LA METEMPSICOSE ,
FABLE.
Ui du monde connoit la Carte,
Spait qu'il abonde en prestiges
divers ;
De la droite raison plus ou moins on s'écarte ,
Et les Humains ont chacun leurtravers.
Il est sur tout certaine engeance ,
Qui
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DE FRANCE
Qui défigure l'homme et qui pullula en France .
Que l'on fuit dans tous les climats ,
Lt que ces Vers ne corrigeront
pas.
Un vieux Singe étant mort , son ombre Calotine,
Sollicita l'Epoux de Proserpine ,
Pour revoir la clarté du jour“ ;
Le Roi du tenebreux séjour,
Lui voulant ôter sa souplesse ,
Sa malice sur tour , et sa vivacité ,
Du corps d'un Asne alloit la faire hôtesse ;
Ainsi l'avoit -il arrêté :
Mais l'Ombre après quelques gambades
Et deux ou trois Pantalonades ,
Dont le bon Pluton rit bien fort ,
Obtient du Dieu de se choisir un sort
Et lui demande avec instance ,
La faveur de passer au corps d'un Perroquet .
C'est , disoit- elle , mon paquet ;
Carje pourrai du moins dans cette résidence ;
Conserver avec l'homme un peu de ressemblance
On sçait qu'étant Singe autrefois ,
J'imitois son air et son geste ;
Et joiiant ici de mon reste ,
Je le copierai de la voix.
L'ame du Singe à peine anime un verd plumage;
Qu'une vieille Fachette et le met dans la cage.
Bayard comme elle , il charmoit son ennui
Au
AMAY. 1731.998.
Aux Passans il chantoit leur game ,
Causoit le long du jour avec la bonne femme,,
Qui ne parloit plus sensément que lui.
Le Sire en fit aisément la conquête...
A son nouveau talent d'étourdir le quartier ,
Il joint , je ne sçai quoi , de son premier métier:
En Arlequin il remuoit la tête ,
Faisoit craquer son bec , formoit differens sons
Il agitoit sa queue en cent et cent façons ,
Et joüoit les Marionnettes.
La vieille mettant ses Lunettes ,
Ne se lassoit de l'admirer ,
Triste d'être un peu sourde ,et souvent d'ignorer,
Ce qu'avoit dit son Peroquet fertile.
Au demeurant , suivant son stile
Le drôle aimoit à sirotter >
La vieille aussi ; l'âge de radotter
Est assez la saison de boire;
L'une tint bon , l'autre s'en trouva mal .
Notre emplumé pour n'être assez frugal ,
Se vit encor contraint de passer l'Onde noire .
Il reparut devant Pluton ,
Qui le privant de la parole ,
Vouloit le renvoyer dans le corps d'une Sole.
L'autre craignant sur tout de devenir Poisson ,
Eut recours à son Protocole ,
Vous fit nouvelle cabriole ,
Joia sa farce, et plut. On sçait que quelquefois ,
A iij
Peu
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Peu de chose amuse les Rois.
Selon son goût , enfin le Dieu le fit renaître ,
Et de l'homme lui donna l'être :
> Mais n'osant pas en faire un Mortel vertueux
Un sage , il le destine au corps d'un petit Maître,
D'un brouillon , d'un présomptueux ,
Portant la tête au vent , de soi-même idolâtre ,
Importun , fanfaron , d'ennuyeux entretien ,
Parlant beaucoup , ne disant rien ;
Vrai personnage de Théatre ,
It d'ordinaire aussi personnage de Cour."
Mercure , en cet état , le rencontrant un jour ;
Je t'ai vû n'aguere au Tenare ,
S'écria -t'il , tu n'es qu'un composé bizarre ,
Et du Singe , et du Perroquet.
Grace à ton geste , ainsi qu'à ton caquet ,
Ton ridicule se consomme.
D'un semblable mêlange on ne fait qu'un so
homme ,
Et nul n'est pris à cet appas .
Ainsi le Dieu traita la chose.
O ! combien de gens ici bas ,
Me feroient croire à la Métempsicose.
M. Tanevot..