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1
p. 411-415
Fête au Palais Royal & à Bagnolet, [titre d'après la table]
Début :
Le 11. S. A R. Madame la Duchesse d'Orleans, dont tout le monde connoît la bonté du [...]
Mots clefs :
Prince, Fête, Palais royal, Duc de Lorraine, Duc d'Orléans
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texteReconnaissance textuelle : Fête au Palais Royal & à Bagnolet, [titre d'après la table]
Le 11. S. A ft. Madame la Duchesse d'Or
léans , dont tout le monde connoît la bonté du
coeur , & la noblesse des stntimens , ayant été
bien ajse de procurer au Duc de Lorraine , son
Neveu, pendant lesejour-que ce Prince a fait
à Paris incognito , fous le nom de Comte de
Blamont , quelque divertissement , ainsi qu'aux
Princesses d'Orléans ses Filles , donna un Bal
magnifique au Palais Royal. S. A. R avore
fait préparer 1c $rand Salon de son Apparte
ment;
4 i4 MERCURE DE FRANCE,
.nient avec des Gradins à crois étages tout afltour
pour les Dames & Seigneurs qui dévoient
être feulement Spectateurs , & quantité de
fieges pour les personnes qui dévoient danferi
Ce Salon étoit orné de Lustres , de Girando
les , & de Bras garnis de bougies. On n'aura
pas de peine à se persuader que l' Assemblée
«toit des plus brillante* » puisqu'un très grand
nombre de Seigneurs & Dames de la Cour ,
& de la Ville , de la première distinction , la
composoienc L'éclat de quantité de belles
pei sonnes , la magnificence des Habits , & Je
vif brillant des Pierreries dont toutes les Da
ines étoient parées » faifoit un effet surprenant.
Ce Bal sans Masque» commença à six heu tes
.du soir, par une excellente Simphonie» com*
posée de tout ce qu'il y a de plus habile á Paíis,
& finit â onze heures. Mademoiselle dé
Beaujollois en fit l'ouverture par lèJ caractères
de la Danse « qu'elle dansa avec le Duc de là
Tremoille , dans la plus grande perfection *
& avec toute l'intelligence , la justesse . & là
grâce possible , de meme que Mademoiselle
de Chartres dans tòut ce qu'elle dansa. La
plupart des Seigneurs & Dames dansèrent en
suite plusieurs différentes Danses , Contre
danses , &Ci
Au reste toute l' Assemblée fut extrêmement
édifiée & pleinement satisfaite de la bonté, des
attentions > & des politesses continuelles de
S A. R. Cette Princesse avoit donné dasi bons
ordres , que quoique l'Assemblée fut des plus
nombreuses , tout s'est passé avec la plus gran
de magnificence , & fans la moindre confusion.
Oíi distribua toute sorte de Fruits , & des Rifraichisíemens
dans la plus grande abondance,
servis par les Officiers de Si A.R. quiaveedes
manières
FEVRIER. 1730. 4T 5
manières polies prevcnoient tout le monde*
Le Duc de Lorraine qui a affilié à ce Bal in
cognito , a été charmé de cette belle & illustre
Assemblée 1 des Danses, de l'ordié, du bon
goût, Sec.
Le 14, S. A. R. se rendit l'après midi^n son
Château de Bagnolet , pour donner encore au
Duc de Lorraine ( qui s'y étoit rendu le mêmè
jour ) une nouvelle Fête ; ce Prince à son ar
rivée sa promena quelque tems dans le Parc ,
ou S. A.R. se promenoir alors ; cette Princelïe
étoit accompagnée de Mesdemoiselles de
Beaujollois & de Chartres , de la Marquise de
Conflans , leur Gouvernante,- & de plufieurs
autres Dames de fa Cour. Ce Parc qui eíì
très spaci«ux , est planté avec autant degouc
que desimetrie. Les Eaux jouèrent pendaHt la
promenade. La Duchesse de Nevers , à préftns
Dame d'Honneur de S. A R.. & la Marquise
de Clermont sa Dame d'Atour , restèrent pen
dant la promenade dans les Appartements dit
Château , pour recevoir les Seigneurs 8c ks
Dames qui arrivoient de Paris pour prendre
part à la fête. Il y eut avant le Bal vingt Ta
bles de Quadrille &: de Piquer. Après la Pro
menade, S. A. R. rentra au Châ:eau , elle
joua au Quadrille , & le Duc de Lorraine au
Piquet. Après le Jeu on se rendit sur le Per
ron, pour voir l'IUumination de la Cour Roya
le, éclairée par qu-antité de Lustres arpentez,
qui produisoiènt une clarté des plus brillantes.'
L'Avant Cour qui est très- spacieuse, étoit auíìì
Hluminée d'un nombre prodigieux de Lam
pions , de«même que plusieurs Piramides de'
charpente, autour desquelles on avoit placé»1
avec simetrie, une très - grande quantité de
Lampion».
4 f 4 MÉRClTRÊ DÈ FRANCS
Á huit heures , on passa dans îe grand Safony
éclairé par quantité de Lustres & de Girandolesè
On y commença le Bal , qui fut ouvert1
par un Menuet à quatre > dansé par Mesdernoifes
de Beaujollois & de Chartres , 8f par',
lés Ducs de la Tremoille & de Bouflery, après
3UOÎ on dansa différentes Danses & Contreanses
qui furent exécutées dans la plus grande
perfection.
A côté du Salon du Bal, ou avoit préparé
une Sale à manger , parfaitement bien éclai-;
rée » dans laquelle on trouva trois grandes Ta
bles , oû l'on servit un Ambigu , composé de?
toutes sortes de Pâtez froids , Jambons & au
tres viandes convenables , avec autant de dé-»
lîcatesse que de- profusion . & de toutes fortes;
de Fruits 8c de Pâtisseries legeres. II y a voit
dans une Sale à côté, on magnifique Buffet
garni de toutes sortes de Vins ,£aux glacées r-
Vins de Liqueurs & tous les rafraîchislemens'
qu'on pouvoit souhaiter , 8í qu'on servit i
rout le monde eri abondance jusqu'à deUx heu-^
res du matin, après quoi S- A. R. jugea i
propos de se retirer pour donner le temps au ,
Duc de Lorraine, qui devoit parEir le lende
main, de prendre quelque icpos.^ -
On a ouMié de dire que S. A, R. toujours
attentive à tout ce qui pouvoit rendre la Fête1
plus variée & plus brrlfante > avoit donné or
dre défaire venir plusieurs exceilens Danseurs'
Provençaux, qui danserem pluííetìrs Esitrées
grotesques & champêtres , d'une manière trèsvive
& très singulière , pendant qu'une parcier
des Daraes-étoîent allées quitter leurs habits
de Villé, fans rien changes à leur Coëfure,
póur prendre des Domina , dont on avoit eu
soir* de préparer un grand nombre.* afin qu«
ce»
FEVRIER. 1730. 4-tj
mes mêmes Dames , habillées plus légèrement
pussent danser plus à leur aise > & auífi pour
varier les différentes couleurs des Etoffes. Les
Seigneurs n'ont point changé d'habit , & enfin
toute cette belle Assemblée se retira très-safìsfaite
d'avoir pû prendre parc à une fi ga
lante & magnifique Fête.
Le même jour i r. le Duc de Lorraine partit
pour retourner dans ses Etats, après avoir pris
congé du Roi. S.M. lui a fait présent d'une
très- riche Tenture de Tapisserie, rehaussée d'or,
faite fur les DefTeins de Raphaël, à la Manu*
facture Royale des Gobelins.
Le Duc de Lorraine, pendant son séjour à
Paris , a occupé le grand Appartement du Pa»
lais Royal. Une Table d'environ if. Couvert»
a toujours été servie,soir &matiniavec la plus ■
grande fomp tuoíîré & la plus grande délica
tesse, par les Officiers du Duc d'Orléans. 11
y a eu d'auttes Tables très -bien servies pour
fa Suite.
Tous les Spectales où ce Prince a assisté , &
où fa présence a attiré un très grand concours,
ont reçu des marques de fa libéralité. Ses gran*
des qualité* & ses manières nobles & géné
reuses ont paru dans toutes les occasions.
Les Officiers du Duc d'Orléans qui ont ser
vi auprès de fa personne, ont reçu des Diamans
brillans & d'autres Bijoux d un pris
considérable.
léans , dont tout le monde connoît la bonté du
coeur , & la noblesse des stntimens , ayant été
bien ajse de procurer au Duc de Lorraine , son
Neveu, pendant lesejour-que ce Prince a fait
à Paris incognito , fous le nom de Comte de
Blamont , quelque divertissement , ainsi qu'aux
Princesses d'Orléans ses Filles , donna un Bal
magnifique au Palais Royal. S. A. R avore
fait préparer 1c $rand Salon de son Apparte
ment;
4 i4 MERCURE DE FRANCE,
.nient avec des Gradins à crois étages tout afltour
pour les Dames & Seigneurs qui dévoient
être feulement Spectateurs , & quantité de
fieges pour les personnes qui dévoient danferi
Ce Salon étoit orné de Lustres , de Girando
les , & de Bras garnis de bougies. On n'aura
pas de peine à se persuader que l' Assemblée
«toit des plus brillante* » puisqu'un très grand
nombre de Seigneurs & Dames de la Cour ,
& de la Ville , de la première distinction , la
composoienc L'éclat de quantité de belles
pei sonnes , la magnificence des Habits , & Je
vif brillant des Pierreries dont toutes les Da
ines étoient parées » faifoit un effet surprenant.
Ce Bal sans Masque» commença à six heu tes
.du soir, par une excellente Simphonie» com*
posée de tout ce qu'il y a de plus habile á Paíis,
& finit â onze heures. Mademoiselle dé
Beaujollois en fit l'ouverture par lèJ caractères
de la Danse « qu'elle dansa avec le Duc de là
Tremoille , dans la plus grande perfection *
& avec toute l'intelligence , la justesse . & là
grâce possible , de meme que Mademoiselle
de Chartres dans tòut ce qu'elle dansa. La
plupart des Seigneurs & Dames dansèrent en
suite plusieurs différentes Danses , Contre
danses , &Ci
Au reste toute l' Assemblée fut extrêmement
édifiée & pleinement satisfaite de la bonté, des
attentions > & des politesses continuelles de
S A. R. Cette Princesse avoit donné dasi bons
ordres , que quoique l'Assemblée fut des plus
nombreuses , tout s'est passé avec la plus gran
de magnificence , & fans la moindre confusion.
Oíi distribua toute sorte de Fruits , & des Rifraichisíemens
dans la plus grande abondance,
servis par les Officiers de Si A.R. quiaveedes
manières
FEVRIER. 1730. 4T 5
manières polies prevcnoient tout le monde*
Le Duc de Lorraine qui a affilié à ce Bal in
cognito , a été charmé de cette belle & illustre
Assemblée 1 des Danses, de l'ordié, du bon
goût, Sec.
Le 14, S. A. R. se rendit l'après midi^n son
Château de Bagnolet , pour donner encore au
Duc de Lorraine ( qui s'y étoit rendu le mêmè
jour ) une nouvelle Fête ; ce Prince à son ar
rivée sa promena quelque tems dans le Parc ,
ou S. A.R. se promenoir alors ; cette Princelïe
étoit accompagnée de Mesdemoiselles de
Beaujollois & de Chartres , de la Marquise de
Conflans , leur Gouvernante,- & de plufieurs
autres Dames de fa Cour. Ce Parc qui eíì
très spaci«ux , est planté avec autant degouc
que desimetrie. Les Eaux jouèrent pendaHt la
promenade. La Duchesse de Nevers , à préftns
Dame d'Honneur de S. A R.. & la Marquise
de Clermont sa Dame d'Atour , restèrent pen
dant la promenade dans les Appartements dit
Château , pour recevoir les Seigneurs 8c ks
Dames qui arrivoient de Paris pour prendre
part à la fête. Il y eut avant le Bal vingt Ta
bles de Quadrille &: de Piquer. Après la Pro
menade, S. A. R. rentra au Châ:eau , elle
joua au Quadrille , & le Duc de Lorraine au
Piquet. Après le Jeu on se rendit sur le Per
ron, pour voir l'IUumination de la Cour Roya
le, éclairée par qu-antité de Lustres arpentez,
qui produisoiènt une clarté des plus brillantes.'
L'Avant Cour qui est très- spacieuse, étoit auíìì
Hluminée d'un nombre prodigieux de Lam
pions , de«même que plusieurs Piramides de'
charpente, autour desquelles on avoit placé»1
avec simetrie, une très - grande quantité de
Lampion».
4 f 4 MÉRClTRÊ DÈ FRANCS
Á huit heures , on passa dans îe grand Safony
éclairé par quantité de Lustres & de Girandolesè
On y commença le Bal , qui fut ouvert1
par un Menuet à quatre > dansé par Mesdernoifes
de Beaujollois & de Chartres , 8f par',
lés Ducs de la Tremoille & de Bouflery, après
3UOÎ on dansa différentes Danses & Contreanses
qui furent exécutées dans la plus grande
perfection.
A côté du Salon du Bal, ou avoit préparé
une Sale à manger , parfaitement bien éclai-;
rée » dans laquelle on trouva trois grandes Ta
bles , oû l'on servit un Ambigu , composé de?
toutes sortes de Pâtez froids , Jambons & au
tres viandes convenables , avec autant de dé-»
lîcatesse que de- profusion . & de toutes fortes;
de Fruits 8c de Pâtisseries legeres. II y a voit
dans une Sale à côté, on magnifique Buffet
garni de toutes sortes de Vins ,£aux glacées r-
Vins de Liqueurs & tous les rafraîchislemens'
qu'on pouvoit souhaiter , 8í qu'on servit i
rout le monde eri abondance jusqu'à deUx heu-^
res du matin, après quoi S- A. R. jugea i
propos de se retirer pour donner le temps au ,
Duc de Lorraine, qui devoit parEir le lende
main, de prendre quelque icpos.^ -
On a ouMié de dire que S. A, R. toujours
attentive à tout ce qui pouvoit rendre la Fête1
plus variée & plus brrlfante > avoit donné or
dre défaire venir plusieurs exceilens Danseurs'
Provençaux, qui danserem pluííetìrs Esitrées
grotesques & champêtres , d'une manière trèsvive
& très singulière , pendant qu'une parcier
des Daraes-étoîent allées quitter leurs habits
de Villé, fans rien changes à leur Coëfure,
póur prendre des Domina , dont on avoit eu
soir* de préparer un grand nombre.* afin qu«
ce»
FEVRIER. 1730. 4-tj
mes mêmes Dames , habillées plus légèrement
pussent danser plus à leur aise > & auífi pour
varier les différentes couleurs des Etoffes. Les
Seigneurs n'ont point changé d'habit , & enfin
toute cette belle Assemblée se retira très-safìsfaite
d'avoir pû prendre parc à une fi ga
lante & magnifique Fête.
Le même jour i r. le Duc de Lorraine partit
pour retourner dans ses Etats, après avoir pris
congé du Roi. S.M. lui a fait présent d'une
très- riche Tenture de Tapisserie, rehaussée d'or,
faite fur les DefTeins de Raphaël, à la Manu*
facture Royale des Gobelins.
Le Duc de Lorraine, pendant son séjour à
Paris , a occupé le grand Appartement du Pa»
lais Royal. Une Table d'environ if. Couvert»
a toujours été servie,soir &matiniavec la plus ■
grande fomp tuoíîré & la plus grande délica
tesse, par les Officiers du Duc d'Orléans. 11
y a eu d'auttes Tables très -bien servies pour
fa Suite.
Tous les Spectales où ce Prince a assisté , &
où fa présence a attiré un très grand concours,
ont reçu des marques de fa libéralité. Ses gran*
des qualité* & ses manières nobles & géné
reuses ont paru dans toutes les occasions.
Les Officiers du Duc d'Orléans qui ont ser
vi auprès de fa personne, ont reçu des Diamans
brillans & d'autres Bijoux d un pris
considérable.
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Résumé : Fête au Palais Royal & à Bagnolet, [titre d'après la table]
Le 11 février 1730, la Duchesse d'Orléans organisa un bal somptueux au Palais Royal en l'honneur du Duc de Lorraine, son neveu, qui séjournait à Paris incognito sous le nom de Comte de Blamont. Le grand salon de l'appartement de la Duchesse fut aménagé avec des gradins pour les spectateurs et des sièges pour les danseurs. Le salon était illuminé par des lustres, girandoles et bougies, et accueillit de nombreux seigneurs et dames de la cour et de la ville. Le bal, sans masque, débuta à six heures du soir par une symphonie interprétée par les meilleurs musiciens de Paris et se termina à onze heures. Mademoiselle de Beaujollois et Mademoiselle de Chartres ouvrirent le bal avec des danses exécutées avec perfection et grâce, suivies par divers seigneurs et dames dansant des danses et contredanses. La Duchesse d'Orléans fut louée pour sa bonté, ses attentions et ses politesses, et les ordres qu'elle donna assurèrent une organisation magnifique et sans confusion. Des fruits et des rafraîchissements furent servis en abondance par les officiers de la Duchesse. Le 14 février, la Duchesse se rendit à son château de Bagnolet pour offrir une nouvelle fête au Duc de Lorraine. Après une promenade dans le parc, ils jouèrent aux cartes. Le soir, une illumination éclaira la cour royale et l'avant-cour. Le bal commença à huit heures dans le grand salon éclairé par des lustres et girandoles. Mademoiselle de Beaujollois, Mademoiselle de Chartres, le Duc de la Tremoille et le Duc de Boufflers ouvrirent le bal avec un menuet à quatre. Un salon adjacent servit de salle à manger avec des tables offrant des pâtisseries, jambons et autres viandes, ainsi qu'un buffet avec vins, liqueurs et rafraîchissements. La Duchesse fit venir des danseurs provençaux pour exécuter des danses grotesques et champêtres, permettant aux dames de changer leurs habits pour des dominos. Le Duc de Lorraine quitta Paris le même jour après avoir pris congé du Roi, qui lui offrit une riche tenture de tapisserie des Gobelins. Pendant son séjour, le Duc occupa un grand appartement au Palais Royal où une table était toujours servie avec somptuosité. Il fit preuve de libéralité lors des spectacles qu'il fréquenta et offrit des diamants et bijoux à ses hôtes.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 1472-1483
CONJECTURES sur le Lieu où étoit situé le Palais Royal, appellé Vetera Domus. Par M. Clerot, Avocat au Parlement de Normandie.
Début :
L'Auteur de la Lettre inserée dans le Mercure de Mars, page 442. semble [...]
Mots clefs :
Vetera domus, Palais royal, Ville, Cailly, Conjectures, Orderic Vital, Vieux Rouen, Rois, Historiens, Normandie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : CONJECTURES sur le Lieu où étoit situé le Palais Royal, appellé Vetera Domus. Par M. Clerot, Avocat au Parlement de Normandie.
CONJECTURES sur le Lieu où
étoit situé le Palais Royal, appellé Vetera
Domus. Par M. Clerot , Avocat an
Parlement de Normandie.
L
ટ
'Auteur de la Lettre inserée dans le
Mercure de Mars , page 442. semble
assurer que quelques Observations sur le
Lieu où étoit autrefois situé le Palais
Royal , appellé Vetera Domus , ne seroient
pas désagréables au Public . Sous cette
garantie , voicy quelques conjectures que
je crois pouvoir proposer , sans oser me
flatter d'avoir rencontré juste. Je sçai qu'il
en est de notre ancienne Histoire de Normandie
comme de certains Arts ; ce ne
sont pas toujours les premiers qui réussissent,
mais ils frayent souvent le chemin
à des découvertes plus heureuses ou
plus utiles. 172
Nous avons en Normandie , à une lieüc
d'Aumale , un Village que nous appel--
lons le vieux Rouen , que quelques uns
de nos anciens Historiens ont nommé ,
tantôt Verus Rotomagus , tantôt Vetus˜Rodomus
, et quelquefois Vetus Radomus. Ce
Village est sur le bord de la Riviere de
Bresle ;
JUILLET. 1733 1473
Bresle ; il est peu éloigné des bois ; il a
d'agréables Côteaux ; en un mot , sans
parler de son Château , il est dans une situation
très - propre à faire présumer qu'il
a pû être une de ces Retraites de nos
premiers Rois , que nos vieilles Histoires
distinguent sous la dénomination de Villa
Regia , aut vicus fisci , aut Palatium
vel Palatiolum.
Ceci posé , ne pourroit- on point conjecturer
que c'est là le Vetera Domus de
Charles le Chauve ? Car on sçait que ce
n'est pasla difference de l'énonciation qui
doit pous arrêter. Nos premiers Ecrivains
ont pû de Vetus Rodomus ou de Vetus Radomus
, aisément faire Vete Radomus ; cela
n'est pas sans exemple , et puisque visà-
vis du vieux Rouen , sur l'autre bord
de la Riviere de Bresle , il y a un Village
appellé S. Germain ; il ne manqueroit
rien à la conjecture ; mais voyons s'il n'y
auroit pas d'ailleurs quelques preuves qui
pussent déterminer
.
Oderic Vital , dans son Hist. Eccles.
Liv. 12 nous fait penser que de son tems le
vieux Roüen méritoit une attention. particuliere
;car après avoir parlé du Fort que
Henry I. Roy d'Angleterre y voulut
construire pour l'opposer au Comte d'Aumale
, il expose une partie de ce qu'il as-
A v sure
.
1474 MERCURE DE FRANCE
sure en avoir été dit dans les anciennes
Histoires , de Veteri Rotomago unde hîc
mentio jam facta est , dit cet Auteur , tangam
quod in priscis quæsitum Historii relatum
est. Ce n'est pas assez , il se fait
honneur , en suivant ces Historiens , de
laisser aux siecles à venir les faits posterieurs
, ad notitiam posteritatis mentionem
feci , de priscorum relationibus adjeci. Nunc
autemad res nuper gestas redibo et pro posse
meo Antiquos Scriptores sequens laborem
meum Ætati futura offero.
Je suis très- persuadé qu'Oderic Vital
n'a pas toûjours exactement suivi les Auteurs
qui l'ont précedé , que selon le pieux
usage de son tems il met souvent sur
leur compte des faits ausquels ils n'ont
jamais pensé , et qu'il ne s'attache qu'à
les faire parler conformément à ses propres
conjectures . Mais enfin il les suit
de loin ou de près , et cela étant , j'ai droit .
d'assurer que plusieurs de nos anciens
Historiens ont parlé du vieux Roüen
comme d'une Place qui a existé dans les
premiers tems.
Je ne crois point cependant que Jules-
Cesar soit passé dans notre Pays de Caux,
qu'il y ait assicgé , pris ou détruit une
Ville appellée Caletum , qu'il en ait bâtỉ
une autre au même lieu , sous le nom de
Julia bona
JUILLET. 17337 1475
Fuliabona , et que cette Ville soft le Bourg
de l'Isle- bonne. Non , je ne crois pas que
ce grand Capitaine , après cette Expedition
, ait traversé les neuf Rivieres du
même Pays , qu'il ait vû les bords de
l'Ocean de ce côté - là , et qu'il soit revenu
sur la Bresle ordonner la fondation
d'une autre Ville appellée Rodomum , quasiRomanorum
domus. Je ne crois point enfin
que Rutubus , faisant le redoutable dans
une Forteresse , située sur un Mont auprès
de la Seine , Jules - Cesar le soit venu
attaquer , qu'il ait pris la Place , et qu'il'
ait tout de suite bâti au même lieu la
Ville Capitale de notre Province
abandonnant son autre entreprise , de laquelle
a été formé le vieux Rouen , et
priori vico super Aucum usque in hunc diem
solum nomen reliquit.
,
Toutes ces circonstances que le bon
Moine de S. Evroult nous rapporte dans
le même Livre 12. sont détruites par des
preuves que j'espere donner un jour dans
quelque Dissertation , que je prépare ,
sur les premiers Habitans du Pays de
Caux , et sur l'origine de notre Ville de
Roüen; mais elles ne servent pas moins
à mes conjectures ; car dans les faits changez
, alterez ou déguisez , il y a toujours.
certains rayons de verité sur lesquels on
A vj peut
1476 MERCURE DE FRANCE
peut raisonnablement se fixer ; et dans
l'espece présente , il est aisé de sentir qu'en
general vetus Rotomagus , ou vetus Rodo
mus , est un lieu pour le moins aussi ancien
que
Roüen ,
Mais , me dira -t'on , quels sont les Auteurs
? Où est l'Eistorien Romain qui
aye jamais parlé de vetus Rotomagus ?` A
cela je réponds , 1 ° . que notre Oderic Vital
a pû prendre pour des Historiens Romains
quelques- uns de ceux qui sont nez
dans les Gaules , et même dans le Pays
Normand , sous la domination Romaine,
même sous celle des premiers Rois de
France . 2 ° . Qu'il se peut parfaitement
bien faire que les Manuscrits dont s'est servi
ce Moine de S. Evroult , soient perdus;
tout le Monde sçait que les tems d'ignoles
guerres particulieres des Seigneurs
de France , et les irruptions generales
des Anglois , ont extrêmement désolé
la République des Lettres . Mais puisque
nous sommes dans les conjectures , n'en sortons
point que nous n'ayons du moins
vû quelques Auteurs , qui vrai- semblablement
n'étoient pas familiers à Oderic-
Vital.
rance ,
La Carte Itineraire de l'Empire Romain
, dont on doit la découverte à un
sçavant Avocat d'Ausbourg , et que nous
appellons
JUILLET . 1733. 1477
appellons communément de son nom les
Tables de Peutinger ; cette Carte , disje
, met vers notre Province deux Villes
, l'une sous le nom de Rathomagus ,
l'autre , sous celui de Rithomagus ; ne seroit-
ce point que le Géographe qui a fait
cette Carte , et qui certainement vivoit
avant l'arrivée des François dans les Gaules
, auroit eu sous les yeux des Auteurs
qui lui auroient appris , que non loin de
FOcean et de l'Embouchure de la Seine,
il y avoit deux Villes du même nom à
peu de chose près ? Ce qu'il y a de constant
, c'est que cette Carte pose Rathomagus
vers le lieu où est notre Vetus
Rodomus. En voila beaucoup , ce me semble
, pour un homme qui n'écrit que sur
des conjectures ; il faut cependant donner
ici quelque chose de plus fort.
Ptolomée , dans le Chapitre huitiéme
de son second Livre nous parle de Ratomagus
, comme Ville Capitale des Vellocassiens
, qu'il place après les Peuples
de la Bretagne , du Maine , de la Basse
Normandie et du Rommois ; Post quos
usque ad Sequanam flumen Velii Casii quorum
Civitas Ratomagus : Et dans le Chapitre
9. du même Livre , il nous met
un autre Ratomagus , comme Capitale des
Ubanecti ou Subanecti , qu'il place après
les
1478 MERCURE DE FRANCE
les Peuples de la Flandre , de l'Artois et
de la Picardie ; Sub his Ubanecti quorum
civitas Ratomagus ab Oriente Sequane
fluvii ; ce qui ne peut bien convenir qu'à
notre Vetus Ratomagus.
Je ne m'attacherai point à prouver que
le Pays appellé de Wimen , et qui s'est
étendu , comme nous le voyons dans plusieurs
Chartres , jusques dans le milieu
du Vexin , a pû être autrefois celui des
Ubaneci , ce sera l'objet d'un autre Ouvrage.
Je passe à l'Analogie des Langues
Gauloise Teutonique et Françoise
pour appuyer ma conjecture.
و
*
Je vois dans Camden , dans Bochard
et dans les Glossaires de l'ancien Allemand
, que Mag Magem , ou Magus , signifie
véritablement en Gaulois , Famille,
Habitation ou demeure commune ; que
Rath , Roth ou Rith , a été dans la même
Langue , tantôt un Amas d'eaux , que
formoient les irruptions d'une Riviere
sans Digues ; tantôt un Gué , qui se faisoit
naturellement dans le lieu où la largeur
de la Riviere devenoit plus éten-
; ainsi Rathomagus ou Rithomagus , ne
désigneroit autre chose dans son origine
que l'habitation ou la demeure des Habitans
du Passage.
Quand les premiers Normands , je
veux
JUILLET. 1733. 1479
veux dire les Saxons , les Francs , les
Bourguignons et autres Peuples du Nord,
entrerent dans les Gaules , ils accomodoient
les noms des Lieux à leur maniere
de parler. De - là ce changement de la
Lettre T en D, qui entr'autres leur étoit
fort familier , de là cette abréviation de
Rithomagus ou Rathomagus , ou Rodomus
ou Radomus, noms que nos prémiers Ecri
vains donnent à notre Vetus Rotomagus.
Voyons ce qui a donné lieu à l'epithete
de Vetus.
Les Auteurs que je viens de citer as->
surent que Wede ou Veije , signifie en
ancien Allemand , ce que nous appellons
un Gué , un Passage ; cela posé ,
nous pouvons croire que nos Peres , après
leur entrée dans les Gaules , continuant
à passer par le Gué de Ratomagus ou Radomus
,
désignerent ce Lieu par Wedera
domus , nom que nos anciens Historiens
ont pû changer en Vetera domus , par la
ressemblance et l'indifference de position
du T. en D. et du D. en T. de sorte que
Wedera domus ou Vetera domus , ne voudroit
dire autre chose que le Gué ou le
Passage de Radomus:
Cette conjecture n'est pas forcée , car
on sçait que de Wede a été formé le mot
latin Vadum , que Vieux , dont il est parlé
dans
1480 MERCURE DE FRANCE ERCUR
dans les derniers Mercures , tient son
nom de la même origine , et que c'est
pour cela , comme le remarque M. Huet,
que Vieux est appellé dans les titres de
l'Abbaye de Fontenay , tantôt Vedioca ,
tantôt Veoca.
Je n'ai pas besoin de chercher de plus fortes
preuves , si on fait attention que les Palais
de nos premiers Rois avoient des Chapelles
desservies par des Religieux , ce qui
a donné commencement à differentes Abbayes
, dont les unes se sont conservées
entieres , les autres ont dégeneré en Prieurés
, les autres se sont éteintes ou incorporées
avec leurs voisines ; on pré¹ugera
qu'il ne seroit pas impossible que le Palais
appellé Vetera domus , eût eu une de
ces sortes de Chapelles , qui dans la suite
auroit formé l'Abbaye de S. Fuscien d'Amiens
; sur quoi , si mes Conjectures sont
rendues publiques dans le Mercure , je
prends la liberté d'inviter Mrs les
Religieux de cette Abbaye , de vouloir
bien donner là - dessus , par la même
voye , quelques Extraits de leurs Chartres
, qui concernent le Vieux Rožen , ne
doutant pas qu'ils n'en ayent , puisqu'ils
sont Seigneurs - Patrons de ce Lieu.
Je reviens à l'autorité de Ptolomée ;
je sçai les objections qu'on peut me faire
sur
JUILLET. 1733. 1481
sur l'endroit que j'ai cité du Géographe
Grec , mais il est aisé d'y répondre par
une observation bien simple ; sçavoir ,
que les Manuscrits de Ptolomée , exposez
depuis plus de quinze cens ans à l'erreur
des Copistes , à la barbarie des siecles ignorans
, au caprice des Auteurs du moyen
âge , ont souffert plusieurs changemens ,
èt nous avons vû de nos jours des Géographes
tout prêts à retrancher de Prolomée
les Ubanecti et leut Ville Capitale.
Je ne parlerai point ici des Chartres
de nos premiers Rois , de quelques Conciles
même qui finissent tantôt par ces
mots , Actum Rodomo , tantôt par Actum
Rothomago , de ces anciennes Histoires où
nous trouvons Rotumagus , Rodomus , Ritumagus
, Rotumus ; de ces Monnoyes où
l'on voit pour Légende , Ratuhagus , Ratumagus
, Rodomus , Rothemagus ; et fout
cela sans autre distinction particuliere s
sçavoir , si c'est la même Ville , ou si ce
sont deux, trois ou quatre lieux differens
, confondus dans un seul en differentes
expressions , cela nous meneroit
trop loin
On s'est donné la liberté dans les premiers
tems de changer , retrancher et
augmenter , selon l'idée ou les préjugez
de chaque siecle ; et comme on ne connoît
1482 MERCURE DE FRANCE
>
noissoit point alors de saine critique , une
ignorance crasse et un témeraire orgueil ,
avoient souvent le dessus , ensorte que
nous pouvons dire aujourd'hui que nous
sommes égarez dans notre propre Patrie.
Il faut des peines inconcevables pour
nous remettre dans le veritable chemin .
>
Je ne sçai si avec mes Observations
je mene bien le Lecteur vers le Vetera
domus de Charles le Chauve ; car l'Auteur
dont il est parlé dans la Lettre du
Mercure , met ce Lieu dans le Roumois
in Pago Rotomagensi , et le Vetus Rodomus,
dont je viens de parler , est dans le Pays
de Bray , faisant partie de celui que nos
vieilles Chartres et nos anciennes Histoires
nomment Pagus Vitnemau ou Vinemau.
Je puis cependant assurer que ces
Auteurs , la plupart Légendaires , sont
trop peu exacts pour nous arrêter ,
que j'ai vu plusieurs Titres , plusieurs anciennes
Histoires de Miracles qui mettent
, in Page Rotomagensi , des Lieux situez
à l'extremité du Pays de Caux. Il
suffit à ces Auteurs que ce qui interesse
le Saint ou la Sainte dont ils parlent , se
soit passé dans le Diocèse , pour désigner
le Lieu par le nom du Pays ou l'Eglise
Cathédrale se trouve située.
et
Enfin je ne dissimulerai point que quelques
JUILLET. 1733. 1483
ques Auteurs en nous donnant le Bourg
de Cailly , pour le Caletum , dont parle
Oderic Vital , ont prétendu que sur un
Côteau de ce Bourg même , étoit autrefois
situé un vieux Château , où l'on a
trouvé des Antiquitez de toute espece.
Si avec cela quelques Titres nous désignoient
ce Château sous le nom de Vetera
domus , ma premiere Conjecture se
roit d'autant plus vaine que Cailly a appartenu
autrefois aux Rois de France ;
je me souviens d'avoir vû un Titre de
P'Abbaye de S. Oüen , dans lequel le droit
des Religieux de cette Abbaye, d'envoyer
au Four de Cailly , est exprimé en ces
termes , ad Furnum Domini Regis . de
Cailly. On voit d'ailleurs dans les Preuves
de l'Histoire de la même, Abbaye ,
un ancien Recueil des droits des Moines
sur Cailly , dans lequel on lit : Item
Furnum Domini Regis de Cailly. Item omnem
costumam Foresta ratione Castri et Fur
ni,quam Dominus Rexvel Dominus de Cail
ly , capere poterant , &c. Il y a encore à
observer que Cailly est près d'une Parois .
se appellée S. Germain ; le même Titre
que j'ai vû , porte , in pago Rotomagensi
et non loin de là est un autre Village appellé
le Vieux Manoir , qui est assez proche
d'une autre Paroisse nommée aussi
S. Germain .
étoit situé le Palais Royal, appellé Vetera
Domus. Par M. Clerot , Avocat an
Parlement de Normandie.
L
ટ
'Auteur de la Lettre inserée dans le
Mercure de Mars , page 442. semble
assurer que quelques Observations sur le
Lieu où étoit autrefois situé le Palais
Royal , appellé Vetera Domus , ne seroient
pas désagréables au Public . Sous cette
garantie , voicy quelques conjectures que
je crois pouvoir proposer , sans oser me
flatter d'avoir rencontré juste. Je sçai qu'il
en est de notre ancienne Histoire de Normandie
comme de certains Arts ; ce ne
sont pas toujours les premiers qui réussissent,
mais ils frayent souvent le chemin
à des découvertes plus heureuses ou
plus utiles. 172
Nous avons en Normandie , à une lieüc
d'Aumale , un Village que nous appel--
lons le vieux Rouen , que quelques uns
de nos anciens Historiens ont nommé ,
tantôt Verus Rotomagus , tantôt Vetus˜Rodomus
, et quelquefois Vetus Radomus. Ce
Village est sur le bord de la Riviere de
Bresle ;
JUILLET. 1733 1473
Bresle ; il est peu éloigné des bois ; il a
d'agréables Côteaux ; en un mot , sans
parler de son Château , il est dans une situation
très - propre à faire présumer qu'il
a pû être une de ces Retraites de nos
premiers Rois , que nos vieilles Histoires
distinguent sous la dénomination de Villa
Regia , aut vicus fisci , aut Palatium
vel Palatiolum.
Ceci posé , ne pourroit- on point conjecturer
que c'est là le Vetera Domus de
Charles le Chauve ? Car on sçait que ce
n'est pasla difference de l'énonciation qui
doit pous arrêter. Nos premiers Ecrivains
ont pû de Vetus Rodomus ou de Vetus Radomus
, aisément faire Vete Radomus ; cela
n'est pas sans exemple , et puisque visà-
vis du vieux Rouen , sur l'autre bord
de la Riviere de Bresle , il y a un Village
appellé S. Germain ; il ne manqueroit
rien à la conjecture ; mais voyons s'il n'y
auroit pas d'ailleurs quelques preuves qui
pussent déterminer
.
Oderic Vital , dans son Hist. Eccles.
Liv. 12 nous fait penser que de son tems le
vieux Roüen méritoit une attention. particuliere
;car après avoir parlé du Fort que
Henry I. Roy d'Angleterre y voulut
construire pour l'opposer au Comte d'Aumale
, il expose une partie de ce qu'il as-
A v sure
.
1474 MERCURE DE FRANCE
sure en avoir été dit dans les anciennes
Histoires , de Veteri Rotomago unde hîc
mentio jam facta est , dit cet Auteur , tangam
quod in priscis quæsitum Historii relatum
est. Ce n'est pas assez , il se fait
honneur , en suivant ces Historiens , de
laisser aux siecles à venir les faits posterieurs
, ad notitiam posteritatis mentionem
feci , de priscorum relationibus adjeci. Nunc
autemad res nuper gestas redibo et pro posse
meo Antiquos Scriptores sequens laborem
meum Ætati futura offero.
Je suis très- persuadé qu'Oderic Vital
n'a pas toûjours exactement suivi les Auteurs
qui l'ont précedé , que selon le pieux
usage de son tems il met souvent sur
leur compte des faits ausquels ils n'ont
jamais pensé , et qu'il ne s'attache qu'à
les faire parler conformément à ses propres
conjectures . Mais enfin il les suit
de loin ou de près , et cela étant , j'ai droit .
d'assurer que plusieurs de nos anciens
Historiens ont parlé du vieux Roüen
comme d'une Place qui a existé dans les
premiers tems.
Je ne crois point cependant que Jules-
Cesar soit passé dans notre Pays de Caux,
qu'il y ait assicgé , pris ou détruit une
Ville appellée Caletum , qu'il en ait bâtỉ
une autre au même lieu , sous le nom de
Julia bona
JUILLET. 17337 1475
Fuliabona , et que cette Ville soft le Bourg
de l'Isle- bonne. Non , je ne crois pas que
ce grand Capitaine , après cette Expedition
, ait traversé les neuf Rivieres du
même Pays , qu'il ait vû les bords de
l'Ocean de ce côté - là , et qu'il soit revenu
sur la Bresle ordonner la fondation
d'une autre Ville appellée Rodomum , quasiRomanorum
domus. Je ne crois point enfin
que Rutubus , faisant le redoutable dans
une Forteresse , située sur un Mont auprès
de la Seine , Jules - Cesar le soit venu
attaquer , qu'il ait pris la Place , et qu'il'
ait tout de suite bâti au même lieu la
Ville Capitale de notre Province
abandonnant son autre entreprise , de laquelle
a été formé le vieux Rouen , et
priori vico super Aucum usque in hunc diem
solum nomen reliquit.
,
Toutes ces circonstances que le bon
Moine de S. Evroult nous rapporte dans
le même Livre 12. sont détruites par des
preuves que j'espere donner un jour dans
quelque Dissertation , que je prépare ,
sur les premiers Habitans du Pays de
Caux , et sur l'origine de notre Ville de
Roüen; mais elles ne servent pas moins
à mes conjectures ; car dans les faits changez
, alterez ou déguisez , il y a toujours.
certains rayons de verité sur lesquels on
A vj peut
1476 MERCURE DE FRANCE
peut raisonnablement se fixer ; et dans
l'espece présente , il est aisé de sentir qu'en
general vetus Rotomagus , ou vetus Rodo
mus , est un lieu pour le moins aussi ancien
que
Roüen ,
Mais , me dira -t'on , quels sont les Auteurs
? Où est l'Eistorien Romain qui
aye jamais parlé de vetus Rotomagus ?` A
cela je réponds , 1 ° . que notre Oderic Vital
a pû prendre pour des Historiens Romains
quelques- uns de ceux qui sont nez
dans les Gaules , et même dans le Pays
Normand , sous la domination Romaine,
même sous celle des premiers Rois de
France . 2 ° . Qu'il se peut parfaitement
bien faire que les Manuscrits dont s'est servi
ce Moine de S. Evroult , soient perdus;
tout le Monde sçait que les tems d'ignoles
guerres particulieres des Seigneurs
de France , et les irruptions generales
des Anglois , ont extrêmement désolé
la République des Lettres . Mais puisque
nous sommes dans les conjectures , n'en sortons
point que nous n'ayons du moins
vû quelques Auteurs , qui vrai- semblablement
n'étoient pas familiers à Oderic-
Vital.
rance ,
La Carte Itineraire de l'Empire Romain
, dont on doit la découverte à un
sçavant Avocat d'Ausbourg , et que nous
appellons
JUILLET . 1733. 1477
appellons communément de son nom les
Tables de Peutinger ; cette Carte , disje
, met vers notre Province deux Villes
, l'une sous le nom de Rathomagus ,
l'autre , sous celui de Rithomagus ; ne seroit-
ce point que le Géographe qui a fait
cette Carte , et qui certainement vivoit
avant l'arrivée des François dans les Gaules
, auroit eu sous les yeux des Auteurs
qui lui auroient appris , que non loin de
FOcean et de l'Embouchure de la Seine,
il y avoit deux Villes du même nom à
peu de chose près ? Ce qu'il y a de constant
, c'est que cette Carte pose Rathomagus
vers le lieu où est notre Vetus
Rodomus. En voila beaucoup , ce me semble
, pour un homme qui n'écrit que sur
des conjectures ; il faut cependant donner
ici quelque chose de plus fort.
Ptolomée , dans le Chapitre huitiéme
de son second Livre nous parle de Ratomagus
, comme Ville Capitale des Vellocassiens
, qu'il place après les Peuples
de la Bretagne , du Maine , de la Basse
Normandie et du Rommois ; Post quos
usque ad Sequanam flumen Velii Casii quorum
Civitas Ratomagus : Et dans le Chapitre
9. du même Livre , il nous met
un autre Ratomagus , comme Capitale des
Ubanecti ou Subanecti , qu'il place après
les
1478 MERCURE DE FRANCE
les Peuples de la Flandre , de l'Artois et
de la Picardie ; Sub his Ubanecti quorum
civitas Ratomagus ab Oriente Sequane
fluvii ; ce qui ne peut bien convenir qu'à
notre Vetus Ratomagus.
Je ne m'attacherai point à prouver que
le Pays appellé de Wimen , et qui s'est
étendu , comme nous le voyons dans plusieurs
Chartres , jusques dans le milieu
du Vexin , a pû être autrefois celui des
Ubaneci , ce sera l'objet d'un autre Ouvrage.
Je passe à l'Analogie des Langues
Gauloise Teutonique et Françoise
pour appuyer ma conjecture.
و
*
Je vois dans Camden , dans Bochard
et dans les Glossaires de l'ancien Allemand
, que Mag Magem , ou Magus , signifie
véritablement en Gaulois , Famille,
Habitation ou demeure commune ; que
Rath , Roth ou Rith , a été dans la même
Langue , tantôt un Amas d'eaux , que
formoient les irruptions d'une Riviere
sans Digues ; tantôt un Gué , qui se faisoit
naturellement dans le lieu où la largeur
de la Riviere devenoit plus éten-
; ainsi Rathomagus ou Rithomagus , ne
désigneroit autre chose dans son origine
que l'habitation ou la demeure des Habitans
du Passage.
Quand les premiers Normands , je
veux
JUILLET. 1733. 1479
veux dire les Saxons , les Francs , les
Bourguignons et autres Peuples du Nord,
entrerent dans les Gaules , ils accomodoient
les noms des Lieux à leur maniere
de parler. De - là ce changement de la
Lettre T en D, qui entr'autres leur étoit
fort familier , de là cette abréviation de
Rithomagus ou Rathomagus , ou Rodomus
ou Radomus, noms que nos prémiers Ecri
vains donnent à notre Vetus Rotomagus.
Voyons ce qui a donné lieu à l'epithete
de Vetus.
Les Auteurs que je viens de citer as->
surent que Wede ou Veije , signifie en
ancien Allemand , ce que nous appellons
un Gué , un Passage ; cela posé ,
nous pouvons croire que nos Peres , après
leur entrée dans les Gaules , continuant
à passer par le Gué de Ratomagus ou Radomus
,
désignerent ce Lieu par Wedera
domus , nom que nos anciens Historiens
ont pû changer en Vetera domus , par la
ressemblance et l'indifference de position
du T. en D. et du D. en T. de sorte que
Wedera domus ou Vetera domus , ne voudroit
dire autre chose que le Gué ou le
Passage de Radomus:
Cette conjecture n'est pas forcée , car
on sçait que de Wede a été formé le mot
latin Vadum , que Vieux , dont il est parlé
dans
1480 MERCURE DE FRANCE ERCUR
dans les derniers Mercures , tient son
nom de la même origine , et que c'est
pour cela , comme le remarque M. Huet,
que Vieux est appellé dans les titres de
l'Abbaye de Fontenay , tantôt Vedioca ,
tantôt Veoca.
Je n'ai pas besoin de chercher de plus fortes
preuves , si on fait attention que les Palais
de nos premiers Rois avoient des Chapelles
desservies par des Religieux , ce qui
a donné commencement à differentes Abbayes
, dont les unes se sont conservées
entieres , les autres ont dégeneré en Prieurés
, les autres se sont éteintes ou incorporées
avec leurs voisines ; on pré¹ugera
qu'il ne seroit pas impossible que le Palais
appellé Vetera domus , eût eu une de
ces sortes de Chapelles , qui dans la suite
auroit formé l'Abbaye de S. Fuscien d'Amiens
; sur quoi , si mes Conjectures sont
rendues publiques dans le Mercure , je
prends la liberté d'inviter Mrs les
Religieux de cette Abbaye , de vouloir
bien donner là - dessus , par la même
voye , quelques Extraits de leurs Chartres
, qui concernent le Vieux Rožen , ne
doutant pas qu'ils n'en ayent , puisqu'ils
sont Seigneurs - Patrons de ce Lieu.
Je reviens à l'autorité de Ptolomée ;
je sçai les objections qu'on peut me faire
sur
JUILLET. 1733. 1481
sur l'endroit que j'ai cité du Géographe
Grec , mais il est aisé d'y répondre par
une observation bien simple ; sçavoir ,
que les Manuscrits de Ptolomée , exposez
depuis plus de quinze cens ans à l'erreur
des Copistes , à la barbarie des siecles ignorans
, au caprice des Auteurs du moyen
âge , ont souffert plusieurs changemens ,
èt nous avons vû de nos jours des Géographes
tout prêts à retrancher de Prolomée
les Ubanecti et leut Ville Capitale.
Je ne parlerai point ici des Chartres
de nos premiers Rois , de quelques Conciles
même qui finissent tantôt par ces
mots , Actum Rodomo , tantôt par Actum
Rothomago , de ces anciennes Histoires où
nous trouvons Rotumagus , Rodomus , Ritumagus
, Rotumus ; de ces Monnoyes où
l'on voit pour Légende , Ratuhagus , Ratumagus
, Rodomus , Rothemagus ; et fout
cela sans autre distinction particuliere s
sçavoir , si c'est la même Ville , ou si ce
sont deux, trois ou quatre lieux differens
, confondus dans un seul en differentes
expressions , cela nous meneroit
trop loin
On s'est donné la liberté dans les premiers
tems de changer , retrancher et
augmenter , selon l'idée ou les préjugez
de chaque siecle ; et comme on ne connoît
1482 MERCURE DE FRANCE
>
noissoit point alors de saine critique , une
ignorance crasse et un témeraire orgueil ,
avoient souvent le dessus , ensorte que
nous pouvons dire aujourd'hui que nous
sommes égarez dans notre propre Patrie.
Il faut des peines inconcevables pour
nous remettre dans le veritable chemin .
>
Je ne sçai si avec mes Observations
je mene bien le Lecteur vers le Vetera
domus de Charles le Chauve ; car l'Auteur
dont il est parlé dans la Lettre du
Mercure , met ce Lieu dans le Roumois
in Pago Rotomagensi , et le Vetus Rodomus,
dont je viens de parler , est dans le Pays
de Bray , faisant partie de celui que nos
vieilles Chartres et nos anciennes Histoires
nomment Pagus Vitnemau ou Vinemau.
Je puis cependant assurer que ces
Auteurs , la plupart Légendaires , sont
trop peu exacts pour nous arrêter ,
que j'ai vu plusieurs Titres , plusieurs anciennes
Histoires de Miracles qui mettent
, in Page Rotomagensi , des Lieux situez
à l'extremité du Pays de Caux. Il
suffit à ces Auteurs que ce qui interesse
le Saint ou la Sainte dont ils parlent , se
soit passé dans le Diocèse , pour désigner
le Lieu par le nom du Pays ou l'Eglise
Cathédrale se trouve située.
et
Enfin je ne dissimulerai point que quelques
JUILLET. 1733. 1483
ques Auteurs en nous donnant le Bourg
de Cailly , pour le Caletum , dont parle
Oderic Vital , ont prétendu que sur un
Côteau de ce Bourg même , étoit autrefois
situé un vieux Château , où l'on a
trouvé des Antiquitez de toute espece.
Si avec cela quelques Titres nous désignoient
ce Château sous le nom de Vetera
domus , ma premiere Conjecture se
roit d'autant plus vaine que Cailly a appartenu
autrefois aux Rois de France ;
je me souviens d'avoir vû un Titre de
P'Abbaye de S. Oüen , dans lequel le droit
des Religieux de cette Abbaye, d'envoyer
au Four de Cailly , est exprimé en ces
termes , ad Furnum Domini Regis . de
Cailly. On voit d'ailleurs dans les Preuves
de l'Histoire de la même, Abbaye ,
un ancien Recueil des droits des Moines
sur Cailly , dans lequel on lit : Item
Furnum Domini Regis de Cailly. Item omnem
costumam Foresta ratione Castri et Fur
ni,quam Dominus Rexvel Dominus de Cail
ly , capere poterant , &c. Il y a encore à
observer que Cailly est près d'une Parois .
se appellée S. Germain ; le même Titre
que j'ai vû , porte , in pago Rotomagensi
et non loin de là est un autre Village appellé
le Vieux Manoir , qui est assez proche
d'une autre Paroisse nommée aussi
S. Germain .
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Résumé : CONJECTURES sur le Lieu où étoit situé le Palais Royal, appellé Vetera Domus. Par M. Clerot, Avocat au Parlement de Normandie.
L'avocat M. Clerot propose des conjectures sur l'emplacement du Palais Royal nommé Vetera Domus. Il suggère que ce palais pourrait se trouver dans le village de Vieux-Rouen, près d'Aumale, sur le bord de la rivière de Bresle. Ce village, connu sous divers noms comme Verus Rotomagus ou Vetus Rodomus, présente des caractéristiques favorables à une retraite royale. Clerot s'appuie sur des sources historiques, notamment Oderic Vital, qui mentionne Vieux-Rouen comme une place importante. Il discute également des variations linguistiques et des erreurs de transcription possibles entre Vetus Rodomus et Vetera Domus. Il cite des cartes et des textes anciens, comme les Tables de Peutinger et Ptolémée, qui mentionnent des villes proches de la Normandie sous des noms similaires. Par ailleurs, le texte explore l'histoire du bourg de Cailly et les hypothèses concernant un ancien château situé sur une colline de ce bourg. Certains auteurs ont suggéré que ce château, mentionné par Oderic Vital comme Caletum, aurait abrité diverses antiquités. Cependant, l'auteur du texte remet en question cette hypothèse en soulignant que Cailly appartenait autrefois aux rois de France. Il cite des documents de l'abbaye de Saint-Ouen, où il est mentionné que les religieux de cette abbaye avaient le droit d'utiliser le four du seigneur roi à Cailly. Les preuves de l'histoire de l'abbaye incluent également un ancien recueil des droits des moines sur Cailly, précisant les droits du roi ou du seigneur de Cailly concernant le château et le four. De plus, Cailly est situé près d'une paroisse appelée Saint-Germain, et non loin se trouve un autre village nommé le Vieux Manoir, proche d'une autre paroisse également nommée Saint-Germain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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3
p. 2136-2140
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Auxerre à l'occasion des conjectures de M. Clérot, Avocat du Parlement de Roüen, sur l'ancien Palais Royal, appellé Vetera-Domus, inserées dans le Mercure de Juillet 1733.
Début :
Une commodité particuliere qui se trouve dans vos Journaux, est que [...]
Mots clefs :
Saint-Germain, Vetera domus, Palais royal, Invocation, Évêque d'Auxerre, Rouen, Église, Diocèse, Découverte, Conjectures
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Auxerre à l'occasion des conjectures de M. Clérot, Avocat du Parlement de Roüen, sur l'ancien Palais Royal, appellé Vetera-Domus, inserées dans le Mercure de Juillet 1733.
EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Auxerre
à l'occasion des conjectures de
M.. Clérot , Avocat du Parlement de
Rožen , sur l'ancien Palais Royal , appellé
Vetera-Domus , inserées dans le
Mercure de Fuillet 1733.
U
Ne commodité particuliere qui se
trouve dans vos Journaux , est que
des personnes qui ne se sont jamais vûës,
et qui ne se connoissent aucunement ,
peuvent se transmettre l'une à l'autre
leurs pensées dans quelque situation et
éloignement qu'elles soient. J'ai lû les
conjectures que M. Clérot , Avocat de
Rouen, a proposées à l'occasion d'un des
Palais de nos Rois,appellé Vetera Domus,
dans un Auteur du neuvième siècle.Comme
c'est moi-même qui , par le moyen
de votre Journal de Mars , ai invité.
l'Historien de l'Eglise et du Diocèse de
Rouen à travailler à la découverte de ce
Palais Royal , je ne puis regarder avec indifférence,
ce qui sera produit à ce sujet,
de quelque part qu'il vienne.
M. Clérot est le premier qui ait pris la
plume pour communiquer au Public ses
conjectures; il faut esperer que s'il n'a
pas
OCTOBRE. 1733 2137
pas réussi , comme il n'ose lui - même
s'en fatter, son exemple pourra au moins
exciter quelque Géographe , ou quelque
Critique , à pousser les recherches encore
plus loin. Il a produit de sçavantes Remarques
sur Rodomus , Vetus - Rodomus
& c.cependant je ne croi pas qu'elles conduisent
sûrement à faire trouver ce que
je cherche , et que je juge digne de la curiosité
de tous les Antiquaires François.
Si Héric, Moine d'Auxerre , Précepteur
'd'un des Fils de Charles - le - Chauve , est
digne de croïance ; le Palais en question
portoit en Latin un nom formé de deux
autres noms Latins ; loin de trouver dans
cet Ecrivain Vetera - Domus , qui induit à
imaginer une conjonction de Vet avec
Radomus , on y lit Veterem Domum , tresformellement
. In pago Rothomagensi , dit- il,
Regius fixus est , quem incola ob Palatii antiquitatem
Veterem- Domum nuncupant. Ce
qui suit est encore plus digne d'attention
, parce qu'il est plus décisif : Capella
Palatio contigua , beati Germani famosa
nomine , illustris et merito et signorum dote.
C'est dans le chap. 45. du premier Livre
des Miracles de S. Germain d'Auxerre
qu'Héric s'exprime ainsi : Tout cela sert
de préambule au récit d'une gué.ison miraculeuse
qui y arriva , et dont toute la
B Cour
2138 MERCURE DE FRANCE
Cour et les Principaux de tout le Royau
me , farent témoins, Heric n'auroit pas
inséré dans un Livre où il ne convient de
parler que de son Saint , les Miracles d'un
autre S. Germain . Ainsi l'Eglise ou Cha ~
pelle voisine du Palais de Normandic
étoit certainement sous l'invocation de
S. Germain , Evêque d'Auxerre. Or il se
trouve que PEglise de S. Germain , voisine
du vieux Rouen , sur la Riviere de
Bresle , n'est point et n'a jamais été sous
l'invocation de Saint Germain , Evêque
d'Auxerre , mais sous celle d'un autre
S. Germain , Evêque Régionnaire , Dif
ciple , à la verité , mais bien different du
grand Evêque d'Auxerre. Outre cela elle
est du Diocèse d'Amiens , parce qu'elle
est séparée du vieux Rouen par la Riviére
de Bresle .
Ceux qui souhaitent éclaircir ce fait
peuvent prendre la peine de lire la vie de
S. Germain , dit de Senard - Pont. Elle
fut imprimée in 12 en 1645. à Amiens,
où il y a une Paroisse de son nom , et des
puis elle l'a été dans le Recueil des Bollandistes
au 2 de May. L'Auteur parlanc
des courses Apostoliques de ce S. Evêque
, Ecossois d'origine , dit ce qui suit:
Crepidinem montis transgressus quod dicitur
Vetus-Rothomagum inter Aumaleum et Senardi
OCTOBRE. 1733 2139
mardi-Pontem , circa quem locum manebat
Hubadus idololatria cultor& c Ensuite il le
fait martirifer tout auprès de celieu - là , et
c'est là qu'en effet on retrouve encore son
tombeau Comme donc l'Eglise de S.Germain-
sur- Brêle , ne peut servir à la découverte
du Vetera-Domus , je pense qu'il
faut porter ses vûës d'un autre côté , et je
croi infiniment plus probable que ce seroit
le Vieux Manoir , ou Cailly , autres
Lieux qui sont du Diocèse de Rouen.
M.Clérot pourra nous informer si l'une
ou l'autre des deux Eglises , voisines du
titre de S.Germain , est sous l'invocation
de l'Evêque d'Auxerre ; et en ce cas la
découverte acquerra un nouveau dégré de
probabilité. J'avoue qu'il n'est pas necessaire
d'entendre par ces mots : Pagus Rothomagensis
, uniquement ce qu'on appelle
aujourd'hui le Païs Roumois Le Païs de
Caux étant du Diocèse de Roüen , peut
être compris sous cette signification . Tel
est l'usage que l'on faisoit souvent anciennement
du terme de Pagus. Mais il ne faut
pas non plus que M. Clérot se contente
de jetter la vue sur les Cartes de Normandie
, ou sur le Dictionnaire Universel
de la France ? Il pourroit également
trouver dans le Païs Roumois ou dans
celui qui est à gauche de la Seine, ce qu'il
Bij cher2140
MERCURE DE FRANCE
cherche à droite , et il n'est pas necessaire
que le Village s'appelle S.German , mais
il suffit que l'Eglise soit ou ait été sous
l'invocation de l'Evêque d'Auxerre , qui
a porté ce nom, Je juge qu'il ne lui sera
pas difficile d'en trouver de ce côté - là ,
puisque le seul Diocèse d'Evreux , qui est
contigu, en contient prés d'une vingtaine
sous le titre du même Saint, S'il en rencontre
dans une Terre Royale , la position
du Vetera, Domus sera d'autant plus
probable qu'il est plus vrai - semblable que
Charles- le-Chauve étoit très proche du
Diocèse de Lisieux , où reposoit le Corps
de S. Renobert , lorsqu'il marqua sa dévotion
envers ce Saint , et qu'il fit un
Traité avec Hérispoy , Prince de Breta
gne.
à l'occasion des conjectures de
M.. Clérot , Avocat du Parlement de
Rožen , sur l'ancien Palais Royal , appellé
Vetera-Domus , inserées dans le
Mercure de Fuillet 1733.
U
Ne commodité particuliere qui se
trouve dans vos Journaux , est que
des personnes qui ne se sont jamais vûës,
et qui ne se connoissent aucunement ,
peuvent se transmettre l'une à l'autre
leurs pensées dans quelque situation et
éloignement qu'elles soient. J'ai lû les
conjectures que M. Clérot , Avocat de
Rouen, a proposées à l'occasion d'un des
Palais de nos Rois,appellé Vetera Domus,
dans un Auteur du neuvième siècle.Comme
c'est moi-même qui , par le moyen
de votre Journal de Mars , ai invité.
l'Historien de l'Eglise et du Diocèse de
Rouen à travailler à la découverte de ce
Palais Royal , je ne puis regarder avec indifférence,
ce qui sera produit à ce sujet,
de quelque part qu'il vienne.
M. Clérot est le premier qui ait pris la
plume pour communiquer au Public ses
conjectures; il faut esperer que s'il n'a
pas
OCTOBRE. 1733 2137
pas réussi , comme il n'ose lui - même
s'en fatter, son exemple pourra au moins
exciter quelque Géographe , ou quelque
Critique , à pousser les recherches encore
plus loin. Il a produit de sçavantes Remarques
sur Rodomus , Vetus - Rodomus
& c.cependant je ne croi pas qu'elles conduisent
sûrement à faire trouver ce que
je cherche , et que je juge digne de la curiosité
de tous les Antiquaires François.
Si Héric, Moine d'Auxerre , Précepteur
'd'un des Fils de Charles - le - Chauve , est
digne de croïance ; le Palais en question
portoit en Latin un nom formé de deux
autres noms Latins ; loin de trouver dans
cet Ecrivain Vetera - Domus , qui induit à
imaginer une conjonction de Vet avec
Radomus , on y lit Veterem Domum , tresformellement
. In pago Rothomagensi , dit- il,
Regius fixus est , quem incola ob Palatii antiquitatem
Veterem- Domum nuncupant. Ce
qui suit est encore plus digne d'attention
, parce qu'il est plus décisif : Capella
Palatio contigua , beati Germani famosa
nomine , illustris et merito et signorum dote.
C'est dans le chap. 45. du premier Livre
des Miracles de S. Germain d'Auxerre
qu'Héric s'exprime ainsi : Tout cela sert
de préambule au récit d'une gué.ison miraculeuse
qui y arriva , et dont toute la
B Cour
2138 MERCURE DE FRANCE
Cour et les Principaux de tout le Royau
me , farent témoins, Heric n'auroit pas
inséré dans un Livre où il ne convient de
parler que de son Saint , les Miracles d'un
autre S. Germain . Ainsi l'Eglise ou Cha ~
pelle voisine du Palais de Normandic
étoit certainement sous l'invocation de
S. Germain , Evêque d'Auxerre. Or il se
trouve que PEglise de S. Germain , voisine
du vieux Rouen , sur la Riviere de
Bresle , n'est point et n'a jamais été sous
l'invocation de Saint Germain , Evêque
d'Auxerre , mais sous celle d'un autre
S. Germain , Evêque Régionnaire , Dif
ciple , à la verité , mais bien different du
grand Evêque d'Auxerre. Outre cela elle
est du Diocèse d'Amiens , parce qu'elle
est séparée du vieux Rouen par la Riviére
de Bresle .
Ceux qui souhaitent éclaircir ce fait
peuvent prendre la peine de lire la vie de
S. Germain , dit de Senard - Pont. Elle
fut imprimée in 12 en 1645. à Amiens,
où il y a une Paroisse de son nom , et des
puis elle l'a été dans le Recueil des Bollandistes
au 2 de May. L'Auteur parlanc
des courses Apostoliques de ce S. Evêque
, Ecossois d'origine , dit ce qui suit:
Crepidinem montis transgressus quod dicitur
Vetus-Rothomagum inter Aumaleum et Senardi
OCTOBRE. 1733 2139
mardi-Pontem , circa quem locum manebat
Hubadus idololatria cultor& c Ensuite il le
fait martirifer tout auprès de celieu - là , et
c'est là qu'en effet on retrouve encore son
tombeau Comme donc l'Eglise de S.Germain-
sur- Brêle , ne peut servir à la découverte
du Vetera-Domus , je pense qu'il
faut porter ses vûës d'un autre côté , et je
croi infiniment plus probable que ce seroit
le Vieux Manoir , ou Cailly , autres
Lieux qui sont du Diocèse de Rouen.
M.Clérot pourra nous informer si l'une
ou l'autre des deux Eglises , voisines du
titre de S.Germain , est sous l'invocation
de l'Evêque d'Auxerre ; et en ce cas la
découverte acquerra un nouveau dégré de
probabilité. J'avoue qu'il n'est pas necessaire
d'entendre par ces mots : Pagus Rothomagensis
, uniquement ce qu'on appelle
aujourd'hui le Païs Roumois Le Païs de
Caux étant du Diocèse de Roüen , peut
être compris sous cette signification . Tel
est l'usage que l'on faisoit souvent anciennement
du terme de Pagus. Mais il ne faut
pas non plus que M. Clérot se contente
de jetter la vue sur les Cartes de Normandie
, ou sur le Dictionnaire Universel
de la France ? Il pourroit également
trouver dans le Païs Roumois ou dans
celui qui est à gauche de la Seine, ce qu'il
Bij cher2140
MERCURE DE FRANCE
cherche à droite , et il n'est pas necessaire
que le Village s'appelle S.German , mais
il suffit que l'Eglise soit ou ait été sous
l'invocation de l'Evêque d'Auxerre , qui
a porté ce nom, Je juge qu'il ne lui sera
pas difficile d'en trouver de ce côté - là ,
puisque le seul Diocèse d'Evreux , qui est
contigu, en contient prés d'une vingtaine
sous le titre du même Saint, S'il en rencontre
dans une Terre Royale , la position
du Vetera, Domus sera d'autant plus
probable qu'il est plus vrai - semblable que
Charles- le-Chauve étoit très proche du
Diocèse de Lisieux , où reposoit le Corps
de S. Renobert , lorsqu'il marqua sa dévotion
envers ce Saint , et qu'il fit un
Traité avec Hérispoy , Prince de Breta
gne.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre écrite d'Auxerre à l'occasion des conjectures de M. Clérot, Avocat du Parlement de Roüen, sur l'ancien Palais Royal, appellé Vetera-Domus, inserées dans le Mercure de Juillet 1733.
L'auteur d'une lettre écrite à Auxerre commente les conjectures de M. Clérot, avocat au Parlement de Rouen, publiées dans le Mercure de France de 1733. Ces conjectures concernent l'ancien Palais Royal appelé Vetera-Domus. L'auteur apprécie la commodité des journaux qui permettent aux personnes éloignées de partager leurs pensées et a lui-même encouragé un historien à rechercher ce Palais Royal. Il ne peut rester indifférent aux conjectures de M. Clérot, bien qu'il estime que les remarques de ce dernier sur Rodomus et Vetus-Rodomus, bien que savantes, ne mènent pas à la découverte du Palais. Selon le moine Héric d'Auxerre, le Palais portait le nom de Veterem Domum, et non Vetera-Domus. L'auteur mentionne également une chapelle dédiée à Saint Germain, évêque d'Auxerre, adjacente au Palais. Cependant, l'église de Saint Germain sur Bresle est dédiée à un autre Saint Germain, évêque régionnaire. L'auteur suggère donc de chercher le Vetera-Domus ailleurs, peut-être à Cailly ou dans d'autres lieux du Diocèse de Rouen. Il invite M. Clérot à vérifier si une des églises voisines est dédiée à l'évêque d'Auxerre, ce qui renforcerait la probabilité de la découverte. L'auteur conclut en indiquant que le terme Pagus Rothomagensi peut inclure le Pays de Caux et que M. Clérot devrait explorer les diocèses voisins, comme celui d'Évreux, où plusieurs églises portent le nom de Saint Germain.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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4
p. 204-222
ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
Début :
POUR suivre l'ordre des matieres plutôt que celui du livre, nous passerons [...]
Mots clefs :
Théâtre, Palais royal, Architecture, Opéra, Édifices, Architecture, Loges, Musique, Spectacle, Musiciens
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
ARCHITECTURE.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
Suite des mémoires d'une Société de
gens
Lettres publiés en l'année 2355.
Po
de
OUR fuivre l'ordre des matieres plu-
τότ que celui du livre , nous pafferons
au cinquième mémoire qui traite d'architecture.
M. Gainfay y donne ſes réflexions fur
l'ancien bâtiment qu'on nomme le Palais
Royal. C'étoit autrefois la principale demeure
des Ducs d'Orléans , avant qu'ils
euffent bâti ce fuperbe édifice qu'ils habitent
maintenant au centre de la ville , &
qui eft un des plus beaux morceaux d'architecture
qu'il y ait en Europe. L'ancien
Palais royal n'eft plus qu'une de leurs maifons
de plaifance ; comme il a toujours
été entretenu avec foin , il fe trouve vraifemblablement
à peu- près dans l'état dans
lequel il a été conftruit. L'architecture en
eft affez belle , & fon caractere prouve fon
ancienneté. Il eft plus lourd & moins recherché
que le Louvre , & les autres bâtitimens
confidérables qui nous reftent de
ces tems ; cependant , comme ce goût eft
folide & bon en foi , on ne peut pas douSEPTEMBRE
. 1755. 205
ter qu'il ne faille remonter , pour en fixer
la date avant le dix-huitiéme fiécle , dans
lequel on voit par le peu qui nous en refte ,
qu'à la réferve de quelques édifices , le
goût étoit dégénéré , meſquin , irrégulier ,
& fouvent même extravagant.
M. Gainfay fait ici une digreffion pour
prouver qu'on doit attribuer la deftruction
de la plupart des édifices du dix- huitiéme
fiécle , à ce que dans les fiécles fuivans où
le bon goût s'eft rétabli , ils furent trouvés
peu dignes de refter fur pied , & comme
tels abattus, afin de ne laiffer aucune trace
de ce tems de délire , honteux à une nation
qui a toujours été en poffeffion de
donner les exemples du goût à fes voifins ;
quoiqu'il en foit de ce fentiment , il eft
certain que M. Gainfay ne le prouve pas
fans réplique , puiſqu'on peut auffi- bien
donner pour raifon de cette deftruction le
tems qui s'eft écoulé jufqu'à nous , & que
d'ailleurs il n'eft pas vraisemblable que les
propriétaires des palais ou maifons qui
nous auroient pû fervir à connoître le
goût d'architecture de ce fiécle , fe foient
prêtés à faire de tels facrifices à la gloire
de leur nation , fans quelque intérêt particulier.
De plus fi cela s'étoit fait par une
confpiration générale , il n'en feroit rien
refté du tout , au lieu qu'avec un peu de
-4
206 MERCURE DE FRANCE.
recherches on en retrouve affez pour donner
lieu à des conjectures plus étendues.
M. Gainfay remarque très- judicieuſement
qu'on ne peut point attribuer à ce
fiécle corrompu une conftruction auffi réguliere
que les deux grandes cours du Palais
royal , que l'architecture cependant
n'en étant pas fi épurée que celle du Louvre
, il y a lieu de croire qu'elle a précédé ,
& qu'elle eft du quinziéme fiécle , avant
qu'on eût entierement trouvé le point de
perfection , mais lorsqu'on en étoit fort
proche. On voit dans la feconde cour une
chofe finguliere. Les étages d'en haut nẻ
font pas femblables dans les deux aîles.
Un côté eft décoré de croifées quarrées ,
de vafes , & un peu en arriere d'un petit
mur percé de petites croifées , & traité de
maniere qu'il forme un attique agréable
& fort élégant : l'autre côté préfente une
balustrade ornée de vafes , mais il fe trouve
enfuite un étage de bois , dont le mur
eft incliné en arriere , fans qu'on puiffe
deviner ce qui a empêché de le mettre à
plomb. A- t - on crû qu'il en pût réſulter
quelque agrément à l'oeil ? Il ne paroît pas
poffible de le penfer. L'apparence de folidité
exige que tous les murs portent per
pendiculairement les uns fur les autres .
Eft- ce quelque raifon de commodité intéSEPTEMBRE.
1755. 207
"
rieure ? On ne ſçauroit la concevoir ; il
paroît au contraire que l'intérieur en eft
gâté , & qu'il eft plus difficile de s'approcher
de ces croifées fans fe heurter par
l'inclinaifon qu'elles ont en haut ; d'ailleurs
cela donne aux appartemens un air ignoble
en les faifant paroître des greniers lambriffés.
Voilà de ces obfcurités que l'ancienneté
ne nous permet pas de pénétrer
& fur lefquelles on ne peut fonder aucunes
conjectures raifonnables. On voit par
d'anciennes eftampes qui repréfentent cet
édifice , que le toît defcendoit juſqu'au
pied de cet étage , & qu'il n'y avoit que
des croifées éloignées les unes des autres ,
qui fervoient à éclairer les greniers. Ces
croifées avançant en faillie fur un pignon
très-élevé & fort pointu , étoient défectueufes
, & laiffoient voir trop de toît ,
ainfi il a été néceffaire d'en former un
étage ; mais le côté décoré en attique a
l'avantage d'avoir confervé les anciennes
fenêtres qui font d'un goût conforme
celui de tout l'édifice , au lieu que l'autre
eft dans un goût entierement différent.
M. Gainfay entre enfuite dans un examen
fort détaillé fur l'architecture d'une
cour qui eft fur le côté de ce Palais : nous
fupprimerons cette partie de fon difcours
à caufe de fa longueur , & nous renvoye208
MERCURE DE FRANCE.
rons fur ce fujet à l'original . On y trouve
ra une critique fort judicieufe mêlée d'éloges
, également bien fondés , de ce morceau
d'architecture .
Nous pafferons à une des falles de ce
Palais , que M. Gainfay nomme la falle
des concerts. Quelques Aureurs ont prétendu
qu'autrefois cette falle a été la falle
de l'Opéra de Paris . M. Gainfay prouve
que ce fentiment eft infoutenable . Premierement
, elle est beaucoup trop petite
pour avoir pû contenir les citoyens d'une
ville telle que Paris , même dans ces temslà
. On ne peut pas y fuppofer , quelque
peu confidérable qu'elle fut alors , moins
d'un million d'habitans , quoique ce foit
bien peu en comparaifon de ce qu'elle en
renferme aujourd'hui ; toujours eft- il certain
que dans cette fuppofition , quelque
bornée qu'elle foit , il a dû y avoir cent
mille perfonnes allant habituellement à
l'Opéra. A moins qu'on ne veuille croire ,
comme font ceux qui foutiennent ce fentiment
, que la mufique de ce tems étant
fort fimple, & n'étant proprement que nos
chants d'églife , avec quelques accompa
gnemens auffi uniformes , elle n'infpiroit
pas alors ces fenfations délicieufes qu'elle
nous fait éprouver maintenant qu'elle eſt
portée à fa perfection. Ils en concluent
SEPTEMBRE. 1755. 209
qu'on n'avoit pas alors pour elle ce goût
vif qui nous détermine fi fortement , que
malgré la grandeur de nos théatres & la
quantité que nous en avons dans prefque
tous les quartiers de la ville , ils font néanmoins
toujours remplis ; conféquemment
que très - peu de perfonnes alloient au
fpectacle ; qu'à la réferve d'un très - petit
nombre qui s'étant habitués d'enfance à
goûter cette mufique , y trouvoient quelque
beauté , prefque perfonne ne s'en foucioit.
Que les étrangers même ne la pouvant
fouffrir n'y alloient point. Quoiqu'on
ne puiffe pas entierement rejetter ces faits ,
puifque la mufique de ces tems-là qui eſt
parvenue jufqu'à nous , femble en faire
la preuve néanmoins , à quelque point
qu'on diminue la quantité de gens qui aimoient
ces fpectacles , il eft certain qu'on
ne peut la réduire , jufqu'à croire que
cette falle ait pû les contenir.
M. Gainfay tire fa feconde preuve de la
forme de cette falle . Elle eft fort étroite &
fort longue , ce qui eft contradictoire à la
forme effentielle d'un théatre qui doit être
de forme circulaire ou approchante du
cercle dans toute l'étendue de la falle où
font les fpectateurs . En effet , comment
concevoir qu'un architecte ait pu bâtir un
théatre dont la principale loge eft la plus
210 MERCURE DE FRANCE.
éloignée . Peut -on fuppofer qu'il ait ignoté
qu'une falle de théatre doit ( quelque for
me qu'on y donne ) s'ouvrir en largeur ,
plutôt que s'enfoncer en profondeur. Il eſt
vrai que dans celui - ci les côtés s'élargiffent
un peu en s'étendant vers la partie qu'on
prétend être le théatre , mais c'eſt de fi
peu de chofe que cela eft inutile , & ne
fert qu'à y donner une forme défagréable ,
La loge principale a toujours du être celle du
fond , puifque c'eft vis-à- vis d'elle & pour
elle , que fe fait toujours le jeu du théatre ;
dans cette fuppofition , celle- ci feroit trop
loin , & l'on n'y pourroit pas bien entendre
, d'autant plus que le fon feroit intercepté
en chemin par l'obftacle qu'y apporteroit
le petit murmure qui s'enfuit néceffairement
de l'interpofition de plufieurs
perfonnes qu'on ne peut empêcher de fe
parler quelquefois à l'oreille : car on
prétend qu'il y avoit des fpectateurs af
fis dans cette partie qui eft au-devant
& qu'on nomme l'amphithéatre . On ne
fçait pas fi en effet l'ufage étoit alors
de mettre à tous les théatres cette partie
qu'on veut nommer ici amphithéatre.
Nos théatres ne contiennent plus rien
de femblable. De plus il n'y a que cinq
loges dans cette petite partie circulaire ,
qui ayent été placées , finon pour bien
SEPTEMBRE. 1755. 211
entendre du moins pour bien voir. Les loges
qui s'étendent fur les aîles font encore
plus malheureufes ; fi elles font plus à portée
d'entendre , elles le font bien moins
de voir. Le rang de devant ne voit qu'en
s'avançant avec effort , & celui de derriere
ne peut rien voir , ou fört difficilement ,
& en fe levant ou fe penchant au hazard
de tomber fur le rang de devant . On ne
peut s'imaginer qu'on louât des places
pour être affis , & que cependant on fe
tînt de bout. Si l'on confidere la partie
qu'ils nomment le théatre , on verra par
fon peu d'ouverture , qu'il n'eft pas poffible
qu'on y ait pû donner un fpectacle
fur- tout avec des choeurs , & l'on fçait
que les François en ont toujours joint à
leurs Opéra ; il faudroit que les perfonnages
de ces choeurs fuffent rangés de maniere
que le premier cachât en partie le
fecond , & ainfi fucceffivement des autres
; ce qui ne produiroit point de fpectacle
, donneroit un air d'arrangement
apprêté , & détruiróit l'illufion qu'ils nous
doivent faire en fe plaçant par petits groupes
inégaux & naturels . De l'ordre proceffionnal
qu'il faut néceffairement leur fuppofer
ici , il s'enfuit que les derniers qui
font au fond ne pourroient ni voir ni entendre
le claveffin. Comment pourroient-
›
1
212 MERCURE DE FRANCE.
ils donc fuivre une mefure exacte ? Quelques-
uns ont avancé ſur ce fujet une abfurdité
ridicule , ils ont prétendu qu'il y
avoit derriere les derniers de ces choeurs
des Muficiens qui les régloient en battant
la meſure avec des bâtons . Comment peuton
s'imaginer qu'on pût fouffrir un bruit
auffi indécent , tandis que les oreilles délicates
ont peine à fupporter celui que
fait le Muficien lorfqu'il touche fortement
le claveffin pour remettre quelqu'un
dans la´meſure ; ce qui eft extrêmement
rare , puifqu'on ne fouffre perfonne fur
nos théatres qui ne fçache très-bien la mufique
, du moins quant à la meſure . L'ouverture
de ce qu'ils appellent ici théatre ,
eft tellement étroite , qu'on ne peut pas
fuppofer qu'elle ait encore été divifée
en plufieurs parties , ainfi qu'il eft néceffaire
pour les à parte , dont les anciennes
piéces font remplies : Pouvons - nous
penfer qu'on ait négligé de l'illufion , &
choqué la vraiſemblance , au point de faire
dire ou chanter dans le même lieu des
paroles qu'un acteur préfent eft fuppofé
ne pas entendre , il a fallu du moins qu'il
y eut entre ces acteurs un obftacle , ou réel
ou en peinture , qui donnât lieu de croire
qu'ils pouvoient parler fans être entendus
que du fpectateur : mais où eft ici l'efpace
SEPTEM BRE. 1755. 213
néceffaire pour introduire ces obſtacles ?
Quelles fortes de décorations peut - on fuppofer
avoir été faites dans un lieu fi borné
on n'y peut imaginer qu'une fuite de
chaffis fort étroits fur lefquels on ne pourroit
rien peindre que les bords des objets
encore faudroit- il bien les mettre de fuite,
& que l'un ne débordât l'autre qu'autant
que la perfpective le permet , ce qui produiroit
néceffairement une ennuyeufe uniformité.
Point de ces fuyans fur les côtés ,
qui font des effets fi agréables fur nos
théatres. Point de ces chaffis avancés audedans
de la fcéne , & découpés de maniere
à laiffer voir par leurs ouvertures les
côtés qui continuent de fuir , & les toiles
qui fervent de .fond . Ici tout doit être
terminé par une feule toile. Une pareille
décoration ne feroit propre qu'à
repréſenter une rue étroite & fort longue ;
cependant on fçait qu'alors la peinture
brilloit en France , le plaifir qu'elle y caufoit
par fon excellence , a dû néceffairement
engager à faire de grands théatres
pour donner aux Peintres un lieu propre
à montrer l'étendue de leur génie , & pour
profiter du plaifir que caufe l'illufion
produite par les effets de ce bel art . On
fçait encore que les anciens François introduifoient
la danfe dans leurs Opéra.
214 MERCURE DE FRANCE.
Dans les piéces qui nous reftent d'eux , on
voit même qu'ils la lioient à l'action ,
quelquefois bien , le plus fouvent mal-àpropos
, quoique peut- être eût- il mieux
valu la renvoyer aux entr'actes , que de
forcer la vraisemblance , & la raiſon pour
la coudre à la piéce. Quoiqu'il en foit , il
paroît qu'ils avoient des ballets , & même
des ballets figurés, & repréſentans un fujer :
or , comment veut- on qu'on ait pû exécuter
de tels ballets dans un fi petit eſpace : Il y
auroit eû une confufion infupportable ,
ceux de devant auroient caché ceux de
derriere , tellement qu'on n'en auroit pas
pû voir nettement le deffein : D'ailleurs ,
il n'y pourroit pas tenir affez de danfeurs ,
même en fe touchant à rout inftant les
uns les autres pour former un ballet compofé
avec quelque génie. Il faudroit fuppofer
que la danfe alors ne fût que de
deux , trois , ou quatre perfonnes qui auroient
danfé enfemble , & par conféquent
très-breve : car un fi petit nombre de danfeurs
qui figureroient enſemble , ne pourroient
, s'ils danfoient long- tems , s'empêcher
de retomber dans les mêmes pas ,
& de répéter les mêmes, figures , ce qui
deviendroit ennuyeux , quelques excellens
qu'ils fuffent.
Cependant , en mefurant le tems que
SEPTEMBRE. 1755. 215
duroient leurs Opéra , qu'on fçait avoir
été , ainfi que de notre tems , d'environ
trois heures , on ne trouve pas que la mufique
en ait pû employer plus de la moitié
, encore en fuppofant qu'elle ait été
chantée d'une lenteur exceffive , le refte
doit avoir été occupé par la danſe .
Le parterre de cette falle eft d'une profondeur
dont on ne peut concevoir l'uſage
, fi la fuppofition que ce fût une falle
de théatre avoit lieu , les perfonnes affifes
aux trois où quatre premiers rangs n'auroient
rien vû que ce qui fe feroit paffé
au bord de la fcene , & auroient affez mal
entendu , quoique proche , parce que le
fon auroit paffé par- deffus leurs têtes . Suppoferoit-
on qu'ils euffent été de bout , &
peut-on croire que quelqu'un eût pû refter
dans une pofture fi fatigante durant
trois heures , expofé à la foule & au mouvement
tumultueux que caufe toujours un
nombre de perfonnes dans un lieu refferré,
pour entendre une mufique peu divertif
fante. On ne pourroit dans ce cas penfer
autre chofe , finon que ce lieu auroit été
abandonné à la livrée . M. Gainfay obſerve
encore que la décoration de cette falle
qui n'eft ornée d'aucune architecture , paroît
peu digne d'avoir été le lieu de fpectacle
d'une grande ville, Pas une colonne ,
216 MERCURE DE FRANCE.
pas même un feul pilaftre ! Trois petits
rangs de loges écrafées & foutenues par
des poteaux étroits , y font voir une économie
de terrein peu convénable dans un
édifice de cette importance . L'égalité de
ces deux rangs de loges n'annonce pas
plus de dignité dans ceux qui doivent occuper
le rang d'enbas que dans ceux qui
font au-deffus , & d'ailleurs c'eft un défaut
de goût dans un lieu qu'on auroit prétendu
décorer pour le public : car un des premiers
principes du goût eft d'éviter l'égalité
dans les principales maffes d'un édifice
, & d'y trouver toujours quelques parties
dominantes.
-
Il eft d'autant moins à croire que les
anciens François ayent conſtruit un théatre
femblable, qu'on fçait que dès ce temslà
tous les artiſtes , tant les Peintres que les
Muficiens voyageoient dans leur jeuneffe
en Italie pour fe former le goût : Or , il
eft impoffible qu'ils n'ayent pas vû le théatre
antique de Palladio qui eft vraiment
le modele d'un théatre parfait , foit pour
la commodité , foit pour la magnificence
de la décoration . C'eft de ce refpectable
monument que nous avons tité la perfection
que nous avons donnée à nos théatres
modernes ; à la vérité il n'eft pas poffible
de conftruire un théatre de telle
maniere
SEPTEMBRE . 1755. 217
maniere que tout le monde y foit également
bien placé. Néceffairement il y a
quelques loges ou autres places où l'on eft
forcé de regarder de côté , mais il n'eft
aucun plan qui remédie auffi- bien aux
inconvéniens , & qui place autant de perfonnes
avec avantage que celui de cet admirable
édifice antique ; il eft vrai que la
façade du théatre qui coupe cet ovale dans
fon plus grand diamétre , gâte la forme
totale de cet édifice , & le fait paroître à
demi - fait ; mais il eft aifé de fuppléer à ce
défaut comme nous avons fait dans nos
théatres modernes, C'eft de cet antique
que nous avons appris à décorer nos théatres
de cette belle colonnade qui y fait un
effet fi noble. M. Gainfay ne fçauroit fe
réfoudre à croire que les théatres des anciens
François ayent pû fe paffer d'un
ornement auffi magnifique qu'une colonnade
circulaire , & qui lui paroît y être
fi effentiellement néceffaire. Il faut le lire
pour concevoir avec quelle éloquence il
fait fentir la noble richeffe de cette décoration
; & en effet , il eft difficile d'imaginer
qu'on ait prétendu rendre un lieu
digne d'y recevoir le public & les étrangers
, fans l'enrichir de colonnes , ornement
le plus magnifique que l'architecture
ait jamais inventé.
K
21S MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay ajoute une réflexion qui paroît
évidente . Quand il feroit poffible ,
dit-il , que les François euffent rejetté cet
exemple de Palladio par le défaut de fçavoir
comment remédier au defagrément
de fon avant-fcene : du moins ils auroient
fuivis les théatres ordinaires de l'Italie ,
qui , quoique très- défectueux à bien des
égards , avoient , & plus de grandeur , &
une forme plus rélative à leur deftination ,
que celui qu'on nous propofe ici comme
ayant été le principal theatre d'une ville
telle que Paris. Les reftes de celui d'Argentina
à Rome , & de quelques autres en
Italie nous en offrent la preuve. La forme
en eft defagréable , parce que leur plan
reffemble à une raquette , ou à un oeuf
tronqué , & qu'elle produit plufieurs loges
, où il n'y a abfolument que le premier
rang qui puiffe voir & entendre. La décoration
eft de mauvais goût en ce que
toutes les loges , dont il y a fix rangs les uns
fur les autres , font égales , & femblent des
enfoncemens pratiqués dans des murs de
catacombes. La principale loge qu'on a prétendu
décorer , eſt toujours écrasée rélati-
-vement à fa largeur . L'économie d'eſpace
qui n'a permis de prendre que deux loges
pour fa hauteur , a empêché de lui donner
l'exhauffement qui lui convenoit.
SEPTEMBRE 1755, 219
Néamoins , ces théatres ont un air de
grandeur, même dans les plus petites villes ,
d'où M. Gainfay conclut , qu'on ne peut
pas fuppofer que les François ayent fuivi
un auffi mauvais plan que celui qu'on expofe
ici comme le théatre principal de Paris
, & qu'ayant fous les yeux ces modeles
, certainement ils ont donné à ces monumens
publics la dignité qui leur convient
; par conféquent on ne doit pas croire
que cette falle ait été un théatre. Il paroît
qu'on ne peut réfifter à l'évidence de fes
preuves. La derniere objection qu'il fait ,
eft abfolument décifive . On ne voit autour
de cette falle aucun portique , ce qui eft.
fi néceffaire à un théatre , qu'il feroit impoffible
qu'on en fortit , quelque petit
qu'il fût , fans courir à tout inftant rifque
de la vie. L'embarras que caufe la quantité
des équipages à la fortie des fpectacles
, a toujours rendu ces portiques d'une
néceffité indifpenfable , pour donner lieu
aux gens à pied de s'échapper par différens
chemins. Il remarque encore qu'il n'y
a qu'une feule porte d'une grandeur un
peu raifonnable , & qu'il feroit infenfé de
croire qu'on eût donné dans un pareil lieu
des fpectacles , où l'on emploie fouvent le
feu , & qui font fréquemment exposés au
hazard d'un incendie .
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
M. Gainfay paffe à l'explication de ce
qu'on doit penfer de cette falle . C'étoit ,
dit-il , la falle des concerts particuliers des
Princes de la Maiſon d'Orléans. La partie
qu'on a prétendu être un Amphitheatre ,
étoit le lieu où fe plaçoient les Muficiens.
Au commencement il n'y avoit point toutes
ces loges qui l'entourent maintenant ;
mais cette grande maifon s'étant augmentée
dans le dix-neuviéme fiécle , on fut
obligé de les conftruire pour y placer tous
les Officiers de cette maifon qui obrenoient
la faveur de pouvoir entendre des
concerts , où tout ce qu'il y avoit de plus
excellens chanteurs , tant Italiens que François
, exécutoient la plus belle mufique
connue dans ces tems- là. Dans la partie
qu'on prétend avoir été le théatre , étoit
placée une magnifique tribune , qui a été
détruite depuis ; ce lieu étant devenu inutile
lorfque ces Princes ont ceffé d'y demeurer.
On ne peut pas douter que cette
tribune n'ait été décorée de colonnes de
la plus belle architecture , les pilaftres de
fer travaillés , qu'on voit encore aux deux
côtés , en font une continuation fimple ,
& comme pour fervir de tranfition d'un
lieu magnifique aux loges deftinées pour
les Officiers de la maifon. La partie qui
eft au pied de cette tribune en enfonceSEPTEMBRE.
1755. 221
le
ment , & qu'on dit être l'orchestre des.
Muficiens de l'Opéra , eft proprement
lieu où fe plaçoient les Officiers dont les
Princes pouvoient avoir befoin le plus
fréquemment , afin d'être à portée de recevoir
immédiatement leurs ordres ; &
ce qu'on a nommé le parterre étoit le lieu
où le mettoit le plus bas domeftique , où
on avoit conftruit une rampe douce , afin
que ceux qui étoient les plus proches de
la tribune principale , ne puffent point incommoder.
Il pourroît paroître que ceux
qui étoient les derniers , étoient mal placés
pour voir , parce que ceux qui étoient
devant eux , étoient plus élevés ; mais il
faut confidérer qu'il n'eft queſtion ici que
d'entendre un concert , où les principaux
chanteurs fe mettent toujours fur le devant
de l'appui qui les fépare des auditeurs
, & que cet appui eft fort élevé audeffus
de l'auditoire ; mais ce qui confirme
& donne la derniere évidence à ce
qu'avance M. Gainfay dans ce mémoire ,
c'eft qu'il en déduit une raiſon fimple &
claire de l'evafement de cette falle en venant
vers la tribune, qui dans toute autre fuppofition
paroît fans fondement ; il confidere
l'amphithéatre , & qui eft véritablement
l'Orcheftre , comme un centre d'où partent
des rayons de fon ; fi les murs étoient pa-
1
K iij
222 MERCURE DE FRANCE.
ralleles , ces rayons les heurteroient fous
des angles qui pourroient les réfléchir , en
intercepter une partie rélativement à la
tribune principale , pour laquelle toute
cette falle eft conftruite , & par leur réflection
produire une cacophonie qui eft
l'effet naturel de toute voix réfléchie. Cette
douce inclinaiſon n'oppoſe pas un obftacle
affez direct pour brifer ces rayons ,
elle les oblige feulement à gliffer par un
angle très-obtus , & à fe réunir vers la tribune
pour y produire un plus grand effet
d'harmonie . Si elle étoit plus évafée , elle
fuivroit la direction droite du fon , & n'en
augmenteroit pas la force ; il ne faut pas
s'embarraffer des loges qui y font un
obftacle ; parce qu'elles n'y ont été miles
qu'après coup, & qu'elles ne doivent point
être reprochées à l'Architecte ingénieux ,
qui a imaginé cette forme très- propre
fon but. Il eft fâcheux que cette tribune
ait été détruite ; par elle nous aurions
juger s'il avoit autant de goût que de bon
fens .
C'eſt ainfi que M. Gainfay explique ce
qui nous refte de la falle des concerts du
Palais royal. Il eft difficile , après l'avoir
lû dans l'original , de réfiſter à la force de
fes preuves.
La fuite an Mercure fuivant.
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Résumé : ARCHITECTURE. Suite des mémoires d'une Société de gens de Lettres publiés en l'année 2355.
Le texte est un extrait des mémoires d'une Société de gens de lettres, publié en 2355, qui traite de l'architecture, en particulier du Palais Royal. M. Gainfay analyse l'ancien bâtiment du Palais Royal, autrefois la principale demeure des Ducs d'Orléans, avant qu'ils ne construisent un nouvel édifice au centre de la ville. Cet ancien palais, bien entretenu, conserve son état d'origine et présente une architecture belle et solide, typique du quinzième siècle. L'auteur note que le goût architectural de cette époque est plus lourd et moins recherché que celui du Louvre, mais reste solide et bon. M. Gainfay discute également de la destruction des édifices du dix-huitième siècle, attribuée au mauvais goût de cette période. Il remarque que les deux grandes cours du Palais Royal montrent une construction régulière, précédant le point de perfection atteint au quinzième siècle. Il observe des différences architecturales entre les deux ailes de la seconde cour, sans pouvoir en expliquer les raisons. Le texte mentionne une salle du Palais Royal, appelée la salle des concerts, que certains auteurs ont prétendu être l'ancien Opéra de Paris. M. Gainfay réfute cette idée en soulignant que la salle est trop petite pour avoir accueilli un grand public et que sa forme étroite et longue est incompatible avec les exigences d'un théâtre. Il critique également l'agencement des loges et la disposition des choeurs, rendant improbable l'utilisation de cette salle pour des spectacles d'opéra. M. Gainfay observe que les anciens Français, connaissant les théâtres antiques italiens et le modèle de Palladio, n'auraient pas construit un théâtre aussi défectueux. Il compare ce théâtre à ceux d'Italie, qui, malgré leurs défauts, avaient plus de grandeur et une forme plus adaptée à leur fonction. La salle en question ne possède pas de portique, élément nécessaire pour la sécurité lors des sorties des spectacles. M. Gainfay conclut que cette salle était en réalité la salle des concerts particuliers des Princes de la Maison d'Orléans. La partie prétendue être un amphithéâtre était le lieu des musiciens. Les loges actuelles ont été ajoutées plus tard pour les officiers de la maison. La tribune, aujourd'hui détruite, était décorée de colonnes et de pilastres. La salle était conçue pour optimiser l'acoustique et la visibilité des concerts.
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