troade ,
qu'il appelle Insignem Urbem Veterum Hefoum. Il cite Dyonisius Afer pour premier Auteur
de cette Expression , cet Ecrivain n'ayant point
parlé deTroale dans son Poëme , Desitu Orbis.
14. Vol.
Me-
JUIN. 1732. 1357
Medecin confond Troade avec Ilium, attribuant à la premiere ce qui certainement
regarde la seconde de ces deux Villes, qui
sont cependant tres- distinctes'; sur quoi
les citations mêmes qu'il allegue sont
contre lui , en particulier celle du Digeste , où il s'agit visiblement des Privi
leges d'Ilium et non pas de Troade. Com
cessum est ut qui Matre Iliensi natus est ,
sit eorum Municeps , lib. 5. tom. 1
dont le
Ce qu'il y a icy de singulier , c'est que
M. Vaillant a reconnu parfaitement lui
même, tom. I. la distinction de ces deuxVilles, en expliquant une Medaille d'Alexandre-Severe , frappée à Troade. Troas
et Ilium , dit- il , dua sunt Urbes , post Tro
jam antiquam dirutam seorsim condite, quod
nummi confirmant , &c. Ce que notre An
tiquaire prouve par l'autorité de Polybe,.
liv. 5. décisif est rappor passage
té, ajoutant , par surcroit de lumiere sur
ce sujet , la distinction que voicy : Troadenses cum Romani sint Coloni , latinè nummos scribunt, Ilienses verò Epigraphem Gracam : IAIEON praferunt. Il pouvoit prouver encore cette distinction par l'Itineraire d'Antonin , par les Tables de Peutinger , et enfin par les Souscriptions des
Evêques des deux Villes , qui ont assisté
aux Conciles , &c.
. II. Vol E iij Re-
1358 MERCURE DE FRANCE
Remarquons , en passant , à cette occasion , une faute toute differente qu'a faite
Casaubon , Traducteur latin de Strabon
à l'égard de notre Alexandrie-Troade dont
il fait deux Villes ; au lieu que, comme je ·
l'ai observé dans ma premiere Lettre , ce
n'en est qu'une, suivant la force du Grec,
Αλεξανδρείαν τω τριαδα , qu'il faut traduire , et Alexandria que est Troas, et non
pas comme ont fait Casaubon et d'autres,
et Alexandria , ac Troas. Pinedo dans son
Commentaire sur Etienne de Byzance ,
a relevé cette méprise au mot Troïas, et
après lui Spanheim et Vaillant.
Mais c'est assez parlé de Troade Payenne, Grecque et Romaine ; disons un mot,
en finissant ma Lettre de Troade Chré
tienne , devenuë telle , selon toute apparence , par le bonheur qu'elle a eu de recevoir si souvent dans son sein l'Apôtre
S. Paul , ainsi qu'il est rapporté dans plus
d'un endroit des Actes des Apôtres. C'est
à Troade que ce grand Apôtre eût la vision du Macedonien , qui le pria de pas
ser dans la Macedoine, et de venir au secours de ses Compatriotes , ch . 16. Grotius dans son Commentaire sur ce chapitre , a pris la Ville de Troade pour la Region de même nom. Nous avons vû qu'il
n'est pas le premier qui s'est trompé là- II. Vel. des-
JUIN. 1732. 7359
dessus ; il commence à s'en appercevoir
au chapitre 20.
On lit dans le même chap. 16. qu'en
conséquence de sa vision,S. Paul s'embarqua àTroade même , d'où étant venu
droit à Samothrace et à Neapolis , il arriva à Philippes : Et inde Philippos, que est
primapartis Macedonia Civitas COLONIA.
Je ne sçai , Monsieur , si ces dernieres
paroles ne peuvent pas donner lieu à une
Remarque. Le Saint Ecrivain n'oublie pas d'observer que la Ville de Philippes, dont
il parle pour la premiere fois , étoit une
Colonie; il ne dit rien de pareil de Troade , nommée plusieurs fois dans son Itineraire , où S. Paul séjourna une fois sept
jours entiers; et où la veille de son départ , il fit le miracle éclatant de ressusciter le jeune Homme tombé d'une fenê
tre,&c. Ch. 20. Peut - être Troade n'étoitelle pas alors honorée de ce Titre , ce qui
détruiroit le sentiment des meilleurs Antiquaires , qui veulent , comme nous l'avons vu plus haut , que le Titre d'Au
gusta , marqué sur les Medailles de cette
Ville , dénote qu'elle a reçu cette qualité
dès le temps d'Auguste.
Quoiqu'il en soit , Troade éclairée des
lumieres de la Foy , par le Docteur des
Nations , ou par ses Disciples , a dû avoir
II. Vol. E iiij des
1360 MERCURE DE FRANCE
des Pasteurs dès les premiers temps du
Christianisme. On reconnoîtroit volop-.
tiers le premier de tous en la personne de
Carpus , chez qui S. Paul logeoit dans cette Ville , et dont il ( a ) parle particulierement dans sa II. Epître à Timoth.ch.2.
Si on pouvoit faire quelque fond sur ce
qu'on lit de Carpus, dans la Lettre à Démophile, la vini de celles qui portent le
nom de S. Denis l'Areopagite ; mais il y a
long - temps que les meilleurs Critiques.
ont reconnu pour supposez tous les Ou
vrages cy - devant attribuez à ce S. Athénien; ce qui n'a pas empêché que l'Auteur
d'une compilation de Vies des Saints , intitulée : Fasti Mariani , et publiée à Anvers en l'année 1633. n'ait fait de ce Disciple de S.Paul un veritable Evêque, dontil marque la Fête au 26 May, en citant:
à la fin Denis l'Areopagite, pour garant de
ce qu'il a trouvé à propos d'en rapporter.
Pour moi , Monsieur , je ne connois
point d'Evêque de Troade avant Marin
qui assista au Concile de Nicée avec Théonas de Cyzique , son Métropolitain, com
me on le voit par les Actes de ce fameux
Concile , recueillis par Gelase, un des suc-
(a ) Penulam quam reliqui Troade apud Carpum veniens affer tecum et libros , maximè autem membranas. verf. 13 .
•
II.Vol.
cesseurs
JUIN. 1732. 1361
cesseurs de Théonas , et rapportez dans
les Editions des Conciles du P. Labbe et
du P. Hardoüin.
J'ai crû pendant quelque temps qu'un
S. Evêque , nommé Silvain , dont parle
Pallade dans la vie de S. Jean Chrysostome , et qui fut envelopé dans la disgrace
du S. Archevêque de Constantinople, avoit
été Evêque de Troade ; mais on ne peut,
ce me semble , recueillir des paroles de
Pallade autre chose, au sujet de ce Prélat ,
si ce n'est qu'il fût réduit à ce point d'in
digence que d'être obligé de gagner sa vie
à pêcher du Poisson à Troade , où il s'étoit vrai semblablement réfugié.Silvanus,
sanctus Episcopus Troade piscatur et piscatu vivit , selon la version de Bigot.
Il est vrai que Socrate, dans le 8 ° Livre
de son Histoire Ecclesiastique , chap. 36.
parle au long d'un Silvain , Evêque de
Troade , qui l'avoit auparavant êté de
Philipolis mais en lisant cet Historien
avec quelque attention , il est aisé de voir
que ce n'est pas le même dont Pallade a
fait mention. Le Silvain de Socrate a été
constamment Evêque de Troade , mais il
l'a été par le choix d'Atticus, second suc
cesseur de S. Jean Chrysostome en l'Archevêché de Constantinople , temps posterieur à la vie de l'autre Sylvain , et cirH. Vol. Ev cons-
1362 MERCURE DE FRANCE
constance décisive , pour ne pas confon dre ces deux Prélats de même nom en
un seul. On pourroit s'y méprendre par ;
la ressemblance des qualitez. Celui de Pallade étoit un S. Evêque , celui de Socrate
étoit aussi un Saint et un Saint à Miracles ,témoin celui que rapporte le même
Historien Socrate , d'un gros Vaisseau
construit sur le rivage de la Mer , auprès
de Troade , et destiné à transporter des
Colomnes d'un poids immense, lequel ,
quand il fut question de le mettre en
Mer , on ne pouvoit en aucune façon.
faire remuer , et qui ne fut ébranlé , tiré
et mis à flot , qu'après que le S. Evêque ,
cedant aux instances des habitans , qui
croyoient que c'étoit un prestige , se fut
transporté sur le lieu, et eut fait des prieres , dont on vit bien-tôt l'efficacité.
C'est ce même Silvain , S. Evêque de
Troade, qui , au rapport de Métaphraste,
vit en songe Corneille le Centenier Evêque de Césarée et de ( a ) Scepsis , lequel
lui apprit l'endroit où reposoit son corps,
lui marquant tout ce qu'il devoit faire
pour sa translation , pour la construction
d'un Temple , &c. On peut voir dans
(a) Scepsis, Ville de la petite Mysie , selon Strabon , ou de la Troade , selon Etienne de By- zance.
II. Vol. l'Au-
JUI N. 1732. 1363
P'Auteur Grec les suites de ' cette vision , et
de l'obéissance de l'Evêque de Troade, les
Miracles operez à cette occasion , la conversion d'un grand nombre de Payens , à
laquelle ils donnerent lieu , &c.
Les illustres Compilateurs des Actes
des Saints , publiez à Anvers , ont observé au 2 Février , jour destiné au culte du
S. Centenier Corneille , dans leurs Notes.
sur le texte de Métaphrate , que le temps
de cet Evenement peut être à peu près fixé
par celui auquel Atticus , Archevêque de
Constantinople, qui avoit fait notre S.Silvain , Evêque de Troade , cessa de vivre :
or sa mort arriva, disent-ils , le 10 d'Octobre de l'année 425. sous le Consulat de
Théodose le Jeune et de Valentinien. Ils.
s'engagent dans les mêmes Notes à donner la vie du S. Evêque Silvain de Troade au 1 jour de Decembre , temps auquel
le Martyrologe Romain fait mémoire de
lui.
Enfin surce que Métaphraste ajoute qu'après le decès de notre Silvain , Athanase
fut nommé son successeur ; les mêmes
Historiens des Saints pensent que ce Prélat pourroit être le même qui souscrivit
à la VI Session du Concile d'Ephese , en
qualité d'Evêque de Scepse, depuis transferé au Siége de Troade, mais quelque soit
EL. Volar E VI CEL
1364 MERCURE DE FRANCE
cet Athanase , continuent- ils , il est cer
tainement mort avant la célébration du
Concile de Calcedoine , puisque les Actes
de ce Concile se trouvent souscrits par
Pionius , alors Evêque de la même Ville
de Troade.
Mais laissons à un sçavant (a) Ecrivain ,
qui fait imprimer auLouvre une Histoire entiere de l'Eglise Orientale , &c. à
laquelle il travaille depuis plusieurs années , avec une application infatigable ;
laissons- lui , dis- je , le soin de nous donner sur le Christianisme.de Troade , et sur
ses Evêques, une plus ample instruction.
je me contente d'ajoûter au peu que je
viens de dire,que dans la distribution des
Provinces Ecclesiastiques , l'Evêque de
Troade devint Suffragant du Metropoli
tain de Cyzique , dequoi on a déja rapporté une preuve; il y a tout lieu de croi
( a ) Le R. P. Michel le Quien, Dominiquain .
voyez le Projet de son Ouvrage dans le Mercure
de Mars 1731.Nous avons du même Auteur , une belle Edition des Oeuvres de S.Jean de Damas , et
dans la Préface de cette Edition , une Dissertation
dans laquelle il est démontré que les Ecrits , attriuez à S. Denys l'Areopagite , dont il est parlé cilessus , sont des Ecrits supposez, &c. fabriquez par
an Monophysite , ou Disciple de Severe d'Antiothe , ou par ce Patriarche lui-même, pour appuier ses erreurs.
II. Vol. re
JUIN. 1732. 1363
re , malgré la désolation de cette ancienne Ville , qui n'est presque aujourd'hui
qu'un amas de ruines, que son Siege Episcopal subsiste toujours , avee la même
dépendance.
L'Auteur (a ) Italien d'une Histoire
moderne des Patriarchats d'Antioche et
de Jerusalem , et d'un Abregé de celle
des Patriarchats d'Alexandrie et de Cons
tantinople , qui avoit fait lui-même le
voyage d'Orient , le témoigne ainsi , en
donnant sur la fin de son Ouvrage une
Notice tres- étendue du Patriarchat de
Constantinople. On y voir , en effet , les
Eglises de Cyzique et de Troade , parmi
celles qui composent dans ce Patriarchat
la seconde Province de l'Hellespont , divisée en 17 Diocèses ; on y trouve aussi
que Troade est aujourd'hui connue sous
le nom de Carasia , et que Cyzique n'a
point changé de nom. Baudran, dans son
Dictionaire Géographique et Historique ,
assure que. les ruines de Troade , encore
(a) SIRIA SACRA , Descrittione Istorico , Geo---
grafica , Cronologico- Topografica delle due Chiese ,
Patriarcali Antiochia , e Gerusalemme , &c. Com.
due Trattati nel fine della Patriarcali d'Alessandria , e Constantinopoli , &c. Opera dell'Abb . Biagio Terzi di Lauria , &c. 1. vol. fol. in Roma
16.95. pag. 448. avec des Cartes Géografiques.
L. Vol. visitées
1366 MERCURE DE FRANCE
visitées , dit- il , par les Curieux , portent
le nom d'Eski- Stamboul. Il les place sur
les côtes de la Natolie, à 13 lieuës des Dar
danelles , et vers l'Isle de Tenedos.
Dans la Turquie Chrétienne , &c. Ou--
vrage imprimé à Paris en 1695. 1. vol. 12.
chez Herissant.
On voit aussi un Etat des Eglises soumises au Patriarchat de Constantinople; l'Auteur n'y fait aucune mention de Troade ;
il n'a pas même nommé Cyzique parmi
les Métropoles de ce Patriarchat , ce qui
démontre le peu de recherches qu'il a faites. Il a aussi manqué d'exactitude sur
d'autres sujets qui entrent dans son Quvrage.
Au reste , Monsieur , vous sçavez que
ce beau Païs , autrefois rempli de grandes
et fameuses Villes , ne présente presqueplus aujourd'hui que des ruines. Vous
m'avez appris qu'un assez petit Bourg ,
nommé en grec vulgaire Troaki , ou petite Troye, est tout ce qui reste , pour rappeller la mémoire et la situation de la celebre Troye;et j'apprens de l'Auteur de la
Bibliotheque Orientale , que Cari- Ili , est
le nom que les Turcs donnent au Païs
dont je parle , comprenant sous ce même
nom , la Lydie , la Troade, avec une partie de la Mysie et de la Phrygie des Anciens.
II. Vol Voilà
JUIN. 1732. 1367
Voilà tout ce que j'avois à vous dire au
sujet et à l'occasion de votre curieuse
Médaille de Troade. Je vous parlerai sans
faute dans ma premiere Lettre , de la pe
tite Médaille des Dardaniens , qui ne nous.
occupera pas si long- temps. Je suis , Monsieur , &c.
AParis , le Mars 17 31.
Fermer
Résumé : SECONDE LETTRE de M. de L. R. à M. Boyer, Docteur Médecine, de la Faculté de Montpellier, Docteur Regent de celle de Paris, sur une Médaille Latine de la Ville de Troade; et sur une Médaille Grecque des Dardaniens.
Dans sa seconde lettre à M. Boyer, M. de L. R. exprime son regret d'avoir dû corriger une erreur répandue selon laquelle la ville de Troade serait la seconde Troie, bâtie par Alexandre sur les ruines de la première. Il souligne son attachement à la vérité et son refus d'adopter des faits brillants au détriment de l'exactitude historique. Il mentionne que M. Vaillant et le Père Hardouin ont tous deux commis des erreurs concernant les médailles de Troade, notamment en ce qui concerne l'origine du nom 'Alexandrine'. Étienne de Byzance et Pline sont cités pour clarifier que plusieurs villes portaient le nom d'Alexandrie, dont Troade, mais sans lien direct avec Alexandre le Grand. M. Vaillant propose que le nom 'Alexandrine' pourrait avoir été adopté pour flatter des empereurs se revendiquant de l'héritage d'Alexandre. La lettre discute également de l'ancienneté du nom 'Alexandrie' associé à Troade, mentionné par Tite-Live et d'autres historiens. Enfin, M. de L. R. confirme que Troade était une colonie romaine dès le temps d'Auguste et qu'elle bénéficiait de privilèges impériaux, notamment sous Adrien. Le texte traite des privilèges et immunités accordés à Troade, une ville antique, et des preuves de ces privilèges à travers des médailles frappées par la ville. Parmi ces médailles, celles de Septime Sévère et de Julia Domna montrent un cheval en liberté, symbole de la liberté accordée à Troade. L'empereur Claude avait rendu la colonie de Troade exemptée de charges et lui avait accordé le droit de juris italici, un privilège particulier parmi les colonies fondées par Auguste. Ce droit est mentionné par les auteurs Caïus et Paulus. Le texte mentionne également une médaille frappée pour Philippe le Père, soulignant que toutes les colonies n'avaient pas ce droit distinctif. Une autre médaille, frappée pour Elagabal et Volusien, est discutée, ainsi qu'une erreur de M. Vaillant concernant une médaille de Geta, où il confond Troade avec Ilium. L'antiquité de Troade est illustrée par une légende impliquant un aigle et une tête de bœuf, bien que cette histoire soit considérée comme une conjecture. Le texte corrige également des erreurs historiques, comme celle de Casaubon qui confond Alexandrie-Troade en deux villes. Enfin, le texte aborde Troade chrétienne, soulignant l'importance de la ville pour l'apôtre Paul, qui y eut une vision et y ressuscita un jeune homme. La ville eut plusieurs évêques, dont Carpus, mentionné par Paul, et Silvain, connu pour ses miracles. Le siège épiscopal de Troade subsiste toujours, dépendant du métropolite de Cyzique. Le texte traite de la fin d'un ouvrage qui inclut une notice étendue sur le Patriarchat de Constantinople. Il mentionne les Églises de Cyzique et de Troade, situées dans la seconde Province de l'Hellespont, divisée en 17 diocèses. Troade est aujourd'hui connue sous le nom de Carasia, tandis que Cyzique a conservé son nom. Baudran, dans son Dictionnaire Géographique et Historique, indique que les ruines de Troade, encore visitées, portent le nom d'Eski-Stamboul et se trouvent sur les côtes de l'Anatolie, à 13 lieues des Dardanelles, près de l'île de Tenedos. L'ouvrage 'Turquie Chrétienne' mentionne un état des Églises soumises au Patriarchat de Constantinople, mais ne fait aucune référence à Troade et ne nomme pas Cyzique parmi les métropoles, ce qui montre un manque de recherches. La région, autrefois remplie de grandes villes, ne présente plus aujourd'hui que des ruines. Un petit bourg nommé Troaki ou petite Troye rappelle la mémoire de la célèbre Troie. Les Turcs désignent cette région sous le nom de Cari-Ili, incluant la Lydie, la Troade, ainsi qu'une partie de la Mysie et de la Phrygie des Anciens.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer