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1
p. 145-189
LA RUNE. A Madame la Marquise de M.
Début :
Quand d'une ardeur si peu commune [...]
Mots clefs :
Rhune, Diable, Dieu, Collier, Tribune, Pyrénées, Rocher, Soleil, Baleine, Rivage, Dame, Almanachs, Amour
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texteReconnaissance textuelle : LA RUNE. A Madame la Marquise de M.
LA RUNE.
A Madame la Marquife
de M.
QUand d'une ardeur´ fi
peu commune
On vous entend pouffer
tout bas
Et des foûpirs & des helas ,
Qui croiroit que c'eſt pour
la Rune?
Quelques gens trop promts
à la main
Fuillet 1712 .
N
146 MERCURE
A juger mal de leur prochain ,
Pourront s'imaginer peutêtre ,
S'ils n'ont l'honneur devous
connoître ,
Que la Rune eft un cava
lier,
Non de tels qu'on en voit
paroître
A Paris au moins un millier,
Dont le merite fingulier
Nepaffe point le Petit-Maître :
Mais un de ceux au grand
colier ,
GALANT. 147
Quiparfonair diſcret, honnête ,
Vous auroit donné dans la
tête.
Mais j'en avertis promptement ,
Point de jugement temeraire ,
La Rune pour qui feulement
Vous foûpirez fi tendrement
Et fans enfaire de myſtere ;
La Rune qui feul fçut toucher
Un cœur toûjours fage &
fevere ;
Nij
148 MERCURE
La Rune qui feul peut vous
plaire ,
Helas n'eft qu'un pauvre
rocher.
Sur la cime des Pirenées .
Oùbravant depuis fix mille
ans
Et la foudre & les deftinées,
Il compte les fiecles courans ,
Comme nous comptons les
années ;
Ce rocher orgueilleux &
fier
Etend au large fon empire ,
Et paroiffant feul & fans
pair,
GALANT. 149
Parpitiépour ce qui refpire
Sans tomber refte prefque
en l'air.
Devant fon énorme figure
Lesautresrochers fes fujets,
Vils avortons de la nature ,
Ne femblent que des marmoufers ,
Dont les plus hauts & les
mieux faits
Nelui vont pasà la ceinture.
De là comme d'un Belveder ,
Allongeant fon col vers la
mer,
Il voit fous lui la terre &
l'onde ,
N iij
150 MERCURE
Ét dominant également
Sur l'un & fur l'autre ele.
ment *
Semble , faifant par tout la
ronde ,
Contempler curieufement
Ce qui le fait dans tout le
monde.
Contre fon chefaudacieux
Qui touche preſque jufqu'
aux cieux ,
Paroît cloüé comme une
cage
Un pauvre petit hermitage,
Deux cellules pour loge.
nient ,
GALANT. ISL
Avec un peu de jardinage ,
Qui cultivélegerement
Fournit affez abondamment
Herbes & fruits pour le ménage.
Joignez encoreaubâtiment
Sur l'un des bouts une Chapelle ,
Et del'hermitage charmant
Vous aurez un portrait fi.
delle.
Cependant du rochervoiſin
Le paffant qui va fon chemin,
S'il tourne vers là la prunelle ,
Niiij
152 MERCURE
Au lieu d'un logement hu
main ,
Demaiſon , Chapelle & jardin ,
Croit nevoir qu'un nid d’hirondelle.
Or,foit nid d'hirondelle où
non,
C'eſt où vous pretendez ,
dit
on ,
Aller fixer vôtre demeure.
Ce deffein eft loüable &
bon ,
Vous le voulez , à la bonne
heure :
Mais tandis qu'au gré de
VOS Vœux
GALANT.
153
Votre équipage fe prepare,
Que vous prenez vôtre fimarre
Et que l'on treffe vos cheveux ;
Que de papier & de clincaille
Vous ornez le chapeau de
paille ,
Qui dans cette aimable prifon
Doitvous tenir lieu de coiffure ;
Avant d'entrer dans la voiture ,
Et de quitter nôtre horizon,
Souffrez que,commede raifon ,
154 MERCURE
Je prêche ici vôtre vêture.
Lafolitude eftbelle envers,
On eft charmé de fa pein
ture :
Mais elle a de fâcheux re,
vers ,
Et malgré ce qu'on s'en
figure ,
Donnebien de la tablature.
J'en fçai mille exemples divers ,
Quelque bien qu'on foit le
temps dure ,
Et je vois dans cet univers
Qu'on aime à changer de
poſture.
GALANT. 159
Quand vous aurez fait le
plongeon,
Et que vous vous ferez perchée
Sur le haut de vôtre donjon,
Vous y ferez bien empê.
chée.
Delà vous verrez, je le veux,
La mer en orages feconde ,
Rouler fes flots impetueux,
Et blanchir les rocs de fon
onde :
Encor le fait eft-il douteux ;
Car du fommet de cette
roche,
Avec l'œil le plus délié ,
Pour voir la mer qui bat fon
pié
156 MERCURE
Il faut des lunettes d'approche.
Mais voyez-la , je le veux
bien;
Voyez, fi vous voulez , encore
Depuis le rivage Chrétien
Jufques au rivage du More ;
Confiderez de toutes parts
Vingt & vingt Royaumes
épars ;
Voyez encore , s'il fe peut
faire ,
Tout ce que leSoleil éclaire;
Et , fi jamais rien vous a
plû,
Ayoüez , fainte folitaire ,
GALANT. 157
Que cette vûë a de quoy
plaire :
Mais d'un coup d'œil on a
tout vû.
Durant cela le jour s'allonge,
Le Soleil marche avec lenreur :
Il eſt encor dans fa hauteur ,
Qu'on attend l'inſtant qu'il
ſe plonge ,
Et qu'enfin le fommeil vainqueur
Du cruel chagrin qui vous
ronge ,
Etourdiffe vôtre langueur,
158 MERCURE
Et par l'image d'un beau
fonge
Charme l'ennui de vôtre
cecur.
Lorfque cet ennui vous poffede ,
La priere eft un bon remede ;
Tout hermite en doit faire
cas ,
S'il veut que Dieu lui foit
en aide.
Vousprierez , je n'en doute
pas:
Mais l'ame eft quelquefois
bien tiede ,
Et quand deprier on eft las,
GALANT.
159
Il faut trouver quelque intermede.
Jeveux que dans vôtre oraifon
Dieu vous anime & vous
confole ,
Qu'il éclaire vôtre raiſon ,
Et vousporte aucœur fa
role :
paMais aprés toutes ces faveurs ,
Vous trouverez comme
tant d'autres ,
Bientôt la fin de vos ferveurs
Et le bout de vos patenôtres ,
160 MERCURE
Et gare auffi quelques vapeurs.
Ce n'eft pas que de vôtre
Dune,
Comme du haut d'une Tribune ,
Vous pourrez prêcher les
poiffons ,
Qui réveillez par vos doux
fons ,
Et curieux de vous connoître ,
Pour mieux entendre vos
leçons ,
Mettront la tête à la fenêtre.
Je
GALANT. 161
Jevois déja les eftourgeons
Sur la merfaireun promontoire ,
Avec un peuple de goujons
Qui courent à votre auditoire :
Les dauphins en gens du
grand air ,
Pardeffus l'eau levant la tête ,
Et ruminant quelque conquête ,
Viennent d'un pas de Duc
& Pair.
CommeDames de haut parage
Lesbaleines plus lentement
Juillet 1712.
162 MERCURE
S'avancent en grand équi
page ,
Traînant aprés elles maint
page
Qui fend les eaux gaillar
dement.
Prêchez mais au fortir de
chaire
N'attendez point de com.
pliment ,
Les poiffons n'en fçavent
point faire ;
Non, ni baleine ni faumon
N'aura jamais Fefprit de
direr:
Le grand talent ! le beau
fermom! J
GALANT. 163
Cependant il n'en faut pas
¡ire ,
Un compliment un peu
teur
flaSoulage le Predicateur ;
Il ne prêche que pour inftruire :
Mais après tout je croirois
bien
Qu'un compliment ne gâte
rien.
C'eft chofe enfin bien ennuyeuſe ,
Fut- on même grande caufeufe ,
D'entretenir un peuple for,
Quifait fortir deles paupieres O ij
164 MERCURE
Des yeux grands comme
des falieres ,
Et jamais ne vous répond
mot.
Un long filence nous at
triſte ;
Encor faut-il dans le befoin
Avoir quelqu'un qui prenne foin
Devous dire, Dieu vous affifte.
Ce monde a de fort grands
défauts ,
Ne craignez pas que je l'excufe ;
Il eſt méchant,leger &faux,
GALANT. 165
Il trompe, il feduit, il abuſe,
Il eft auteur de mille maux:
Mais tel qu'il eft il nous
amufe ,
Sans ceffe il fournit à nos
yeux
Mille fpectacles curieux.
Sa ſcene mobile & chanPlaît même
geante
par fon changement ;
Toûjours nouvel évenement
Que fon efprit fecond enfante
Nous réveille agreablement.
166 MERCURE
L'un rit , & l'autre fe lamente ,
Tous deux trompez égale.
ment ,
L'un arrive au port fûrement
L'autre eft encor dans la
tourmente ;
L'un perd fon bien , l'autre
l'augmente ;
L'un pourfuit inutilement
Lafortune toûjours fuyante ,
L'autre l'attend tranquile
ment,
Ou parvient fans fçavoir
comment
GALANT. 167
Et prefque contre ſon at
tente.
L'un reüffit heureuſement,
L'autre, aprés bien du mou.
vement ,
Trouve un rival qui le fupplante.
L'un en pefte , l'autre en
plaifante ,
L'un vous brufque groffierement ,
L'autre d'une main caref
fante
Vous poignarde civile
ment.
L'unaime Dieutrés- ardem ,
ment ,
168 MERCURE
Ou fait femblant , que je ne
mente ;
Pour fon prochain , il s'en
exempte.
L'autre s'aime trés tendrement ,
Et d'autrui fort peu fe tourmente.
L'unfe venge devotement ,
L'autre avec éclat , & s'en
vante.
L'un parle des Saints doctement,
L'autre les revere humblement
Et de les fuivre fe contenشر te. :
L'un
GALANT. 169
L'un a de l'air , de l'agrément ,
L'autre par fa mine é
pouvante ;
L'un fait un bon contrat
de rente ,
Et l'autre fait un teſtament ,
L'un à quinze ans , l'ame
dolente ,
1
Va prendre gifte au monument ,
Et l'autre prend femme
à foixante
L'un fe fait tuer trifteFuillet 1712.
P
170 MERCURE
ment ,
L'autre naift au mefme
moment
Pour remplir la place
vacante ;
On rencontre indifferemment
Un Bapteſme , un Enterrement ;
Enfin c'eft une Comedie
De voir ce qu'on voit
tous les jours :
Vous diriez en voyant
ces tours ,
Quela fortune s'eftudie
GALANT. 171
Sans ceffe à varier fon
cours ;
Tousjours quelque metamorphofe
Donne matiere à l'entretien ,
Mais fur la Rune on ne
voit rien ,
f
Ou c'eſt tousjours la
meſme choſe ;
En un mot dans ce pau30 vre nid
On ne fçait qui meurt ,
ny qui vit.
Il est bien vray qu'à voPij
172 MERCURE
ftre Rune
Vous ferez proche de la
Lune ,
Et que mefme en faiſant
chemin ,
Elle peut vous toucher
la main.
Mais en ferez - vous plus
chanceuſe ,
Et pouvez - vous faire
grand castr
D'une voiſine fi fafcheufe ?
Si l'on en croit les Almanachs ,
GALANT. 173
La Dame eft fort capricieuſe ,
Donnant dans des hauts
& des bas.
Elle fera la précieuſe
Voilant quelquefois fes
appas ,
Quelquefois ne les voilant pas ;
Tantoft ſe montrant toute entiere ,
Tantoft feulement à moiCastié ,
Sans que par foupir ny
priere ,
P iij
174 MERCURE
Ny par les droits de l'amitié ,
Vous puifficz durant fa 45
carrière.
En obtenir pour un moments
Comme une grace finguliere ,
De changer fon ajuſte20hing ment.
D'ailleurs il ne faut nullement
Qu'elle vous foit ſi familiere ;
Croyez-moy , c'eſt ſans
GALANT. 175
paffion ,
Avec une telle ouvriere
Point trop de frequentation ;
Car outre fa complexion
Que l'on dit eſtre fort
mauvaiſe ,
N'eftant jamais , ne vous
deplaife ,
Sans quelque bonne fluxion ,
Outre fes rhumes , fes catharres,
Qu'on gagne par contagion ,
P iiij
176 MERCURE
Ainfi que fes humeurs
bifarres
Dans cette trifte region ;
Sa conduite n'eft pas bien
nette ,
Jevousle dis auparavant,
Bien qu'elle foit vieille
planette ,
Elle met en jeune coquette ,
Du rouge & des mouches fouvent ,
Et fe farde fous fa cornette
Je le fçay de plus d'un
GALANT. 177
fçavant
Qu'elle reçoit à fa toillette :
De plus , ſi ce n'eſt un
faux bruit ,
Au lieu de vivre en femme fage ,
Elle abandonne fon mefnage ,
Et court le bal toute la
nuit.
De là vient, je croy , certain conte
D'un certain jeune Endimion
178 MERCURE
Que le monde a mis fur
fon compte ;
Etcette indigne affection
Adans tous lieux fur fon
paffage
Taché fa reputation ,
Autant ou plus que fon
vifage.
Peut - eftre eft - ce une
fiction ,
Mais enfin cela la diffame ;
Et pourquoy fortant de
fon
trou ,
Va-t-elle auffi la bonne
GALANT. 179
Dame
Courir la nuit le guilledou ,
Lebeaumeftier pour une
femme ;
Et puis après l'a plaindra t'on
Quand on luy vient
chanter fa gamme,
Ou luy donner quelque
dicton ;
Helas la pauvre malheureufe land on
Le bel honneur où la
voila
180 MERCURE
De paffer pour une coureufe!
La verrez - vous après
cela ?
Vous n'aurez point cette
manie ,
Et c'eft für quoyl'on veut
compter ;
Voila pourtant la compagnie ,
Dont il faudra vous contenter.
Il ne faut point que l'on
vous berce
De cet efpoir trompeur
GALANT. 181
I
& vain,
Que vous puiffiez avoir
commerce
Avec aucun viſage humain ;
Si ce n'eft quelque pauvre haire ,
Qui dans les rochers égaré ,
Vint à vous d'un air é-
- ploré,
Cherchant remede à fa
mifere.
Il fera d'un ton doulouov kreux ,
182 MERCURE
S'il vous trouve prompt
à le croire ,
Du defaftre le plus affreux ,
La trifte & lamentable
hiſtoire ,
Mais tout cela fent le
grimoire ,
Prenez bien garde à l'hameçon :
Et crainte de tout malefice ,
Fermez la porte fans façon ,
Et luy dites , Dieu yous
GALANT. 183
beniffe.
Mais la charité .... mais
enfin
On dit que le diable eſt
bien fin ,
Le drofle eft fait au badinage ,
C'eſt un franc archipatelin ,
Sombre, fournois , fourbe & malin ,
Qui fçait jouer fon perfonnage ,
Et qui pour fonder le
terrain ,
184 MERCURE
Va ſouvent en pelerinage ,
Defiez- vous du pelerin ;
Mais fans que le diable
s'en mefle ,
Il s'en fait aſſez aujourdhuy.
Et quoy qu'on jette tout
fur luy ,
Ce n'eft pas toujours luy
qui gretle :
Nous avons au dedans
de nous
Un ennemy bien plus
à craindre ,
GALANT. 184
Il porte les plus rudes
coups ,
Et perfonne n'ofe s'en
plaindre ,
Chacun l'excufe & le
cherit ,
Et s'il arrive quelque
hiſtoire ,
On s'en prend au malin
eſprit ,
A qui l'on en fait bien
accroire.
Il a tout fait, il a tout dit,
On compte fort fur fon
credit ;
Fuillet 1712. Q
186 MERCURE
C'eft luy qui fait qu'on
fuit la peine ,
Et que l'on cherche le
plaifir ,
C'eft luy qui par la main
nous meine
Où nous porte noftre
defir ;
C'eft luy qui fait la medifance ,
C'eft luy qui dicte la
vengeance ,
C'eft luy dont l'afcendant certain
Rend le foldat dur &
GALANT. 187
barbare ,
Rend le noble fier &
hautain ,
Rend le jeune homme
libertin ,
Et le fexagenaire avare.
Le fourbe dans fes trahifons ,
Et le faint dans fes oraifons ,
Imputent tout à fa malice.
De tous les maux que
nous faifons
Il eſt l'autheur & le comQij
188 MERCURE
plice ;
He laiffons - le pour ce
qu'il eft :
Pourquoy faut il qu'on
s'imagine
Qu'il fait jouer comme
il luy plaiſt ,
Les refforts de noftre
machine ,
On l'accufe de maintforfait ,
Mais à bien juger de
l'affaire
Souvent ce n'eft
qui fait ,
pas luy
GALANT. 189
Il ne fait que nous laiſſer
faire.
On fe livre à la volupté ,
Parce qu'elle flatte &
qu'on l'aime ,
Et fi du diable on eft
tenté ,
Il faut dire la verité ,
Chacun eft un diable à
foy -mefme.
A Madame la Marquife
de M.
QUand d'une ardeur´ fi
peu commune
On vous entend pouffer
tout bas
Et des foûpirs & des helas ,
Qui croiroit que c'eſt pour
la Rune?
Quelques gens trop promts
à la main
Fuillet 1712 .
N
146 MERCURE
A juger mal de leur prochain ,
Pourront s'imaginer peutêtre ,
S'ils n'ont l'honneur devous
connoître ,
Que la Rune eft un cava
lier,
Non de tels qu'on en voit
paroître
A Paris au moins un millier,
Dont le merite fingulier
Nepaffe point le Petit-Maître :
Mais un de ceux au grand
colier ,
GALANT. 147
Quiparfonair diſcret, honnête ,
Vous auroit donné dans la
tête.
Mais j'en avertis promptement ,
Point de jugement temeraire ,
La Rune pour qui feulement
Vous foûpirez fi tendrement
Et fans enfaire de myſtere ;
La Rune qui feul fçut toucher
Un cœur toûjours fage &
fevere ;
Nij
148 MERCURE
La Rune qui feul peut vous
plaire ,
Helas n'eft qu'un pauvre
rocher.
Sur la cime des Pirenées .
Oùbravant depuis fix mille
ans
Et la foudre & les deftinées,
Il compte les fiecles courans ,
Comme nous comptons les
années ;
Ce rocher orgueilleux &
fier
Etend au large fon empire ,
Et paroiffant feul & fans
pair,
GALANT. 149
Parpitiépour ce qui refpire
Sans tomber refte prefque
en l'air.
Devant fon énorme figure
Lesautresrochers fes fujets,
Vils avortons de la nature ,
Ne femblent que des marmoufers ,
Dont les plus hauts & les
mieux faits
Nelui vont pasà la ceinture.
De là comme d'un Belveder ,
Allongeant fon col vers la
mer,
Il voit fous lui la terre &
l'onde ,
N iij
150 MERCURE
Ét dominant également
Sur l'un & fur l'autre ele.
ment *
Semble , faifant par tout la
ronde ,
Contempler curieufement
Ce qui le fait dans tout le
monde.
Contre fon chefaudacieux
Qui touche preſque jufqu'
aux cieux ,
Paroît cloüé comme une
cage
Un pauvre petit hermitage,
Deux cellules pour loge.
nient ,
GALANT. ISL
Avec un peu de jardinage ,
Qui cultivélegerement
Fournit affez abondamment
Herbes & fruits pour le ménage.
Joignez encoreaubâtiment
Sur l'un des bouts une Chapelle ,
Et del'hermitage charmant
Vous aurez un portrait fi.
delle.
Cependant du rochervoiſin
Le paffant qui va fon chemin,
S'il tourne vers là la prunelle ,
Niiij
152 MERCURE
Au lieu d'un logement hu
main ,
Demaiſon , Chapelle & jardin ,
Croit nevoir qu'un nid d’hirondelle.
Or,foit nid d'hirondelle où
non,
C'eſt où vous pretendez ,
dit
on ,
Aller fixer vôtre demeure.
Ce deffein eft loüable &
bon ,
Vous le voulez , à la bonne
heure :
Mais tandis qu'au gré de
VOS Vœux
GALANT.
153
Votre équipage fe prepare,
Que vous prenez vôtre fimarre
Et que l'on treffe vos cheveux ;
Que de papier & de clincaille
Vous ornez le chapeau de
paille ,
Qui dans cette aimable prifon
Doitvous tenir lieu de coiffure ;
Avant d'entrer dans la voiture ,
Et de quitter nôtre horizon,
Souffrez que,commede raifon ,
154 MERCURE
Je prêche ici vôtre vêture.
Lafolitude eftbelle envers,
On eft charmé de fa pein
ture :
Mais elle a de fâcheux re,
vers ,
Et malgré ce qu'on s'en
figure ,
Donnebien de la tablature.
J'en fçai mille exemples divers ,
Quelque bien qu'on foit le
temps dure ,
Et je vois dans cet univers
Qu'on aime à changer de
poſture.
GALANT. 159
Quand vous aurez fait le
plongeon,
Et que vous vous ferez perchée
Sur le haut de vôtre donjon,
Vous y ferez bien empê.
chée.
Delà vous verrez, je le veux,
La mer en orages feconde ,
Rouler fes flots impetueux,
Et blanchir les rocs de fon
onde :
Encor le fait eft-il douteux ;
Car du fommet de cette
roche,
Avec l'œil le plus délié ,
Pour voir la mer qui bat fon
pié
156 MERCURE
Il faut des lunettes d'approche.
Mais voyez-la , je le veux
bien;
Voyez, fi vous voulez , encore
Depuis le rivage Chrétien
Jufques au rivage du More ;
Confiderez de toutes parts
Vingt & vingt Royaumes
épars ;
Voyez encore , s'il fe peut
faire ,
Tout ce que leSoleil éclaire;
Et , fi jamais rien vous a
plû,
Ayoüez , fainte folitaire ,
GALANT. 157
Que cette vûë a de quoy
plaire :
Mais d'un coup d'œil on a
tout vû.
Durant cela le jour s'allonge,
Le Soleil marche avec lenreur :
Il eſt encor dans fa hauteur ,
Qu'on attend l'inſtant qu'il
ſe plonge ,
Et qu'enfin le fommeil vainqueur
Du cruel chagrin qui vous
ronge ,
Etourdiffe vôtre langueur,
158 MERCURE
Et par l'image d'un beau
fonge
Charme l'ennui de vôtre
cecur.
Lorfque cet ennui vous poffede ,
La priere eft un bon remede ;
Tout hermite en doit faire
cas ,
S'il veut que Dieu lui foit
en aide.
Vousprierez , je n'en doute
pas:
Mais l'ame eft quelquefois
bien tiede ,
Et quand deprier on eft las,
GALANT.
159
Il faut trouver quelque intermede.
Jeveux que dans vôtre oraifon
Dieu vous anime & vous
confole ,
Qu'il éclaire vôtre raiſon ,
Et vousporte aucœur fa
role :
paMais aprés toutes ces faveurs ,
Vous trouverez comme
tant d'autres ,
Bientôt la fin de vos ferveurs
Et le bout de vos patenôtres ,
160 MERCURE
Et gare auffi quelques vapeurs.
Ce n'eft pas que de vôtre
Dune,
Comme du haut d'une Tribune ,
Vous pourrez prêcher les
poiffons ,
Qui réveillez par vos doux
fons ,
Et curieux de vous connoître ,
Pour mieux entendre vos
leçons ,
Mettront la tête à la fenêtre.
Je
GALANT. 161
Jevois déja les eftourgeons
Sur la merfaireun promontoire ,
Avec un peuple de goujons
Qui courent à votre auditoire :
Les dauphins en gens du
grand air ,
Pardeffus l'eau levant la tête ,
Et ruminant quelque conquête ,
Viennent d'un pas de Duc
& Pair.
CommeDames de haut parage
Lesbaleines plus lentement
Juillet 1712.
162 MERCURE
S'avancent en grand équi
page ,
Traînant aprés elles maint
page
Qui fend les eaux gaillar
dement.
Prêchez mais au fortir de
chaire
N'attendez point de com.
pliment ,
Les poiffons n'en fçavent
point faire ;
Non, ni baleine ni faumon
N'aura jamais Fefprit de
direr:
Le grand talent ! le beau
fermom! J
GALANT. 163
Cependant il n'en faut pas
¡ire ,
Un compliment un peu
teur
flaSoulage le Predicateur ;
Il ne prêche que pour inftruire :
Mais après tout je croirois
bien
Qu'un compliment ne gâte
rien.
C'eft chofe enfin bien ennuyeuſe ,
Fut- on même grande caufeufe ,
D'entretenir un peuple for,
Quifait fortir deles paupieres O ij
164 MERCURE
Des yeux grands comme
des falieres ,
Et jamais ne vous répond
mot.
Un long filence nous at
triſte ;
Encor faut-il dans le befoin
Avoir quelqu'un qui prenne foin
Devous dire, Dieu vous affifte.
Ce monde a de fort grands
défauts ,
Ne craignez pas que je l'excufe ;
Il eſt méchant,leger &faux,
GALANT. 165
Il trompe, il feduit, il abuſe,
Il eft auteur de mille maux:
Mais tel qu'il eft il nous
amufe ,
Sans ceffe il fournit à nos
yeux
Mille fpectacles curieux.
Sa ſcene mobile & chanPlaît même
geante
par fon changement ;
Toûjours nouvel évenement
Que fon efprit fecond enfante
Nous réveille agreablement.
166 MERCURE
L'un rit , & l'autre fe lamente ,
Tous deux trompez égale.
ment ,
L'un arrive au port fûrement
L'autre eft encor dans la
tourmente ;
L'un perd fon bien , l'autre
l'augmente ;
L'un pourfuit inutilement
Lafortune toûjours fuyante ,
L'autre l'attend tranquile
ment,
Ou parvient fans fçavoir
comment
GALANT. 167
Et prefque contre ſon at
tente.
L'un reüffit heureuſement,
L'autre, aprés bien du mou.
vement ,
Trouve un rival qui le fupplante.
L'un en pefte , l'autre en
plaifante ,
L'un vous brufque groffierement ,
L'autre d'une main caref
fante
Vous poignarde civile
ment.
L'unaime Dieutrés- ardem ,
ment ,
168 MERCURE
Ou fait femblant , que je ne
mente ;
Pour fon prochain , il s'en
exempte.
L'autre s'aime trés tendrement ,
Et d'autrui fort peu fe tourmente.
L'unfe venge devotement ,
L'autre avec éclat , & s'en
vante.
L'un parle des Saints doctement,
L'autre les revere humblement
Et de les fuivre fe contenشر te. :
L'un
GALANT. 169
L'un a de l'air , de l'agrément ,
L'autre par fa mine é
pouvante ;
L'un fait un bon contrat
de rente ,
Et l'autre fait un teſtament ,
L'un à quinze ans , l'ame
dolente ,
1
Va prendre gifte au monument ,
Et l'autre prend femme
à foixante
L'un fe fait tuer trifteFuillet 1712.
P
170 MERCURE
ment ,
L'autre naift au mefme
moment
Pour remplir la place
vacante ;
On rencontre indifferemment
Un Bapteſme , un Enterrement ;
Enfin c'eft une Comedie
De voir ce qu'on voit
tous les jours :
Vous diriez en voyant
ces tours ,
Quela fortune s'eftudie
GALANT. 171
Sans ceffe à varier fon
cours ;
Tousjours quelque metamorphofe
Donne matiere à l'entretien ,
Mais fur la Rune on ne
voit rien ,
f
Ou c'eſt tousjours la
meſme choſe ;
En un mot dans ce pau30 vre nid
On ne fçait qui meurt ,
ny qui vit.
Il est bien vray qu'à voPij
172 MERCURE
ftre Rune
Vous ferez proche de la
Lune ,
Et que mefme en faiſant
chemin ,
Elle peut vous toucher
la main.
Mais en ferez - vous plus
chanceuſe ,
Et pouvez - vous faire
grand castr
D'une voiſine fi fafcheufe ?
Si l'on en croit les Almanachs ,
GALANT. 173
La Dame eft fort capricieuſe ,
Donnant dans des hauts
& des bas.
Elle fera la précieuſe
Voilant quelquefois fes
appas ,
Quelquefois ne les voilant pas ;
Tantoft ſe montrant toute entiere ,
Tantoft feulement à moiCastié ,
Sans que par foupir ny
priere ,
P iij
174 MERCURE
Ny par les droits de l'amitié ,
Vous puifficz durant fa 45
carrière.
En obtenir pour un moments
Comme une grace finguliere ,
De changer fon ajuſte20hing ment.
D'ailleurs il ne faut nullement
Qu'elle vous foit ſi familiere ;
Croyez-moy , c'eſt ſans
GALANT. 175
paffion ,
Avec une telle ouvriere
Point trop de frequentation ;
Car outre fa complexion
Que l'on dit eſtre fort
mauvaiſe ,
N'eftant jamais , ne vous
deplaife ,
Sans quelque bonne fluxion ,
Outre fes rhumes , fes catharres,
Qu'on gagne par contagion ,
P iiij
176 MERCURE
Ainfi que fes humeurs
bifarres
Dans cette trifte region ;
Sa conduite n'eft pas bien
nette ,
Jevousle dis auparavant,
Bien qu'elle foit vieille
planette ,
Elle met en jeune coquette ,
Du rouge & des mouches fouvent ,
Et fe farde fous fa cornette
Je le fçay de plus d'un
GALANT. 177
fçavant
Qu'elle reçoit à fa toillette :
De plus , ſi ce n'eſt un
faux bruit ,
Au lieu de vivre en femme fage ,
Elle abandonne fon mefnage ,
Et court le bal toute la
nuit.
De là vient, je croy , certain conte
D'un certain jeune Endimion
178 MERCURE
Que le monde a mis fur
fon compte ;
Etcette indigne affection
Adans tous lieux fur fon
paffage
Taché fa reputation ,
Autant ou plus que fon
vifage.
Peut - eftre eft - ce une
fiction ,
Mais enfin cela la diffame ;
Et pourquoy fortant de
fon
trou ,
Va-t-elle auffi la bonne
GALANT. 179
Dame
Courir la nuit le guilledou ,
Lebeaumeftier pour une
femme ;
Et puis après l'a plaindra t'on
Quand on luy vient
chanter fa gamme,
Ou luy donner quelque
dicton ;
Helas la pauvre malheureufe land on
Le bel honneur où la
voila
180 MERCURE
De paffer pour une coureufe!
La verrez - vous après
cela ?
Vous n'aurez point cette
manie ,
Et c'eft für quoyl'on veut
compter ;
Voila pourtant la compagnie ,
Dont il faudra vous contenter.
Il ne faut point que l'on
vous berce
De cet efpoir trompeur
GALANT. 181
I
& vain,
Que vous puiffiez avoir
commerce
Avec aucun viſage humain ;
Si ce n'eft quelque pauvre haire ,
Qui dans les rochers égaré ,
Vint à vous d'un air é-
- ploré,
Cherchant remede à fa
mifere.
Il fera d'un ton doulouov kreux ,
182 MERCURE
S'il vous trouve prompt
à le croire ,
Du defaftre le plus affreux ,
La trifte & lamentable
hiſtoire ,
Mais tout cela fent le
grimoire ,
Prenez bien garde à l'hameçon :
Et crainte de tout malefice ,
Fermez la porte fans façon ,
Et luy dites , Dieu yous
GALANT. 183
beniffe.
Mais la charité .... mais
enfin
On dit que le diable eſt
bien fin ,
Le drofle eft fait au badinage ,
C'eſt un franc archipatelin ,
Sombre, fournois , fourbe & malin ,
Qui fçait jouer fon perfonnage ,
Et qui pour fonder le
terrain ,
184 MERCURE
Va ſouvent en pelerinage ,
Defiez- vous du pelerin ;
Mais fans que le diable
s'en mefle ,
Il s'en fait aſſez aujourdhuy.
Et quoy qu'on jette tout
fur luy ,
Ce n'eft pas toujours luy
qui gretle :
Nous avons au dedans
de nous
Un ennemy bien plus
à craindre ,
GALANT. 184
Il porte les plus rudes
coups ,
Et perfonne n'ofe s'en
plaindre ,
Chacun l'excufe & le
cherit ,
Et s'il arrive quelque
hiſtoire ,
On s'en prend au malin
eſprit ,
A qui l'on en fait bien
accroire.
Il a tout fait, il a tout dit,
On compte fort fur fon
credit ;
Fuillet 1712. Q
186 MERCURE
C'eft luy qui fait qu'on
fuit la peine ,
Et que l'on cherche le
plaifir ,
C'eft luy qui par la main
nous meine
Où nous porte noftre
defir ;
C'eft luy qui fait la medifance ,
C'eft luy qui dicte la
vengeance ,
C'eft luy dont l'afcendant certain
Rend le foldat dur &
GALANT. 187
barbare ,
Rend le noble fier &
hautain ,
Rend le jeune homme
libertin ,
Et le fexagenaire avare.
Le fourbe dans fes trahifons ,
Et le faint dans fes oraifons ,
Imputent tout à fa malice.
De tous les maux que
nous faifons
Il eſt l'autheur & le comQij
188 MERCURE
plice ;
He laiffons - le pour ce
qu'il eft :
Pourquoy faut il qu'on
s'imagine
Qu'il fait jouer comme
il luy plaiſt ,
Les refforts de noftre
machine ,
On l'accufe de maintforfait ,
Mais à bien juger de
l'affaire
Souvent ce n'eft
qui fait ,
pas luy
GALANT. 189
Il ne fait que nous laiſſer
faire.
On fe livre à la volupté ,
Parce qu'elle flatte &
qu'on l'aime ,
Et fi du diable on eft
tenté ,
Il faut dire la verité ,
Chacun eft un diable à
foy -mefme.
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Résumé : LA RUNE. A Madame la Marquise de M.
La lettre adressée à une marquise traite de la 'Rune', un rocher majestueux et solitaire situé dans les Pyrénées. L'auteur corrige une erreur en précisant que la Rune n'est pas un cavalier mais un rocher imposant qui brave la foudre et les destinées depuis six mille ans. Ce rocher offre une vue panoramique sur de nombreux royaumes et abrite un modeste ermitage avec un jardin et une chapelle. L'auteur explore ensuite les défis de la solitude, soulignant qu'elle peut être à la fois belle et ennuyeuse. Il mentionne les prières comme remède à l'ennui, mais note que l'âme peut se lasser. Il contraste la monotonie de la vie sur la Rune avec les spectacles variés offerts par le monde. Le texte aborde également les caprices de la Lune, voisine de la Rune, en mettant en garde contre ses humeurs changeantes et son comportement imprévisible. Il conclut en avertissant la marquise des dangers de la solitude et des tromperies du monde, tout en soulignant la nécessité de la charité et de la prudence face aux apparences.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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