LE FA UNE
{
EGLOGUE.
A M. le Come de Saint Florentin , pendant
son séjour à Châteauneuf.
M
Uses , qui vous plaisez dans les gras pêturages
,
Et vous entretenir de Bois et de Rivages ,
Donnez à vos chansons un peu de dignité ;
On n'aime pas toujours tant de simplicité ,
Le lierre rampant et la verte fougere ,
>
Aux grands , ainsi qu'à nous , n'ont pas le droit
de plaire ,
Offrez d'autres objets , et sçachez - en choisir
Qui puissent d'un Ministre amuser le loisir.
2
pro-
Dans le creux d'un Vallon , solitude
fonde ,
Lieux ignorant encor le tumulte du monde ,
Le jeune Celadon , et Daphnis , son ami ,
Virent sous un Tilleüil un vieux Faune endormi.
'Aussi - tôt se coulant à travers le Bocage ,
Tous deux de ce sommeil saisissent l'avantage ,
Et d'une chaîne faite , et de sauge et de Thym ;
Pour arrêter le Dieu , l'embarrassent soudain.
Car
MA Y. 1731 .
1025
Car il avoit souvent par force , ou par adresse ,
En fuyant de leurs mains éludé sa promesse ,
Et differé toujours de leur chanter les Vers
Qu'il avoit composés sur le vaste Univers.
Cette fois les Bergers craignent peu son caprice
,
Il s'éveille , et comme eux riant de leur malice
:
C'est assez , leur dit- il , enfans , rompez ces
noeuds ,
Il est juste à la fin de contenter vos voeux.
Les Bergers à ces mots s'asseyent pour entendre
,
Et le Faune commencé ainsi sans se deffendre.
Avant que le Soleil eut l'Empire des airs ,
Et qu'on peut distinguer et la Terre et les
Mers ,
Tout ce qu'offre à vos yeux avec tant d'artifice
,
De l'Univers entier le superbe édifice ,
Dans un commun principe ensemble confondu ,
`N'étoit qu'un noir brouillard vainement étendu
Une eau presqu'insensible , et sombre d'ellemême
,
Que d'un stérile noeud lioit un froid extrême.
Mais si- tôt que l'esprit qui voloit sur les
flots ,
Eût dans son vaste sein embrassé ce cahos ,
Sa féconde chaleur digerant la matiere , .
De l'Extrait qu'elle en fit composa la lumiere.
B vj
De
1026 MERCURE DE FRANCE
De ce jour toutefois , l'immortelle clarté ,
Ne fut point en tous lieux d'égale pureté :
La haute région plus vive et plus legere ,
En un feu tout divin vît transformer sa Sphere ,
La plus basse languit , et sa fausse vigueur ,
Ne pût précipiter un reste de vapeur .
Entre ces deux excès , la suprême sagesse ,
Bien tôt d'un ciel moyen fit briller la richesse
le Firmament conduisit les secours ,
Que sur nous l'Empirée épanche tous les jours.
Cependant par le feu , vers le centre chassées ,
Les tenebres s'étoient tout- à- fait condensées ,
Et d'un Globe solide inondé par dehors ,
Avoient pris sous les eaux la figure et le corps :
Mais lorsque resserrée en de justes limites ,
La Mer à son courroux eut des bornes pres
crites ,
Et par
La Terre s'éleva brillante des couleurs ,
Dont l'ornoient en naissant la verdure et les
fleurs.
Nul animal d'abord ne peupla les Montagnes ,.
Et les seules Forêts couvrirent les Campagnes :
Du jour trop répandu la molle impression ,
Bornoit au vegetable une foible action ,
Et n'eût produit jamais que d'inutiles Plantes ,
Si pour en ranimer les forces languissantes ,
De ses feux dispersés l'esprit avec succès ,
Dans le corps du Soleil n'eût réüni les traits,
AussiMAY.
1731. 1027
Aussi-tôt la Nature achevant ses Ouvrages ,
Les Oyseaux de leurs Chants remplirent les Boccages
,
Le Taureau rumina sur le bord des Ruisseaux ,
La Chevre et la Brebis chercherent les Côteaux ,
Le Loup du Bois voisin sortit pour les surprendre,,
Et le Chien accourut ardent à les deffendre.
Enfin pour couronner ces Miracles divers ,
Vous vintes , vous Mortels , habiter l'Univers .
Chef-d'oeuvre merveilleux de la Toute- Puissance,
Qui voulut sur vos fronts tracer sa ressemblance,
Tout reconnut vos Loix , tout servit vos desirs ,
Et tout brigua l'honneur d'entrer dans vos plaisirs.
Heureux si de vos champs , par un triste caprice,
Jamais l'ambition n'eût banni la justice ;
L'innocence et la paix , ineffables présens :
Que l'Olimpe ne rend qu'à ses plus chers enfans,
Devoient combler vos jours d'une joye éternelle ?
Ainsi l'avoit reglé sa bonté paternelle .
Rappellez des biensfaits à regret enlevez
>
Et les connoissez mieux , vous qui les recevez ; .
Mais déja ces Vallons me paroissent plus sombres
,
Bergers , et le Soleil laisse grandir les ombres ,.
Avant que tout-à- fait il passe sous ces eaux
Allez et retournez tous deux à vos Troupeaux.
M. de Richebourg-