EPITH ALAME,
AM.le Comte de Marigny-Pibrac , ( a )
sur le Mariage de Mademoiselle de
Tyard - Bragny , sa petite-fille , et petiteniéce de M. le Cardinal de Bissy , avec
M.le Comte de la Magdelaine Ragny.
N jour , las d'écouter les plaintes et les vœux ,
Des Epoux asservis sous un joug rigoureux ,
Jupiter au Dieu d'Hymenée
Reprocha vivement leur triste destinée.
Oui , c'est vous , lui dit-il , qui causez leurs mal- heurs ,
Lorsque sans consulter leurs panchans-, leurs humeurs ,
Vous osez à Plutus en faire un Sacrifice :
Moi - même tous les jours , grace à votre ca⇒
price ,
J'éprouve des chagrins que j'ai peine à bannir , `
( a ) M. de Pibrac , Chancelier de Marguerite
de Valois , Reine de Navarre , Président et Conseiller au Conseil du Roy , connu par ses diverses Ambassades et par ses fameux Quatrains , est le BisAyeul do M, le Comte de Marigny-Pibrac.
De
454 MERCURE DE FRANCE
Et ma foudre cent fois auroit dû vous punir ;
De m'avoir choisi pour Epouse >
Junon, ma propre sœur , querelleuse et jalouse.
L'Hymen tremble à ces mots altiers ;
L'Amour par un souris, en témoigne sa joye ,
Aux dépens de l'Hymen , l'Amour rit volon
tiers.
Eh-bien ! vous le il faut voyez ,
l'on que pourvoye ,
Dit le Dieu de Cythere , aux maux que vous causez ,
Mon Frere , tant d'Epoux que vous tyrannisez
D'un regret éternel ne seroient point la proye,
Si nous n'étions pas divisez.
Pour rendre heureux les cœurs , je vous ouvre
une voye ,
C'est de souffrir, qu'à l'avenir .
Je vous livre tous ceux que vous devrez unir.
Aux conseils de l'Amour, qui cherche à le
séduire
L'Hymen étoit prêt à souscrire ,
Quand Minerve élevant sa voix ,
´Arrêtez , lui dit-elle , est- ce ainsi qu'on oublie
Que croire l'Amour seul , c'est croire la Folie ?
Des Sujets que sans aucun choix ,
L'Hymen par Cupidon , voit ranger sous ses loix&
L'aveugle
MARS. 1732. 455
L'aveugle passion est à peine assouvie ,
Que tout leur feu s'éteint , que le dégoût s'en,
suit:
L'Epouse à son réveil funeste ,
Voit que le tendre Amant s'enfuit ,
Et que l'Epoux fâcheux lui reste.
De vos Fêtes, Hymen , ce n'est pas qu'à mon tour ,
Je prétende bannir le Dieu de la tendresse ,
Non ; mais n'invitez pas l'Amour sans la Sa
gesse,
Ni la Sagesse sans l'Amour,
Jupiter applaudit à la sage Déesse ,
Minerve , Hymen , Amour , que votre haine cesse ,
Et tous trois à mes yeux courez vous embrasser ;
Je veux , dit- il , je veux que dès cette journée ,
Pallas marque à l'Amour les Cœurs qu'il faut
blesser
Pour les assujettir aux loix de l'Hymenée.
J'ai déja fait un choix , reprend soudain Pallas ;
Et l'Amour et PHymen n'ont qu'à suivre mes
pas
De la voûte étoilée , on voit ces Dieux des- cendre :
D'un yol léger ils vont se rendre
Chez
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Chez Ragny , qui croissant à l'ombre des Lau- riers ,
Cueillis par ses Ayeux guerriers ,
S'exerçoit sans relâche Gloire ,
→ aux Vertus que la
Grave éternellement au Temple de Mémoire.
Pallas d'un air plein de douceur ,
Lui tient , en l'abordant , ce langage flateur.
Mortel , chéri des Dieux , reconnoissez Minerve.
Je viens vous annoncer que le Ciel vous réserve
Pour faire bientôt le bonheur
D'une sage Beauté qui doit faire le vôtre ;
Les liens dont l'Hymen vous joindra l'un et
l'autre ,
Suivront l'offre de votre cœur.
Courez , allez trouver cette aimable Mortelle ,
Elle est digne de vous , comme vous digne delle.
C'est la jeune Bragny , qui paroît ignorer
Tous les attraits divers qui la font adorer.
Je ne vous vante point son ancienne noblesse ,
Ce mérite étranger charme peu le Sagesse ;
Mais pour être assûré des vertus de Bragny,
Apprenez qu'elle sort du sang de Marigny.
Ragný párt à ces mots. Minerve sur ses tračės
Conduit l'Amour , l'Hymen , les Plaisirs et les
Graces ;
Il
MARS. 1732. 457
1 joint Bragny, lui parle , elle ose l'écouter ;
Son extrême délicatesse ,
Ne lui défend pas d'accepter
L'hommage d'un Mortel , guidé par la Sagesse.
De cet heureux instant , l'Amour sçait profiter ,
il prend son arc , il tire , et tous deux i les blesse
De traits qui dans leurs cœurs ouverts à la tendresse ,
Font naître des transports, jusqu'alors inconnus;
Et PHymen secondant l'ardeur qui les entraîne ,
Compose pour eux une chaîne
De la Ceinture de Vénus.
Ovous, qui recevez en ce jour agréable,
De leur douce union un pur contentement
Trop heureux , Marigny , ne doutez nullement
Que leur félicité ne soit invariable ,
Puisque par la vertu d'un Hymen si charmant
Leur amour sera sage , et leur sagesse aimable.
Par M. CocQUARD, Avocat au
Parlement de Dijon.