Conte Arab- e.
LECalise Arbroun fut
comparé par les Poëtes
seTon temps àun arbre
prodigieusement grand
qui estoit près de son
chasteau ; ses profondes
& vastes racines,c'estoit,
disoient-ils, la puissance
du Calife solidement cftablie;
la tigeeslevée de-,
cet arbre portoitjusquaux
nuës une teste superbe
,le Calife avoit
l'esprit sublime; la teste
de cet arbre étoit ornée
de fleurs & de fruits, ce
Calife estoit gracieux &
bienfaisant, en un mot il
n'avoitdedeffaut qu'une
noire melancolie
,
qui
obscurcissoit le brillant
de son esprit, mais pour
dissiper ces nuages melancoliques
il avoit fait
son amy dun Filosofe,
qui sçayoit égayer la Filosofie
par des morales
réjouissantes, &par de,.
foliescensées.
Le Calife Arbroun difoitque
l'esprit de Thomme
estant encore plus
maladif que son corps,
un bon Filosofe estoit
aussi necessaire auprès
d'un Princequ'un bon
Madecin.Unjour estant
ieui avec le Medecin de
-& melancolie câpres une
réverie profonde, & regardant
l'arbrequ'onluy
comparoit, il s'écria tout a-coup : Arbroun, Arbroun
, tu attristetes
amis parta melancolie,
comme cet arbre toufu
attriste cm. les ombrageant
les arbresqui l'environnent,
puis se tournant
vers le Filosofe:
Ecoute, amy,luy dit-il,
je te promets une bague
chaquefois que tu pourras
me faire rire. Bon,
reprit le Filosofe en secoüant
la teste, je ne gagneroispas
avec vousen
dix ans dequoy orner un
de mes doigts, j'auray
beau plaisanter vous ne
rirez jamais; ce fera quelquefois
ma faute,& quelquefois
la vostre
,
mais
vous jugerez de mes bons
mots selon vostre mauvaise
humeur, & je n'auray
poli-Lt de bague.
Hé bien,reprit le Calife,
toutes les fois que
tu pourras me prouver
quec'est ma faute de n'avoir
pas ry - de tes plaisanteries
,
je te les paieray
-cimme bonnes, maisil
faudra me prouver par
raison que j'aurois deu
rire.Vous me reduisez
à l impossible, dit le Filosose,
je puis bien prouver
par raisonqu'un bon
motestraisonnable,mais
quand on pourroit prouver
qu'il estrisible
, on ne
prouvera pointàunhomme
qu'il a tort de n'en
pas rire. Voyons pourtant,
continualeFilosose,
sivous rirez de ceque
ma conté ce matin la fille
de chambrede cette
veuve, dont le mary
mourut hier, c'est la veuvede
vostre maistre
d'Hostel. Vous sçavez
qu'elle se picquoit d'estre
la plus tendre épouse du
pays,
pays, & par consequent
elle va te picquer d'estre
la plus affligée veuve qui
fut jamais. Hier après
avoir, en presence de sa
fille de chambre, épuisé
Ces larmes & sa douleur,
elle s'enferma seule pour
pouvoir en liberté laisser
reposer [on affliction &
estudierlerole d'affligée
qu'elle a resolu de soustenir.
Elle cherchedans
fan miroir tous les airs
& Les changements de
visage qui peuvent con^
venir aux larmes qu'elle
répandra; car elle compte
que les larmes ne luy
manqueront pas. De toutes
ces grimacesd'affliction
qu elle estudioit au
miroir, une entreautres
luy parut si plaisante à
elie-mesme,qu'ellene
put s'empescherd'enrire:
après avoir un peu
ri elle recommença son
estude,autregrimace qui
luy parut encore plus
plaifainte,illuyprit alors
des éclats de rire si violents
6c si continus que
je croy qu'elle rira tant
qu'elle fera veuve.
Ce recit accompagné
desgrimaces de la veuve
que contrefit le Filo-
(ose
,- ne fit pas seulement
sourciller le Calife.
- Le Filosofe bilieux
v&ifc.oillerreedeosut bpleicdqeubéoanus rmots ,onn'en rit point
il plaisante , de rage, Se
par de vives secoussesil
veut ébranler leCalife,
comme un voyageur alteré
qui voudroit atraper
une poire,s'efforce
d'ébranler à secousses reiterées
le poirier dont il
desire ardemment le
fruit; mais le Calife est
inebranlable, le Filosose
elt outré, & cette colere
outrée dans un Filosose
qui veut faire riredevoit
avoir son effet
, mais le
Califeenburità peine..,
Se faire sourire ne suffisoit
pas pour gagner la
bague.Dans le moment
une voléeouplustostune
épaissenuée de corneilles
vint se reposer sur ce
grand arbre à qui nous
avons comparé le Calife.
Je vishier ces mesmes,
corneilles,dit impromt tu
le Filosose
,
elles pense,
rent desesperer un brutal
distrait, qui voyant cette
nuéedetristes oiseaux
noircir les fruits & les
fleurs d'un si bel arbre,
s'irrita d'abord, & oubliant
que cette tige est
groilè comme une tour,
voulut dans son premier
mouvement secouer ce
gros arbre comme un
jeune poirier.
Imaginez-vous cet extravagantoccupé
du desir
defaire envoler ces
corneilles, transporté de
colere contre elles , il
redoubloit ses secousses
en se meurtrissant le dos
contrc le tronc de l'arbre,
comme nous voyons les
petitsenfans en colere,
frapper du poing la muraille
qui leur a fait une
bosse au front; le recit
que je vous fais n'est pas
riGble, mais je ne pûsjamais
m'empescher de rire
en voyant la chose en
original. Je croy que j'en
eusse ri comme toy, dit
le Calife, si je l'eusse veu.
Vous deviez donc rire
en me voyant en colere
vouloir pardes secousses
de plaisanteries reiterées
chasser de vostre teste les
noires corneilles,c'est-àdire,
les soucis &C les chagrinsqui
vous offuC.
quent. Je t'entens, dit le
Calife, en tirant de son.
doigt une bague, tu me
prouve que je devois rire
en voyant ta colere
,
ainsi
tu as gagné la bague..
C'est de ce conte qu'est
venu le ProverbeArabe
qui dit à propos des
grands,
grands Seigneurs, que
leur grandeur & leurs
soucis accablentde mélancolie,
Ils ontune volée
de corneillesdans la
iefle*
On