JUDITH ,
POEME ,
Tiré de l'Ecriture Sainte ,
Qui parlejugement de l'Académie des Jeux
Floraux a remporté cette année 1731 .
Toulouze , le Prix destiné à ce genre de
Poësie . Il est de M. l'Abbé Poncy de
Neuville.
Ux Aux coeurs humiliez l'Eternel est propice ;
Superbes Conquerans , redoutez sa Justice ,
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Il change quand il veut , pour punir votre or
gueil ,
Les Lauriers en Cyprès et les Fêtes en deüil.
Holopherne , des Juifs méditoit la ruine ,
Sa fureur ravageoit la triste Palestine ,
La seule Bethulie ose lui résister ,
Mais helas ! que peut- elle ? et comment l'arrêter?
La faim , la soif , l'horreur
murailles ,
regnent
dans ses
Et la peste se joint au démon des Batailles.
Déja l'Assirien croit tenir sous ses Loix ,
Ces Juifs si renommez par de nombreux Exploits
Ces Juifs dont la valeur , maîtresse des obstacles ,
Tant de fois enfanta les plus fameux Miracles.
Superbe illusion : ô prophanes Humains ,
Adarez le Très-Haut , respectez ses desseins ;
Plus éloignez de vous que n'est dans sa carriere ;
L'Astre qui fait les jours et répand la lumiere ;
Que ne sont dans leurs cours ces Globes radieux ;
Dont sa magnificence a décéoré les Cieux.
Le Dieu des Juifs n'est point un Juge inexo
rable ,
11 va tendre à son Peuple une main secourable ,
Le cri de leur misere à son Trône est monté ,
Sa Justice s'appaise et cede à sa bonté ;
Mais quoi ! pour dissiper cette innombrable Ar
mée ,
Parmi des tourbillons de flamme et de fumée ,
Dien fera- t'il voler devant lui la terreur ?
En
1
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Envoyera -t'il des Cieux l'Ange Exterminate ur ?
Non , non ; mais une Veuve obscure et solitaire ,
S'arrache par son ordre à sa retraite austere .
Judith va devenir l'instrument glorieux ,
Qui doit faire éclater sa grandeur à nos yeux.
De son Esprit Divin , cette Juive remplie ,
Elle seule entreprend de sauver Béthulie ,
Et le Dieu qui l'envoye ajoûte à ses beautez ,
Des riches ornemens les secours empruntez ;
Aux Tentes du Vainqueur elle arrive , il l'admire
Ce farouche Guerrier s'attendrit et soupire ;
Les Hebreux , lui dit- elle , ont mérité vos coups,
Seigneur , n'étendez pas sur moi votre courroux;
J'abandonne des murs que le Ciel abandonne ,
Où réside la mort et qu'un Camp environne.
Je viens vous découvrir des secrets importans.
Le Barbare l'écoute , il l'observe long-temps.
Judith lit dans ses yeux une ardeur témeraire :
Que cette ardeur coupable augmente sa colere !
La nuit succede au jour , un Festin fomptueux ,
Etale du Vainqueur le luxe fastueux
Des mets les plus exquis les tables sont comblées,
Les plus rares odeurs à l'Encens sont mêlées ;
"1Tout anime aux plaisirs ; des vins délicieux ,
Couronnent à l'envi des Vafes précieux .
Le Chef et les Soldats ont déposé leurs armes ,
La molesse triomphe , et ses perfides charmes ,
Enervent les esprits et versent dans les coeurs >
(
F D'un
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D'un poison dangereux les funestes douceurs.
Le superbe Holopherne ébloui de sa gloire
Va laisser de ses mains échapper la victoire.
Aveugle , il ne sent pas que pour les vrais Héros
Il n'est point d'ennemi pire que le repos.
Dans un calme trompeur , tel un Nocher peu sage,
S'abandonne à la joye et méprise l'orage.
Sur la foi des Zéphirs il dort paisiblement
Sa Nef semble regner sur l'humide Element
Les flots impétueux s'abbaissent devant elle ;
Mais tout à coup quel bruit ! ô disgrace cruelle!
Tous les vents déchaînez troublent le sein des
Mers ,
La nuit d'un voile obscur enveloppe les Airs ;
3 La Tempête , la Foudre et l'Onde mugissante ;
Des Eclairs redoublez la lueur palissante ,
Arrache, mais trop tard , le Nocher au sommeil.
Des fiers Affiriens tel sera le réveil ,
Ils sont ensevelis dans une longue yvresse ,
Les feux sont presque éteints et partout le bruit
cesse.
Judith veille , elle est seule , elle sent la terreur ;
Pour la premiere fois s'emparer de son coeur:
Mais bien-tôt bannissant cette crainte coupable
Elle ose envisager l'Ennemi redoutable ,
Sans suite et sur un lit lâchement étendu ,
Son large Coutelas y brille suspendu ;
Judith le prend , approche et son ame s'écrie ,
Dieu
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•
Dieu puissant , soutiens -moi , dêlivre Béthulie a
Toi dont jamais en vain je n'implorai le nom
Qui jadis mis le Glaive aux mains de Simeon ,
Pour punir de Sichem l'audace criminelle ,
Qui toûjours de ton Peuple embrassant la querelle
,>
Ouvris les vastes Mers à nos Ayeux errans ,
Et réunis leurs flots pour perdre leurs Tyrans
Toi qu'on nomme l'Arbitre et le Dieu des Batailles
;
Toi par qui Jericho vit tomber ses murailles
Jahel de Sisara termina le destin ;
David trancha les jours de l'altier Philistin
Le genereux Ahed illustra sa memoire .
Débora de mon sexe éternisa la gloire ;
Fais tomber sous mes coups dans l'infernale.nuit,
Le superbe vainqueur que ton courroux poursuit.
Que son trépas apprenne à craindre ton Empire.
Elle dit , elle frappe , et ce Vainqueur expire.
L'Hébreu met à son tour l'Idolâtre en ses fers ,
Quand le Ciel est pour nous , que peuvent les
Enfers
Si Deus pro nobis , quis contrà nos ?