L'AMI RIVAL ,.
OU LA MORT DE TIRCIS
ου
EGLOGUE.
Assès loin des Hameaux , une verte Colline
Fait couler un Ruisseau , dont l'onde cristalline
En arrosant la Plaine exprime tendrement
Le regret de quitter un séjour si charmant.
Là , des Arbres touffus le spacieux ombrage.
Avoisine le Ciel de son vaste branchage ;
Là mille et mille oiseaux , dès la pointe du jour
Font redire leurs chants aux échos d'alentour ;
L'infortuné Tircis dans ce lieu solitaire ,
Devançoit le retour du Dieu qui nous éclaire ,,
Depuis que par ses feux et sa tendre langueur-
L'amour avoit troublé le repos de son coeur ;
De l'adorable Iris un regard vif et tendre ,
L'avoit rendu Rival de son ami Timandre ;
Le sort lui ravissoit en cet état fatal ,
La funeste douceur de hair son Rival :
Ami parfait , amant trop sensible à sa flamme ;
L'amour et l'amitié tyrannisent son ame :
Mais malgré tous les feux dont il se sent brûler
Il aime mieux mourir que de les relever.
II. Vol..
Ses
DECEMBRE 1731 2981
Ses jours ne coulent plus que dans l'inquiétude ,
Le soin de son troupeau ne fait plus son étude.
Ses chalumeaux oisifs pendent à son côté ;
Hors Iris , dans son coeur pour rien tout est
compté ,
Quand pour ne pas troubler le bonheur de Timandre
,
Il veut cacher les feux qui vinrent le surprendre.
Languissant , abbatu par ce cruel effort ,
Il souffre des tourmens plus affreux que la mort,
Mais à peine le jour ( qu'une foy mutuelle
Doit unir à jamais Timandre avec sa belle )
Pour accabler son coeur , éclaire les coteaux ;
Que les doux Rosignols l'annoncent aux Hameaux.
Les Bergeres auprès viennent parer leur tête ;
L'amour sur mille coeurs medite sa conquête ,
L'on entend retentir le bruit confus et doux
Des Flutes , des Hautbois , et des oiseaux jaloux.
Tout paroit ressentir la commune allegresse ,
Tout au plus insensible , inspire la tendresse ;
De toutes parts enfin par mille jeux divers ,
A la joye , aux plaisirs , tous les coeurs sont ou
verts.
Tircis , le seul Tircis n'en peut être capable ,
A peine il voit briller un jour si remarquable ,
Que d'un trouble mortel tous ses sens sont sur
pris ,
Triste , mais tendre effet de la
perte
d'Iris.
11, Vol.
2982 MERCURE DE FRANCE
Il se dérobe , il fuit une importune foule ;
Par des chemins couverts en secret il s'écoule ;
Il arrive bientôt dans un bois écarté ,
Pour réver au dessein qu'il a prémedité ;
Ah ! dit -il,noirs chagrins , sombre mélancolie )
Terminés , s'il se peut , une odieuse vie :
Il interrompt ses pleurs au son des chalumeaux
Et tournant ses regards du côté des hameaux ::
Il y voit l'allegresse en tous lieux répanduë ,
Pour un Amant qui souffre, insuportable vûë !
Il frémit , et pressé de ses vives douleurs :
» Tout rit , tout est en joye , et moi , ( dit-il , )
je meurs.
A la perte d'Iris je ne sçaurois survivre.
→ Mourons de tant de maux que la mort me délivre
:
Mourons... pour éviter un éternel tourment
» Il ne m'en va couter qu'un seul cruel moment;
» L'amour et l'amitié veulent ce sacrifice :
Fleuve , tu me rendras ce funeste service ,
» Finissant mes malheurs , tu seras mon tom
beau ,
» Tu seras.... dans son sein il s'élance aussitôt
;
A son dernier moment il court , il vole , il
touche
L'onde étouffe sa voix dans sa mourante bouche
Et lorsque cet hymen réjouit les hameaux ,
Le malheureux Tircis expire au fond des Eaux.