LETTRE écrite de Paris; le 30 Aouſt 17 3:10
sur la petite Verole.
V à
Ous feriez plaisir , Monsieur , plusieurs
personnes , d'inserer dans le Mercure de
France , la question suivante.
Il y a quelques jours que dans une compagaie-
Qui
OCTOBRE . 1731. 240
bù il se trouva deux Médecins : il s'éleva une
dispute touchant la petite Vérole , sçavoir :
Si c'est une maladie contagieuse.
Hippocrate dit . oui , et Galien dit non. Quoi
que la question ne soit pas nouvelle , il est certain
qu'elle n'a pas encore été traitée comme elle
pourroit l'être. On ne sçait encore qu'en croire ,
et cependant l'affirmative cause bien des desor
dres. La frayeur que cette maladie inspire , fait
en quelque sorte renoncer aux devoirs les plus
sacrez de la nature ; une mere tendre se refuse
l'enfant le plus cheri, et le laisse à la discretion
d'une main étrangere ; le fils évite son pere , les .
umis se fuyent ; enfin les personnes les mieux
unies se séparent et se privent de toute consolation
, tant que cette maladie dure. On raisonna
beaucoup sur l'Expedient des Anglois , avec
leur Infertion, et quelqu'un de la Compagnie les
compara à de braves soldats qui s'essayent à tirer
les uns sur les autres , avec des Fusils chargez à
balles , dont tous les coups ne portent pas.
D'un autre côté , la négative fait faire bien des
imprudences. On blâme ceux qui sont attaquez.
de la petite Vérole pour avoir été dans des en
droits où elle étoit , et l'on ne manque pas d'en
attribuer la cause à leurs démarches, s'ils en échapent
sans l'avoir , on est dans l'admiration ; ne
seroit-ce pas une erreur de part et d'autre ? De
quelque façon que la chose soit décidée , pourvû
qu'elle le soit , le public. sçauroit du moins
à quoi s'en tenir.
On voit quelquefois s'élever dans la litterature
entre de grands adversaires des disputes sur des
choses moins importantes , et après replique sur
repli
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replique tous les suffrages se réunir.La question
proposée n'est assurément pas indifferente ; er
quelques habiles Médecins Physiciens , qu'on
verroit aux prises là - dessus ,ne manqueroient pas
d'attirer l'attention du public . Quoiqu'on en dise,
il est constant que ces Messieurs sont recherchez,
et qu'on ne sent que trop souvent le besoin qu'on
a d'eux . Nous en passons communément par tout
ce qu'ils veulent , et nous mettons tous les jours ,
avec confiance , notre vie entre leurs mains.
Le public , sans être Medecin de profession ;
n'en est pas pour cela moins capable de juger
cette affaire , comme il en a jugé d'autres qui
sembloient n'être pas de sa competence ; et le
vaincu dans cette espece de combat, auroit constamment
autant de gloire que le vainqueur.
Vous n'ignorez pas , Monsieur , combien les
sentimens sont partagez là - dessus. Si en proposant
cette question il se trouvoit quelqu'un qui
découvrit nettement la vérité , vous obligeriez,
Monsieur , votre , &c.