PROSERPINE,
ET LE FLEUVE D'OUBLI.
CANTATE.
Loin des bords de Sicile et de sa tendre Mere .
Proserpine entrainée au ténebreux séjour ,
Dans ces gouffres affreux où le Pere du jour ,
Ne fit percer jamais sa charmante Lumiere ,
Près du Fleuve d'Oubli , promenoit sa douleur.
A Combien de regrets s'abandonne son cœur !
Cette image opposée à celle des Prairies ,
Des Jardins enchantés , des Côteaux verdoyans ;
Où la suivoientjadis ses Compagnes chéries ,
Arrache à sa douleur ces lugubres accens.
Malheureux sort , cruelle destinée !
Le même instant me ravit mon honneur ;
M'ôte le jour , Cerès , et mon bonheur ;
Forme les nœuds d'un indigne Hymenée.
Unjeune cœur est fait pour les plaisirs ;
Le mien , helas ! se consume en soupirs .
Dieux tout-puissans , auteurs de mon supplice
Si mes forfaits arment votre courroux ;
Sans murmurer j'attens votre justice.
Tonnez , frappez , Mars , changez mon Epoux.
1. Vol.
Sur
JUIN. 1732 1127
Sur les bords du Lethé, les yeux baignez de larmes ,
Proserpine exprimoit son Martyre en ces mots ;
Le Dieu du Fleuve , ébloui de ses charmes ,
Laisse couler plus lentement ses flots ;
Sensible à ses regrets , doucement il l'appelle.
Venez, belle Déesse , approchez de mes Eaux ,
Elles peuvent calmer vos soucis et vos maux ;
Agréez aujourd'hui ce gage de mon zele ;
Cessez d'accuser les Destins ,
Buvez , oubliez vos chagrins.
Cette Liqueur puissante,
Dissipe les langueurs ,
Efface des malheurs ,
La memoire affligeante.
Le Tyran des Enfers ,
Aux Cieux , aux vastes Mers ,
Prêfera son empire ,
Dès qu'il en eut goûté.
Elle rend la gayeté ,
A tout cœur qui soupire.
Il dit , et l'Immortelle approchant de ses Bords ,
Boit à longs traits de cette Onde divine ,"
Mais Cieux ! quels changemens ! est- ce ici Pro
serpine
Elle n'abhorre plus la Région des Morts ,
I. Vol. D v Son
1128 MERCURE DE FRANCE
Son cœur aux plaisirs s'abandonne ;
Ses noirs soucis font place aux ris , auxjeux
Elle adore l'Epoux que le Destin lui donne
"
Et répond à ses tendres feux.
Epoux , si vos Belles ,
Font trop les rebelles ,
Au Fleuve Lethé ,
Menez ces cruelles ;;
Malgré sa fierté ,
L'austere Beauté ,
Bientôt sympatise ,,
Bientôt s'humanise,,
Perd sa cruauté.