REPONSE à l'Epitre de M. Carrelet
d'Hautefeuille , imprimée dans le Mercure
de Janvier dernier , par Me de
Malcrais de la Vigne , du Croissic en
Bretagne.
Gent Cavalier, bien grammercî vous dis ,
Du soin courtois que votre veine a pris ,
De parfumer mes tendres Hirondelles ,
Du pur encens de ses mets trés-exquis.
Peut être même en passant iront-elles ,
Quelque matin , le Soleil paroissant ,
Sur la fenêtre ou sur la cheminée ,
Vous begayer d'un ton reconnoissant ,
Une Chanson longuement fredonnée ,
Dont pesterez dans votre entendement ,
Vous qui dormez la grasse matinée ,
Et maudirez leur aigu compliment.
Scachez pourtant qu'à mon ordre est allée,
Dans vos cantons cette Amdassade aîlée.
Par quoi j'ai cru qu'admonesté dûment ,
Ne leurs feriez sur ce querelle aucune ;
Ains
816 MERCURE DE FRANCE
Ains daignericz les traiter poliment.
Mais si de près voulez avec quelqu'une ,
Avoir Colloque ; oyez ; voici comment.
N'allez d'abord vous mettre en la memoire ,'
Que de Merluche ( 1 ) ou de telles Circez , ( 2 )
Ou d'Agrippa (3 ) j'entende le Grimoire.
Point n'ai porté sur mes doigts renversez ,
De Jacque Aimard ( 4 ) l'outil divinatoire ;
Point n'est en moi d'intelligence assez ,
Pour penetrer les sombres Clavicules , (s )
Dont on nous fait des contes ridicules,
Crus neanmoins de beaucoup d'insensez.
Onc n'ai tenté des routes inconnuës , ( 6 )
Dans la nuit brune allant les pieds graissez
Sur un balai galoppant par les ruës.
Tout le secret dont allez être instruit ,
N'est Art magique , ains chose naturelle .
Si voulez donc happer une Hirondelle ,
Marcher yous faut à pas comptez , sans bruit ;
Puis sur la queue un grain de sel lui mettre ;
1 ) Celebre Fée connue dans les Contes de
Ma d'Aunoy.
(2) Fille du Soleil ,fameuse Magicienne.
(3 ) Henry Corneille Agrippa , a fait des Livres
de Magie.
(4) Voyez la Baguette divinatoire de M. de
Vallemont.
(s )Livrefaussement attribué à Salomon .
(6) Contes que débitent les Vieilles de ce
Pays-cy.
Ainst
AVRIL. 817 1731.
Ainsi prendrez , j'ose vous le promettre ,
L'Oiseau sysdit , ou je perdrai mon nom.
Voyez qu'ici n'est aucun sortilege.
Les Croisiquois n'ont le vilain renom ,
(Je le proteste et m'en donne pour plége )
D'être Sorciers : bien sont- ils gens imbus ,
D'Arts Libèraux , forts sur les impromtus ,
Le sel piquant qu'exalent nos Salines , ( 1 )
Rarefié par petites bruines ,
Porte en leur sang cette vivacité ,
D'où germe en eux la cointe urbanité.
Quant au beau Sexe , il n'a d'autre Magic ,
Que l'air divin de ses appas charmans ,
Et les beautez d'un merveilleux génie.
Leurs yeux actifs sont les fins Négromans
Dont un regard prend et rend asservie ,
La liberté des moins tendres Amans
Mieux qu'aucun Philtre ; et ces aimables Muses ,
Comme chez vous ne sont pas des Méduses , (2)
Leur caractere est sur tout la douceur ,
Que suit de près la franchise de coeur.
Table de Jeu faite en façon gentille ,
Est leur Parnasse , et Cartes de Quadrille ,
Les Livres sont qu'elles ont dans les mains ,
Le fier Plutus ( 3 ) Dieu respecté de maints
( 1 ) Notre Péninsule est presque environnée
de Salines.
(2 ) Voyez les Metamorphoses d'Ovide.
(3) Plutus , Dien des Richesses,
I EC
18 MERCURE DE FRANCE.
Est l'Apollon , Fortune est la Minerve ,
Dont leur ferycur implore le secours ,
Les conjurant de seconder leur verve.
Point on n'y gronde , et chez elles toujours ,
Joyeuse humeur se voit entrer en danse ,
Fors quand du jeu la quinteuse inconstancë ,
Vient par malheur déranger leur finance ;
Mais il paroît qu'aux lieux d'où m'écrivéz ,
Ne sont par trop les Muses enjouées ;
Ains bien plutôt d'autre humeur sont dotées,
Quoi pour avoir dans mon cerveau trouvez ,
Tendres blasons ; leurs coeurs sont aggravez,
En contre moi ; les voilà dire émués
Et sur le champ Méduses devenues ,
Me menaçant faire un mauvais parti.
Siecles futurs , le pourrez- vous bien croires
Tel brin d'ouvrage être si mal lotti !
Ai-je appellé , le cas est-il notoire ?
Le Corbeau blanc et la Colombe noire à
O sort fatal ! si pour de galants Vers ,
Aller me font le capot à l'envers . રે
En outre , ô Ciel ! détournez-en l'augure;
Je meurs d'effroi , quand mon oeil se figure ;
Voir tout à coup leurs blonds cheveux changez
En longs Serpens de me mordre enragez.
Or desormais , ô prodige !ô merveille !
Comme il se lit de l'Eve de Milton , ( f )
(1) Voyez le Paradis perda de Milton.
Dormir
AVRIL.
$ 19 131.
Dormir s'en vont le Serpent sous l'oreille:
Hélas ! je songe au milieu du frisson ,
Qui me saisit , que déqualifiée ,
Toute ma chair est ja pétrifiée , (1 )
Ce nonobstant rappellant ma raison ,
Je vois qu'à tort crainte est chez moi montée ,
Car leur colere a beau s'être pointec ,
Pòur m'abîmer , leurs coups sont superflus ;
Jusqu'au Croissic n'en viendra la portée ,
S'étendra-t'elle aussi loin même , et plus
Que Pistolets , Fusils et Carabines ,
Que Fauconneaux , Canons et Couleuvrines .
Mais en lisant ces propos my gaulois ,
Monsieur , peut-être avez bâaillé six fois ,
Et souhaitez à la pauvre Rimeuse ,
Papier humide , ancre blanche ou bourbeuse ,
Plume essorée avec la goutte aux doigts ,
Puis ajoûtez , comme un certain Valois , ( 1)
Dit quelque part , que femmes sont verbenses s
Donc sans délai cette Epitre finis ,
Vous repettant mon Antienne premiere :
Des Vers qu'avez pour moi mis en lumieres
Gent Cavalier , bien grommerci vous dis.
(1 ) Méduse pétrifioit ceux qui la regar
deient.
(2) Henri de Valois disoit que les femmer
étoient werbenses. Voyez le Valesiana.