PORTRAITS
DE CINQ FAMEUX PEINTRES
ROMAINS.
Jules Romain.
Son génie & vafte & fécond
On
Embraffe avec fuccès tout genre de peinture ;
Le feu qui fort de ſon crayon
Fait préférer au vrai l'innocente impofture.
* Quel goût féroce , & quel fublime accord
Il donne au coloffal , au bizarre , an terrible !
On fuit : & d'Encelade on redoute le fort ;
Jule autant que les Dieux rend leur courroux fen
fible.
Taddee Zucchero.
Le pinceau frais , moëlleux , qui diftingue Tadi
dée ,
De l'Italie anime & temples & palais.
Si la nature en lui paroît un peu fardée ,
Il fauve ce défaut par de magiques traits.
* On voit au Palais du T qui eft aux portes de
Mantoue, unfallon qui eft entierement peint par ce
maitre, c'en eft le chef-d'oeuvre. Les géans y
paroiſſent foudroyés parJupiter,
JUIN.
45 1755.
* En ce paiſible lieu nul fouci n'inquiete ;
Dans le fond de mon coeur je lis avec plaifir.
Par fes plus doux pavots Morphée ici m'arrête :
Je baille , & cependant je crains de m'endormir
Frederic Zucchero .
Les fruits de ton brillant pinceau
Décélent un génie auffi grand que facile.
Des fecrets de ton art tu traces le tableau ,
Dans un livre qui joint l'agréable à l'utile.
Où n'étends - tu pas tes fuccès ?
De vers dignes de lui Phébus te favoriſe.
Je vois la jaloufie exciter tes progrès ;
Le dépit la fuffoque , elle t'immortaliſe .
Frederic Baroche.
Le goût , le coloris , les graces elles- mêmes ,
Au char de cet artiſte enchaînent l'amateur.
Ce triomphe eft le fruit de mille ftratagêmes ;
On le fçait , on chérit d'autant plus fon vains
queur.
A l'aſpect des ſujets qu'il traite.
** La piété fe plaît en fon affection ;
* Au Château de Caprarolle , on remarque fur→
tout de Taddée deux chambres deftinées à la foli
tude , celle dufommeil , où il a représenté la nuis
avec fes attributs.
** Saint Philippe de Neri fut fi frappé d'une
Vifitation que ce maître avoit peinte à la Chiefa
anova , qu'il étoit continuellement à faireſa priere
46 MERCURE DE FRANCE.
Si le coeur corrompu cherche enfin la retraite ,
Baroche eft l'inftrument de fa converfion .
André Sacchi.
Ce Peintre refléchit fçavamment fur fon art ,
Il en a moins d'entouſiaſme .
Son pinceau frais , correct , ne fait rien au hazard ,
Fidele à la nature il craint peu le ſarcaſme . *
Quelle fage ordonnance éclate en fes tableaux !
Leur beau fini me plaît , leur vrai me perfuade.
Quelle union ! quel goût ! quels tons originaux !
Quoi ! le blanc * même à mes yeux fe dégrade !
dans cette Chapelle. C'est là fans doute que fon
coeur fe dilatant , lui caffa deux côtes.
* Il critiquoit avec trop de franchife les ouvrages
des plus habiles gens , ce qui lui fit beaucoup d'ennemis.
Ils peuvent fe venger , difoit-il, mes tableaux
font répandus par-tout.
** Ce n'est que pour le Peintre que le blanc eft
une couleur. Rien n'eft fi dificile que de la faire
fuir. Le Sacchi a vaincu ces difficultés dans le tableau
de S. Romua'de , qu'on voit à Rome dans l'Eglife
du même nom . Six figures de Camaldules
toutes vêtues de blanc y font des fujets d'admiration.