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p. 80-109
ESSAI historique sur ABRAHAM DUQUESNE, Lieutenant Général des Armées Navales de France. Non ille pro patriâ timidus perire. Horat.
Début :
DE tous les Etats qui concourent à la gloire de la patrie, il n'en est point [...]
Mots clefs :
Profession des armes, Noblesse, Oisiveté, Vrai noble, Citoyen, Siècle de Louis XIV, Académie de Marseille, Héros, Courage
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texteReconnaissance textuelle : ESSAI historique sur ABRAHAM DUQUESNE, Lieutenant Général des Armées Navales de France. Non ille pro patriâ timidus perire. Horat.
ESSAI hiftorique fur ABRAHAM
DUQUESNE Lieutenant Général
des Armées Navales de France. ( a )
Non ille pro patriâ timidus perire.
Horat.
D
E tous les Etats qui concourent à
la gloire de la patrie , il n'en eft point
de plus utile ni de plus honorable que
la profeffion des armes. De tout temps
elle fut fpécialement dévolue à notre
Nobleffe , deſtinée par état à fervir fon
( a ) Ce Sujet a été proposé par l'Académié
de Marſeille pour la diſtribution des Prix du 25
Août 1762 .
* V. p . 2 32. & 2 33. de ce ſecond volume .
7 81
JANVIER. 1763.
Roi. Ce n'est qu'en prodiguant fon fang
qu'elle reléve fa fplendeur & s'immortalife
dans les faſtes de la postérité : elle
fe flétrit au contraire dans une honteuſe
oifiveté. Qui peut compter fans interruption
une longue fuite d'ayeux qui
ont facrifié leurs vies pour le falut de la
Patrie , fe glorifiera-t-il de fa nobleffe ,
s'il ne marche fur leurs traces dans la
carriere de l'honneur ? Qu'eft - ce en effet
qu'un grand nom fans vertus ? Un héros ,
le premier de fa race , fera toujours préféré
au Noble faftueux , qui ne fonde
fon illuftration que furfes titres. La naiffance
eft un effet du hafard ; mais la
vertu , jointe à la valeur , diftingue &
caractériſe le vrai Noble , le Citoyen &
tout bon François.
Volez, s'écrioit l'illuftre Vendôme à
fes ,foldats , volez où l'honneur vous
appelle ; fongez que vous êtes François
! ....
(b) Duquesne , nom à jamais immortel
! Duquefne , l'un des plus grands
hommes de fon fiécle , fe dévoua au
fervice de mer dès fa plus tendre jeuneffe .
(b) Abraham Duquesne nâquit en Normandie
l'an 1610 , d'une famille noble & habituée de
puis longtemps dans cette Province.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
Son pere (c) Abraham Duquesne , blanchit
fous les armes , connut fes talens
& les perfectionna. Ce fut fous cet
illuftre père que notre jeune héros fit fes
premieres campagnes. Ils contribuerent
T'un & l'autre par l'éclat de leurs exploits
à la gloire du fiécle de Louis XIV.
C'eſt être vraiment grand que de travailler
à la grandeur des autres ; c'eſt le
comble de l'héroïfme que de concourir à
la gloire de fon Prince & à celle de l'Etat.
(d) Sanctuaire des Mufes & des Sciences
, dépofitaire des merveilles de mon
héros , je devrois fans doute dans un
humble filence vous entendre ici , Meſfieurs
, prodiguer les juftes louanges qui
font dues à ce grand homme. C'eft dans
(c ) Abraham Duquesne , père de notre Héros ,
mâquit au Bourg de Blangi dans le Comté d'Eu ,
de parens pauvres & Calviniftes . 'S'étant retiré de
bonne heure à Dieppe , il y apprit la Carte marine
, fe mit fur les vaiffeaux , & fe rendit capable
d'être Pilote. Après avoir exercé quelque temps
cette profeffion , il paffa en Suéde , obtint une
place de Pilote dans les vaiffeaux de la Reine
Chriftine ; fut choifi enfuite par cette Princeffe
pour conduire quelques vaiffeaux en France , &
s'étant diftingué dans cette occafion , il fut fait
Capitaine de vaiffeau dans l'Armée Navale de
France.
(d) L'Auteur s'adreffe ici à l'Académie de Marfeille.
JANVIER. 1763. 83
vos ports qu'il préféra de fixer fon féjour
: c'est là qu'il employa ces jours fi
précieux de la jeuneffe à acquérir la
fcience qui fait les grands hommes. On
le voyoit toujours affidu aux écoles de
la marine , toujours attentif aux exercices
& à la manoeuvre des Matelots ;
toujours avide de s'inftruire , entrer dans
les moindres détails . Il favoit qu'on ne
doit rien ignorer dans l'état qu'on embraffe
; bien différent de cette jeuneffe
éfféminée qui néglige l'étude , & lui
préfére fans honte l'cifiveté des Cours ,
où la Nobleffe fe dégrade , où le coeur
s'amollit , où les moeurs enfin fe corrom-
-pent par l'air contagieux que fouvent
on y refpire.
Si je ne puis , à l'exemple de Duquefne
, prodiguer mon fang pour le falut
de l'Etat ; qu'il me foit du moins permis
, comme Citoyen , d'élever ma foible
voix pour immortalifer un de fes
illuftres défenfeurs. N'y auroit- il pas une
forte d'ingratitude , fi animé par l'organe
refpectable d'une des plus célébres
Académies du Royaume , on ne
confacroit pas à la gloire de ce Hiros
une partie de fes veilles , pour ajouter
de nouveaux lauriers à ceux dont il a
été couronné tant de fois ? Je connois
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
mon infuffifance , MM. mais j'ofe me
flatter que vous applaudirez à mon zéle.
On ne peut fe rappeller l'horrible attentat
qui plaça Louis le Jufte fur le Trône
dans un âge encore tendre. La mort
précipitée d'un Prince , l'amour de fes
Sujets & la terreur de fes Ennemis ,
laiffa l'Etat en proye au Démon de la
difcorde. Habile à profiter d'une minorité
qui devoit être longue , ce Monf
tre , le plus cruel ennemi du genre
humain , alluma le flambeau de la
guerre ; la Religion en fut le prétexte
Ipécieux , l'ambition des Grands la fe-
.conda , & l'Etat en fut la victime. Des
Puiffances voifines & formidables fembloient
mettre le comble aux malheurs
de la France menacée de toutes parts.
Richelieu ( e ) paroît : le Génie fans vigueur
& prèfque engourdi fe réveille
a fa voix ; les Arts renaiffent , la Marine
fe rétablit , & le Commerce , ce
canal précieux qui porte la circulation
& la vie dans tous les membres de l'Etat,
( e ) En 1627 le Cardinal de Richelieu fit fupprimer
la Charge d'Amiral dont étoit revêtu le
Duc de Montmorenci , & celle de Connétable vacante
par la mort de Lefdiguieres . Il fe fit créer
Chef & Surintendant Général de la Navigation
& du Commerce.
JANVIER. 1763. . 85
ranime ce corps fans chaleur & prèſque
anéanti .
Richelieu , Politique fublime , renouvelle
l'alliance avec les Hollandois
porte les premiers coups à la Maiſon
d'Autriche , ce Coloffe éffrayant , qui
faifoit trembler l'Europe ; prépare la
deftruction des Huguenots en France
& médite la prife de la Rochelle , boulevard
formidable qui fervoit d'afyle à
l'héréfie & de retraite aux Rebelles .
,
Déja la Flotte Angloife s'avance vers
l'ifle de Rhé , à la follicitation des
Rochelois & du Duc de Rohan leur
· Chef.
Quel délire n'excite pas le fanatiſme !
Le Citoyen s'arme contre le Citoyen ;
Les Grands , qui par leur naiffance &
leur rang doivent être les défenfeurs de
l'Etat , s'en déclarent les plus cruels ennemis.
Le voile facré de la Religion
couvre leur ambition démesurée : tout
leur paroît permis , dès que tout leur
paroît poffible.
Abraham Duquesne , Calviniste , demande
à ne point fervir dans l'Armée
Royale : il l'obtient ; mais fon zèle pour
la Patrie l'engage à folliciter un autre
emploi. Il fait que la différence des
fentimens ne préfcrit point contre la
86 MERCURE DE FRANCE.
fidélité qu'il a jurée à fon Roi & à l'Etat.
Ses devoirs gravés dans fon coeur
font puifés dans ces principes inébranlables
de la Religion naturelle , fondement
de toutes les autres Religions.
L'amour des François pour leur Prince
ne fut jamais pour eux une loi tyrannique:
c'eft un penchant naturel , auquel
ils fe livrent d'autant plus volontiers ,
qu'ils y attachent leur bonheur & leur
gloire.
Généreux Marfeillois ! braves François
la fidélité à votre Roi eft votre
premiere vertu. Vos premiers fentimens
font les premieres chaînes qui vous attachent
inviolablement à votre Prince :
vos premiers voeux , vos premiers defirs
furent toujours de vous facrifier mille
fois pour fon falut & pour celui de la
Patrie .
Notre brave Guerrier fe tranſporte
d'un autre côté avec fon Efcadre. Son
fils âgé de 17 ans , commandoit un vaiffeau
fous fes ordres . Sa valeur annonça
dès-lors fa future grandeur , & la
force de fon génie lui tint lieu de plus
d'expérience ; mais le Ciel dont les décrets
fon impénétrables , le priva bientôt
de ce généreux père : pris par les
Efpagnols a fon retour de Suéde , il
JANVIER. 1763 . 87
reçut
le coup
de la mort
dans
un combat
inégal
. (f)
Quel coup de foudre pour un fils
également doué d'une belle âme & d'un
coeur excellent !
Brave Duquesne : ah ! fi la Parque
cruelle a tranché le fil d'une vie fi belle
& fi glorieufe , vous revivez de nouveau
par la gloire & les exploits de ce jeune
guerrier.
(g) La furpriſe de Tréves par les Epagnols
& l'enlévement de l'Electeur
(f) Le vieux Duquesne mourut à Dunkerque
l'an 1635 , dans les fentimens de la Religion
Prétendue Réformée.
(g ) Quoique jufques- là il n'y eût point eu de
rupture ouverte entre la France & l'Espagne ,
parce que , foit en Italie , foit en Allemagne ,
les Eſpagnols ne fervoient que comme auxiliaires
, en vertu des Traités. d'alliance entre les
deux Branches de la Maiſon d'Autriche ; la prifon
de l'Electeur produifit cependant la guèrre.
qui dura depuis 1635 jufqu'à la paix des Pyrénées
& le mariage de Louis XIV. Le Cardinal
Infant , Gouverneur des Pays- Bas , ayant refufé
à ce Monarque la liberté de l'Electeur , força le
Roi à lui déclarer la guerre & à interdire tout
Commerce entre les deux Nations.
En 1637 on attaqua l'Ile de Sainte Marguerite
& de les Forts , qui furent rendus au Comte
d'Harcourt 43 jours après fa defcente dans Lifle.
Les Espagnols perdirent 1 500 hommes ; & le
jeune Duquesne fe trouva à cette attaque.
N
88 MERCURE DE FRANCE.
firent voler Duquefne aux ifles de Sainte-
Marguerite. Il en forme l'attaque. La
réfiftance opiniâtre des Affiégés ne le
rebute point ; plus elle eft vive , plus fon
activité redouble. Les difficultés femblent
ne ſe préſenter que pour ajouter
à l'éclat de fon triomphe ; & les Efpagnols
ne fe multiplient que pour aug
menter le nombre des victimes qu'il
facrifie aux mânes de fonère.
Mais ce n'eft encore ici qu'un foible
crayon de ce qu'ils avoient à craindre
de fon habileté & de fon courage. On le
voit bientôt près du Môle de Gattary (h),
attaquer une Flotte de dix-huit vaiffeaux.
Dix-fept font pris , & le dix-huitiéme
mis hors de combat.
Intrépide , il ne connoît aucun danger.
Son courage le porte à Saint-Ogue ( i ) ;
il attaque les vaiffeaux qui font dans le
port ; & ce fut dans la chaleur du combat,
que bleffé d'un coup de moufquet ,
il fit à la Patrie la premiere offrande de
ce fang précieux qu'il prodigua fi géné-
( h ) En 1638, Duquefne contribua beaucoup à
la défaite des Efpagnols devant Gattary en Bilcaye.
( i ) En 1639 , il fut bleffé dans le Port de
& Ogue.
IAN VIER. 1763.
89
reuſement dans la fuite à Tarragone (k) ,
à Barcelone ( 1) , à la prife de Perpignan
(m) , & au Cap de Gattes .
Le fang ne s'épuife jamais , fi l'on en
croit les Héros , & le courage femble
fuppléer aux forces de la nature. Plus le
fang coule , plus il devient pur ; & fi la
guèrre eft le fléau de l'humanité , elle
eft aux yeux du Héros l'école de la
valeur & le creufet de la nobleffe.
Funeſte préjugé qui ne s'accordera
jamais avec les maximes du vrai Philofophe
, qui ne regarde la guèrre que
(k ) En 1641 , la Motte- Houdancourt , Commandant
en Catalogne , après avoir pris la Ville
& le Château de Conftantin & quelques autres
Places , vint mettre le fiége devant Tarragonne.
L'Armée Espagnolle qui y étoit enfermée fouffroit
beaucoup de la difette. On fit des efforts
incroyables pour la ravitailler , ce qui donna
lieu à un combat où le Général François défit
un grand nombre d'ennemis . L'Archevêque de
Bordeaux qui bloquoit Tarragonne par mer , attaqua
41 Galéres Eſpagnolles & en prit 12. Ce
fut dans cette action que Duquesne fut encore
dangereufement bleſſé .
•
( i ) En 1642 , il reçut de nouvelles bleſſures devant
Barcelone dans le temps de la priſe de
Perpignan qui fe rendit au Roi après trois mois
de fiége.
( m ) En 1643 , il répandit fon fang à la Bataille
qui le donna au Cap de Gattes.
90 MERCURE DE FRANCE .
comme le fléau du genre humain
comme un gouffre affreux , où tant de
Héros font enfévelis , tant d'hommes
facrifiés ; moins fouvent au bien de l'Etat
qu'aux capricés des Puiffances & à
l'imprudence des Généraux !
Je vous en attefte , ombres chères à
la patrie Intrépide Bayard ! Brave
Turenne ! Vaillant Duguai-Trouin ! Illuftre
Barwik ! vous qui n'allâtes moif
fonner tant de lauriers chez les ennemis
, que pour rapporter à vos concitoyens
le précieux rameau de la Paix .
(n) Richelieu meurt , & fa mort fut
pour les Espagnols l'événement le plus
heureux ils crurent le génie de la
France abattu & enfeveli avec ce grand
homme mais quelle furprife ! Louis le
Grand monte fur le Trône , & le génie
du gouvernement s'affied à côté du
Monarque. Nouvel Augufte ; fon fiécle
fut celui des Sciences & des beaux Arts :
il produifit ces grands hommes
ces
hommes immortels , dont les noms célébres
pafferont d'âge en âge , & feront
( n .) Les Espagnols furent battus prèfque partout
cette année. Le Maréchal de la Motte en
Catalogne conferva toujours fur eux la fupériorité
, & fit échouer toutes leurs entrepriſes.
JANVIER. 1763. 91
l'admiration de la postérité la plus reculée
.
(o) Duquefne part pour la Suéde ; fon
nom y eft connu ; fa réputation le précéde.
Les exploits fameux & les fervices
fignalés de fon illuftre père étoient profondément
gravés , ( non für des monumens
que le temps peut détruire , ou que
fouvent la flatterie éléve moins au mérite
qu'à l'orgueil des mortels & au faſte
de la décoration ; ) mais dans les coeurs
des Suédois , monumens plus fincères
& plus folides. Le Peuple , dont le fuffrage
n'eft point équivoque , accourt en
foule , fait éclater fa joie ; joie toujours
pure & véritable , lorfqu'elle a pour objet
le mérite d'un grand homme.
Bien différent de ces Guerriers qui
paffent dans le fein des plaifirs , &
dans les douceurs d'un indigne repos
(o ) En 1644 , Duquefne alla fervir en Suéde. Il
fut fait d'abord Major-Général de l'Armée Navale
, enfuite Vice- Amiral . C'est en cette qualité
qu'il fervoit le jour de la fameufe bataille où les
Danois furent entierement défaits. Il aborda lui
deuxième leur Vaiffeau Amiral appelé la Pctience.
Le Général Danois fut tué. Le Roi de
Dannemarck eût été fait prifonnier , fi ce Prince
bleffé à l'oeil d'un éclat de bois près d'un canon
qu'il pointoit , n'eût été obligé de fortir de
ee Vaiffeau la veille de l'action.
92 MERCURE DE FRANCE.
à
le loifir que leur laiffe la Patrie ; ce
fut pour l'employer utilement que vous
paffâtes au fervice de la Suéde , invincible
Duquesne ! Qui connut jamais
mieux que vous le prix du temps ? Qui
jamais mieux que vous , fçut le mettre
profit ? Ce temps finéceffaire peut-être
à votre repos , en même -temps fi utile
& fi glorieux à la Patrie , vous le deftinez
à fecourir les Suédois nos fidéles
Alliés , & à les garantir de l'injufte
ufurpation des Danois. Les titres éclatans
qui font l'appanage du vrai mérite
, qui jamais ne furent fufpects ,
lorfqu'ils font donnés par une Nation
étrangère , vous font juftement prodigués.
Nommé Vice Amiral , vous fervîtes
en cette qualité à la fameufe journée
où les Danois furent défaits.
Déja les deux Flottes font en préfence
mille bouches d'airain vomiffent
la foudre & la mort. Un jour artificiel
inventé par la fureur des hommes,
femble cacher aux combattans ce jour
doux & bienfaifant qui éclaire la nature.
Les vaiffeaux s'élancent contre les vaiffeaux.
Mille débris éclatans obfcurciffent
l'air , & font dans le même inf
tant engloutis dans les eaux. De tristes
lambeaux de malheureux couvrent la
JANVIER. 1763. 93
Turface des mers. Le défordre fe met
dans l'Armée Danoife . La confufion des
Matelots , le cris des Officiers , le découragement
des foldats , tour lui annonce
une prompte défaite.
D'un autre côté , le bon ordre fe
maintient dans l'Armée Suédoife. La
bonne contenance des Officiers éxcite
la confiance du Matelot , occupé à la
manoeuvre. Duquefne fe fignale on
croiroit à le voir que la victoire eft à fes
ordres. Au-deffus de toute crainte , il
fend les flots ; & fe faifant jour à travers
la flotte ennemie , il aborde lui
deuxième le vaiffeau Amiral. Il s'élance
au milieu du fang & du carnage . Le
choc eft furieux ; mais rien ne réfifte à
l'ardeur de fon courage. Son bras invincible
porte par-tout la mort. Le Général
Danois tombe fous fes coups : il
fe rend maître du vaiffeau. Le vaincu
implore la clémence du vainqueur , &
le Roi lui-même eût fubi le même fort ,
fi un événement inopiné n'eût ravi à
Duquefne cette illuftre conquête.
(p ) La Suéde étonnée retentiffoit des
(p) En 1647 il fut rappellé en France & commanda
cette année & la fuivante une des Eſcadres
qui furent envoyées à l'expédition de Naples. Le
Roi d'Espagne battu de tous côtés , voyoit avec
94 MERCURE DE FRANCE.
louanges de mon Héros , lorfqu'il fut
rappellé en France. La voix de fa Patrie
fe fait entendre il ne délibére
>
chagrin le Rouffillon & la Catalogne entre les
mains des François. Naples révoltée contre lui ,
venoit de fe donner au Duc de Guife . Celui- ci ,
qui ne paffa que pour un Avanturier audacieux ,
parce qu'il ne réuffit pas , avoit eu du moins la
gloire d'aborder feul dans une barque au milieu
de la Flotte Efpagnole , & de défendre Naples
fans autre fecours que fon courage.
La Sicile depuis le temps des Tyrans de Syracufe
, a toujours été fubjuguée par des Etrangers;
affervie fucceffivement aux Romains , aux Vandales
, aux Arabes , aux Normans , fous le val
felage des Papes , aux François , aux Allemands ,
aux Efpagnols : haïllant prèfque toujours fes
maîtres , le révoltant contre eux , fans faire de
véritables efforts dignes de la liberté , & éxcitant
continuellement des féditions pour changer de
chaînes .
En 1674 , les Magiftrats de Meffine venoient
d'allumer une guèrre civile contre leurs Gouverneurs
& d'appeller la France à leur fecours. Une
Flotte Efpagnole bloquoit leur port ; ils étoient
réduits aux extrémités de la famine..
En 1675 , le Chevalier de Valbelle vint d'abord
avec quelques Frégates à travers la Flotte
Efpagnole. Il porta à Meffine des vivres , des årmes
& des foldats. Ayant enfuite tenté d'y conduire
un nouveau fecours , les Galéres Eſpagnoles
& quelques Vaiffeaux Hollandois entreprirent
de lui difputer l'entrée du canal. Il y eut un combat
; le paffage fut forcé , & le convoj arriva heureufement,
JANVIER. 1763 .
point ; il s'arrache à la gloire & aux
applaudiffemens pour voler à ſon ſecours.
Il eft auffi -tôt chargé du commandement
de l'Efcadre deſtinée a l'expédition
de Naples. Puiffe tout François
, à l'exemple de ce grand homme
facrifier les intérêts les plus chers à l'amour
de fon devoir !
où
La France déchirée par les guerres
civiles fous les Régnes des Valois ,
Régne malheureux , où l'ambition des
Grands & la fureur des Hérétiques la
mirent à deux doigts de fa perte ,
l'enthouſiaſme aveugle du fanatiſme
infpiroit les plus éxécrables maximes.
La France , dis- je , dans ces temps de
troubles & d'horreurs , n'avoit pu entretenir
fa Marine ; fon rétabliffement
étoit dû à la fage prévoyance de Richelieu
.
Mazarin dont les vues furent moins
étendues , la négligea. Il étoit réſervé
au généreux Duquesne de la réparer
par fon défintéreſſement.
Vrai citoyen , il penfe que fon patrimoine
eft celui de l'Etat. Général vertueux
, la gloire de le fervir eft l'unique
récompenfe qu'il ambitionne. Il arme à
fes frais plufieurs vaiffeaux. Il vole au
fecours de l'Armée Royale , qui tenoit
96 MERCURE DE FRANCE.
bloquée la ville de Bourdeaux . Il eft
rencontré par une Efcadre,Angloife. On
veut lui faire baiffer pavillon : c'est ici
que l'orgueil peut être une vertu dans
les Héros. Son courage dicte fon refus.
Le combat s'engage, & il y eft dangereufement
bleffé. Il fe retire glorieufement ,
quoiqu'avec des forces inégales. Obligé
de s'arrêter à Breft pour faire radouber
fes vaiffeaux , il revole à Bourdeaux
fans attendre l'entière guérifon de fes
bleffures . La Flotte Efpagnole arrive
en même temps que lui dans la rivière :
elle s'oppose à fon paffage. La barrière
eft forcée : il entre en préfence des Efpagnols
, & fa belle manoeuvre oblige la
ville de fe rendre.
Anne d'Autriche , Régente du Royaume
, qui n'ignoroit pas que ces fuccès
n'étoient dûs qu'à la valeur & à la générofité
de Duquesne , crut qu'il étoit
de fa gloire de le récompenfer : elle lui
donna le château & l'ifle d'Indred , qui
étoient du Domaine de Sa Majeſté.
Ce n'eft que par les bienfaits qu'on
réuffit à s'attacher les hommes. Le feul
efpoir d'une récompenfe glorieufe peut
produire des Héros. La fage politique
d'un Etat eft de favoir les multiplier par
un appas fi juſte & fi raiſonnable.
Deux
JANVIER . 1763 . 97
- Deux Provinces envahies par les François
font trembler le Roi Catholique
pour le refte de fes Etats. Naples révoltée
contre fon Souverain ; les Siciliens ,
peuple inconftant , venoient de fe donner
au Duc de Guife , dernier Prince
de cette branche d'une Maifon fi féconde
en hommes illuftres , mais dangereux
.
(9 ) Le Roi d'Espagne eft contraint
par la révolte de Meffine d'implorer le
( q ) En 1676 , l'Efpagne appella les Hollandois
pour défendre la Sicile. Rhuiter fut chargé
de cette expédition. Les François qui réunis aux
Anglois , n'avoient pu battre les flottes de la
Hollande , l'emporterent feuls fur les Hollandois
& les Elpagnols . Le Duc de Vivonne obligé
de refter dans Meffine , pour contenir le Peuple
déja mécontent de les défenfeurs , laiffa donner
cette bataille par Duquesne , Lieutenant- Général
des Armées Navales ; homme auffi fingulier que
Rhuiter, parvenu comme lui au commandement
par fon mérite .
Rhuiter dont la mémoire eft encore dans la
plus grande vénération en Hollande , avoit commencé
par être Valet & Mouffe de Vaiſſeau ; il
n'en fur que plus refpectable. Le Confeil d'Elpagne
lui donna le Titre & les Patentes de Duc ,
dignité frivole pour un Républicain. Ces Patentes
n'arriverent qu'après la mort . Les enfans de
Rhuiter refuferent ce Titre fi brigué dans nos
Monarchies , mais qui n'eſt pas préférable au nom
de bon Citoyen ..
I. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE .
fecours des Hollandois fes anciens ennemis.
Rhuiter , le fameux Rhuiter , un
des plus grands hommes de fon fiécle
à la tête d'une Efcadre de vingt-trois
vaiffeaux , joint l'Efcadre Efpagnole ,
compofée de vingt.
C'est contre ces forces formidables
que Duquesne devenu Lieutenant Général
des Armés Navales, va combattre.
C'est ici que l'éloge de mon Héros
va devenir plus intéreffant ; c'eft ici
que l'étendue de fon génie , fon activité
, fa valeur vont paroître dans tout
leur jour ; c'eft contre Rhuiter enfin
contre le Capitaine de fon fiécle qui jouiffoit
de la plus haute réputation , que l'Europe
étonnée admire fa fupériorité .
Toulon le voit partir à la tête de 20
vaiffeaux, efcortant un grand convoi de
munitions pour Meffine. Un pareil
nombre de vaiffeaux s'offre à fa rencontre
à la vue de Stromboli ; c'eft
Rhuiter qui les commande. Duquesne
attaque , Rhuiter plie. Preuilli , qui
commande l'avant- garde , charge celle
des Hollandois , la met en défordre , &
Duquefne fait entrer fon convoi dans
Meffine .
Les Flottes combinées d'Efpagne &
de Hollande font voile vers Agofta
JANVIER . 1763 . 99
dans l'efpérance qu'il s'y feroit quelques
mouvemens en leur faveur. L'Efcadre
Françoife fort du Port de Meffine pour les
combattre. Duquefne découvre les ennemis
à travers le Golfe de Catane. Les
Efpagnols & les Hollandois viennent à
lui avec l'avantage du vent ; avantage
qui décide prèfque toujours des combats
de Mer. Rhuiter fond fur la Flotte Françoife
; il eft repouffé avec perte & attaqué
lui-même. C'est là que nos deux
Généraux mettent en ufage tout ce que
la valeur & la prudence , tout ce que
la fupériorité du génie & la préfence
d'efprit peuvent fuggérer aux grands
Hommes. On les voit attentifs à profiter
de leurs avantages , ou à réparer
leurs pertes , donner des ordres à propos
& avec intelligence, fe porter aux endroits
où leur préfence eft néceſſaire :
nul danger ne les étonne : Ruither &
Duquefne fe multiplient ; on les voit
fur tous les vaiffeaux diriger la manouvre
, animer les foldats par leur exemple ,
voler au fecours des foibles & encourager
les forts. Les Galères d'Efpagne
dégagent quatre de leurs vaiffeaux qui
étoient fur le point d'être pris. Rhuiter
dans la chaleur de l'action , reçoit le
coup de la mort ; il tombe ; & LOUIS
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
LE GRA ND en eft affligé. En vain des
Courtisans lui difent qu'il eft défait d'un
Ennemi redoutable : rien , dit - il , ne
peut empêcher d'être fenfible à la mort
d'un grand Homme.
Je dois ajouter à la gloire de mon
Héros le témoignage authentique que
lui rendit Rhuiter dans les différentes
actions qu'il eut à foutenir contre les
François il difoit franchement qu'il
ne craignoit que Duquefne. Les grands
Hommes fe rendent juftice : la jaloufie ,
vice des âmes baffes , ne peut offufquer
leur raifon , ni corrompre leur coeur.
Durquefne toujours infatiguable, pourfuit
les deux Flottes , les attaque pour
la troifiéme fois , & aucun vaiffeau ne
ne lui eût échappé , fi les ombres de
la nuit & le Port de Syracufe ne les
euffent mis à couvert.
LOUIS ( r) donne la paix à l'Europe;
(* ) Le Roi d'Angleterre ayant commencé la
guerre pour l'intérêt de la France , étoit fur le
point de fe liguer avec le Prince d'Orange qui
venoit d'époufer fa niéce . Louis XIV. donna la
paix à l'Europe . Les Ennemis licentierent leurs
troupes extraordinaires ; il garda les fiennes ,
fis en quelque forte de la paix un temps de conquêtes.
Depuis Charlemagne on n'avoit vu aucun
Prince agir ainfi en' Maître , en Juge des Souve-
#ains , & conquérir des Pays par des Arrêts. La
&
"
JANVIER. 1763 . ΙΟΥ
il en préfcrit lui - même les conditions
en Vainqueur. Pour affurer le repos de
fes Peuples , & contenir fes Ennemis
dans le refpe &t & la crainte , ce Monarque
porte fa Marine au- delà des efpérances
de la France , & de l'Europe
étonnée . Soixante mille matelots font à
fa folde ; & des Loix auffi fages que
févères préfcrivent à ces hommes groffiers
les régles de leurs devoirs . Des
fommes immenfes font employées à
conftruire le Port de Toulon fur la
Méditérannée , celui de Breft , de Dunkerque
, du Havre - de - Grace & de Rochefort
fur l'Océan . L'école de la Marine
eft inftituée dans ces différens
Ports. Une foule de jeune nobleſſe vient
s'inftruire auprès des grands Hommes
que le mérite a défignés pour maîtres.
( s ) Le Roi avoit plus de cent vaifpuiffance
formidable de ce Monarque qui s'étendoit
ainfi de tous côtés , & acquéroit pendant la
paix plus que fes prédéceffeurs n'avoient acquis
par la guerre , réveilla les allarmes de l'Europe.
L'Empire , la Hollande , la Suéde même , firent
un traité d'affociation . Les Anglois menacerent.
Les Eſpagnols voulurent la guèrre . Le Prince d'Orange
remua tout pour l'allumer ; mais aucune
de ces Puiſſances n'ofa porter les premiers coups.
(s) En 1681 Duquefne attaqua les Tripolitains ,
& les obligea à conclure une paix très- glorieufe
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
>
feaux de ligne ; ils ne reftoient pas oififs
dans fes Ports. Ses Efcadres fous le
commandement de Duquefne nettoyoient
les Mers infectées par les Corfaires
d'Alger & de Tripoli. Notre Hé
ros à la tête de fix vaiffeaux va jufques
dans le Port de Chio attaquer les Tripolitains
; & le Capitan Bacha ne peut
avec quarante Galéres les mettre à l'abri
des foudres du Général François . Ces
Africains fe foumettent & n'obtiennent
la paix qu'à la prière & par l'entremife
du Grand- Seigneur.
( t ) LOUIS veut fe venger d'Alger.
>
pour la France. Ils rendirent un Vaiffeau François
qu'ils avoient pris , tout le canon , les armes
tout l'équipage , & un très-grand nombre de
Chrétiens qu'ils avoient fait esclaves.
(t ) En 1683 Louis XIV. fe vengea d'Alger
avec le fecours d'un art nouveau , dont la découverte
fut due à cette attention qu'il avoit d'exciter
tous les génies de fon fiécle. Cer art funeſte ,
mais furprenant , eft celui des galiotes a bombes ,
avec lesquelles on peut réduire des villes mariti
mes en cendres. Bernard Renaud , plus connu
fous le nom du Petit Renaud , fut l'auteur de
cette invention . Ce jeune homme , fans avoir jamais
fervi fur les vaiffeaux , étoit cependant par
fon génie un excellent Marin . Colbert , qui déterroit
le mérite dans l'obfcurité , l'avoit fouvent
appellé au Confeil de marine , même en préfence
du Roi. C'étoit par les foins & fur les lu
JANVIER. 1763. 103
Duquesne attaque ces Corfaries , brûle
leurs vaiffeaux , confume une partie de
la Ville par le moyen d'une forte d'artillerie
jufqu'alors inconnue & qui par
la fuite fera un des plus terribles fléaux
de l'humanité. Ce Monarque généreux
dont la grande âme fçavoit toujours
mettre des bornes à ſa vengeance , avoit
mieres de Renaud que l'on fuivoit depuis peu une
méthode plus réguliére & plus facile pour la conftruction
des vailleaux . Il ofa propofer dans le
Confeil de bombarder Alger avec une Flotte. On
n'avoit pas d'idées que des mortiers à bombes
puffent n'être pas polés fur un terrein folide. La
propofition révolta Il éffuya les contradictions &
les railleries que tout inventeur doit attendre ;
mais fa fermeté & cette éloquence qu'ont d'ordinaire
les hommes frappés de leurs inventions
déterminérent le Roi à permettre l'élai de cette
nouveauté . Renaud fit conftruire cinq vaiffeaux
plus petits que les vaiffeaux ordinaires mais plus
forts de bois , fans ponts , avec un faux tillac à
fonds de cale , fur lequel on maçonna des creux ,
où l'on mit les mortiers. Il partit avec cet équipage
fous les ordres de Duquefne , qui étoit chargé
de l'entrepriſe. Ce Général & les Algériens
furent étonnés de l'effet des bombes . Outre deux
vaiffeaux de ces Corfaires qu'il brula , le feu des
bombes confuma une partie de la ville : mais cet
art porté bientôt chez les autres Nations , ne fervit
qu'à multiplier les calamités humaines . La Marine
ainfi perfectionnée en peu d'années , étoir
le fruit des foins du grand Colbert.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
épargné les Algériens. Ces Corfaires infolens
s'en prévalurent & le contraignirent
de les punir de nouveau. Il fit
bombarder leur Ville pour la feconde
fois l'année fuivante. Le dommage fut
très- confidérable dans cette Capitale.
Les Vaiffeaux & les Galéres furent pris,
brûlés ou coulés à fond ; un grand
nombre de maifons renverfées , des
magafins ruinés. La néeeffité leur fir
demander la paix. LOUIS la leur accorda.
On éxigea pour préliminaires de
rendre fans rançon plus de fix cens Chrétiens
efclaves , & de payer une fomme
d'argent , punition dure & fenfible
pour des Corfaires ! Tunis & Tripoli
firent à leur exemple les mêmes foumiffions
.
(u) Gênes avoit vendu des munitions
( u ) En 1684 , la République de Gênes ayant
refufé de ſe ſoumettre aux ordres de Louis XIV ,
& comptant trop fur le fecours de l'Eſpagne , ſe
vit fur le point d'être détruite de fond en comble
par l'effet des bombes. Elle fut forcée de céder.
Le Roi exigea que le Doge & quatre principaux
Sénateurs vinffent implorer fa clémence
dans fon Palais de Verſailles ; & de peur que
les Génois n'éludaffent la fatisfaction
dérobaffent quelque chofe à fa gloire , il voulut
que le Doge qui viendroit lui demander pardon,
& ne
JANVIER. 1763 . 105
+
de guèrre aux Algériens . Elle conftruifoit
quatre Galéres pour l'Espagne .
Le Monarque François lui défend par
fon Envoyé de les lancer à l'eau , &
la menace d'un châtiment prompt
& rigoureux fi elle refufe de fe foumettre
à fes volontés. Les Génois irrités
de cette entréprife fur leur liberté ,
n'y eurent aucun égard. Duquesne fort
de Toulon à la tête de 14 Vaiffeaux ,
20 Galéres , 10 Galiotes a bombes &
plufieurs Frégates. Il fe préfente devant
Gênes . Les 10 Galiotes y jettent
quatorze mille bombes & réduifent en
cendres une partie de fes Palais. Quatre
mille foldats débarquent , & portent le
fer & le feu dans les fauxbourgs. Le
Génois effrayé craint la ruine totale de
fes Etats. Ces fiers Républicains humiliés
par des progrès fi rapides , députent
fût continué dans fa Principauté , malgré la loi
perpétuelle de Gênes , qui ôte cette dignité à tout
Doge abfent un moment de la Ville . Le Doge
arriva a Verſailles le 22 de Février 1685 , demanda
pardon au Roi . Cegrand Prince , qui dans
toutes les actions de fa viejoignoit la politeffe à la
dignité , traita de Doge & les Senateurs avecautant
de bonté que de fafte. Ses Miniftres leur firent fentir
plus de fierté. Aufli le Doge difoit : Je Roi ôte à
nos coeurs la liberté , mais les Miniftres nous la
rrendent.
Ew
106 MERCURE DE FRANCE.
le Doge avec quatre Sénateurs , pour
aller demander pardon au Roi . Ils fe
rendent à Verfailles. Le Monarque , qui
favoit que la véritable grandeur confifte
particuliérement à oublier les injures ,
paroît fatisfait , les reçoit avec bonté ,
& les traite avec magnificence.
L'hiftoire des temps femble terminer
à ce dernier trait les glorieux exploits de
mon héros. Je finirai fon éloge par l'apologie
de fon coeur , auffi recommandable
par fon défintéreffement
noble & fublime par fes vertus .
> que
J'en appelle au témoignage de l'Afie ,
de l'Afrique & de l'Europe . Quelle foule
de témoins de fa valeur & de fon âme
bienfaifante ! Des Chrétiens arrachés à
l'esclavage viennent dans les tranſports
de la joie la plus pure , pénétrés des fentimens
de la plus vive reconnoiffance
baifer ces mains généreufes qui ont brifé
leurs fers.
O Duquefne ! à quels fentimens délicieux
ton âme ne fe livroit- elle pas ,
en voyant couler ces larmes précieufes
que la grandeur de cette action , que
l'héroïsme de la vertu , que l'amour de
l'humanité & l'admiration font répandre
! Qu'il eft glorieux pour toi de régner
ainfi fur les coeurs & de te les
JANVIER. 1763. 107
attacher par les bienfaits ! On t'offre
des rançons ; ton âme généreufe en
eft offenfée . Toute la récompenfe que
ton grand coeur ambitionne eft le feul
plaifir du bienfait .
(x) Duquefne arrive à la Cour. Son
nom vole de bouche en bouche . Il
perce la foule des Courtifans , il pénétre
jufqu'au Roi . Il lit dans fes yeux
pleins de majefté qu'il a gagné l'eftime
de fon Maître ; & c'eft la feule récompenfe
à laquelle il afpire : mais
LOUIS dont la grande âme ne laiffa
jamais le mérite & les fervices fans récompenfe
, lui donna & à fa poftérité
, comme un monument éternel de fa
bienveillance , la terre Dubouchet qu'il
érigea en Marquifat.
Duquefne en ceffant de combattre ,
n'en fert pas moins la Patrie . Dans une
retraite honorable , il forme des voeux
(x) Le Roi qui honoroit Duquesne d'une eftime
particuliere pour fon mérite , ne pouvant à cauſe
de la religion qu'il profelloit , le récompenfer
avec tout l'éclat qu'il auroit fouhaité , n'a pas
laiffé de lui donner & à fa poftérité une marque
de fa bienveillance , en lui faifant don de la Tèrre
Du bouchet , qui eft une des plus belles du Royaume
, fituée auprès d'Etampes. Il l'érigea en Marquifat
, lui ôta fon premier nom , & lui donna
celui de Duquefae.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour fon Prince , & pour l'Etat. Adoré
de fa Famille , il inftruit fes enfans &
leur apprend à marcher fur fes traces.
Témoin de leur valeur & de l'éclat de
leurs exploits , il fe voit convaincu que
fon fang illuftre ne pouvoit dégénérer.
Quels motifs de confolation pour ce
refpectable Guerrier dans un âge où
les infirmités fe multiplient , où la fenfibilité
augmente , où les organes d'un
corps épuifé s'affaiffent & fe détruifent.
Il attend la mort avec affurance ; il envifage
avec fermeté le terme de fa carrière.
(y ) Duquesne meurt enfin ; il meurt
( yCe grand homme qui étoit né Calvinifte ,
mourut dans la même créance , à Paris , le 2 Février
1688 , après avoir vêcu 78 ans avec une
vigueur & une fanté extraordinaire . Son coeur
fut porté dans le Temple de la Ville d'Aubonne ,
dans le canton de Berne en Suiffe , où fon fils aîné
Henri Duquesne , Baron du lieu , lui fit placer
une épitaphe. Il avoit époufé Gabrielle de Bernière
, dont il a laiffé quatre fils.
Henri , l'aîné de fes enfans , formé aux armes
dès fa plus tendre jeuneffe , s'y est toujours diftingué.
Conftamment attaché à la Religion Proteftante
, il fe retira dans une Tèrre qu'il avoit
acquife en Suiffe , avec la permiffion du Roi. Il
mourut à Genève le 11 Novembre 1722 , âgé de
près de 71 ans , eftimé , aimé & regretté de tous
ceux qui le connoilloient.
JANVIER. 1763 . rog
•
en héros il emporte dans le tombeau
les pleurs de fa famille , les juftes regrets
de la France , & l'eftime de l'Europe
entiere .
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
Le fecond, Abraham , Capitaine de Vaiffeau ,
fe fignala auffi en plufieurs occafions importantes
. En 1683 , il prit & emmena à Toulon le
Prince de Montefarchio , Général de l'Armée Efpagnole
, & en 1684 dans la defcente de Gênes ,
il foutint le bataillon qu'il y commandoit avec
beaucoup de valeur.
Le troifiéme , Ifaac , & le quatrième , Jacob ,
furent des Officiers très recommandables par
leur mérite & leur courage.
Duquesne avoit auffi plufieurs frères , qui font
tous morts dans le Service. L'un d'eux , Capitaine
de Vaiffeau , fut tué d'un coup de canon. Il
laiffa un fils , Duquefne Monier , qui après s'être
Egnalé en diverses occafions , & avoir eu un bras
emporté , fut fait Chef d'Eſcadre en 1705.
DUQUESNE Lieutenant Général
des Armées Navales de France. ( a )
Non ille pro patriâ timidus perire.
Horat.
D
E tous les Etats qui concourent à
la gloire de la patrie , il n'en eft point
de plus utile ni de plus honorable que
la profeffion des armes. De tout temps
elle fut fpécialement dévolue à notre
Nobleffe , deſtinée par état à fervir fon
( a ) Ce Sujet a été proposé par l'Académié
de Marſeille pour la diſtribution des Prix du 25
Août 1762 .
* V. p . 2 32. & 2 33. de ce ſecond volume .
7 81
JANVIER. 1763.
Roi. Ce n'est qu'en prodiguant fon fang
qu'elle reléve fa fplendeur & s'immortalife
dans les faſtes de la postérité : elle
fe flétrit au contraire dans une honteuſe
oifiveté. Qui peut compter fans interruption
une longue fuite d'ayeux qui
ont facrifié leurs vies pour le falut de la
Patrie , fe glorifiera-t-il de fa nobleffe ,
s'il ne marche fur leurs traces dans la
carriere de l'honneur ? Qu'eft - ce en effet
qu'un grand nom fans vertus ? Un héros ,
le premier de fa race , fera toujours préféré
au Noble faftueux , qui ne fonde
fon illuftration que furfes titres. La naiffance
eft un effet du hafard ; mais la
vertu , jointe à la valeur , diftingue &
caractériſe le vrai Noble , le Citoyen &
tout bon François.
Volez, s'écrioit l'illuftre Vendôme à
fes ,foldats , volez où l'honneur vous
appelle ; fongez que vous êtes François
! ....
(b) Duquesne , nom à jamais immortel
! Duquefne , l'un des plus grands
hommes de fon fiécle , fe dévoua au
fervice de mer dès fa plus tendre jeuneffe .
(b) Abraham Duquesne nâquit en Normandie
l'an 1610 , d'une famille noble & habituée de
puis longtemps dans cette Province.
D v
82 MERCURE DE FRANCE.
Son pere (c) Abraham Duquesne , blanchit
fous les armes , connut fes talens
& les perfectionna. Ce fut fous cet
illuftre père que notre jeune héros fit fes
premieres campagnes. Ils contribuerent
T'un & l'autre par l'éclat de leurs exploits
à la gloire du fiécle de Louis XIV.
C'eſt être vraiment grand que de travailler
à la grandeur des autres ; c'eſt le
comble de l'héroïfme que de concourir à
la gloire de fon Prince & à celle de l'Etat.
(d) Sanctuaire des Mufes & des Sciences
, dépofitaire des merveilles de mon
héros , je devrois fans doute dans un
humble filence vous entendre ici , Meſfieurs
, prodiguer les juftes louanges qui
font dues à ce grand homme. C'eft dans
(c ) Abraham Duquesne , père de notre Héros ,
mâquit au Bourg de Blangi dans le Comté d'Eu ,
de parens pauvres & Calviniftes . 'S'étant retiré de
bonne heure à Dieppe , il y apprit la Carte marine
, fe mit fur les vaiffeaux , & fe rendit capable
d'être Pilote. Après avoir exercé quelque temps
cette profeffion , il paffa en Suéde , obtint une
place de Pilote dans les vaiffeaux de la Reine
Chriftine ; fut choifi enfuite par cette Princeffe
pour conduire quelques vaiffeaux en France , &
s'étant diftingué dans cette occafion , il fut fait
Capitaine de vaiffeau dans l'Armée Navale de
France.
(d) L'Auteur s'adreffe ici à l'Académie de Marfeille.
JANVIER. 1763. 83
vos ports qu'il préféra de fixer fon féjour
: c'est là qu'il employa ces jours fi
précieux de la jeuneffe à acquérir la
fcience qui fait les grands hommes. On
le voyoit toujours affidu aux écoles de
la marine , toujours attentif aux exercices
& à la manoeuvre des Matelots ;
toujours avide de s'inftruire , entrer dans
les moindres détails . Il favoit qu'on ne
doit rien ignorer dans l'état qu'on embraffe
; bien différent de cette jeuneffe
éfféminée qui néglige l'étude , & lui
préfére fans honte l'cifiveté des Cours ,
où la Nobleffe fe dégrade , où le coeur
s'amollit , où les moeurs enfin fe corrom-
-pent par l'air contagieux que fouvent
on y refpire.
Si je ne puis , à l'exemple de Duquefne
, prodiguer mon fang pour le falut
de l'Etat ; qu'il me foit du moins permis
, comme Citoyen , d'élever ma foible
voix pour immortalifer un de fes
illuftres défenfeurs. N'y auroit- il pas une
forte d'ingratitude , fi animé par l'organe
refpectable d'une des plus célébres
Académies du Royaume , on ne
confacroit pas à la gloire de ce Hiros
une partie de fes veilles , pour ajouter
de nouveaux lauriers à ceux dont il a
été couronné tant de fois ? Je connois
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
mon infuffifance , MM. mais j'ofe me
flatter que vous applaudirez à mon zéle.
On ne peut fe rappeller l'horrible attentat
qui plaça Louis le Jufte fur le Trône
dans un âge encore tendre. La mort
précipitée d'un Prince , l'amour de fes
Sujets & la terreur de fes Ennemis ,
laiffa l'Etat en proye au Démon de la
difcorde. Habile à profiter d'une minorité
qui devoit être longue , ce Monf
tre , le plus cruel ennemi du genre
humain , alluma le flambeau de la
guerre ; la Religion en fut le prétexte
Ipécieux , l'ambition des Grands la fe-
.conda , & l'Etat en fut la victime. Des
Puiffances voifines & formidables fembloient
mettre le comble aux malheurs
de la France menacée de toutes parts.
Richelieu ( e ) paroît : le Génie fans vigueur
& prèfque engourdi fe réveille
a fa voix ; les Arts renaiffent , la Marine
fe rétablit , & le Commerce , ce
canal précieux qui porte la circulation
& la vie dans tous les membres de l'Etat,
( e ) En 1627 le Cardinal de Richelieu fit fupprimer
la Charge d'Amiral dont étoit revêtu le
Duc de Montmorenci , & celle de Connétable vacante
par la mort de Lefdiguieres . Il fe fit créer
Chef & Surintendant Général de la Navigation
& du Commerce.
JANVIER. 1763. . 85
ranime ce corps fans chaleur & prèſque
anéanti .
Richelieu , Politique fublime , renouvelle
l'alliance avec les Hollandois
porte les premiers coups à la Maiſon
d'Autriche , ce Coloffe éffrayant , qui
faifoit trembler l'Europe ; prépare la
deftruction des Huguenots en France
& médite la prife de la Rochelle , boulevard
formidable qui fervoit d'afyle à
l'héréfie & de retraite aux Rebelles .
,
Déja la Flotte Angloife s'avance vers
l'ifle de Rhé , à la follicitation des
Rochelois & du Duc de Rohan leur
· Chef.
Quel délire n'excite pas le fanatiſme !
Le Citoyen s'arme contre le Citoyen ;
Les Grands , qui par leur naiffance &
leur rang doivent être les défenfeurs de
l'Etat , s'en déclarent les plus cruels ennemis.
Le voile facré de la Religion
couvre leur ambition démesurée : tout
leur paroît permis , dès que tout leur
paroît poffible.
Abraham Duquesne , Calviniste , demande
à ne point fervir dans l'Armée
Royale : il l'obtient ; mais fon zèle pour
la Patrie l'engage à folliciter un autre
emploi. Il fait que la différence des
fentimens ne préfcrit point contre la
86 MERCURE DE FRANCE.
fidélité qu'il a jurée à fon Roi & à l'Etat.
Ses devoirs gravés dans fon coeur
font puifés dans ces principes inébranlables
de la Religion naturelle , fondement
de toutes les autres Religions.
L'amour des François pour leur Prince
ne fut jamais pour eux une loi tyrannique:
c'eft un penchant naturel , auquel
ils fe livrent d'autant plus volontiers ,
qu'ils y attachent leur bonheur & leur
gloire.
Généreux Marfeillois ! braves François
la fidélité à votre Roi eft votre
premiere vertu. Vos premiers fentimens
font les premieres chaînes qui vous attachent
inviolablement à votre Prince :
vos premiers voeux , vos premiers defirs
furent toujours de vous facrifier mille
fois pour fon falut & pour celui de la
Patrie .
Notre brave Guerrier fe tranſporte
d'un autre côté avec fon Efcadre. Son
fils âgé de 17 ans , commandoit un vaiffeau
fous fes ordres . Sa valeur annonça
dès-lors fa future grandeur , & la
force de fon génie lui tint lieu de plus
d'expérience ; mais le Ciel dont les décrets
fon impénétrables , le priva bientôt
de ce généreux père : pris par les
Efpagnols a fon retour de Suéde , il
JANVIER. 1763 . 87
reçut
le coup
de la mort
dans
un combat
inégal
. (f)
Quel coup de foudre pour un fils
également doué d'une belle âme & d'un
coeur excellent !
Brave Duquesne : ah ! fi la Parque
cruelle a tranché le fil d'une vie fi belle
& fi glorieufe , vous revivez de nouveau
par la gloire & les exploits de ce jeune
guerrier.
(g) La furpriſe de Tréves par les Epagnols
& l'enlévement de l'Electeur
(f) Le vieux Duquesne mourut à Dunkerque
l'an 1635 , dans les fentimens de la Religion
Prétendue Réformée.
(g ) Quoique jufques- là il n'y eût point eu de
rupture ouverte entre la France & l'Espagne ,
parce que , foit en Italie , foit en Allemagne ,
les Eſpagnols ne fervoient que comme auxiliaires
, en vertu des Traités. d'alliance entre les
deux Branches de la Maiſon d'Autriche ; la prifon
de l'Electeur produifit cependant la guèrre.
qui dura depuis 1635 jufqu'à la paix des Pyrénées
& le mariage de Louis XIV. Le Cardinal
Infant , Gouverneur des Pays- Bas , ayant refufé
à ce Monarque la liberté de l'Electeur , força le
Roi à lui déclarer la guerre & à interdire tout
Commerce entre les deux Nations.
En 1637 on attaqua l'Ile de Sainte Marguerite
& de les Forts , qui furent rendus au Comte
d'Harcourt 43 jours après fa defcente dans Lifle.
Les Espagnols perdirent 1 500 hommes ; & le
jeune Duquesne fe trouva à cette attaque.
N
88 MERCURE DE FRANCE.
firent voler Duquefne aux ifles de Sainte-
Marguerite. Il en forme l'attaque. La
réfiftance opiniâtre des Affiégés ne le
rebute point ; plus elle eft vive , plus fon
activité redouble. Les difficultés femblent
ne ſe préſenter que pour ajouter
à l'éclat de fon triomphe ; & les Efpagnols
ne fe multiplient que pour aug
menter le nombre des victimes qu'il
facrifie aux mânes de fonère.
Mais ce n'eft encore ici qu'un foible
crayon de ce qu'ils avoient à craindre
de fon habileté & de fon courage. On le
voit bientôt près du Môle de Gattary (h),
attaquer une Flotte de dix-huit vaiffeaux.
Dix-fept font pris , & le dix-huitiéme
mis hors de combat.
Intrépide , il ne connoît aucun danger.
Son courage le porte à Saint-Ogue ( i ) ;
il attaque les vaiffeaux qui font dans le
port ; & ce fut dans la chaleur du combat,
que bleffé d'un coup de moufquet ,
il fit à la Patrie la premiere offrande de
ce fang précieux qu'il prodigua fi géné-
( h ) En 1638, Duquefne contribua beaucoup à
la défaite des Efpagnols devant Gattary en Bilcaye.
( i ) En 1639 , il fut bleffé dans le Port de
& Ogue.
IAN VIER. 1763.
89
reuſement dans la fuite à Tarragone (k) ,
à Barcelone ( 1) , à la prife de Perpignan
(m) , & au Cap de Gattes .
Le fang ne s'épuife jamais , fi l'on en
croit les Héros , & le courage femble
fuppléer aux forces de la nature. Plus le
fang coule , plus il devient pur ; & fi la
guèrre eft le fléau de l'humanité , elle
eft aux yeux du Héros l'école de la
valeur & le creufet de la nobleffe.
Funeſte préjugé qui ne s'accordera
jamais avec les maximes du vrai Philofophe
, qui ne regarde la guèrre que
(k ) En 1641 , la Motte- Houdancourt , Commandant
en Catalogne , après avoir pris la Ville
& le Château de Conftantin & quelques autres
Places , vint mettre le fiége devant Tarragonne.
L'Armée Espagnolle qui y étoit enfermée fouffroit
beaucoup de la difette. On fit des efforts
incroyables pour la ravitailler , ce qui donna
lieu à un combat où le Général François défit
un grand nombre d'ennemis . L'Archevêque de
Bordeaux qui bloquoit Tarragonne par mer , attaqua
41 Galéres Eſpagnolles & en prit 12. Ce
fut dans cette action que Duquesne fut encore
dangereufement bleſſé .
•
( i ) En 1642 , il reçut de nouvelles bleſſures devant
Barcelone dans le temps de la priſe de
Perpignan qui fe rendit au Roi après trois mois
de fiége.
( m ) En 1643 , il répandit fon fang à la Bataille
qui le donna au Cap de Gattes.
90 MERCURE DE FRANCE .
comme le fléau du genre humain
comme un gouffre affreux , où tant de
Héros font enfévelis , tant d'hommes
facrifiés ; moins fouvent au bien de l'Etat
qu'aux capricés des Puiffances & à
l'imprudence des Généraux !
Je vous en attefte , ombres chères à
la patrie Intrépide Bayard ! Brave
Turenne ! Vaillant Duguai-Trouin ! Illuftre
Barwik ! vous qui n'allâtes moif
fonner tant de lauriers chez les ennemis
, que pour rapporter à vos concitoyens
le précieux rameau de la Paix .
(n) Richelieu meurt , & fa mort fut
pour les Espagnols l'événement le plus
heureux ils crurent le génie de la
France abattu & enfeveli avec ce grand
homme mais quelle furprife ! Louis le
Grand monte fur le Trône , & le génie
du gouvernement s'affied à côté du
Monarque. Nouvel Augufte ; fon fiécle
fut celui des Sciences & des beaux Arts :
il produifit ces grands hommes
ces
hommes immortels , dont les noms célébres
pafferont d'âge en âge , & feront
( n .) Les Espagnols furent battus prèfque partout
cette année. Le Maréchal de la Motte en
Catalogne conferva toujours fur eux la fupériorité
, & fit échouer toutes leurs entrepriſes.
JANVIER. 1763. 91
l'admiration de la postérité la plus reculée
.
(o) Duquefne part pour la Suéde ; fon
nom y eft connu ; fa réputation le précéde.
Les exploits fameux & les fervices
fignalés de fon illuftre père étoient profondément
gravés , ( non für des monumens
que le temps peut détruire , ou que
fouvent la flatterie éléve moins au mérite
qu'à l'orgueil des mortels & au faſte
de la décoration ; ) mais dans les coeurs
des Suédois , monumens plus fincères
& plus folides. Le Peuple , dont le fuffrage
n'eft point équivoque , accourt en
foule , fait éclater fa joie ; joie toujours
pure & véritable , lorfqu'elle a pour objet
le mérite d'un grand homme.
Bien différent de ces Guerriers qui
paffent dans le fein des plaifirs , &
dans les douceurs d'un indigne repos
(o ) En 1644 , Duquefne alla fervir en Suéde. Il
fut fait d'abord Major-Général de l'Armée Navale
, enfuite Vice- Amiral . C'est en cette qualité
qu'il fervoit le jour de la fameufe bataille où les
Danois furent entierement défaits. Il aborda lui
deuxième leur Vaiffeau Amiral appelé la Pctience.
Le Général Danois fut tué. Le Roi de
Dannemarck eût été fait prifonnier , fi ce Prince
bleffé à l'oeil d'un éclat de bois près d'un canon
qu'il pointoit , n'eût été obligé de fortir de
ee Vaiffeau la veille de l'action.
92 MERCURE DE FRANCE.
à
le loifir que leur laiffe la Patrie ; ce
fut pour l'employer utilement que vous
paffâtes au fervice de la Suéde , invincible
Duquesne ! Qui connut jamais
mieux que vous le prix du temps ? Qui
jamais mieux que vous , fçut le mettre
profit ? Ce temps finéceffaire peut-être
à votre repos , en même -temps fi utile
& fi glorieux à la Patrie , vous le deftinez
à fecourir les Suédois nos fidéles
Alliés , & à les garantir de l'injufte
ufurpation des Danois. Les titres éclatans
qui font l'appanage du vrai mérite
, qui jamais ne furent fufpects ,
lorfqu'ils font donnés par une Nation
étrangère , vous font juftement prodigués.
Nommé Vice Amiral , vous fervîtes
en cette qualité à la fameufe journée
où les Danois furent défaits.
Déja les deux Flottes font en préfence
mille bouches d'airain vomiffent
la foudre & la mort. Un jour artificiel
inventé par la fureur des hommes,
femble cacher aux combattans ce jour
doux & bienfaifant qui éclaire la nature.
Les vaiffeaux s'élancent contre les vaiffeaux.
Mille débris éclatans obfcurciffent
l'air , & font dans le même inf
tant engloutis dans les eaux. De tristes
lambeaux de malheureux couvrent la
JANVIER. 1763. 93
Turface des mers. Le défordre fe met
dans l'Armée Danoife . La confufion des
Matelots , le cris des Officiers , le découragement
des foldats , tour lui annonce
une prompte défaite.
D'un autre côté , le bon ordre fe
maintient dans l'Armée Suédoife. La
bonne contenance des Officiers éxcite
la confiance du Matelot , occupé à la
manoeuvre. Duquefne fe fignale on
croiroit à le voir que la victoire eft à fes
ordres. Au-deffus de toute crainte , il
fend les flots ; & fe faifant jour à travers
la flotte ennemie , il aborde lui
deuxième le vaiffeau Amiral. Il s'élance
au milieu du fang & du carnage . Le
choc eft furieux ; mais rien ne réfifte à
l'ardeur de fon courage. Son bras invincible
porte par-tout la mort. Le Général
Danois tombe fous fes coups : il
fe rend maître du vaiffeau. Le vaincu
implore la clémence du vainqueur , &
le Roi lui-même eût fubi le même fort ,
fi un événement inopiné n'eût ravi à
Duquefne cette illuftre conquête.
(p ) La Suéde étonnée retentiffoit des
(p) En 1647 il fut rappellé en France & commanda
cette année & la fuivante une des Eſcadres
qui furent envoyées à l'expédition de Naples. Le
Roi d'Espagne battu de tous côtés , voyoit avec
94 MERCURE DE FRANCE.
louanges de mon Héros , lorfqu'il fut
rappellé en France. La voix de fa Patrie
fe fait entendre il ne délibére
>
chagrin le Rouffillon & la Catalogne entre les
mains des François. Naples révoltée contre lui ,
venoit de fe donner au Duc de Guife . Celui- ci ,
qui ne paffa que pour un Avanturier audacieux ,
parce qu'il ne réuffit pas , avoit eu du moins la
gloire d'aborder feul dans une barque au milieu
de la Flotte Efpagnole , & de défendre Naples
fans autre fecours que fon courage.
La Sicile depuis le temps des Tyrans de Syracufe
, a toujours été fubjuguée par des Etrangers;
affervie fucceffivement aux Romains , aux Vandales
, aux Arabes , aux Normans , fous le val
felage des Papes , aux François , aux Allemands ,
aux Efpagnols : haïllant prèfque toujours fes
maîtres , le révoltant contre eux , fans faire de
véritables efforts dignes de la liberté , & éxcitant
continuellement des féditions pour changer de
chaînes .
En 1674 , les Magiftrats de Meffine venoient
d'allumer une guèrre civile contre leurs Gouverneurs
& d'appeller la France à leur fecours. Une
Flotte Efpagnole bloquoit leur port ; ils étoient
réduits aux extrémités de la famine..
En 1675 , le Chevalier de Valbelle vint d'abord
avec quelques Frégates à travers la Flotte
Efpagnole. Il porta à Meffine des vivres , des årmes
& des foldats. Ayant enfuite tenté d'y conduire
un nouveau fecours , les Galéres Eſpagnoles
& quelques Vaiffeaux Hollandois entreprirent
de lui difputer l'entrée du canal. Il y eut un combat
; le paffage fut forcé , & le convoj arriva heureufement,
JANVIER. 1763 .
point ; il s'arrache à la gloire & aux
applaudiffemens pour voler à ſon ſecours.
Il eft auffi -tôt chargé du commandement
de l'Efcadre deſtinée a l'expédition
de Naples. Puiffe tout François
, à l'exemple de ce grand homme
facrifier les intérêts les plus chers à l'amour
de fon devoir !
où
La France déchirée par les guerres
civiles fous les Régnes des Valois ,
Régne malheureux , où l'ambition des
Grands & la fureur des Hérétiques la
mirent à deux doigts de fa perte ,
l'enthouſiaſme aveugle du fanatiſme
infpiroit les plus éxécrables maximes.
La France , dis- je , dans ces temps de
troubles & d'horreurs , n'avoit pu entretenir
fa Marine ; fon rétabliffement
étoit dû à la fage prévoyance de Richelieu
.
Mazarin dont les vues furent moins
étendues , la négligea. Il étoit réſervé
au généreux Duquesne de la réparer
par fon défintéreſſement.
Vrai citoyen , il penfe que fon patrimoine
eft celui de l'Etat. Général vertueux
, la gloire de le fervir eft l'unique
récompenfe qu'il ambitionne. Il arme à
fes frais plufieurs vaiffeaux. Il vole au
fecours de l'Armée Royale , qui tenoit
96 MERCURE DE FRANCE.
bloquée la ville de Bourdeaux . Il eft
rencontré par une Efcadre,Angloife. On
veut lui faire baiffer pavillon : c'est ici
que l'orgueil peut être une vertu dans
les Héros. Son courage dicte fon refus.
Le combat s'engage, & il y eft dangereufement
bleffé. Il fe retire glorieufement ,
quoiqu'avec des forces inégales. Obligé
de s'arrêter à Breft pour faire radouber
fes vaiffeaux , il revole à Bourdeaux
fans attendre l'entière guérifon de fes
bleffures . La Flotte Efpagnole arrive
en même temps que lui dans la rivière :
elle s'oppose à fon paffage. La barrière
eft forcée : il entre en préfence des Efpagnols
, & fa belle manoeuvre oblige la
ville de fe rendre.
Anne d'Autriche , Régente du Royaume
, qui n'ignoroit pas que ces fuccès
n'étoient dûs qu'à la valeur & à la générofité
de Duquesne , crut qu'il étoit
de fa gloire de le récompenfer : elle lui
donna le château & l'ifle d'Indred , qui
étoient du Domaine de Sa Majeſté.
Ce n'eft que par les bienfaits qu'on
réuffit à s'attacher les hommes. Le feul
efpoir d'une récompenfe glorieufe peut
produire des Héros. La fage politique
d'un Etat eft de favoir les multiplier par
un appas fi juſte & fi raiſonnable.
Deux
JANVIER . 1763 . 97
- Deux Provinces envahies par les François
font trembler le Roi Catholique
pour le refte de fes Etats. Naples révoltée
contre fon Souverain ; les Siciliens ,
peuple inconftant , venoient de fe donner
au Duc de Guife , dernier Prince
de cette branche d'une Maifon fi féconde
en hommes illuftres , mais dangereux
.
(9 ) Le Roi d'Espagne eft contraint
par la révolte de Meffine d'implorer le
( q ) En 1676 , l'Efpagne appella les Hollandois
pour défendre la Sicile. Rhuiter fut chargé
de cette expédition. Les François qui réunis aux
Anglois , n'avoient pu battre les flottes de la
Hollande , l'emporterent feuls fur les Hollandois
& les Elpagnols . Le Duc de Vivonne obligé
de refter dans Meffine , pour contenir le Peuple
déja mécontent de les défenfeurs , laiffa donner
cette bataille par Duquesne , Lieutenant- Général
des Armées Navales ; homme auffi fingulier que
Rhuiter, parvenu comme lui au commandement
par fon mérite .
Rhuiter dont la mémoire eft encore dans la
plus grande vénération en Hollande , avoit commencé
par être Valet & Mouffe de Vaiſſeau ; il
n'en fur que plus refpectable. Le Confeil d'Elpagne
lui donna le Titre & les Patentes de Duc ,
dignité frivole pour un Républicain. Ces Patentes
n'arriverent qu'après la mort . Les enfans de
Rhuiter refuferent ce Titre fi brigué dans nos
Monarchies , mais qui n'eſt pas préférable au nom
de bon Citoyen ..
I. Vol. E
98 MERCURE
DE FRANCE .
fecours des Hollandois fes anciens ennemis.
Rhuiter , le fameux Rhuiter , un
des plus grands hommes de fon fiécle
à la tête d'une Efcadre de vingt-trois
vaiffeaux , joint l'Efcadre Efpagnole ,
compofée de vingt.
C'est contre ces forces formidables
que Duquesne devenu Lieutenant Général
des Armés Navales, va combattre.
C'est ici que l'éloge de mon Héros
va devenir plus intéreffant ; c'eft ici
que l'étendue de fon génie , fon activité
, fa valeur vont paroître dans tout
leur jour ; c'eft contre Rhuiter enfin
contre le Capitaine de fon fiécle qui jouiffoit
de la plus haute réputation , que l'Europe
étonnée admire fa fupériorité .
Toulon le voit partir à la tête de 20
vaiffeaux, efcortant un grand convoi de
munitions pour Meffine. Un pareil
nombre de vaiffeaux s'offre à fa rencontre
à la vue de Stromboli ; c'eft
Rhuiter qui les commande. Duquesne
attaque , Rhuiter plie. Preuilli , qui
commande l'avant- garde , charge celle
des Hollandois , la met en défordre , &
Duquefne fait entrer fon convoi dans
Meffine .
Les Flottes combinées d'Efpagne &
de Hollande font voile vers Agofta
JANVIER . 1763 . 99
dans l'efpérance qu'il s'y feroit quelques
mouvemens en leur faveur. L'Efcadre
Françoife fort du Port de Meffine pour les
combattre. Duquefne découvre les ennemis
à travers le Golfe de Catane. Les
Efpagnols & les Hollandois viennent à
lui avec l'avantage du vent ; avantage
qui décide prèfque toujours des combats
de Mer. Rhuiter fond fur la Flotte Françoife
; il eft repouffé avec perte & attaqué
lui-même. C'est là que nos deux
Généraux mettent en ufage tout ce que
la valeur & la prudence , tout ce que
la fupériorité du génie & la préfence
d'efprit peuvent fuggérer aux grands
Hommes. On les voit attentifs à profiter
de leurs avantages , ou à réparer
leurs pertes , donner des ordres à propos
& avec intelligence, fe porter aux endroits
où leur préfence eft néceſſaire :
nul danger ne les étonne : Ruither &
Duquefne fe multiplient ; on les voit
fur tous les vaiffeaux diriger la manouvre
, animer les foldats par leur exemple ,
voler au fecours des foibles & encourager
les forts. Les Galères d'Efpagne
dégagent quatre de leurs vaiffeaux qui
étoient fur le point d'être pris. Rhuiter
dans la chaleur de l'action , reçoit le
coup de la mort ; il tombe ; & LOUIS
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
LE GRA ND en eft affligé. En vain des
Courtisans lui difent qu'il eft défait d'un
Ennemi redoutable : rien , dit - il , ne
peut empêcher d'être fenfible à la mort
d'un grand Homme.
Je dois ajouter à la gloire de mon
Héros le témoignage authentique que
lui rendit Rhuiter dans les différentes
actions qu'il eut à foutenir contre les
François il difoit franchement qu'il
ne craignoit que Duquefne. Les grands
Hommes fe rendent juftice : la jaloufie ,
vice des âmes baffes , ne peut offufquer
leur raifon , ni corrompre leur coeur.
Durquefne toujours infatiguable, pourfuit
les deux Flottes , les attaque pour
la troifiéme fois , & aucun vaiffeau ne
ne lui eût échappé , fi les ombres de
la nuit & le Port de Syracufe ne les
euffent mis à couvert.
LOUIS ( r) donne la paix à l'Europe;
(* ) Le Roi d'Angleterre ayant commencé la
guerre pour l'intérêt de la France , étoit fur le
point de fe liguer avec le Prince d'Orange qui
venoit d'époufer fa niéce . Louis XIV. donna la
paix à l'Europe . Les Ennemis licentierent leurs
troupes extraordinaires ; il garda les fiennes ,
fis en quelque forte de la paix un temps de conquêtes.
Depuis Charlemagne on n'avoit vu aucun
Prince agir ainfi en' Maître , en Juge des Souve-
#ains , & conquérir des Pays par des Arrêts. La
&
"
JANVIER. 1763 . ΙΟΥ
il en préfcrit lui - même les conditions
en Vainqueur. Pour affurer le repos de
fes Peuples , & contenir fes Ennemis
dans le refpe &t & la crainte , ce Monarque
porte fa Marine au- delà des efpérances
de la France , & de l'Europe
étonnée . Soixante mille matelots font à
fa folde ; & des Loix auffi fages que
févères préfcrivent à ces hommes groffiers
les régles de leurs devoirs . Des
fommes immenfes font employées à
conftruire le Port de Toulon fur la
Méditérannée , celui de Breft , de Dunkerque
, du Havre - de - Grace & de Rochefort
fur l'Océan . L'école de la Marine
eft inftituée dans ces différens
Ports. Une foule de jeune nobleſſe vient
s'inftruire auprès des grands Hommes
que le mérite a défignés pour maîtres.
( s ) Le Roi avoit plus de cent vaifpuiffance
formidable de ce Monarque qui s'étendoit
ainfi de tous côtés , & acquéroit pendant la
paix plus que fes prédéceffeurs n'avoient acquis
par la guerre , réveilla les allarmes de l'Europe.
L'Empire , la Hollande , la Suéde même , firent
un traité d'affociation . Les Anglois menacerent.
Les Eſpagnols voulurent la guèrre . Le Prince d'Orange
remua tout pour l'allumer ; mais aucune
de ces Puiſſances n'ofa porter les premiers coups.
(s) En 1681 Duquefne attaqua les Tripolitains ,
& les obligea à conclure une paix très- glorieufe
E iij
102 MERCURE DE FRANCE .
>
feaux de ligne ; ils ne reftoient pas oififs
dans fes Ports. Ses Efcadres fous le
commandement de Duquefne nettoyoient
les Mers infectées par les Corfaires
d'Alger & de Tripoli. Notre Hé
ros à la tête de fix vaiffeaux va jufques
dans le Port de Chio attaquer les Tripolitains
; & le Capitan Bacha ne peut
avec quarante Galéres les mettre à l'abri
des foudres du Général François . Ces
Africains fe foumettent & n'obtiennent
la paix qu'à la prière & par l'entremife
du Grand- Seigneur.
( t ) LOUIS veut fe venger d'Alger.
>
pour la France. Ils rendirent un Vaiffeau François
qu'ils avoient pris , tout le canon , les armes
tout l'équipage , & un très-grand nombre de
Chrétiens qu'ils avoient fait esclaves.
(t ) En 1683 Louis XIV. fe vengea d'Alger
avec le fecours d'un art nouveau , dont la découverte
fut due à cette attention qu'il avoit d'exciter
tous les génies de fon fiécle. Cer art funeſte ,
mais furprenant , eft celui des galiotes a bombes ,
avec lesquelles on peut réduire des villes mariti
mes en cendres. Bernard Renaud , plus connu
fous le nom du Petit Renaud , fut l'auteur de
cette invention . Ce jeune homme , fans avoir jamais
fervi fur les vaiffeaux , étoit cependant par
fon génie un excellent Marin . Colbert , qui déterroit
le mérite dans l'obfcurité , l'avoit fouvent
appellé au Confeil de marine , même en préfence
du Roi. C'étoit par les foins & fur les lu
JANVIER. 1763. 103
Duquesne attaque ces Corfaries , brûle
leurs vaiffeaux , confume une partie de
la Ville par le moyen d'une forte d'artillerie
jufqu'alors inconnue & qui par
la fuite fera un des plus terribles fléaux
de l'humanité. Ce Monarque généreux
dont la grande âme fçavoit toujours
mettre des bornes à ſa vengeance , avoit
mieres de Renaud que l'on fuivoit depuis peu une
méthode plus réguliére & plus facile pour la conftruction
des vailleaux . Il ofa propofer dans le
Confeil de bombarder Alger avec une Flotte. On
n'avoit pas d'idées que des mortiers à bombes
puffent n'être pas polés fur un terrein folide. La
propofition révolta Il éffuya les contradictions &
les railleries que tout inventeur doit attendre ;
mais fa fermeté & cette éloquence qu'ont d'ordinaire
les hommes frappés de leurs inventions
déterminérent le Roi à permettre l'élai de cette
nouveauté . Renaud fit conftruire cinq vaiffeaux
plus petits que les vaiffeaux ordinaires mais plus
forts de bois , fans ponts , avec un faux tillac à
fonds de cale , fur lequel on maçonna des creux ,
où l'on mit les mortiers. Il partit avec cet équipage
fous les ordres de Duquefne , qui étoit chargé
de l'entrepriſe. Ce Général & les Algériens
furent étonnés de l'effet des bombes . Outre deux
vaiffeaux de ces Corfaires qu'il brula , le feu des
bombes confuma une partie de la ville : mais cet
art porté bientôt chez les autres Nations , ne fervit
qu'à multiplier les calamités humaines . La Marine
ainfi perfectionnée en peu d'années , étoir
le fruit des foins du grand Colbert.
E iv
104 MERCURE DE FRANCE.
épargné les Algériens. Ces Corfaires infolens
s'en prévalurent & le contraignirent
de les punir de nouveau. Il fit
bombarder leur Ville pour la feconde
fois l'année fuivante. Le dommage fut
très- confidérable dans cette Capitale.
Les Vaiffeaux & les Galéres furent pris,
brûlés ou coulés à fond ; un grand
nombre de maifons renverfées , des
magafins ruinés. La néeeffité leur fir
demander la paix. LOUIS la leur accorda.
On éxigea pour préliminaires de
rendre fans rançon plus de fix cens Chrétiens
efclaves , & de payer une fomme
d'argent , punition dure & fenfible
pour des Corfaires ! Tunis & Tripoli
firent à leur exemple les mêmes foumiffions
.
(u) Gênes avoit vendu des munitions
( u ) En 1684 , la République de Gênes ayant
refufé de ſe ſoumettre aux ordres de Louis XIV ,
& comptant trop fur le fecours de l'Eſpagne , ſe
vit fur le point d'être détruite de fond en comble
par l'effet des bombes. Elle fut forcée de céder.
Le Roi exigea que le Doge & quatre principaux
Sénateurs vinffent implorer fa clémence
dans fon Palais de Verſailles ; & de peur que
les Génois n'éludaffent la fatisfaction
dérobaffent quelque chofe à fa gloire , il voulut
que le Doge qui viendroit lui demander pardon,
& ne
JANVIER. 1763 . 105
+
de guèrre aux Algériens . Elle conftruifoit
quatre Galéres pour l'Espagne .
Le Monarque François lui défend par
fon Envoyé de les lancer à l'eau , &
la menace d'un châtiment prompt
& rigoureux fi elle refufe de fe foumettre
à fes volontés. Les Génois irrités
de cette entréprife fur leur liberté ,
n'y eurent aucun égard. Duquesne fort
de Toulon à la tête de 14 Vaiffeaux ,
20 Galéres , 10 Galiotes a bombes &
plufieurs Frégates. Il fe préfente devant
Gênes . Les 10 Galiotes y jettent
quatorze mille bombes & réduifent en
cendres une partie de fes Palais. Quatre
mille foldats débarquent , & portent le
fer & le feu dans les fauxbourgs. Le
Génois effrayé craint la ruine totale de
fes Etats. Ces fiers Républicains humiliés
par des progrès fi rapides , députent
fût continué dans fa Principauté , malgré la loi
perpétuelle de Gênes , qui ôte cette dignité à tout
Doge abfent un moment de la Ville . Le Doge
arriva a Verſailles le 22 de Février 1685 , demanda
pardon au Roi . Cegrand Prince , qui dans
toutes les actions de fa viejoignoit la politeffe à la
dignité , traita de Doge & les Senateurs avecautant
de bonté que de fafte. Ses Miniftres leur firent fentir
plus de fierté. Aufli le Doge difoit : Je Roi ôte à
nos coeurs la liberté , mais les Miniftres nous la
rrendent.
Ew
106 MERCURE DE FRANCE.
le Doge avec quatre Sénateurs , pour
aller demander pardon au Roi . Ils fe
rendent à Verfailles. Le Monarque , qui
favoit que la véritable grandeur confifte
particuliérement à oublier les injures ,
paroît fatisfait , les reçoit avec bonté ,
& les traite avec magnificence.
L'hiftoire des temps femble terminer
à ce dernier trait les glorieux exploits de
mon héros. Je finirai fon éloge par l'apologie
de fon coeur , auffi recommandable
par fon défintéreffement
noble & fublime par fes vertus .
> que
J'en appelle au témoignage de l'Afie ,
de l'Afrique & de l'Europe . Quelle foule
de témoins de fa valeur & de fon âme
bienfaifante ! Des Chrétiens arrachés à
l'esclavage viennent dans les tranſports
de la joie la plus pure , pénétrés des fentimens
de la plus vive reconnoiffance
baifer ces mains généreufes qui ont brifé
leurs fers.
O Duquefne ! à quels fentimens délicieux
ton âme ne fe livroit- elle pas ,
en voyant couler ces larmes précieufes
que la grandeur de cette action , que
l'héroïsme de la vertu , que l'amour de
l'humanité & l'admiration font répandre
! Qu'il eft glorieux pour toi de régner
ainfi fur les coeurs & de te les
JANVIER. 1763. 107
attacher par les bienfaits ! On t'offre
des rançons ; ton âme généreufe en
eft offenfée . Toute la récompenfe que
ton grand coeur ambitionne eft le feul
plaifir du bienfait .
(x) Duquefne arrive à la Cour. Son
nom vole de bouche en bouche . Il
perce la foule des Courtifans , il pénétre
jufqu'au Roi . Il lit dans fes yeux
pleins de majefté qu'il a gagné l'eftime
de fon Maître ; & c'eft la feule récompenfe
à laquelle il afpire : mais
LOUIS dont la grande âme ne laiffa
jamais le mérite & les fervices fans récompenfe
, lui donna & à fa poftérité
, comme un monument éternel de fa
bienveillance , la terre Dubouchet qu'il
érigea en Marquifat.
Duquefne en ceffant de combattre ,
n'en fert pas moins la Patrie . Dans une
retraite honorable , il forme des voeux
(x) Le Roi qui honoroit Duquesne d'une eftime
particuliere pour fon mérite , ne pouvant à cauſe
de la religion qu'il profelloit , le récompenfer
avec tout l'éclat qu'il auroit fouhaité , n'a pas
laiffé de lui donner & à fa poftérité une marque
de fa bienveillance , en lui faifant don de la Tèrre
Du bouchet , qui eft une des plus belles du Royaume
, fituée auprès d'Etampes. Il l'érigea en Marquifat
, lui ôta fon premier nom , & lui donna
celui de Duquefae.
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
pour fon Prince , & pour l'Etat. Adoré
de fa Famille , il inftruit fes enfans &
leur apprend à marcher fur fes traces.
Témoin de leur valeur & de l'éclat de
leurs exploits , il fe voit convaincu que
fon fang illuftre ne pouvoit dégénérer.
Quels motifs de confolation pour ce
refpectable Guerrier dans un âge où
les infirmités fe multiplient , où la fenfibilité
augmente , où les organes d'un
corps épuifé s'affaiffent & fe détruifent.
Il attend la mort avec affurance ; il envifage
avec fermeté le terme de fa carrière.
(y ) Duquesne meurt enfin ; il meurt
( yCe grand homme qui étoit né Calvinifte ,
mourut dans la même créance , à Paris , le 2 Février
1688 , après avoir vêcu 78 ans avec une
vigueur & une fanté extraordinaire . Son coeur
fut porté dans le Temple de la Ville d'Aubonne ,
dans le canton de Berne en Suiffe , où fon fils aîné
Henri Duquesne , Baron du lieu , lui fit placer
une épitaphe. Il avoit époufé Gabrielle de Bernière
, dont il a laiffé quatre fils.
Henri , l'aîné de fes enfans , formé aux armes
dès fa plus tendre jeuneffe , s'y est toujours diftingué.
Conftamment attaché à la Religion Proteftante
, il fe retira dans une Tèrre qu'il avoit
acquife en Suiffe , avec la permiffion du Roi. Il
mourut à Genève le 11 Novembre 1722 , âgé de
près de 71 ans , eftimé , aimé & regretté de tous
ceux qui le connoilloient.
JANVIER. 1763 . rog
•
en héros il emporte dans le tombeau
les pleurs de fa famille , les juftes regrets
de la France , & l'eftime de l'Europe
entiere .
DAGUES DE CLAIRFONTAINE.
Le fecond, Abraham , Capitaine de Vaiffeau ,
fe fignala auffi en plufieurs occafions importantes
. En 1683 , il prit & emmena à Toulon le
Prince de Montefarchio , Général de l'Armée Efpagnole
, & en 1684 dans la defcente de Gênes ,
il foutint le bataillon qu'il y commandoit avec
beaucoup de valeur.
Le troifiéme , Ifaac , & le quatrième , Jacob ,
furent des Officiers très recommandables par
leur mérite & leur courage.
Duquesne avoit auffi plufieurs frères , qui font
tous morts dans le Service. L'un d'eux , Capitaine
de Vaiffeau , fut tué d'un coup de canon. Il
laiffa un fils , Duquefne Monier , qui après s'être
Egnalé en diverses occafions , & avoir eu un bras
emporté , fut fait Chef d'Eſcadre en 1705.
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Résumé : ESSAI historique sur ABRAHAM DUQUESNE, Lieutenant Général des Armées Navales de France. Non ille pro patriâ timidus perire. Horat.
Abraham Duquesne, lieutenant général des armées navales de France, incarne l'importance de la profession des armes pour la gloire de la patrie. Né en Normandie en 1610 dans une famille noble, il suivit les traces de son père, également nommé Abraham Duquesne, pilote et capitaine de vaisseau. Duquesne se distingua rapidement par son zèle et sa dévotion pour la marine, acquérant des compétences qui le marquèrent. Au cours de sa carrière, Duquesne participa à de nombreuses campagnes maritimes, notamment pendant la guerre contre l'Espagne. Il joua un rôle crucial dans plusieurs batailles, comme l'attaque des îles de Sainte-Marguerite, la défaite des Espagnols devant Gattary, et les combats à Tarragone, Barcelone, et Perpignan. Son courage et son habileté furent reconnus à travers divers exploits, où il fut souvent blessé mais continua toujours à se battre pour la patrie. En 1644, Duquesne servit en Suède et fut nommé Vice-Amiral, participant à une bataille où les Danois furent vaincus. Il aborda le vaisseau amiral danois et tua le général ennemi. En 1647, il fut rappelé en France et commanda des escadres lors de l'expédition de Naples. En 1674, les magistrats de Messine appelèrent la France à leur secours, bloqués par une flotte espagnole. Duquesne força le passage et livra des vivres et des armes à Messine. En 1676, il combattit et vainquit les flottes combinées de l'Espagne et des Pays-Bas commandées par l'amiral Rhuiter. Duquesne força le passage de Messine et remporta plusieurs victoires navales. Louis XIV, impressionné par ses succès, renforça la marine française, construisant des ports et instituant des écoles de marine. Duquesne fut récompensé pour ses services, recevant le château et l'île d'Indret. En 1681, il attaqua les Tripolitains et les força à conclure une paix glorieuse. Il nettoya également les mers des corsaires d'Alger et de Tripoli, libérant des esclaves chrétiens. En 1683, Louis XIV se venger des Algériens en utilisant des galiotes à bombes, une invention de Bernard Renaud. Cette attaque détruisit une partie de la ville d'Alger et força les Algériens à demander la paix, libérant des esclaves et payant une somme d'argent. Tunis et Tripoli suivirent cet exemple. En 1684, la République de Gênes, ayant refusé de se soumettre à Louis XIV, fut bombardée et contrainte de céder. Le Doge et quatre Sénateurs se rendirent à Versailles pour implorer la clémence du roi. Duquesne reçut des honneurs pour ses services, notamment la terre de Du Bouchet érigée en marquisat. Il mourut à Paris le 2 février 1688, à l'âge de 78 ans. Ses fils, notamment Henri, se distinguèrent également dans le service militaire et diplomatique.
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