EPITRE
A Egle.
Etois fi fort brouillé fur le facré vallon
Depuis fix mois que je n'ai vu les muſes ,
Qu'il m'a fallu fervir de mille rufes
Pour avoir un moment l'oreille d'Apollon.
Rimer fans fon aveu , c'eſt une trifte affaire ;
On ne peut rien fans fon appui :
Il faut abſolument , ou bien vivre avec lui ,
Ou bien confentir à fe taire.
Or , qu'à préſent tout eft en paix ,
Et
que du maître du Parnaffe
J'ai ratrappé la bonne grace ,
Dis-moi , charmante Eglé , ne penfes-tu jamais
A celui qui pour toi du Phlegeton terrible
Iroit paffer les flots brûlans ;
Et ne reflent d'autres tourmens
Que celui de te voir un coeur fi peu fenfible ?
DECEMBRE. 1755. 33
Toujours dans les plaifirs nouveaux ,
Toujours dans les fêtes nouvelles ,
Toujours au nombre des plus belles ,
Dieu fçait fi l'on nous fait bon nombre de rivaux !
Ah ! du moins qu'entre nous la loi fût générale ,
Que tu fuffes pour tous égale ;
Et fi tu m'es toute d'airain >
Pour tous également fevere ,
Ne montre pas un front ferein
A ceux qui , comme moi , s'empreffent de te plai
re.
Ce n'eft pas qu'aujourd'hui mon efprit agité
Par cette étrange frénéfie
Que j'entends nommer jalousie
Voulût à tes appas défendre la clarté,
Ce feroit trop borner les droits de ton empire
D'ailleurs , mon goût fera toujours flatté
De voir que le public admire
Les attraits qui m'ont enchanté .
Mais je crains qu'un rival à tes yeux trop aima
ble ,
Ne me raviffe un bien que je voudrois pour moi
Charmante Eglé , l'on eft bien excufable
Dans ce cas de fonger à foi.
Je fçais que fi ton coeur étoit pour le plus tendre
Je pourrois me flatter de l'obtenir un jour.
Mais quand on n'a que fon amour ,
Hélas ! à quoi peut- on s'attendre ?
Le Baron de Poin ... Tauz ... 1