A L'AUTEUR DU MERCURE.
MONSIEUR , je vous prie d'inférer dans votre
Mercure de France , Pobfervation fuivante fur
l'Avis au Public donné par le fieur de la Salle, Chirurgien
, dans le Mercure de France du mois de
Juillet dernier , à la page 237.
Je croirois manquer à ce que je dois au Public,
fi je différois plus long- temps à le précautionner
contre le fecret du fieur la Salle , Chirurgien empirique.
Il donne à ce fecret des vertus fingulieres
pour guérir indéfiniment toutes fortes de loupes
vraie charlatanerie , dont le Public n'eft que trop
fouvent la dupe & la victime ! la perte de fon argent
eft le moindre rifque qu'on court : en s'y prê
tant , la fanté en fouffre ; & l'expérience nous apprend
par des accidens , que le fieur la Salle ne
devroit pas fe diffimuler que les maladies empirent
par ces fortes de remedes , & deviennent fouvent
incurables. Cette réflexion ne fuffiroit peut-être
pas pour mettre en garde le Public contre le fecret
dont il s'agit ; en voici d'autres plus frappantes :
falfe le Ciel qu'elles arrêtent ceux qu'une confiance
aveugle pourroit livrer entre les mains du fienr
la Salle . Il est évident que ce Chirurgien ignore la
force & l'étendue du mot de loupe. Qu'est- ce que
loupe ou tumeur enkiftée : S'il étoit tant foit
verfé dans la théorie de fon métier , il fçauroit que
le nom de loupe eft un terme générique qui renferme
plufieurs efpeces , auxquels la fituation & lat
qualité de la matiere font donner différens noms.
mais il n'eft pas néceffaire d'entrer dans ce détail
& de parcourir les différentes parties ou les tumeurs
fe jettent & s'enkiftent. Il me fuffira , pour
peu
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208 MERCURE DE FRANCE.
démontrer la charlatanerie du fieur la Salle , de
faire obferver que fon fecret , tel qu'il l'annonce ,
doit guérir toute forte de loupes , fans qu'il ait befoin
de fe fervir d'aucuns inftrumens de Chirurgie.
Il a fans doute fes raiſons pour s'en tenir à ſon ſecret.
Il faut , pour en venir aux opérations de la
main,une grande connoiffance de fon fujet; & c'eſt
ce qu'ignorent les Charlatans : mais ce que le fieur
la Salle , en qualité de Chirurgien , devroit fçavoir,
c'eft que l'application de ces prétendus fpécifiques
eft prefque toujours dangereufe. S'il avoit lu les
Mémoires de l'Académie royale de Chirurgie ,
page 347 , il auroit vu que dans cette efpece de
maladie les topiques font pernicieux ; c'eft la remarque
de M. Petit , Auteur de cette obſervation .
Il n'a pas lu fans doute la brochure de M. Louis
contre les perfonnages à fecret ; cette lecture lui
cût ôté l'envie de faire imprimer le fien . Quoi
qu'il en foit , on prie le fieur la Salle de nous dire
comment il pourroit guérir une loupe pefant
plufieurs livres nous en voyons fouvent de femblables.
Son remede ne feroit-il point dans ce caslà
infructueux ? De plus , on a trouvé , à l'ouverture
de ces fortes de tumeurs , plufieurs corps
étrangers de tous genres , jufqu'à des os de différentes
figures , comme l'a remarqué M. de Ruylely,
& nombre d'autres Auteurs qui traitent de cette
efpece de maladie. Or , dans le fecond cas quel
effet doit produire l'application de fon remede
Les gens un peu éclairés doivent en appercevoir
ici l'inutilité & le danger. On n'a garde d'accufer
de malice le fieur la Salle : c'eft l'amour du bien
public qui lui a fait faire toutes les recherches néceffaires
pour la compofition de ſon ſecret . Il a encore
trouvé le moyen de le tranſporter dans tous
les lieux fans la moindre altération voilà ce qu'il
AVRIL. 1757. 209
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nous affure. Dans quelque autre profeffion que la
fienne , l'application & le travail peuvent mériter
quelques éloges, indépendamment du fuccès : mais
en fait de fecret qui intéreffe la fanté , les feuls
fuccès foutenus font la gloire & le mérite de ceux
qui les ont trouvés . Il faut que les recherches du
fieur la Salle aient été bien longues , ou que le fuccès
ait été bien douteux , puifqu'il a attendu ſeize
ans pour faire encore imprimer cette curieuſe dé-
Couverte. N'y a-t'il pas lieu de douter qu'elle ait
eu aucun fuccès , puiſqu'il ne l'appuie d'aucun fait
de pratique ? Si cependant il trouve dans cette obfervation
quelque chofe à relever , comme on
ne craint point les objections , on ſe fera un vrai
plaifir d'y répondre.