POESIES diverses. Par M. Tanevot.
A Paris , ruë S. Jacques , chez Jacq. Colombat ; et Quay de Conty , chez la Veuve
Pissot , 1732. prix 2. livres relié , in 12.
de 300. pages.
Nos Lecteurs connoissent déja plusieurs
Pieces que nous avons publiées de cet
Auteur , qu'il a retouchées depuis. Nous
ne doutons point du plaisir que fera ce
Recueil composé d'Odes , Epitres , DiaI. Vol. prices
DECEMBRE. 1732. 2839
logues , Fables , Allégories , Elegies , Caprices , Epitaphes , Apologies , Madrigaux , Cantates et autres Poëmes sur divers sujets, sans compter les Stances
Odes , et quelques autres Poësies Chrétiennes. Donnons quelques morceaux de
ces Poësies pour faire conroître le génie
et le caractere de M. Tanevot.
Les Dieux Luteurs. Fable.
Un homme expert aux combats de la Lute,
Se choisit un Eleve , et par mainte leçon ,
L'ins truit dans tous les tours que cet Art execute;
Hormis un seul , que pour bonne raison ,
Il se réserve en personne discrete.
Voila dans peu notre nouvel Athlete ,
Robuste , souple , adroit , terrassant tout Luteur,
Qui vouloit contre lui signaler son ardeur.
Enflé de ses succès , par un orgueil extréme ,
Il ose défier jusqu'à son Maître même ;
Celui-cy du combat se défend par bonté ;
Mais forcé par l'Eleve à venir sur l'aréne ,
Il se résout , quoiqu'avec peine ,
A punir sa témerité.
L'adresse sur la force eut toûjours l'avantage ,
Le vieil Luteur mettant son secret en usage ,
Fait bien- tôt perdre terre à ce jeune éventé ,
Puis l'étend à ses pieds , tout écumant de rage.
2. II, Vol. J'ignorois
2840 MERCURE DE FRANCE
J'ignorois , dit l'Eleve , en i criant mercy,
Le tour que tu me fais connoître ;
Je te le gardois , dit le Maître,
Pour un jour comme celui- cy.
"
MADRIG AL.
Quelqu'un demandoit à Damis ,
Riche autant qu'il en est en France ,
Si dans cette rare opulence ,
Il se croyoit beaucoup d'amis ?
De ceux que la fortune attire ,
J'en ai , dit-il , à volonté :
Des autres je ne puis rien dire ;
Ay-je été dans l'adversité ?
L'ETINCELLE. Fable.
Une Etincelle petillante ,
Admirant son éclat et son agilité ,
Dans l'excès de sa vanité ,
Se croyoit une Etoile errante.
Mais au moment que son feu l'ébloüit j ›
La pauvrete s'évanoüit..
Ce récit a peu d'étenduë ;
-i
Mais s'il instruit assez , n'est- il pas assez long??
Sur maintes gens il tombe à plomb :
Combien, par leurs projets, se perdent dans la nuë,
Et s'éclipsent au même instant?
I.L. Vol. S'estimer
DECEMBRE. 1732. 2841
S'estimer trop , est une erreur commune.
La moindre lueur de fortune ,
Fait d'un fat un homme important.
L'humaine ambition est toûjours indiscrete :
L'homme luit quelquefois , mais comme une bluette.
L'Epitre de l'Auteur à ses Livres , est
un morceau très- travaillé , dont nous
voudrions bien orner cet Extrait , mais
sa longueur nous en empêche , nous ne
pouvons cependant nous empêcher d'en
rapporter quelque chose. Voici le commencement.
Celebres monumens des plus sçavantes plumes ,
Chefs-d'œuvres de l'esprit , agréables volumes ,
Lumiere qui luisez sur mes travaux divers ;
Mes Livres , c'est à vous que j'adresse ces Vers.
Que le Ciel soit serein , ou que l'orage gronde ,
Libre au milieu de vous des embarras du monde,
Arbitre de mon sort , je me fais seul la loi ,
Et de mon doux- loisir ne rends compte qu'à moi.
Tranquille possesseur des seuls biens ou j'aspire ,
J'exerce alors sur vous un légitime empire ;
Je forme en Souverain les plus vastes projets ,
Et sur ma table épars je vois tous mes Sujets.
De leurs plus belles fleurs les Muses me couron- nent ;
LI. Vol Rassemblez
284 MERCURE DE FRANCE
Rassemblez sur leurs pas , tous les Arts m'envi- ronnent.
Dansun champ si fécond je n'ai qu'à moissonner ;
Mes vœux toujours remplis , ne sçauroient se borner ;
Et je puis , sans sortir du lieu qui vous enserre ,
Parcourir , quand je veux et le Ciel et la
Terre , &c.