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1
p. 1555-1559
LETTRE écrite à M*** sur la Riviere de Garonne, & sur les mots de Gironde & d'Acheron.
Début :
La question que vous me proposez, Monsieur, d'où vient que la Garonne [...]
Mots clefs :
Garonne, Gironde, Achéron
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texteReconnaissance textuelle : LETTRE écrite à M*** sur la Riviere de Garonne, & sur les mots de Gironde & d'Acheron.
LETTRE écrite à M *** fur la
Riviere de Garonne , & fur les mots de
Gironde d'Acheron.
A queftion que vous me propofez ,
Monfieur , d'où vient que la Garonne
recevant la Dordogne au Bec- d'Amber
perd fon nom & s'appelle Gironde , a été
propofée plus d'une fois , & n'a jamais bien
été éclaircie. Voici ce que je penfe.
Gironde ne feroit- il point compofé de
deux termes , Girus unde , le tournoyement
de l'eau ? Car c'eſt - là que l'eau tourne
autour de l'Ifle des Phaifans , autrement
de Cafaux . Ou bien feroit-ce parce
que la Garonne recevant là les eaux de
la Dordogne , elle les porte dans la Mer ?
Gerunda , quafi gerins undas.
Voici une autre conjecture; c'eft que la
Dordogne entrant dans la Garonne ,
y perd fon nom . La jonction de ces deux
Rivieres eft une efpece de mariage ; &
comme la femme n'eft plus connue fous
Diiij fon
1356 MERCURE DE FRANCE
W
fon nom , & n'a que celui de fon mari ;
de même dans le confluant de ces deux
Rivieres , celle qui eft la moindre , perd
fon nom & n'a plus que celui de la Riviere
principale à laquelle elle eft jointe .
Ainfi la Marne entrant dans la Seine , elle
y perd fon nom , il n'y a plus que celui
de la Seine qui demeure. Mais on dira ,
Gironde n'eft pas Garonne . Il eft vrai que
cela ne paroît pas , mais dans le fond la
choſe peut être . Il y même une Ville de
Catalogne qui fe nomme également Gironde
& Gironne , parce que d & n ont
de l'affinité . Mettez une ligne droite en
haut furn , c'est un d ; ôtez cette ligne,
c'eft une n. Donat dit fur un Vers de Terence
, dans le Phormion , Act. 2. Non
rete accipitri tenditur. Legitur. & tennitur ;
habet enim n littera cum d communionem.
Ainfi Gironde & Garonne n'eft qu'un même
nom pour la Riviere comme pour la
Ville. Mais on dira encore , Gironne n'eſt
pas Garonne : c'est ce qu'il faut voir.
Il n'y a plus de difference que de ga a
gi , & voici par où concilier tout : ga eft
du Grec & du Latin . On trouve dans Strabon
Garonna , & dans les Commentaires
de Cefar , Garumna ; mais ga s'adoucit ici
dans le François avec gi ; Garonne , Gironne
. Le fçavant Faul Merula , qui mourut
au commencement du dernier fiecle,
dit
JUILLET. 1730. 1357
dit dans fa Colmographie , Part. 2. Liv
3. que les François changent le ga en gi :
Galli fillabam ga primam in vocibus mutant
in gi : Gabalitanum , Givaudan ; Gabalum,
Gibet; Garumna, Gironde . Il ſemble donc
que Garonne & Gironde ne font qu'un
même nom .
..
A
J'ay vû agiter plufieurs fois comment
il faut prononcer la feconde fillabe d'Acheron
, par ch , ou par k. Pour moi je
crois qu'il faut prononcer le nom de ce
Fleuve infernal , comme on le prononce
en Latin , avec le fon du k Plufieurs noms
Grecs qui ont paffe dans le Latin , ont
cette prononciation . Archelaus, Achmenes,,
Cheronée , Lachefis , Archelons , Orcheſtre..
Ils retiennent tous dans le Latin la prononciation
qu'ils ont en Grec , & le Latin³
communique la même prononciation au
François ; la lettre Grecque chi , s'y prononce
comme fi c'étoit un k : c'eſt la pro
nonciation de ce mot dans ce beau Vers
de Virgilé , Eneid . 7.
Flectere fi nequeo fuperos , Acheronta movebba-
C'eſt le même fon dans le François ,
Si le Ciel n'eft pour moi , j'armerat l'Acheron.
Et ce qui femble autorifer cette prononciation
par le k , ou le rude , outres
la raifon des exemples que j'ai - rapportez,
Dy c'eft
1558 MERCURE DE FRANCE
r
c'eft qu'Acheron étant un Fleuve d'Enfer,
dont l'idée eft afreufe , la premiere & la
derniere fillabe ayant un fon fort , la feconde
ne doit pas être adoucie. De plus ,
on met fa fource dans une Caverne ; ainfi
pour accommoder la prononciation du
Fleuve avec fa fource , il femble qu'il faut
dire Akeron , comme on dit Caverne , &
non pas Chaverne . Enfin Caron qui conduit
la Barque du Fleuve , fe prononçant
Caron , & non Charon ; c'eſt encore une
conformité pour prononcer Akeron . Je
n'ignore pas que M. Menage prononce
Acheron en François avec le ch , c'eft au
Chapitre 180. de fes Obfervations fur la
Langue Françoife ; mais outre que l'oreille
d'un Angevin , à qui il en eft toujours de--
meuré quelque chofe , comme il le difoit
lui -même , ne doit pas décider , c'eft qu'il
étoit moins qu'infaillible dans la pronon
ciation . Sa premiere Obfervation qui commence
par Acatique , pour condamner
Aquatique , ne lui a pas reüffi Le P. Gaudin
, non-feulement l'a combattuë ,
de plus it a fait fur cela une Differtation
beaucoup plus longue que ma Remarque
fur Acheron , & on y voit Acatique vaincus
& Aquatique victorieux. Pajoute en particulier
les mots
que
que M. Menage allegue
pour exemple , ne font pas pour
lui ; fçavoir , Anchife & Archimede car
mais
ces
JUILLET. 1730. 1559
ces noms ſe prononcent en Latin comme
on les prononce en François.Puifqu'Ache
ron fe prononce avec un c rude , Akeron
il faut en conformité le prononcer en
François avec le même ſon, Akeron, quoiqu'il
s'écrive Acheron .
Peut-être que des perfonnes diftinguées
de l'un & de l'autre fexe , qui portent le
nom de Cheron , ont donné lieu à M. Mer
nage d'en emprunter là prononciation
pour Acheron; mais il n'y a rien là de com
mun pour une imitation , car le nom de
Cheron eft purement François , & celui
d'Acheron vient du Grec & du Latin.
Voilà , cependant les deux queſtions du
Fleuve expliquées comme je l'ai pû .
Riviere de Garonne , & fur les mots de
Gironde d'Acheron.
A queftion que vous me propofez ,
Monfieur , d'où vient que la Garonne
recevant la Dordogne au Bec- d'Amber
perd fon nom & s'appelle Gironde , a été
propofée plus d'une fois , & n'a jamais bien
été éclaircie. Voici ce que je penfe.
Gironde ne feroit- il point compofé de
deux termes , Girus unde , le tournoyement
de l'eau ? Car c'eſt - là que l'eau tourne
autour de l'Ifle des Phaifans , autrement
de Cafaux . Ou bien feroit-ce parce
que la Garonne recevant là les eaux de
la Dordogne , elle les porte dans la Mer ?
Gerunda , quafi gerins undas.
Voici une autre conjecture; c'eft que la
Dordogne entrant dans la Garonne ,
y perd fon nom . La jonction de ces deux
Rivieres eft une efpece de mariage ; &
comme la femme n'eft plus connue fous
Diiij fon
1356 MERCURE DE FRANCE
W
fon nom , & n'a que celui de fon mari ;
de même dans le confluant de ces deux
Rivieres , celle qui eft la moindre , perd
fon nom & n'a plus que celui de la Riviere
principale à laquelle elle eft jointe .
Ainfi la Marne entrant dans la Seine , elle
y perd fon nom , il n'y a plus que celui
de la Seine qui demeure. Mais on dira ,
Gironde n'eft pas Garonne . Il eft vrai que
cela ne paroît pas , mais dans le fond la
choſe peut être . Il y même une Ville de
Catalogne qui fe nomme également Gironde
& Gironne , parce que d & n ont
de l'affinité . Mettez une ligne droite en
haut furn , c'est un d ; ôtez cette ligne,
c'eft une n. Donat dit fur un Vers de Terence
, dans le Phormion , Act. 2. Non
rete accipitri tenditur. Legitur. & tennitur ;
habet enim n littera cum d communionem.
Ainfi Gironde & Garonne n'eft qu'un même
nom pour la Riviere comme pour la
Ville. Mais on dira encore , Gironne n'eſt
pas Garonne : c'est ce qu'il faut voir.
Il n'y a plus de difference que de ga a
gi , & voici par où concilier tout : ga eft
du Grec & du Latin . On trouve dans Strabon
Garonna , & dans les Commentaires
de Cefar , Garumna ; mais ga s'adoucit ici
dans le François avec gi ; Garonne , Gironne
. Le fçavant Faul Merula , qui mourut
au commencement du dernier fiecle,
dit
JUILLET. 1730. 1357
dit dans fa Colmographie , Part. 2. Liv
3. que les François changent le ga en gi :
Galli fillabam ga primam in vocibus mutant
in gi : Gabalitanum , Givaudan ; Gabalum,
Gibet; Garumna, Gironde . Il ſemble donc
que Garonne & Gironde ne font qu'un
même nom .
..
A
J'ay vû agiter plufieurs fois comment
il faut prononcer la feconde fillabe d'Acheron
, par ch , ou par k. Pour moi je
crois qu'il faut prononcer le nom de ce
Fleuve infernal , comme on le prononce
en Latin , avec le fon du k Plufieurs noms
Grecs qui ont paffe dans le Latin , ont
cette prononciation . Archelaus, Achmenes,,
Cheronée , Lachefis , Archelons , Orcheſtre..
Ils retiennent tous dans le Latin la prononciation
qu'ils ont en Grec , & le Latin³
communique la même prononciation au
François ; la lettre Grecque chi , s'y prononce
comme fi c'étoit un k : c'eſt la pro
nonciation de ce mot dans ce beau Vers
de Virgilé , Eneid . 7.
Flectere fi nequeo fuperos , Acheronta movebba-
C'eſt le même fon dans le François ,
Si le Ciel n'eft pour moi , j'armerat l'Acheron.
Et ce qui femble autorifer cette prononciation
par le k , ou le rude , outres
la raifon des exemples que j'ai - rapportez,
Dy c'eft
1558 MERCURE DE FRANCE
r
c'eft qu'Acheron étant un Fleuve d'Enfer,
dont l'idée eft afreufe , la premiere & la
derniere fillabe ayant un fon fort , la feconde
ne doit pas être adoucie. De plus ,
on met fa fource dans une Caverne ; ainfi
pour accommoder la prononciation du
Fleuve avec fa fource , il femble qu'il faut
dire Akeron , comme on dit Caverne , &
non pas Chaverne . Enfin Caron qui conduit
la Barque du Fleuve , fe prononçant
Caron , & non Charon ; c'eſt encore une
conformité pour prononcer Akeron . Je
n'ignore pas que M. Menage prononce
Acheron en François avec le ch , c'eft au
Chapitre 180. de fes Obfervations fur la
Langue Françoife ; mais outre que l'oreille
d'un Angevin , à qui il en eft toujours de--
meuré quelque chofe , comme il le difoit
lui -même , ne doit pas décider , c'eft qu'il
étoit moins qu'infaillible dans la pronon
ciation . Sa premiere Obfervation qui commence
par Acatique , pour condamner
Aquatique , ne lui a pas reüffi Le P. Gaudin
, non-feulement l'a combattuë ,
de plus it a fait fur cela une Differtation
beaucoup plus longue que ma Remarque
fur Acheron , & on y voit Acatique vaincus
& Aquatique victorieux. Pajoute en particulier
les mots
que
que M. Menage allegue
pour exemple , ne font pas pour
lui ; fçavoir , Anchife & Archimede car
mais
ces
JUILLET. 1730. 1559
ces noms ſe prononcent en Latin comme
on les prononce en François.Puifqu'Ache
ron fe prononce avec un c rude , Akeron
il faut en conformité le prononcer en
François avec le même ſon, Akeron, quoiqu'il
s'écrive Acheron .
Peut-être que des perfonnes diftinguées
de l'un & de l'autre fexe , qui portent le
nom de Cheron , ont donné lieu à M. Mer
nage d'en emprunter là prononciation
pour Acheron; mais il n'y a rien là de com
mun pour une imitation , car le nom de
Cheron eft purement François , & celui
d'Acheron vient du Grec & du Latin.
Voilà , cependant les deux queſtions du
Fleuve expliquées comme je l'ai pû .
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Résumé : LETTRE écrite à M*** sur la Riviere de Garonne, & sur les mots de Gironde & d'Acheron.
La lettre aborde deux questions principales : l'origine du nom 'Gironde' et la prononciation du fleuve infernal 'Acheron.' Pour la première question, l'auteur explore l'origine du nom 'Gironde,' attribué à la rivière formée par la confluence de la Garonne et de la Dordogne au Bec-d'Amber. Plusieurs hypothèses sont proposées. 'Gironde' pourrait dériver de 'Girus unde,' signifiant le tourbillon de l'eau autour de l'île des Phares ou de Cazaux. Une autre explication suggère que 'Gironde' vient de 'Gerunda,' signifiant 'rivière qui porte les eaux à la mer.' L'auteur mentionne également que la rivière la plus petite perd souvent son nom lors de la confluence, comme la Marne dans la Seine. De plus, il note une similitude phonétique entre 'Garonne' et 'Gironde,' et fait référence à une ville de Catalogne nommée Gironde. La seconde question concerne la prononciation du nom du fleuve infernal 'Acheron.' L'auteur affirme que ce nom doit être prononcé avec un 'k' dur, comme en latin, et non avec un 'ch' doux. Il justifie cette prononciation en citant plusieurs exemples de noms grecs passés en latin et en français, ainsi que des raisons phonétiques et symboliques. L'auteur critique la position de M. Menage, qui prononce 'Acheron' avec un 'ch,' en soulignant que cette prononciation est incorrecte et que les exemples donnés par Menage ne sont pas pertinents.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 416-421
LETTRE sur la Ville Capitale de Guyenne, s'il faut l'appeller Bordeaux ou Bourdeaux.
Début :
La question, Monsieur, dont il s'agit icy, me rappelle celle que fit autrefois [...]
Mots clefs :
Bordeaux, Ville, Nom, Burdigala, Diphtongue, Garonne, Origine
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : LETTRE sur la Ville Capitale de Guyenne, s'il faut l'appeller Bordeaux ou Bourdeaux.
LETTRE sur la Ville Capitale de
Guyenne , s'il faut l'appeller Bordeaux
ou Bourdeaux.
L
A question , Monsieur , dont il s'agit
icy , me rappelle telle que fit autrefois
Pompée aux Sçavans de son temps,
pour sçavoir s'il falloit mettre dans l'Inscription
de ses Titres , au Temple de la
Victoire , tertiò ou tertium Consul. Ciceron
se fit une occupation grave d'y penser
, pour e donner sérieusement son
avis , qui nous est rapporté par Aulügelle
, dans son bel Ouvrage , Noctes Attica..
Je ne me sens pas moins obligé que l'Ora
teur Romain , d'avoir de l'application
pour la Critique du nom d'une des principales
Villes du Royaume ; et qui par le
Testament de Charlemagne est qualifiée
une des Métropoles de son Empire .
Une personne qui seroit de la famille .
du deffunt Président de Bordeaux , qui fut
Ambassadeur en Angleterre , pourroit
prendre parti pour Bordeaux , afin d'avoir
un nom commun avee une grande
et b.lle Ville ; mais ni vous ni moi n'avons
pas cet interêt particulier , au préjudice
du bon cho.x qu'il faut faire.
Une
MAR S. 1733. 417
Une prétendue Etymologic a donné
lieu au doute . Il y a bien des gens qui lisent
et écrivent Bordeaux , sur l'imagination
qu'ils ont que le nom de cette Ville
lui vient du Bord des Eaux ; et qu'ainsi il
faut en conformité, lá nommer Bordeaux.
Cette origine n'est pas de distinction , et
de plus elle n'est pas raisonnable. Ce
n'est qu'une petite allusion qui vient d'abord
à la bouche , et qui n'étant pas véritable
, ne fait nulle conséquence pour la
dénomination de la Ville. A suivre le
cours des grandes Rivieres de France , et
de la Garonne en particulier , depuis la
source jusqu'à l'embouchure , il y a plu
sieurs Villes bâties sur le bas des Eaux
ce qui est si commun , n'est pas plus propre
à nommer cette Ville que les autres.
Il y a même quelque turpitude dans cette
origine , qu'il faut laisser à ces lieux
de débauche , qu'on dit en avoir été appellez
dans le vieux stile , Bordeaux , à
cause que ces Loges de prostitution ont
été autrefois sur le bord de l'eau . Ciceron
en fait mention : Ad partem littoris
positis tabernaculis castra luxuria collocaverat.
Après avoir fait dresser des Tentes
sur un endroit du Rivage , il y avoit placé
le Camp de la Luxure. Enfin Burdidala
, le mot Latin, étant plus ancien que
A v de
418 MERCURE DE FRANCE
le mot François , car on le trouve dans
Ausone , Burdigala est natale solum , & c.
Il n'y a aucune sillable qui donne la
moindre idée du bord de l'eau . Il n'en
est pas de même dans Aigues mortes , où
le Latin contient et exprime les eaux du
nom François , Aqua- mortua .
Il faut donc chercher l'origine du mot
François dans Burdigala latin . Elle se presente
en deux gros Ruisseaux , Bourdes
et Jalles , qui ne sont pas éloignez de la
Ville , et qui à l'endroit où ils entrent
dans la Garonne , qu'on dit être à present
sous l'Eglise de S. Pierre , ont marqué
celui où la Ville a été bâtie. Or on
voit dans ce premier Ruisseau , Bourdes ,
qu'il faut dire Bourdeaux , et non pas
Bordeaux. Le Fleuve de la Judée , qui de
deux Fontaines , Jor et Dan , à été nommé
en Latin Jordanis , est nommé en
François , Jourdain.
Le mot Burdigala , même sans l'Etymologie
, est favorable à Bourdeaux , parce
que lorsque le Latin souffre une conversion
de lettres au François , u se change
en la diphtongue ou ; exemples : Cubitus
, Coude ; Curvus , Courbes Dulcis ,
Doux Turma , Troupe , et non pas
Trope , qu'on trouve barbare dans Ronsard
, Nutrix , Nourrice , et non pas Norrice
›
MARS. 1733
419
rice , qu'on ne peut souffrir dans plusieurs
femmes de Paris ; de même Burdigala ,
fait Bourdeaux.
Il y a un double exemple où la Garonne
entre dans l'Ocean : Tumis Cor
duana , Tour de Cordouan. Les autres
Villes changent de même , u en' on . Turones
, Tours ; Bituriges , Bourges , & c. Le
Palais du Roy , Lupara , le Louvre , et
le nom même du Roy Ludovicus
LOUIS . Il ne faut pas ôter à Bourdeaux
la dignité d'être en communauté d'une
diphtongue douce , avec des Villes considérables
, et avec des noms Augustes.
>
Une nouvelle preuve paroît dans le
nom Grec de la Ville , rapporté par Strabon
, qui vivoit du temps d'Auguste. On
lit au 4 Livre de sa Géographie , Bourde
gala. Or le François ayant beaucoup d'affinité
avec le Grec , doit retenir la diphtongue
ou pour Bourdeaux. Les Latins
mêmes ont été jaloux de la douceur de
cette diphtongue dans les Grecs , et l'ont
quelquefois imitée trois fois dans un même
mot , prononçant Lucullus , contme
s'il y avoit Loucoullous. Notre Langue la
conserve dans ces grands Noms , Bourbon,
Bourgogne ; il faut pareillement la conserver
dans la grande Ville de Bourdeaux.
Il y a des Auteurs qui tiennent que ses
A vj habi420
MERCURE DE FRANCE
habitans ont été autrefois appellez Bitu
riges , patce que des familles de Bourges ,
en ont été les premiers Citoyens ; et que
de Bituriges on a substitué dans la basse
Latinité par contraction Bourga ou Bourgi.
Tout cela établit le nom de Bourdeaux .
On doit supposer que les habitans sçavent
le nom de leur Ville , comme un fils
sçait le nom de son Pere. Or il est constant
qu'ils disoient Bourden, dans le vieux
langage , et depuis ils disent Bourdeaux ,
comme il paroît dans la Chronique Bourdeloise
, et dans ses Archives de familles.
Elie Vinet , ce sçavant Homme , qui fit
honneur à l'Université de la Ville , présenta
à Charles IX . en 1564. les Antiquitez
de la Ville de Bourdeaux ; et au devant
de son Discours , on voit une Estampe
de la Ville , où il y a en haut Bourdeaux.
C'est l'affaire des Géographes de sçavoir
les noms des Villes , aussi bien des
que
Montagnes et des Rivieres . On lit dans les
Cartes de Samson de Duval et de de Fer,
Bourdeaux; et M' d'Audifret qui a donné,
avec de petites Cartes , la Géographie an
cienne , moderne et historique , a mis
dans son Discours , et fait graver dans sa
Carte , Bourdeaux.
Enfin pour achever de vuider entierement
MARS. 1733. 42
an- ment le partage qui depuis plusieurs
nées est dans le monde entre Bordeaux
et Bourdeaux , on peut alléguer , en faveur
du bel usage , trois Auteurs Illustres.
Mr le Maitre , fameux Avocat du
Parlement de Paris , dans son Plaidoyer
29. parle d'une Dame , qui fait , dit - il ,
compassion à tout Bourdeaux. Mr Pelisson
dans son Histoire de l'Académie Françoise
, à l'article de M' le Comte de Servien
, dont il rapporte les Titres , y met
celui de Premier President au Parlement de
Bourdeaux. Et le P. Bouhours , dont les
nouvelles Remarques sur la Langue Françoise
peuvent être jointes à celles de
Vaugelas , comme de la Broderie sur du
Velours , dit aussi Bourdeaux. C'est dans
son premier Entretien , qui est de la Mer:
Au contraire , à la côte de Bourdeaux It
Flux eft de sept heures. Il me semble que
voilà le nom de Bourdeaux au si - bien soutenu
, à l'exclusion de Bordeaux , que si
Mile Maitre en avoit fait un Plaidoyer 5
M' Pélisson , une Histoire ; et le P. Bouhours
, un Entretien . Je suis , &c.
Guyenne , s'il faut l'appeller Bordeaux
ou Bourdeaux.
L
A question , Monsieur , dont il s'agit
icy , me rappelle telle que fit autrefois
Pompée aux Sçavans de son temps,
pour sçavoir s'il falloit mettre dans l'Inscription
de ses Titres , au Temple de la
Victoire , tertiò ou tertium Consul. Ciceron
se fit une occupation grave d'y penser
, pour e donner sérieusement son
avis , qui nous est rapporté par Aulügelle
, dans son bel Ouvrage , Noctes Attica..
Je ne me sens pas moins obligé que l'Ora
teur Romain , d'avoir de l'application
pour la Critique du nom d'une des principales
Villes du Royaume ; et qui par le
Testament de Charlemagne est qualifiée
une des Métropoles de son Empire .
Une personne qui seroit de la famille .
du deffunt Président de Bordeaux , qui fut
Ambassadeur en Angleterre , pourroit
prendre parti pour Bordeaux , afin d'avoir
un nom commun avee une grande
et b.lle Ville ; mais ni vous ni moi n'avons
pas cet interêt particulier , au préjudice
du bon cho.x qu'il faut faire.
Une
MAR S. 1733. 417
Une prétendue Etymologic a donné
lieu au doute . Il y a bien des gens qui lisent
et écrivent Bordeaux , sur l'imagination
qu'ils ont que le nom de cette Ville
lui vient du Bord des Eaux ; et qu'ainsi il
faut en conformité, lá nommer Bordeaux.
Cette origine n'est pas de distinction , et
de plus elle n'est pas raisonnable. Ce
n'est qu'une petite allusion qui vient d'abord
à la bouche , et qui n'étant pas véritable
, ne fait nulle conséquence pour la
dénomination de la Ville. A suivre le
cours des grandes Rivieres de France , et
de la Garonne en particulier , depuis la
source jusqu'à l'embouchure , il y a plu
sieurs Villes bâties sur le bas des Eaux
ce qui est si commun , n'est pas plus propre
à nommer cette Ville que les autres.
Il y a même quelque turpitude dans cette
origine , qu'il faut laisser à ces lieux
de débauche , qu'on dit en avoir été appellez
dans le vieux stile , Bordeaux , à
cause que ces Loges de prostitution ont
été autrefois sur le bord de l'eau . Ciceron
en fait mention : Ad partem littoris
positis tabernaculis castra luxuria collocaverat.
Après avoir fait dresser des Tentes
sur un endroit du Rivage , il y avoit placé
le Camp de la Luxure. Enfin Burdidala
, le mot Latin, étant plus ancien que
A v de
418 MERCURE DE FRANCE
le mot François , car on le trouve dans
Ausone , Burdigala est natale solum , & c.
Il n'y a aucune sillable qui donne la
moindre idée du bord de l'eau . Il n'en
est pas de même dans Aigues mortes , où
le Latin contient et exprime les eaux du
nom François , Aqua- mortua .
Il faut donc chercher l'origine du mot
François dans Burdigala latin . Elle se presente
en deux gros Ruisseaux , Bourdes
et Jalles , qui ne sont pas éloignez de la
Ville , et qui à l'endroit où ils entrent
dans la Garonne , qu'on dit être à present
sous l'Eglise de S. Pierre , ont marqué
celui où la Ville a été bâtie. Or on
voit dans ce premier Ruisseau , Bourdes ,
qu'il faut dire Bourdeaux , et non pas
Bordeaux. Le Fleuve de la Judée , qui de
deux Fontaines , Jor et Dan , à été nommé
en Latin Jordanis , est nommé en
François , Jourdain.
Le mot Burdigala , même sans l'Etymologie
, est favorable à Bourdeaux , parce
que lorsque le Latin souffre une conversion
de lettres au François , u se change
en la diphtongue ou ; exemples : Cubitus
, Coude ; Curvus , Courbes Dulcis ,
Doux Turma , Troupe , et non pas
Trope , qu'on trouve barbare dans Ronsard
, Nutrix , Nourrice , et non pas Norrice
›
MARS. 1733
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rice , qu'on ne peut souffrir dans plusieurs
femmes de Paris ; de même Burdigala ,
fait Bourdeaux.
Il y a un double exemple où la Garonne
entre dans l'Ocean : Tumis Cor
duana , Tour de Cordouan. Les autres
Villes changent de même , u en' on . Turones
, Tours ; Bituriges , Bourges , & c. Le
Palais du Roy , Lupara , le Louvre , et
le nom même du Roy Ludovicus
LOUIS . Il ne faut pas ôter à Bourdeaux
la dignité d'être en communauté d'une
diphtongue douce , avec des Villes considérables
, et avec des noms Augustes.
>
Une nouvelle preuve paroît dans le
nom Grec de la Ville , rapporté par Strabon
, qui vivoit du temps d'Auguste. On
lit au 4 Livre de sa Géographie , Bourde
gala. Or le François ayant beaucoup d'affinité
avec le Grec , doit retenir la diphtongue
ou pour Bourdeaux. Les Latins
mêmes ont été jaloux de la douceur de
cette diphtongue dans les Grecs , et l'ont
quelquefois imitée trois fois dans un même
mot , prononçant Lucullus , contme
s'il y avoit Loucoullous. Notre Langue la
conserve dans ces grands Noms , Bourbon,
Bourgogne ; il faut pareillement la conserver
dans la grande Ville de Bourdeaux.
Il y a des Auteurs qui tiennent que ses
A vj habi420
MERCURE DE FRANCE
habitans ont été autrefois appellez Bitu
riges , patce que des familles de Bourges ,
en ont été les premiers Citoyens ; et que
de Bituriges on a substitué dans la basse
Latinité par contraction Bourga ou Bourgi.
Tout cela établit le nom de Bourdeaux .
On doit supposer que les habitans sçavent
le nom de leur Ville , comme un fils
sçait le nom de son Pere. Or il est constant
qu'ils disoient Bourden, dans le vieux
langage , et depuis ils disent Bourdeaux ,
comme il paroît dans la Chronique Bourdeloise
, et dans ses Archives de familles.
Elie Vinet , ce sçavant Homme , qui fit
honneur à l'Université de la Ville , présenta
à Charles IX . en 1564. les Antiquitez
de la Ville de Bourdeaux ; et au devant
de son Discours , on voit une Estampe
de la Ville , où il y a en haut Bourdeaux.
C'est l'affaire des Géographes de sçavoir
les noms des Villes , aussi bien des
que
Montagnes et des Rivieres . On lit dans les
Cartes de Samson de Duval et de de Fer,
Bourdeaux; et M' d'Audifret qui a donné,
avec de petites Cartes , la Géographie an
cienne , moderne et historique , a mis
dans son Discours , et fait graver dans sa
Carte , Bourdeaux.
Enfin pour achever de vuider entierement
MARS. 1733. 42
an- ment le partage qui depuis plusieurs
nées est dans le monde entre Bordeaux
et Bourdeaux , on peut alléguer , en faveur
du bel usage , trois Auteurs Illustres.
Mr le Maitre , fameux Avocat du
Parlement de Paris , dans son Plaidoyer
29. parle d'une Dame , qui fait , dit - il ,
compassion à tout Bourdeaux. Mr Pelisson
dans son Histoire de l'Académie Françoise
, à l'article de M' le Comte de Servien
, dont il rapporte les Titres , y met
celui de Premier President au Parlement de
Bourdeaux. Et le P. Bouhours , dont les
nouvelles Remarques sur la Langue Françoise
peuvent être jointes à celles de
Vaugelas , comme de la Broderie sur du
Velours , dit aussi Bourdeaux. C'est dans
son premier Entretien , qui est de la Mer:
Au contraire , à la côte de Bourdeaux It
Flux eft de sept heures. Il me semble que
voilà le nom de Bourdeaux au si - bien soutenu
, à l'exclusion de Bordeaux , que si
Mile Maitre en avoit fait un Plaidoyer 5
M' Pélisson , une Histoire ; et le P. Bouhours
, un Entretien . Je suis , &c.
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Résumé : LETTRE sur la Ville Capitale de Guyenne, s'il faut l'appeller Bordeaux ou Bourdeaux.
La lettre traite de la dénomination correcte de la ville capitale de Guyenne, se demandant s'il faut l'appeler Bordeaux ou Bourdeaux. L'auteur compare cette question à celle posée par Pompée concernant l'inscription de ses titres. Il souligne que la ville est qualifiée de métropole dans le testament de Charlemagne. L'origine étymologique du nom est débattue : certains pensent que Bordeaux vient du bord des eaux, mais cette explication est jugée peu distinguée et incorrecte. L'auteur mentionne également une connotation négative liée à la prostitution. Le mot latin Burdigala, plus ancien que le mot français, ne contient aucune syllabe évoquant le bord de l'eau. L'auteur propose que le nom français dérive de Burdigala et des ruisseaux Bourdes et Jalles, situés près de la ville. Il argue que le latin u se transforme en ou en français, comme dans les exemples Cubitus (Coude) et Curvus (Courbes). Le nom grec de la ville, rapporté par Strabon, est également cité en faveur de Bourdeaux. Des auteurs et des cartes géographiques, comme celles de Samson, Duval, et de Fer, utilisent le nom Bourdeaux. Enfin, l'auteur cite trois auteurs illustres, M. le Maître, M. Pelisson, et le P. Bouhours, qui utilisent également le nom Bourdeaux dans leurs œuvres.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 659-666
RÉPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure du mois dernier, au sujet du nom de Bordeaux ou Bourdeaux.
Début :
L'habitude dans laquelle je vois presque tout le monde, Monsieur, de [...]
Mots clefs :
Bordeaux, Ville, Latin, Prononciation, Étymologie, Burdigala, Langue, Garonne
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texteReconnaissance textuelle : RÉPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure du mois dernier, au sujet du nom de Bordeaux ou Bourdeaux.
REPONSE à la Lettre inseree dans
le Mercure du mois dernier , au sujet
du nom de Bordeaux ou Bourdeaux.
Lo
'Habitude dans laquelle je vois pres
toute
que tout le monde , Monsieur , de
dire et d'écrire Bordeaux et non Bourdeaux
, ne m'a pas empêché de trouver
tout ce que vous dites pour soutenir ce
dernier sentiment , fort ingénieux ; mais
trouvez bon aussi que je vous dise ce
qu'on peut alleguer en faveur de Bordeaux.
Je ne conviens pas dabord que cette
derniere prononciation ne soit fondée
que
660 MERCURE DE FRANCE
que sur l'imagination de ceux qui ont
crû que cette Ville avoit pris son nom
du bord des Eaux où elle est située . Leur
raison pourroit y avoir encore plus de
part , et s'il n'est rien de si ordinaire que
de donner aux hommes des noms pris
des lieux de leur naissance , n'aura- t'il
pas été permis aux Fondateurs de cette
Ville d'avoir tiré son nom de sa situation
et de l'avoir appellée Bordeaux , à
cause qu'ils l'avoient bâtie sur le bord
des eaux Elle est , en effet , toute entourée
d'eaux , ayant au Levant celles de
la Garonne ; au Couchant , celles qui
viennent des Landes , qui forment pendant
quelques mois une petite Mer au
derriere du Palais Archiepiscopal , et au
Midy , les Ruisseaux qui viennent de
Begle , ce qui a fait porter à cette Capitale
de la Guyenne le nom de Bordeaux
, par une très- juste et très - judicieuse
Etymologie.
S'il se trouve quelques Auteurs qui
l'ayent nommée Bourdeaux , en y ajou
tant un u , il faut plutôt regarder cette
addition comme un deffaut du Pays et
une corruption du nom , que comme une
prononciation naturelle.
Ainsi , puisque nous trouvons la véritable
cause de ce nom dans la propre
assiette
AVRIL. 1733. 661
assiette de la Ville , il est inutile d'aller
la chercher dans ces sales idées de débauche
; car quel rapport y a t'il entre
les bords de ces eaux et ses endroits qu'on
ne sçauroit nommer sans blesser la pudeur?
L'exemple d'un Romain , qui par
magnificence , fait poser des Tentes sur
un Rivage , et qui s'y va réjouir avec de
petites Bourgeoises, parmi tous les excès de
la profusion et du luxe , n'établit aucune
preuve de l'allusion que vous faites.
Quoiqu'Ausone ait dit que Bordeaux
étoit le lieu de sa naissance , Burdigala
natale solum , ce n'est pas une conséquence
que le mot Latin Burdigala soit plus
ancien que celui que cette Ville porte
aujourd'hui , se pouvant faire qu'il ait
été inconnu dans la Guyenne jusqu'au
temps que les Romains conquirent cette
Province et que les vaincus commencerent
à y parler la Langue des vainqueurs,
c'est- à - dire , près de deux siecles et demi
avant la naissance d'Ausone.
Ce n'est donc pas dans le Latin qu'on
doit chercher l'origine du nom de Bordeaux
, et il semble que vous en convenez
, puisque vous voulez bien avoir
recours au Ruisseau de la Bourde et de
Falle , qui sont deux noms que la Latinité
ne revendiquera jamais. Ils ne sont
pas,
662 MERCURE DE FRANCE
- pas , dites - vous , éloignez de la Ville ;
vous en portez vous- même la preuve ,
puisque vous les faites entrer dans la Garonne
par l'endroit où est à présent l'Eglise
S. Pierre ; mais , Monsieur , tout le
monde ne conviendra pas avec vous de
la jonction que vous faites de ces deux
Ruisseaux , étant très - constant que la
Bourde se décharge dans la Garonne à
un quart de lieue au -dessus de Bordeaux
et la Jalle a plus d'une licüe au - dessous.
Il n'y a pas même d'apparence qu'un petit
Ruisseau tel que la Bourde , presque
inconnu , ait donné le nom à une grande
Ville arrosée de la Garonne et entou
rée de Marais .
Laissant donc là la Bourde , vous me
permettrez , s'il vous plaît , Monsieur ,
de m'en tenir à mon premier sentiment.
Je demeure d'accord que l'u des Latins
se change souvent dans le François en
ou; les exemples que vous en citez sont
familiers , mais vous ne disconviendrez
pas aussi que les Gascons ne changent
l'o des François en ou ; par exemple , nous
disons en François mordu , corde , borner ,
orner , border , cocher , orme , & c . et les
Gascons changeant l'o en on , disent mourdt
, courde , bourna , ourna , bourda , couchei,
ourme , &c. ce qui fait qu'au lieu de
proAVRIL.
1733 663
prononcer Bordeaux , conformément à
son Etymologie , on a prononcé en Gascon
Bourdeaux , et comme cette prononciation
a été generale , lorsque dans la
suite on a parlé François , on y a retenu
l'ou de la prononciation Gasconne , et delà
vient qu'on a dit Bourdeaux , le vulgaire
par ignorance , et les habiles gens par fau
te d'attention . Il s'en est cependant trouvé
qui ont retenu la pureté de la prononciation
Françoise, et qui out dit Bordeaux
, suivant l'Etymologie naturelle du
nom. Tels sont le P. Monet et l'illustre
M. Nicod , Maitre des Requêtes , dans
les deux sçavans Dictionnaires qu'ils ont
faits , où ils ne paroissent pas moins habiles
dans lå Langue Françoise que dans
la Latine. Calepin prononce Bordeaux
comme eux , et Michel - Antoine Baudran
dans sa Géographie , imprimée à Paris
en 1661. expliquant ces mots Burdigalensis
ager , dit , le Pays Bordelois. Burdipalensis
sinus , la Baye de Bordeaux .
Vous m'opposerez , sans doute , que
ces autoritez ne sont pas du poids de
celles de M. le Maître , de M. Pelisson
et du Pere Bouhours ; mais je répondrai
à l'égard de ce dernier , que s'il a décidé
en faveur de Bourdeaux , peut - être
ya- t'il eu dans sa décision un peu d'amour
664 MERCURE DE FRANCE
mour
propre ,
en conservant
l'ou dans
la premiere
sillabe du nom de Bourdeaux
,
parce qu'il se trouve dans la premiere
du sien. Pour l'autorité
de M. le Maître,
il se peut faire que quand il a composé
son Plaidoyer
, il se soit plus attaché à
la substance
des choses , qu'à l'écorce des
paroles , suivant la maxime
du Jurisconsulte.
Scire leges non est earum verba , seď
mentem tenere .
Lorsque M. Pelisson a écrit l'Histoire
de l'Académie , il n'a pas prétendu y
donner des regles pour la Langue , non
plus que M. le Maître dans son Plaidoyer.
Les Géographes que vous alleguez ont
laissé Bourdeaux écrit dans leurs Cartes,
comme ils l'ont trouvé dans celles qu'ils
ont réformées , et ils n'ont eu en vûë
que cette réformation et non pas celle
de la Langue ; en un mot, il faut toû
jours revenir à l'ancienne Etymologie ,
qui se trouvant autorisée par l'usage , on
ne doit pas balancer à se déterminer en
sa faveur. Ainsi l'usage d'aujourd'hui
étant pour Bordeaux , comme on peut le
remarquer en tous ceux qui parlent le
mieux , il faut suivre, cet usage qui n'a
rien que de doux et d'agréable à l'oreille.
Après le Latin vous avez eu recours au
Grec. Les Grecs prononcent , dites - vous,
Bour
AVRIL. 1733. 665
Bourdegala , le François qui a beaucoup
d'affinité avec le Grec , selon vous , doit
retenir la prononciation de l'ou; mais puisque
notre Langue n'en a pas moins avec
le Latin , qui de votre aveu , prononce
l'u comme les Grecs , témoin yotre Loucoullous
, il faudroit par la même raison
prononcer les venant du Latin ;
comme s'il y avoit ou. Ainsi au lieu de
muse , venant de musa , on diroit mouse ,
au lieu de peinture , pictura , on diroit
peintoura , ce qui produiroit de très - grandes
difformitez dans la Langue , et montre
assez que dans la prononciation Françoise
, on ne doit avoir égard ni à la Grecque
ni à la Latine , et qu'il faut suivre
uniquement celle qui se trouve établic
par le bel usage.
Mais enfin , Monsieur , pourquoi voulez
-vous persuader que Bordeaux vienne
de Burdigala , puisqu'il est plus naturel
que Burdigala ait été formé de Bordeaux,
cette Ville , comme je l'ai déja remarqué,
ayant été très- considerable , suivant le
témoignage de Strabon , dans le temps
que les Romains y mirent le pied ? Ainsi
le nom de Bordeaux imposé à la Ville
par ceux qui la bâtirent , étoit plus ancien
que le Latin Burdigala , à moins de
dire , pour favoriser notre décision que
Bur666
MERCURE DE FRANCE
Burdigala est composé du mot Espagnol
Burgo. , qui signifie Bourg , et de Gala ,
qui veut dire propreté et bonne grace ;
desorte la Ville n'étant encore qu'une
que
Bourgade dans son commencement , il
se pourroit faire qu'elle fût appellée par
ses Habitans , qui avoient eû , sans doute,
commerce avec les Espagnols , et qui parloient
quelque peu leur langage , Burgo
de Gala , c'est - à- dire , Bourg dont les Habitans
étoient propres et de bon air , et
par succession de temps , en retranchant
go , on en fit Burdegala , qui est le mot
Latin dont l'origine vous a assez occupé.
Voilà , Monsieur , une Etymologie heureuse
, puisqu'elle a l'avantage de tomber
dans votre sens , et elle ne convient pas
mal aux Habitans de cette Ville , singulierement
aux femmes , n'y en ayant gueres
ailleurs qui se mettent plus propre.
ment. Mais puisque je vous donne une
Etymologie qui doit , sans doute , vous
faire plaisir , vous ferez bien cette justice
au Public de lui passer celle de Bordeaux
et de ne pas refuser aux Rivages de cette
Ville qui présentent à toutes les Nations
un abord si agréable , l'honneur de lui
avoir donné le nom. Je suis , &c.
le Mercure du mois dernier , au sujet
du nom de Bordeaux ou Bourdeaux.
Lo
'Habitude dans laquelle je vois pres
toute
que tout le monde , Monsieur , de
dire et d'écrire Bordeaux et non Bourdeaux
, ne m'a pas empêché de trouver
tout ce que vous dites pour soutenir ce
dernier sentiment , fort ingénieux ; mais
trouvez bon aussi que je vous dise ce
qu'on peut alleguer en faveur de Bordeaux.
Je ne conviens pas dabord que cette
derniere prononciation ne soit fondée
que
660 MERCURE DE FRANCE
que sur l'imagination de ceux qui ont
crû que cette Ville avoit pris son nom
du bord des Eaux où elle est située . Leur
raison pourroit y avoir encore plus de
part , et s'il n'est rien de si ordinaire que
de donner aux hommes des noms pris
des lieux de leur naissance , n'aura- t'il
pas été permis aux Fondateurs de cette
Ville d'avoir tiré son nom de sa situation
et de l'avoir appellée Bordeaux , à
cause qu'ils l'avoient bâtie sur le bord
des eaux Elle est , en effet , toute entourée
d'eaux , ayant au Levant celles de
la Garonne ; au Couchant , celles qui
viennent des Landes , qui forment pendant
quelques mois une petite Mer au
derriere du Palais Archiepiscopal , et au
Midy , les Ruisseaux qui viennent de
Begle , ce qui a fait porter à cette Capitale
de la Guyenne le nom de Bordeaux
, par une très- juste et très - judicieuse
Etymologie.
S'il se trouve quelques Auteurs qui
l'ayent nommée Bourdeaux , en y ajou
tant un u , il faut plutôt regarder cette
addition comme un deffaut du Pays et
une corruption du nom , que comme une
prononciation naturelle.
Ainsi , puisque nous trouvons la véritable
cause de ce nom dans la propre
assiette
AVRIL. 1733. 661
assiette de la Ville , il est inutile d'aller
la chercher dans ces sales idées de débauche
; car quel rapport y a t'il entre
les bords de ces eaux et ses endroits qu'on
ne sçauroit nommer sans blesser la pudeur?
L'exemple d'un Romain , qui par
magnificence , fait poser des Tentes sur
un Rivage , et qui s'y va réjouir avec de
petites Bourgeoises, parmi tous les excès de
la profusion et du luxe , n'établit aucune
preuve de l'allusion que vous faites.
Quoiqu'Ausone ait dit que Bordeaux
étoit le lieu de sa naissance , Burdigala
natale solum , ce n'est pas une conséquence
que le mot Latin Burdigala soit plus
ancien que celui que cette Ville porte
aujourd'hui , se pouvant faire qu'il ait
été inconnu dans la Guyenne jusqu'au
temps que les Romains conquirent cette
Province et que les vaincus commencerent
à y parler la Langue des vainqueurs,
c'est- à - dire , près de deux siecles et demi
avant la naissance d'Ausone.
Ce n'est donc pas dans le Latin qu'on
doit chercher l'origine du nom de Bordeaux
, et il semble que vous en convenez
, puisque vous voulez bien avoir
recours au Ruisseau de la Bourde et de
Falle , qui sont deux noms que la Latinité
ne revendiquera jamais. Ils ne sont
pas,
662 MERCURE DE FRANCE
- pas , dites - vous , éloignez de la Ville ;
vous en portez vous- même la preuve ,
puisque vous les faites entrer dans la Garonne
par l'endroit où est à présent l'Eglise
S. Pierre ; mais , Monsieur , tout le
monde ne conviendra pas avec vous de
la jonction que vous faites de ces deux
Ruisseaux , étant très - constant que la
Bourde se décharge dans la Garonne à
un quart de lieue au -dessus de Bordeaux
et la Jalle a plus d'une licüe au - dessous.
Il n'y a pas même d'apparence qu'un petit
Ruisseau tel que la Bourde , presque
inconnu , ait donné le nom à une grande
Ville arrosée de la Garonne et entou
rée de Marais .
Laissant donc là la Bourde , vous me
permettrez , s'il vous plaît , Monsieur ,
de m'en tenir à mon premier sentiment.
Je demeure d'accord que l'u des Latins
se change souvent dans le François en
ou; les exemples que vous en citez sont
familiers , mais vous ne disconviendrez
pas aussi que les Gascons ne changent
l'o des François en ou ; par exemple , nous
disons en François mordu , corde , borner ,
orner , border , cocher , orme , & c . et les
Gascons changeant l'o en on , disent mourdt
, courde , bourna , ourna , bourda , couchei,
ourme , &c. ce qui fait qu'au lieu de
proAVRIL.
1733 663
prononcer Bordeaux , conformément à
son Etymologie , on a prononcé en Gascon
Bourdeaux , et comme cette prononciation
a été generale , lorsque dans la
suite on a parlé François , on y a retenu
l'ou de la prononciation Gasconne , et delà
vient qu'on a dit Bourdeaux , le vulgaire
par ignorance , et les habiles gens par fau
te d'attention . Il s'en est cependant trouvé
qui ont retenu la pureté de la prononciation
Françoise, et qui out dit Bordeaux
, suivant l'Etymologie naturelle du
nom. Tels sont le P. Monet et l'illustre
M. Nicod , Maitre des Requêtes , dans
les deux sçavans Dictionnaires qu'ils ont
faits , où ils ne paroissent pas moins habiles
dans lå Langue Françoise que dans
la Latine. Calepin prononce Bordeaux
comme eux , et Michel - Antoine Baudran
dans sa Géographie , imprimée à Paris
en 1661. expliquant ces mots Burdigalensis
ager , dit , le Pays Bordelois. Burdipalensis
sinus , la Baye de Bordeaux .
Vous m'opposerez , sans doute , que
ces autoritez ne sont pas du poids de
celles de M. le Maître , de M. Pelisson
et du Pere Bouhours ; mais je répondrai
à l'égard de ce dernier , que s'il a décidé
en faveur de Bourdeaux , peut - être
ya- t'il eu dans sa décision un peu d'amour
664 MERCURE DE FRANCE
mour
propre ,
en conservant
l'ou dans
la premiere
sillabe du nom de Bourdeaux
,
parce qu'il se trouve dans la premiere
du sien. Pour l'autorité
de M. le Maître,
il se peut faire que quand il a composé
son Plaidoyer
, il se soit plus attaché à
la substance
des choses , qu'à l'écorce des
paroles , suivant la maxime
du Jurisconsulte.
Scire leges non est earum verba , seď
mentem tenere .
Lorsque M. Pelisson a écrit l'Histoire
de l'Académie , il n'a pas prétendu y
donner des regles pour la Langue , non
plus que M. le Maître dans son Plaidoyer.
Les Géographes que vous alleguez ont
laissé Bourdeaux écrit dans leurs Cartes,
comme ils l'ont trouvé dans celles qu'ils
ont réformées , et ils n'ont eu en vûë
que cette réformation et non pas celle
de la Langue ; en un mot, il faut toû
jours revenir à l'ancienne Etymologie ,
qui se trouvant autorisée par l'usage , on
ne doit pas balancer à se déterminer en
sa faveur. Ainsi l'usage d'aujourd'hui
étant pour Bordeaux , comme on peut le
remarquer en tous ceux qui parlent le
mieux , il faut suivre, cet usage qui n'a
rien que de doux et d'agréable à l'oreille.
Après le Latin vous avez eu recours au
Grec. Les Grecs prononcent , dites - vous,
Bour
AVRIL. 1733. 665
Bourdegala , le François qui a beaucoup
d'affinité avec le Grec , selon vous , doit
retenir la prononciation de l'ou; mais puisque
notre Langue n'en a pas moins avec
le Latin , qui de votre aveu , prononce
l'u comme les Grecs , témoin yotre Loucoullous
, il faudroit par la même raison
prononcer les venant du Latin ;
comme s'il y avoit ou. Ainsi au lieu de
muse , venant de musa , on diroit mouse ,
au lieu de peinture , pictura , on diroit
peintoura , ce qui produiroit de très - grandes
difformitez dans la Langue , et montre
assez que dans la prononciation Françoise
, on ne doit avoir égard ni à la Grecque
ni à la Latine , et qu'il faut suivre
uniquement celle qui se trouve établic
par le bel usage.
Mais enfin , Monsieur , pourquoi voulez
-vous persuader que Bordeaux vienne
de Burdigala , puisqu'il est plus naturel
que Burdigala ait été formé de Bordeaux,
cette Ville , comme je l'ai déja remarqué,
ayant été très- considerable , suivant le
témoignage de Strabon , dans le temps
que les Romains y mirent le pied ? Ainsi
le nom de Bordeaux imposé à la Ville
par ceux qui la bâtirent , étoit plus ancien
que le Latin Burdigala , à moins de
dire , pour favoriser notre décision que
Bur666
MERCURE DE FRANCE
Burdigala est composé du mot Espagnol
Burgo. , qui signifie Bourg , et de Gala ,
qui veut dire propreté et bonne grace ;
desorte la Ville n'étant encore qu'une
que
Bourgade dans son commencement , il
se pourroit faire qu'elle fût appellée par
ses Habitans , qui avoient eû , sans doute,
commerce avec les Espagnols , et qui parloient
quelque peu leur langage , Burgo
de Gala , c'est - à- dire , Bourg dont les Habitans
étoient propres et de bon air , et
par succession de temps , en retranchant
go , on en fit Burdegala , qui est le mot
Latin dont l'origine vous a assez occupé.
Voilà , Monsieur , une Etymologie heureuse
, puisqu'elle a l'avantage de tomber
dans votre sens , et elle ne convient pas
mal aux Habitans de cette Ville , singulierement
aux femmes , n'y en ayant gueres
ailleurs qui se mettent plus propre.
ment. Mais puisque je vous donne une
Etymologie qui doit , sans doute , vous
faire plaisir , vous ferez bien cette justice
au Public de lui passer celle de Bordeaux
et de ne pas refuser aux Rivages de cette
Ville qui présentent à toutes les Nations
un abord si agréable , l'honneur de lui
avoir donné le nom. Je suis , &c.
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Résumé : RÉPONSE à la Lettre inserée dans le Mercure du mois dernier, au sujet du nom de Bordeaux ou Bourdeaux.
Le texte discute de l'orthographe correcte du nom de la ville de Bordeaux. L'auteur reconnaît les arguments en faveur de 'Bourdeaux' mais soutient que 'Bordeaux' est la prononciation correcte. Il explique que 'Bordeaux' dérive de la situation géographique de la ville, entourée d'eaux, et que cette étymologie est plus logique que les autres propositions. L'auteur rejette l'idée que 'Bourdeaux' soit une corruption du nom et affirme que l'ajout du 'u' est une erreur. Il cite plusieurs auteurs et dictionnaires qui utilisent 'Bordeaux' et critique ceux qui préfèrent 'Bourdeaux' pour des raisons de vanité ou de négligence. L'auteur conclut que l'usage actuel et l'étymologie naturelle du nom favorisent 'Bordeaux'. Il propose également une étymologie alternative selon laquelle 'Burdigala' pourrait dériver de 'Bordeaux', mais il insiste sur le fait que 'Bordeaux' est le nom originel et correct.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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