Je vous ay donné dans cette
Lettre un curieux & ample détail de tout ce qui s'eft paffé en
Sorbonne le jour que Mr le
Cardinal de Noailles y a efté
nommé Provifeur ; mais je ne
vous ay rien dit du Compli- .
ment que Mrs les Docteurs de
cette fameufe Societé jugerent
GALANT 315
à propos de luy envoyer faire
fur cette Election. Ils députerent Mr l'Abbé d'Etoüilly ,
Senieur de cette Maifon , avec
les fix Anciens , & ils inviterent les autres à s'y joindre.
Mr. l'Abbé d'Etoüilly , accoûtumé à bien parler, s'acquitta
du Compliment qu'il avoit à
faire à peu prés de la maniere
fuivante.
Il dit à S. E que par ordre de
la Compagnie , & enfuivant les
mouvemens de leur cœur , ils ve
noientfefeliciter auprés d'Elle de
l'avoir pour Provifeur , par un
choix où la liberté avoit eftéfans
Dd ij
316 MERCURE
perte
atteinte, l'inclinationfanspar
tage ; qu'un choixfibeau qui mettoit à leur tefte tant defageffe , de
religion & d'autorité, les dédommageoit abondamment de la
qu'ils avoient faite ; & qu'il leur
eftoit d'autant plus cher , qu'its
eftoient bien informez qu'Elle l'avoit appris avecplaiſir, &même
qu'Elle s'en honoroit ; que ce terme, cefentiment de bonte leur
rappelloit la memoire du grand
Cardinal de Lorraine qui s'honoroit de mefme de la qualité de
Proviſeur de Sorbonne , & qui
repetoit fouvent devant les Peres
de Trente , que dans la neceffité
GALANT 317
d'opter , il eût preferé cette
qualité à la Pourpre du Sacré
College ; que ce qui augmentoit
leur joye & qui préfageoit à leur
Maifon plus de fplendeur & de
reputation que jamais , eftoit que
fe trouvant par je nefçay qu'elle
beureufe combinaifon le trentiéme
de fes Provifeurs , & le quinziéme des Cardinaux qui l'ont
efté; Elle eftoit comme un diamant
de prix inestimable , qui fermoit
la Couronneformée de ces grands
illuftres Perfonnages , & qui
jettoit de nouveaux_brillans fur
eux tous.
Il ajoûta , qu'auſſi lagloire de
Dd iij
318 MERCURE
Sorbonne étant attachée à l'eſprit
de paix d'où elle avoit acquis le
titre defainte & pacifique Societé,
&à l'obfervation de fes Statuts
que le grand Armand ſon Reſtaurateur luy avoit tant de fuis recommandez ils fe promettoient
de voir cette paix & ces Statuts
fleurir à l'ombre de la pourpre de
S. E. & parlà croître de jour en
jour la glorieufe acquifition des
travaux : des vertus de leurs
Peres ; qu'ilfera dit de Sorbonne
fous la protection de S. E. comme
de Ferufalem fous le Pontificat
d'Onias , qu'on y a gouté fans
trouble les delices de la paix, &
GALANT 319
gardé les loix du Seigneur avec
exactitude à caufe de la pieté du
Pontife , & defon amour pour le
bien.
Il finit en difant , que c'estoient
là enfin leurs efperances & leurs
vaux , & en fouhaitant que le
Ciel voulut les benir àla louange érernelle de S. E. & de leur
Maifon à prefent la fienne.
S. E. parut extrêmement fa
tisfaite du Compliment de Mr
l'Abbé d'Erouilly.
Voicy à peu prés ce qu'Elle વે
y répondit , avec l'air gracieux
& modefte qui luy eft naturel;
& ce que je vais vous en rapDd iiij
320 MERCURE
porter , cft peut- eftre moins
beau que ce que l'on n'en a pu
rerenir.
Elle répondit donc , qu'Elle reffentoit vivement l'honneur
qu'on avoit bien voulu luy
faire que cette diftinction luy
eftoit d'autant plus chere , qu'ellevenoit de Sorbonne , Maifon celebre dans tout le monde Chrétien ,
& qu'Elle la recevoit aprés tant
d'éminentes Perfonnes , aprés des
Princes , & des Princes mefmes
du fang Royal. Qu'aprés tout le
Provifeur qu'on s'étoit donné
n'étoit pas un indifferent ; mais un
ancien Difciple , un ancien Amy,
qui avoit dés fes premiers ans
GALANT 321
;
fuccé le lait de Sorbonne , ayant
efté nourry & élevé dans un de
fes Colleges , & puifé la fcience
& la fageffe à la fource de fon
Ecole qu'il avoit toûjours tendrement aimé Sorbonne , luy ayant
dés long-temps donné dans les
faintesfollicitudes du Miniftere,
Son eftime & fa confiance , &
hors de là , fa familiarité & fa
tendreffe ; qu'il n'y avoit pas d'apparence que luy eftant redevable
& plus uni , il eutdeformais pour
elle le cœur moins ouvert ; & au
refte que s'il fe trouvoit aujour
d'huy élevé auec tant d'affection
defi bonnegrace à la premiere
322 MERCURE
le
place d'un Corps fi éclairé & fi
celebre , ce ne feroit pas pour
dominer ; mais pour luy eftre plus
utile , en procurantplus de bien à
fesMembres, & non en les afferviffant.
Cette réponſe fpirituelle finie , S. E. fit de grandes careffes à Mr l'Abbé d'Eroüilly ,
&fir beaucoup d'honnêtetezà
tous ces Meffieurs , en parlant
feparément à chacun. Ainfi,
Elle les renvoya tous contens
de la fageffe de leur élection ;
mais plus encore de la bonté
de leur Provifeur