LE PLAISIR EPURE.
O D E.
JE reprends aujourd'hui la Lire
Qu'autrefois je sçûs animer ;
Dieu des Vers , le Plaisir m'inspire :
Lui seul me suffit pour rimer.
Mais quelle vive ardeur me presse ?
Des premiers feux de ma jeunesse ,
Je ressens la vivacité :
Phébus j'abjure ta Méthode ,
Le Plaisir répand sur cette Ode ,
Ses charmes et sa nouveauté.
* L'Auteur à l'âge de 17. ans , avoit balancé
les suffrages de l'Académie des Jeux Floraux
pour le Prix de l'Ode, J
D Loin
1275 MERCURE DE FRANCE
Loin d'ici volupté sauvage ,
Dont Epicure fit un bien :
Les douceurs bien plus que la rage ,
Sont à craindre pour un Chrétien.
Par tes phantômes assallie ,
La raison tombe en létargie ,
Et ne s'éveille qu'en fureur ;
Mais la douceur enchanteresse ,
Du vif plaisir qui m'interesse ,
Eleve une ame et regle un coeur.
>
Aux beaux jours d'une vie heureuse ,
S'enflâment les riants Plaisirs :
La joye aisée et gracieuse ,
Brille , rit , éclate en desirs.
Ce n'est que transport , qu'allegresse ,
Où la plus séduisante yvresse ,
Flatte , amuse , enchante l'esprit :
Avec ce secours l'homme s'aime ;
Et croit , n'aimant plus que lui-même
Que l'Univers entier lui rit.
M
Oui , quand le plaisir nous anime
Et nous prévient de sa douceur ,
On sent une flamme sublime ,
Couler jusques au fond du coeur ;
L'esprit tiré de la matiere ,
I. Vol.
L
Jouit Į
JUIN. 1731. 1277
Joüit d'une pure lumiere ,
Plus brillante qu'un jour serain ;
Et quand dans les nuits les plus sombres,
Le plaisir dissipe les ombres ,
Il jouit du plus beau matin.
2
Tu nous sers , volupté paisible ,
Contre nos ennuis et nos maux :
Tu prépares un coeur sensible ,
A des transports toûjours nouveaux.
Cruels ennemis de nous- mêmes ,
Par tes séduisans stratagêmes ,
A nous - mêmes tu nous ravis ;
Et d'une trop fragile vie ,
Tu retiens le noeud qui la lie ;
Et tu répares ses esprits.
De deux amis qui se chérissent ,
Le Plaisir accroît la bonté :
C'est par ce Philtre que s'unissent ,
Tous les gens de Societé.
On s'assemble , mais c'est pour plaire :
Le Plaisir alors necessaire ,
Du commerce est le doux lien ,
Et dans ces momens favorables ,
On en trouve bien plus aimables ,
Les Convives et l'entretien,
Dij
L'hu
1278 MERCURE DE FRANCE
L'humeur philosophique et sombre
Qui ne m'abandonne jamais
M'invite à reposer à l'ombre ,
Sur le tapis d'un gazon frais :
Là , sur le bord d'une Onde
pure ,
Le Chêne entretient sa verdure ,
Mille fleurs y brillent aux yeux :
C'est là qu'avec plaisir je pense ,.
A conserver mon innocence ,
Par l'innocence de ces lieux .
粥
Là , quand la saison rigoureuse
Seme ses glaçons , ses frimats ,
Une societé nombreuse ,
M'invite à ne la craindre pas .
Tel chez moi lassé du commerce ;
-Près d'un brasier Bacchus m'exerce ,
Lui qui ne m'a jamais vaincu ;
Bien-tôt secouru d'un bon Livre ,
J'ai le bonheur d'apprendre à vivre ,
Et le plaisir d'avoir vécu .
Dans un âge encor susceptible
Des plus vives impressions ,
Je sens qu'il n'est plus si pénible ,
De combattre ses passions.
* 33. ans .
Le
JUIN. 1279 1731.
Le plaisir qui charme la vie ,
Unique et seul bien que j'envie ,
M'inspire de sages desirs ;
Et dans ces desirs j'envisage
Cette vie , et je la ménage ,
Dans l'esperance des plaisirs.
M
Le tems qui malgré nous entraîne
Nos jours trop prompts à s'écouler
Refuse à la vie incertaine ,
Le moyen de les rappeller.
C'est en vain que l'homme soupire
Du Monarque du sombre Empire ,
Il doit habiter le séjour.
Qu'il vive (a ) ou qu'aux Royaumes sombres ,
Il aille apprendre aux pâles Ombres ,
Qu'il a seulement vû le jour . (6)
In rebus jucundis vive beatus :
Vive memor , quam sis avi brevis .
Hor. Satyr. 6. Liv. 2.
(a) Vivre selon les Epicuriens , est de sçavoir
se procurer les plaisirs délicats ; ils en faisoient
même une espece de prudence. Prudentiam in
troducunt scientiam suppeditantem voluptates,
depellentem dolores . Cic. Offic. Liv. 3. c . 33 .
(b) Qui répond au Vixit des Romains , pour
dire qu'on n'est plus.
Parl'Abbé Day** ,Curé de G*** en Marsan.