MANDEMENT de Monseigneur l'Evêque
de Saint- Malo , à l'occasion de la Conquête de
L'Ife Minorque .
Ean
Ean - Jofeph de Fogaffes de fa Baftie , par la
miféricorde de Dieu ., & c. Salut.
Lij
246 MERCURE DE FRANCE.
Les actions de graces folemnelles que nous vous
annonçons , MES TRÈS-CHERS FRERES , ne doivent
pas être regardées comme de vaines cérémonies
, ou comme de fimples démonftrations de
la joie que nous caufent les événemens qui en
font l'objet. On protefte publiquement par ces
fignes extérieurs de reconnoiffance , que le Sei
gneur eft le Dieu des Armées ( 1 ) & que fa providence
en dirige toutes les opérations , fuivant l'ordre
de fes décrets toujours infiniment fages & infiniment
juftes , quoique fouvent impénétrables.
Les Puiffances de la terre fe glorifient en vain
dans le nombre de leurs Troupes ou de leurs Vaiffeaux
. Il y a dans le Ciel un fouverain Maître à
qui la mer & la terre appartiennent également ,
& qui déconcerte , quand il lui plaît , tous les projets
des hommes .
Comment êtes- vous tombée ( 2 ) difoit autrefois le
Seigneur par fes Prophétes à une Nation qui fe
vantoit de pofféder l'empire de la mer , Comment
êtes-vous tombée , vous , qui habitiez dans la mer,
qui étiezfiforte fur cet élement , dont les habitans
s'étoient rendus redoutables tout le monde ? vous
qui difiez ( 3 ): Je fuis placée au milieu de la mer, je
fuis le fiege du commerce du trafic des Peuples ?
vous (4) dont les Négocians étoient des Princes ,
dont les Marchands étoient les perfonnes les plus il-
(1 )Tu Domine exercituum Deus , 2 Reg. 7. ¥.27
(2) Quomodo perifti qua habitas in mari , urbs
inclyta qua fuifti fortis in mari cum habitatoribus
tuis quos formidabant univerfi. Ezech . 26. ¥. 17. ·
(3) Negociationi populorum ad infulas multas....
tu dixifti perfecti decoris ego fum & in corde maris
fita. Ezech. 17. V. 3 & 4.
(4 ) Cujus negotiatores principes , inftitores ejus
inclyti terra. Ifaie 23. V. 8 .
SEPTEMBRE . 1756. 247
luflres de la terre ? Les Vaiffeaux ( 1 ) maintenant
ferontfaijs d'étonnement , lorsque vous ferez pouse
même faifie de frayeur : les Ifles feront troublées
dans la mer , parce que perfonne ne fortira de chez
vous. C'est le Seigneur ( 2 ) qui a prononcé cet arrêt,
qui a refolu de vous traiter de la forte pour ren➡
verfer toute la gloire des fuperbes. C'eft ( 3 ) parce
que votre coeur s'eft élevé que vous avez dit : Je
fuis affis comme un Dieu au milieu de la mer : c'eſt
pour cela , dit le Seigneur , que je ferai marcher
contre vous les plus puiffans d'entre les peuples qui
viendront l'épée à la main confondre votre prétendue
fageffe.
Ces événemens , quoique predits par Pefprit
de Dieu long- temps auparavant , furent regardés
lorfqu'ils arriverent , comme les effets ordinaires
de l'ambition & de la politique . Mais fi Dieu ,
pour exercer notre foi , fe plaît à cacher les opérations
fous le voile des caufes naturelles , il n'en
eft pas moins la caufe premiere & principale à la
quelle toutes les autres font fubordonnées , & qui
les fait toutes fervir à l'exécution de fes deffeins.
C'eft lui qui préfide au Confeil des Rois & qui
eft l'auteur de la fageffe des projets qu'ils forment .
C'est lui qui répand dans le foldat cette valeur à
qui rien ne réſiſte , & cette conſtance que rien ne
›
(1 ) Nunc ftupebunt naves in die pavoris tui:
turbabuntur infula in mari , eo quòd nullus egrediatur
ex te. Ezech. 26. V. 18.
(2) Dominus exercituum cogitavit hoc, ut detraheret
fuperbiam omnis gloria. Ilaïe 23. V. .9 .
.... Toin
(3 ) Eo quòd elevatum eft cor tuum & dixifti...
Deus ego fum, & ... fedi in corde maris ... propterea
dicit Dominus .... ecce ego adducam fuper te
buftiffimos gentium , &nudabunt gladios fuosfuper
pulchritudinem fapientia tua . Ezech . 28. V. 2 , 6, 7.
248 MERCURE DE FRANCE.
rebute. C'est lui qui inſpire aux Généraux l'activité
, la prudence , le courage & la fermeté . Ceſt
lui qui les fait triompher des obftacles multipliés ..
que leur oppofent la nature , l'art , les contretemps
& la défenfe la plus opiniâtre . C'est à lui
par conféquent & à lui feul que doit fe rapporter
toute la gloire des ſuccès.
Tel eft M. T. C. F. l'efprit qui doit animer les
chants d'allégreffe & les Cantiques de louange
que nous allons offrir au Seigneur en reconnoiffance
de la conquête de l'Ile Minorque . Il eſt naturel
que cette reconnoiffance s'étende à ceux dont
Dieu s'est fervi pour une conquête fi glorieufe &
fi utile à la Nation . La Religion autorife ces fentimens
loin de les condamner , & nous avons dans
cette Province & prefque fous les murs de cette
Ville , un motif bien intéreffant de nous y livrer.
( 1 ) Mais n'oublious jamais que c'eft ( 2 ) le Šeigneur
qui, fans avoir égard à la puissance des armes , donne
la victoire , comme il lui plait , à ceux qui en
font dignes. Implorons donc fon ſecours avec confiance
demandons- lui qu'il continue de bénir
les entrepriſes du plus puiffant , du plus jufte & du
plus pacifique de tous les Rois. Après les preuves
de modération que fes Ennemis même ont dû
admirer en lui , prier pour la profpérité de fes Armes
, c'eft prier pour le repos & pour le bonheur
de toute l'Europe. A ces cauſes , &c.
( 1 ) Il y a un Camp auprè de Saint -Malo.
(2) Non fecundùm armorum potentiam , ſed, prout
ipfi placet , dat dignis victoriam. 1. Mach. 15. Ý. 21 .