A dire le vray , Madame,
c'eſt une terrible affaire que de s'obliger d'aimer par Contract.
Le cœur qui veut eſtre toûjours
18 LE MERCVRE
libre dans fon choix , & qui fe
plaiſt quelquefois à choiſir fou- vent,n'a pas delegeres contrain- tes à ſouffrir, quand le devoir luy rend l'amour neceffaire. Il faut ſe faire de grands efforts pourſe ſoſûmettredebonnegra- ce à ſa tyrannie , &c'eſt une vio- lence dont je doute que celuy qui a fait les Vers queje vous envoye s'accommodat aiſement.
Vous le connoiſſez. Il a plus d'eſprit qu'il neveutlaiffer croi-- re qu'il en a , & ce que vous allez lire vous perfuadera ſans peine qu'il tourne les chofes fi- nement. C'eſt tout ce que vous ſçaurez de luy. Il a tellement peur que cette petite Piece ne vous le faffe croire trop libertin en amour, qu'il ne me l'a don- néequ'en me faiſant promettre que je vous cachetois fon nom.
GALANT. 19
わわわわわわ
RVPTVRE.
Voy qu'on ait dit jusqu'à ce jour,
Le changement , Iris ,n'est pas unsi grand crime;
On paffe fort fouvent de l'estime àl'ay
mour,
Paſſonsdel'amour à l'eſtime.
Comme ilcommence ànous laffer Rompons les nœudsſecrets de notreins
telligence Aquoybonnouspicquerd'unefote con- Stance,
Qui ne fert plus qu'à nous emba
raffer ?
Quand le Cœur que charmoit un pan- chant agreable ,
N'enfaitplusſafelicité,
Doit-anle croirefi coupable
20 LE MERCVRE
Pour le voir s'affranchir du dégoust qui
l'accable
Enmanquant de fidelité ?
C'est une vertu chimérique Dont il faut reformer l'erreur ;
L'usage en paroit tyrannique ,
Etpourentretenirune amoureuse ardeur Ilfaut je-ne-fçay-quoy qui pique.
C'est là ce qui cauſe aux Amans
Cequepour la Perſonne aimée Ils ontdedoux empreſſemens ;
Etpourune Amebien charmée,
Que l'amour ad'appasdansles commencemens !
Commeil ne fait que naiſtre , il est ardent,fidelle ,
Tous luy plaiſt dans l'Objet qui cauſe ſesdefirs,
Et le premier éclat d'une ardeur mutuelle Rempliſſant ſes ſouhaits ,le comble de
plaisirs.
ア
GALANT. 21
Mais on languit, Iris , fans cette donce
amorce
Quenous preste la nouveauté ;
Et de la paſſion le temps détruit la
force,
Sansqu'on sefoit fait mesme une infidelité.
Ne souhaitant plus rien, on nesçait ou Seprendre , L
La ſympathie alors est d'un foible feL'Amour nefefait plus entendre ,
Et par un changement difficile àcom- prendre ,
On ceffe d'eftre heureuxparce qu'on l'est toûjours.
Oùsont ces douxtranſports où j'estois fi *fenfible ?
Vous lespartagiez avec moy ,
Rien ne vous estoit impoſſible
Quandvous croyiez devoir reconnoistre
mafoy.
22 LE MERCVRE
Nous avions chaque jour cent choses à
nous dire
Nous confondions tous nos defirs ;
S'ilfalloit nos quiter , Dieux , le cruel
martyre ,
Etqu'il nous coûtoit defoûpirs!
Mais l'absence pournous ceſſe d'eftre une
peine ,
Jene suis plus reſveur éloigné devos
yeux ,
Vous écoutez Damon , j'en conte àCelimene;
Etcommeenfin l'amour l'un pourl'autre
nous geſne ,
Nousquiter cefera le mieux.
L'inconstance apres tout estunvice com- mode.
De quelque bel Obiet qu'on puiſſe estre
charmé,
Il est bon deſuivre la mode,
Quiſoufrepeude temps que le cœurs'aca commode
GALAN T. 23 De l'habitude d'estre aimé.
Aforce defoins ,l'Amour s'use ,
Onn'ysçauroit trouver toniours lemesme appas ,
Et l'Etoile au beſoin nouspentfervir d'excufe ,
S'il est encordesdélicats
Quecettevieille erreur abuse ,
Qu'on doit aimer jusqu'au trépas.
Naffectons paint, Iris, d'avoir l'ame heroïque,
Unpeude foibleſſefied bien ,
Ceft de tres-bonne foy qu'avec vousje
m'explique,
Reprenezvostre cœur , je reprendray le mien.
Vous avezmille Amans, j'ay plus d'une Maistreffe,
Un commerce nouveau nous doit paroiſtredoux.
Croyez-moy, quelque Objet où nostre choix s'adreffe
24 LE MERCVRE Nous le verrons tous deuxsansen estre
jaloux.