JUGEMENT du veritable Apollon
sur le Prologue représenté le 21. Février
devant S. A. S. Madame la Duchesse
du Maine.
A S. A. S. Mademoiselle du Maine .
FLatté de l'accueil favorable ,
Que l'autre jour mon Apollon
Reçut dans la Cour respectable ,
Dont le bon goût et la décision
Marque à chacun son rang dans le sacré Vallon ,
Même auprès du Dieu du Parnasse
Je croïois hardiment pouvoir prendre ma place ,
Et je courois m'y présenter.
Mais ce Dieu m'arrêtant , que prétend ton audace
?
Me dit - il , et par où penses - tu mériter
L'immortel avantage
D'habiter ce brillant séjour ?
D'une Minerve et de sa Cour ,
N'en viens-je pas d'obtenir le suffrage ?
Lui dis -je ; et voilà mon Ouvrage.
Il le prend , il le lit ; je suis assez content ,
Répond-il , du dessein , des tours et des pensées,
Qui ne sont point embarrassées ;
L'Allégorie est noble et le stile élegant.
Mais j'apperçois une bévuë ,
Qui
MARS .
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1734.
Qui marque peu de jugement ,
Et qui de cette Cour aura frappé la vûë.
Tu parles assez dignement ,
J'en conviens , de la Mere ,
Et des Fils et du Pere ;
Mais quel est ton aveuglement !
Tu ne dis rien d'une Princesse >
Dont les appas , les vertus , la sagesse ,
Retracent si fidellement
Les hautes qualitez de sa Maison illustre ,
Et même en relevent le lustre.
Un oubli si grossier te chasse de ces Lieux ,
Et ne sçauroit trouver grace devant mes yeux.
Si par oubli , Seigneur , j'avois commis ce crime,
Répliquai- je en tremblant , confus , désesperé ,
Ton courroux seroit légitime.
Dès long- temps j'avois admiré
Tous les glorieux avantages ,
Qui pour cette Princesse exigent nos hommages ;
Même en secret je m'étois préparé
A demander bien-tôt ton assistance ,
Pour pouvoir mieux les exalter ;
Pour elle seule , un jour je prétendois chanter.
Je dois le dire encor , cet injuste silence
Ne vient ici que de mon ignorance ;
Je fus embarassé ; la Déesse des Arts
Nayant jamais eu de Famille ,
Je n'osai dans mes Vers lui donner une fille .
Hi
Le
584 MERCURE DE FRANCE
Le scrupule est plaisant ! reprend- il : le Dien
Mars
Eut - il jamais d'Epouse ?
Tu viens pourtant de parler de ses Fils.
Les Héros à ses Loix soumis ,
Dont la valeur , de gloire et de grandeur jalouse,
Asservit de fiers ennemis ,
De ce terrible Dieu n'ont - ils pas pris naissance ?
Lui dis - je ; oui , répond - il ; ainsi les grands
esprits
Qui chérissent les Arts , les Talents , la Science ,
Et par qui dans tous lieux on les voit triomphants
,
De Minerve sont les Enfants :
Et tes excuses sont frivoles.
Mais sans tant de détours , tu pouvois aisément,
Et même en très- peu de paroles ,
Tourner ton Compliment :
Dès l'abord Melpomene même
Auroit pû ... je t'entens ; tu viens de m'inspires
Par quel heureux moyen je pourrai réparer
Mon imprudence extrême ! .... *
Je crains pourtant,dit -il , que ce qu'en ces instants ,
Tu pourrois ajoûter à ton premier Ouvrage ,
Ne paroissant à contretemps ,
Ne te soit d'aucun avantage.
* C'est en consequence de cet ordre d'Apollon
que les trois Vers qui regardent cette Princesse ont
été ajoûtez à la premiere Scene du Prologue,
Mais
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Mais n'importe , fais tes efforts ;
Que ton zele s'empresse
A fléchir la Princesse
Par de nouveaux accords ;
En un mot , obtiens- en ta grace ,
Ou ne parois jamais sur le Parnasse.
Ainsi , Princesse , dans tes mains ,
Tu tiens aujourd'hui mes destins ,
Prononce mon Arrêt ; mais prends soin de ma
gloire ;
Place-moi , tu le peux , au Temple de Menioire ,
Songe que désormais mes Chants harmonieux
Publieront tes bienfaits et ta gloire en tous lieux.
Que dis-je ? quelle erreur ! quel fol orgueil m'anime
!
Ma Lire est - elle assez sublime ,
Pour chanter un sujet et si noble et si grand !
Je m'allarmois à tort ; il t'est indifferent ,
Que j'ose de ton nom ou parler ou le taire :
Pour avoir pû , Princesse , te déplaire ,
Il faudroit que mes Vers fussent d'un autre prix;
Que l'immortalité devenant leur salaire ,
Fat assurée à mes Ecrits.