COMEDIE FRANÇOISE.
E 23 Juillet , les Comédiens François
remirent pour la premiere fois Marius
, Tragédie de M. de Caux. Cette piece
n'avoit point été jouée depuis fa nouveauté
en 1716. Elle a de grandes beautés.
J'oferois prefque dire que le rôle du vieux
Marius eft frappé au coin du grand Corneille
. Celui d'Arisbe a été rendu fupérieurement
par Mlle Clairon , qui embellit
tout ce quelle joue.
Le Dimanche 27 du même mois , la
nouvelle Actrice , Mlle Mezieres , a repréfenté
Camille dans les Horaces , avec
l'approbation générale , qui dit plus aujourd'hui
que l'applaudiffement du Parterre.
L'applaudiffement eft fouvent acheté
, au lieu que l'approbation est toujours
libre , & ne s'accorde qu'au talent par le
public connoiffeur , qui feul l'apprécie.
Ses arrêts font moins bruians, mais ils font
les feuls qui décident . Le fuccès & le mé-
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224 MERCURE DE FRANCE.
rite théatral de Mlle Mezieres ne font donc
plus douteux. Ce troifiéme rôle a convaincu
les plus incrédules. Elle l'a joué
avec autant d'ame que d'intelligence , &
s'eft furpaffée dans l'imprécation du quatriéme
acte. C'eft dans les grands morceaux
qu'un Acteur fe développe. Quoiqu'on
en dife , ils ne fervent que le vrai
talent , ils font toujours l'écueil de la médiocrité.
L'Actrice nouvelle n'eſt point
bornée au férieux , elle n'a pas moins réuffi
dans le comique. Elle le rend avec d'autant
plus d'efprit , qu'elle ne copie perfonne
, & qu'elle exprime également bien
les caracteres oppofés. Elle a joué l'Amoureuse
dans le Florentin , avec une fineffe
qui eft à elle ; & Lucinde dans l'Oracle
, avec une naïveté fpirituelle , qui
n'eft pas montrée ; il ne lui manque que
l'ufage & le ton du théatre de Paris.
Le fieur Raucourt qui a été reçu pour
un an à l'effai , a repréſenté le vieil Horace
d'une maniere à mériter de plus en
plus l'encouragement du public.
Le 20 Août, les mêmes Comédiens ont
donné la premiere repréſentation de l'Orphelin
de la Chine , Tragédie nouvelle de
M. de Voltaire .
Toute la France y étoit , & le plus grand
nombre l'a applaudie. Ceux qui la jugent
SEPTEMBRE . 1755. 225
avec le plus de rigueur , font forcés de convenir
que les détails en font admirables.
Si la gloire de ce Poëte célébre pouvoit
croître , elle feroit comblée par ce nouveau
triomphe. Il eft vrai que Mlle Clairon doit
le partager ; on peut dire que le talent de
l'Actrice difpute de force avec le génie dé
l'Auteur. M. de Voltaire eft né ponr faire
de beaux vers , & Mlle Clairon eft faite
pour les dire. Heureufement pour la piéce
elle y joue le meilleur rôle. Je ne crois pas
que l'onpuiffe mettre au théatre un caractere
plus intéreffant que celui d'Idamé qu'elle
repréfente. Son héroïfime eft dans la nature,
Celui de fon mari fort de l'humanité.
Il eſt le modele des fujets , mais il en remplit
les devoirs aux dépens de ceux de pere
& d'époux . Il veut facrifier fon fils dans
le berceau , malgré les cris du fang , & il
exhorte fa femme à vivre pour regner avec
le tyran dont elle eft aimée. Idamé au contraire,
mere auffi tendre qu'époufe parfaite,
défend les jours de fon fils au péril des fiens ,
& propofe à fon mari un parti plus noble
& plus convénable , c'eft de mourir tous
deux d'une mort libre par le fecours d'un
poignard qu'elle lui préfente. Nous aurons
le tems de parler plus au long de cette Tragédie
, dont vraisemblablement la réuffite
ne fera point paffagere.