De WARSOVIE , le 9 Mai 1764.
Depuis huit jours , tous les Seigneurs qui devoient
fe rendre dans cette Capitale pour la Diéte
de convocation y font arrivés fucceffivement
chacun avec les troupes particulières . Ce mêlange
de troupes fous deux ou trois cens uniformes
divers traçoit affez bien le temps des Croifades
, où les différens partis n'étoient diftingués
que par leurs différentes bannières. Les troupes
Ruffes font entrées en même temps dans la Ville :
& cette grande affluence a tenu les proviſions
trè-chères & très- rares.
Le Grand- Général Comte Branicki ayant raffemblé
fous fes ordres une partie de l'Armée de la
Couronne , formant environ quatre mille hom
mes , le Primat lui a envoyé une Députation pour
lui demander les motifs de cette démarche. Le
Comte Branicki a répondu qu'il étoit comptable
de fes actions & de l'ufage qu'il faifoit de fon
autorité en qualité de Grand- Général , non au
Primat , mais à la Républque entière affem
blée ; que cependant fi ce Prélat vouloit convo
quer le Sénat , alors il rendroit compte de fa
H v
18 MERCURE DE FRANCE .
Conduite ; il a ajouté que fi l'on avoit eu foin
d'envoyer de femblables Députations à l'Ambaffadeur
de Ruffie à mesure qu'il entroit dans le
Royaume des troupes Ruffes , & qu'elles approchoient
de la Capitale , les troupes étrangères fe
feroient peut- être déjà retirées.
Enfin , on a voulu procéder le 7 à l'ouverture
de la Diete : les Nonces fe font affemblés felon
l'ufage ; mais la Salle s'étant trouvée en partie occupée
par des gens de guerre,& beaucoup de Ruffes.
s'étant même placés dans les Tribunes qui font
au- deffus des bancs deftinés aux Nonces , l'affemblée
n'a pas tardé à devenir tumultueufe. On a
voulu d'abord procéder à l'élection du Maréchal
de la Diete , mais plufieurs perfonnes ayant repréfenté
qu'il convenoit préalablement d'en faire
exercer l'emploi par le Maréchal de la dernière
Diete , on eft allé chercher le vieux Comte Malakouski
qui , après s'être fait long - temps.
attendre , eft arrivé dans la Chambre , a pris poffeffion
du bâton de Maréchal , & au lieu de le
lever pour donner la voix aux premiers Nonces
qui devoient parler , a déclaré qu'il ne le feroit
qu'après que les troupes étrangères feroient forties
, & que la Diete auroit toute fa liberté. Le
Général Mokranowski , Nonce de Cracovie , s'eft.
levé & a appuyé la propofition du Maréchal par
un Difcours très -vigoureux . Mais dans le moment
même on a vu tirer les fabres & les épées dans
tous les coins de la Chambre , & l'Orateur a été
obligé de fe mettre en défenſe pour garantir fa
vie . Le Prince Adam Czartoriski & quelques autres
Nobles de fon parti fe font jettés précipitamment.
au-devant du Général Mokranowski pour le garantir
des coups qu'on vouloit lui porter , & leurs
efforts ont arrêté à deux repriſes différentes la
JUILLET. 1764. • 179
fureur des féditieux qui du haur des Tribunes
tâchoient de percer ce Général , & dont plufieurs
même fembloient vouloir fe précipiter fur lui.
Le Général Mokranowski , tranquille au milieu
de ce danger , remit fon épée dans le fourreau , &
fe préfentant , les bras croifés , à ceux qui le menaçoient
, leur dit : s'il vous faut une victime , me
voilà ; mais au moins je mourrai libre , ainfi que
j'ai vécu. Le parti des Czartoriski ayant enfin rétabli
le calme dans la Chambre , le Maréchal dé
clara que puifqu'il étoit impoffible de procéder
fuivant les régles , il fe retiroit & emportoit avec
lui le Bâton dont on l'avoit revêtu . On a voulu
en vain s'opposer à cette réfolution , il eſt reſtá
inébranlable , s'eft fait jour à travers la foule
malgré la garde même qui s'étoit emparée de la
porte de la Salle. Sa retraite a rompu la Diete
avant qu'elle pût avoir fon activité . Cependant
plufieurs Nonces étant reftés dans la Salle ont
procédé à l'élection d'un Maréchal , & leur choix
eft tombé fur le Prince Adam Czartoriski.
Les chofes étant paryenues à ce point de dé
fordre , & la Nation fe trouvant divifée en deux
partis , celui du Grand Général eft forti de la
Ville , & ce Seigneur , fuivi de l'armée de la Couronne
, du Prince Radziwill , Palatin de Wilna ,
& de plufieurs autres principaux Polonois avec
toutes leurs troupes , fe font retirés à Piacezno
Village fitué à trois milles de cette Capitale. On
eft très- inquiet des fuites que cette fciffion net
fçauroit manquer d'avoir , & l'on voit avec peine
fe réalifer les troubles qu'on n'a que trop prévus
depuis quelque temps:
Du 24.
On apprend qu'un nouveau corps de dix mille
H⋅vj.
180 MERCURE DE FRANCE.
1
Rulles eft entré en Lithuanie, & l'on affure en me
me temps qu'un autre de douze mille a paru du
côté de Kiow.