Ode fuivante a perdu le mérite de ce
qu'on nomme l'à propos , la Fête celebre
qui en eft le fujet , ayant été donnée il y
a plus de quatre mois ; mais l'Auteur qui
avoit fait cette Piéce en même - tems eut des
raifons particulieres pour ne la pas foumettre
alors à la décifion du Public ; c'est à lui de
juger fi elle a d'ailleurs quelque mérite qui la
dédommage de celui qu'elle a perdu aujour
d'hui ; ce fera peut- être prévenir en fa faveur
que d'avertir qu'elle eft de M. Bouret , Lientenant
General de Gifors , qui a remporté les
deux années dernieres le Prix de Poëfie au
jugement de l'Académie Françoife .
I. Vol. Biij ODE
1
1086 MERCURE DE FRANCE
OD E.
Sur la Fête que les Ambaffadeurs & Plenipotentiaires
d'Espagne ont donnée à Paris
le 24. Janvier 1730. par l'ordre de Sa
Majefte Catholique Philippe V. à l'occafion
de la Naiffance du Dauphin.
E St-ce un charme trompeur ? au pouvoir des
preftiges
M'a-t'on livré de toutes parts ?
Les merveilles & les prodiges
S'offrent en foule à mes regards f
Suivi de tous les Dieux , le Maître du Tonnere
Pour venir habiter la Terre
A-t'il abandonné les Cieux ?
C'eft lui- même , lui feul vainqueur de mille obftacles
Pouvoit enfanter les ſpectacles
Que nous étalent ces beaux lieux..
De l'Augufte Junon , brillante Meflagere ,
* Iris fur un Arc- en-Ciel feint devoit paroltrefur
la cime des Monts Pirennées que repréfentoit
ce Feu d'artifice tiré ſur la Riviere , ces
ornement qni eut été trés - brillant ne parut pas
manqua par la faute de l'Entrepreneur : mais
il eft deffiné tel qu'il devoit étre fur toutes les
Planches que l'on a jointes à la Defcription dis
Feu.
I. Vol. Quel
JUIN. 1730. 1087
Quel vif éclat peint tes habits ?
Et fur ton écharpe legere
A femé l'or & les rubis ?
De feux étincelans la Terre s'illumine ,
Daigne m'apprendre où fe termine
Tout l'appareil de ce grand jour ?
Jupiter dans les foins d'une Fête fi belle ,
De quelque Déeffe nouvelle
Veut-il encore orner fa Cour ?
Mais , non ; ce que j'entends , ce que je vois pa
roître
M'offre de plus grands interêts ;
Pourrois-je encore méconnoître
L'objet de ces pompeux apprêts ?
La France de fon Fils celebre la Naiffance ,
Et la Paix que fuit l'innocence
Ramene avec lui tous les biens ;
De fes fruits les plus doux,fource heureuſe & feconde
,
-
Des deux premiers Trônes du monde
Il éternife les liens.
Augufte Rejetton d'une Tige cherie !
Tout va s'unir en ta faveur ;
Déja la France & l'Iberic
N'ont plus qu'un langage & qu'un coeur.
PHILIPPE avec tranfport fur nos rives déploye
I. Vo!.
De
Biiij
1088 MERCURE DE FRANCE
De fa tendreffe & de fa joye
Les témoignages précieux ;
Je vois paroître ici , Théatre de ſa Fête ,
Ces Monts , dont l'orgueilleufe tête
Semble fe cacher dans les Cieux..
Mais quel enchantement fur les bords de la Seine
Les a tout à coup tranſportés ?
En vain par la puiffance humaine
De tels efforts feroient tentés ;
PHILIPPE , c'eſt des Dieux la merveille écla
tante ;
Minerve a rempli ton attente ;
Elle en fait fon plus doux emploi.
C'est ainsi que Neptune & le Dieu du Permeffe
Servoient , flattés par fa promeffe ,
Un Roi moins celebre que toi.
L'ordre des Elemens pour la Fête ordonnée
Va-t'il fe confondre à ta voix ?
Ici la Nature étonnée
Voit fufpendre ou changer fes loix ;
Avec tous fes Tréfors l'Amante de Zephire
S'établit fur l'humide Empire
Dans la plus âpre des Saifons ;
Laomedon , Roide Pergame , pour qui Neptune
Apollon travaillerent & bâtirent les
murailles de Troye , depuis Capitale de l'Afie.
1. Vol Borée
JUIN. 1730. 1089
Borée en frémiſſant voit détruire ſon Regne ,
Surpris que Flore le contraigne
A fuir au fond de fes prifons..
Mais que vois -je ! ces fleurs , fans perdre leur
figure ,
Ces Arbriffeaux font embrafés,
Vulcain veut -il venger l'injure
Des Aquilons tyrannifés ?
Nom , Flore , ta beauté que le jour feul revele
Emprunte une grace nouvelle
Du vif éclat de ces flambeaux ;
Tes fleurs en feux brillans tout-à-coup transformées
>
Sur leurs Terraffes enflammées
En font des fpectacles plus beaux..
Pour le Cocq déformais le Lion pert fa haine ,
Prodige aux fiecles à venir !
De l'Ebre enſemble & de la Seine:
On voit les flots ſe réunir.
La Nuit déploye en vain fes voiles les plus ſom→
bres ,
Comment peut fortir de fes ombres
Le jour qui frappe ici mes yeux ?.
Le fuperbe Palais élevé fur ces rives
Me peint à des clartés fi vives.
Celui du plus brillant des Dieux..
* Le Palais du Soleil tel qu'ovide le décrit
dans fes Métamorphojes,
BOUIL
1090 MERCURE DE FRANCE
* BOUILLON , fi dans ce jour d'éternelle mémoire
Tu fers le zele d'un grand Roi
Son coeur t'affocie à ſa gloire ;
L'éclat en rejaillit fur toi.
Le Chef- d'oeuvre des Cieux , ton illuftre Compagne
*
Préfide aux Fêtes que l'Eſpagne
Confacre à l'Empire François :
PHILIPPE , qu'en ces lieux remplace la
Princeffe ,
A tant de grace & de nobleſſe
A bien dû fon auguſte choix.
Qu'entens-je ? un feu foudain va nous réduire
en poudre ;
Quel bruit ! quel fracas dans les airs !
Les Cieux s'embrafent , & la foudre
Gronde au milieu de mille éclairs !
Mais quel effroi nouveau ! du centre de la terre
La flamme , aliment du tonnerre
S'échape en lumineux fillons .
Du Vefuve entr'ouvert vois - je les vaftes gouffres?
De feux , de falpêtres , de fouffres ,
Vomir au loin des tourbillons !
* M. le Duc de Bouillon a prêté fon Hôtel &
le Jardin pour la Fête .
* Madame la Ducheffe de Bouillon a été priée
par le Roi d'Espagne de faire en fon nom les
honneurs de laFêt e.
1. Vol . Dans
JUIN. 1730. 1091
Dans l'Empire des eaux , Dieu du fombre Rivage,
As-tu tranfporté les Enfers ?
Viens-tu détruire le partage
Du Souverain des flots amers ?
La flamme dans leur fein , les Nayades tremblantes
,
Cent fois de leurs Grottes brulantes
Ont redouté l'embraſement ;
Depuis quand ? par quel art ? l'onde au feu ſi contraire
,
Souffre-t'elle qu'un temeraire
L'ofe braver impunément ?
Mais d'un art féduiſant m'é garent les merveilles
Grands Dieux ! quelle étoit mon erreur !
Quoi ! pour mes yeux & mes oreilles
Le plaifir devenoit terreur !
Des Aftres , des éclairs , agréables images ,
LOUIS ! ces feux font des hommages
"Rendus à ton augufte fils.
Ainfi deux grands Etats dans leurs tendres com.
merces ,
Chantoient par cent bouches diverfes
L'heureux prefent que tu leur fis.
* Les Serpentaux ou Feux Gregeois qui brulent
dans l'eau ..
I, Vol. B v Tout
1092 MERCURE DE FRANCE
Tout retentit du fon des bruyantes trompettes
A qui fe mêlent les hautbois ;
Quels fons ! écho , tu les repetes ,
Pour les apprendre au Dieu des Bois..
Mais lui -même s'avance avec les doctes Fées ,
Des Arions & des Orphées
J'entends les fublimes travaux :
Plus promte que l'éclair,quelle main bienfaifante
*
+
A mes yeux enchantés préfente
Des objets des plaiſirs nouveaux.
Chere Euterpe ! c'eſt toi , ta divine harmonie
Charme le Maître que tu fers ;
Voix raviflantes , * Polymnie
Guide elle-même vos Concerts ;
Quels doux frémiffemens me faififfent encore !
Les Rivales de Terpficore *
Forment les pas les plus fçavans
*
Les Graces fur leur danfe ont verfé la Nobleffe ;
Oui , les traits dont l'amour nous bleffe
Ont des
appas
moins décevans.
Quel cercle éblouiffant ! quelle augufte Affemblée
*
* La Pastorale en Mufique.
Les Dalles Antier & Le Maure..
* Les Des Camargo & Salé..
Le Ballet..
* Le Feftin
da. Volo Orne
JUIN.
1093
1730.
Orne encor ce brillant Salon ;
La pompe en ces lieux étalée
Répond au féjour d'Apollon ;
Comus conduit ici l'abondance élegante ,
La délicateffe piquante
Et l'aimable diverfité :
D'un ſuperbe feſtin retraçant l'ordonnance ,
Avec les loix le Dieu difpenfe
Les tréfors de la volupté..
Vous , Reine , dont jadis la tendreffe idolâtre-
A fait la honte & les deftins ,
Maintenant , vaine Cleopatre ,
Vantez vos celebres feftins .
Pour celui que l'Espagne àla France prépare ,
Ce que la Terre a de plus rare ,
Les flots , les airs font épuifés :
Cent mets délicieux qu'un art fçavant déploye
Peignent l'objet de notre joye *
Sous fon emblême déguiſés.
Quel changement ſoudain m'ouvre un nouveaus
Théatre ?
Tous les Miniftres de Comus
Font place à la troupe folâtre .
*Plufieurs Ouvrages de Pâtisserie & defucre
où étoient représentés des auphins , des petits.
Amours , des Fleurs de Lys Co.
1 Voly Qu'a1094
MERCURE DE FRANCE
Qu'amene & qu'inſpire Momus.
Ici de mille objets l'aimable bigarrure
Reçoit les loix & la parure
Du Dieu qu'elle y vient honorer.
Le mafque féducteur,l'un chez l'autre, fait naître
Ou l'embarras de fe connoître ,
Ou le plaifir de s'ignorer.
Eft- ce la jeune Hebé par Jupiter choific
Pour verfer le Nectar aux Dieux ,
Qui nous prépare l'Ambroisie
Que l'on prodigue dans ces lieux ?
Par un gout plus charmant les trésors de l'Automne
Jamais n'ont vaincu d'Erigone**
La refiftance & les mépris :
Glaçons qu'en fruits divers l'art déguife & colore
Aux dons de Pomone & de Flore
Vous ajoutez un nouveau prix.
Ces fpectacles , PHILIPPE , à ta vaſte puiſ-
Lance ,
A ton grand coeur font affortis ;
Moins d'éclat , de magnificence
Parut aux nôces de Thétis.
Ce tranquile féjour aux charmes qu'il étale
* Bacchus féduifit la Nymphe Erigonefous la
figure d'un Raifin
1. Vol. N'offre
JUIN. 1730. 1895
N'offre point la pomme fatale
Qui caufa de fi grands revers.
Le DAUPHIN , cher objet d'une Fête éclatante
Nous garentit la Paix conftante
Qui va regner dans l'Univers,
Quel art , au choix heureux de ces galans ſpec
tacles
Unit encor la dignité
N'en doutons plus , à ces miracles
Préfide une Divinité.
Mais fouvent parmi nous de fublimes génies
Dans leurs lumieres infinies
Remplacent le pouvoir des Dieux.
J'aperçois deux Mortels favoris'de Minerve ,
A qui la Déeffe referve
Ses tréfors les plus précieux.
De PHILIPPE en leur fein l'àugufte confi
dence
A verfé les plus grands fecrets ;
L'Europe entiere à leur prudence
Remet fes plus chers interêts.
Leur zele ingénieux , attentif à ta gloire ,
Grand Prince , a gravé ta mémoire
Avec des traits dignes de toi.
Dans les apprêts divers d'une Fête pompeuſe ,
* Les Ambaſſadeurs Plenipotentiaires d'Eſpagne.
I. Vol. Dans
1096 MERCURE DE FRANCE
Dans fa fplendeur majestueufe
Le Miniftre a montré le Roi.