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1
p. 14-81
DE L'ORIGINE DE LA SEPULTURE, DES TOMBEAUX, Et du temps que l'on a brûlé les Corps.
Début :
Comme la Vie est le premire principe des Hommes ; de mesme [...]
Mots clefs :
Corps, Sépulture, Monuments, Sépulcre, Tombeaux, Égyptiens, Romains, Bible, Empereur, Prince, Marbre, Funérailles, Ossements, Coutumes, Juifs, Mausolée, Ensevelissement, Momies, Inscriptions, Défunts, Vénération, Richesses
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texteReconnaissance textuelle : DE L'ORIGINE DE LA SEPULTURE, DES TOMBEAUX, Et du temps que l'on a brûlé les Corps.
DE L'ORIGINE
DE LA
SEPULTURE,
DES TOMBEAUX ,
Et du temps que l'on a brûlé
les Corps
.
C
Omme la Vie eſt le premier
principe des Hommes
; de mefme la Mort eft leur
dermer terme . C'eſt d'où vient
que le Droit de la Sepulture eft
fi ancien , que peu apres la
création du Monde , & la chûte
de nôtre premier Pere , il a eſté
introduit & mis en ufage . Dieu
du Mercure Galant.
15
dit au premier Homme apres fon
peché qu'il étoit poudre, & qu'il retourneroit
enpoudre , parce qu'apres
la mort les corps des Hommes
doivent eftre mis dans la Terre,
comme dans le fein de leur commune
Mere , d'où ils ont efté tirez
en leur naiffance .
Mais avant que de parler des
Tombeaux , de la Sepulture , &
de l'ufage que les Anciens y ont
obſervé , il eſt à propos de dire
que l'origine en a prefque commencé
avec le Monde , & que
les premiers Hommes ont enfévely
les Corps des Défunts .
C'est un foin & une pieté qui
s'eft pratiquée comme par une
Loy , que la Nature mefme avoit
impofée. L'exemple en a paffé
chez la Pofterité , & le foin des
>
16
Extraordinaire
Funerailles a efté en fuite religieufement
étably & obfervé.
Mais fur tout on doit dire qu'Adam
& Noë ont efté les premiers
qui ayent fait ouverture
de la Terre pour y ensevelir les
corps , n'y ayant eu perfonne qui
ait en leurs deux temps précédé
l'un ny l'autre.
Abel , comme rapporte Jofephe
liv. 1. Chapitre 3. de fes
Antiquitez Judaïques , à l'âge de
129. ans fut la premiere Victime
de la mort , & reçût un ſi mauvais
traitement de Cain fon frere
, que ce Barbare apres luy
avoir arraché la vie , en cacha
le corps dans les haliers , pour
ne luy pas donner la Sepulture,
exerçant encore une nouvelle
cruauté fur fon Frere
apres
fa
du Mercure Galant.
17
mort. Mais Eliphas Themanite
dit , que Cain apres un meurtre
fi fanglant , devint vagabond &
comme furieux , ayant toûjours
devant les yeux l'image de fon
crime ; qu'il ne fe retiroit que
dans les Cavernes & les Foreſts
comme une Beſte , & que Dieu
fulmina contre luy un decret,
par lequel il fut ordonné qu'il
perdroit la vie par le fer , &
qu'il deviendroit la proye des
Vautours & des Animaux fauvages
, ainlì que les Septante ont
interpreté le paffage de Job fur
ce ſujet Chapitre 15. verf. 22. &
comme Olimpiodore l'a expliqué
. Voila les termes de ce decret
; Hominem impium decretum ,
ait , effe à Deo in manus ferri , &
ordinatum in efcas vulturum . Ce qui
Q. deJanvier 1685. B
18 Extraordinaire
à la verité fut jugé une punition
rigoureuſe , mais digne de l'im..
pieté de ce Parricide .
.
Adam touché au vif de la
mort d'Abel fon fils , en fit chercher
le corps , & apres plufieurs .
jours de deuil , de larmes & de
foûpirs , prit le foin de l'inhu .
mer avec beaucoup de pompe,.
& luy erigea un Monument qui
devoit fervir à luy mefme ,
& à fes autres enfans .. L'on :
tient communément que ce nefut
pas loin de Sion . Voila la
premiere Sepulture & le pre.
mier Tombeau , auquel ce Pere
affligé ajoûta encore une belle
Epitaphe , conceuë en ces paroles.
Quis tantus de hoc loco , tamque
fonorus clamor ? Rogas Viator ?
adhuc inauditum tibi parricidium,
du Mercure Galant.
19
& c . Salien la rapporte en l'année
du Monde
130.
La privation de la Sepulture .
avoit quelque chofe d horrible.-
Ce fut toutefois de cette melme.
peine la plus barbare de toutes ,
que les Egyptiens traiterent les
Hebreux fous Pharaon leur Roy;
car apres avoir miferablement
porté le joug de fa tyrannie , &
un long & rude efclavages , ils
en jettoient les Corps dans les
Champs fans les enfevelir , & ne
permirent pas mefme de mettre
de la pouffiere deffus , ny de ré
pandre des larmes apres leur
mort ; mais Dieu vangea bien
cette barbarie , felon que le remarque
Philon Juif en la vie de :
Moyle.
La fainte Ecriture nous fait :
B. ij
20 Extraordinaire
connoiſtre, aux Nombres Chapitre
16. verf. 34. que Dieu mefme
a voulu quelquefois que les
impies , en vangeance de leurs
crimes , ayent efté privez de la
Sepulture en diverfes manieres ,
ou eftant engloutis tout vifs dans
les entrailles de la Terre, comme
il est arrivé à Coré , Datham &
Abiron , ou eftant confumez du
feu du Ciel , fans qu'il foit refté
la moindre partie de leurs corps
pour
eftre mife dans la Sepulture
, comme le mefme Jofephe &
Philon le rapportent .
Ce fut là une effroyable vangeance
, & un terrible Monument
, quand cinq fameuſes Villes
furent entierement confumées
du feu du Ciel avec tous
leurs Habitans , à l'exception de
du Mercure Galant, 21
Loth & de fa Famille , encore
fon Epouſe par fa faute fut- elle
changée en fa propre Image ; &
quand Sodome & Gomorrhe du
nombre de Pentapolis devinrent
une vafte Mer de fouphre & de
bitume , pour punir les crimes
de ceux qui les habitoient . Les
Hiftoriens en feront toûjours
mention , & la pofterité en parlera
à jamais .
5.
C'eft de là auffi qu'eft venu
ce fameux Lac appellé Afphaltide
, ou cette Mer morte , dont
Joſephe liv.
&
4.
de la Guerre
de Juifs , & Hegefippe liv.
14. Chapitre 18. recitent tant de
merveilles , & apres eux Ariftote
& Strabon , & plufieurs autres.
Mais revenons à Adam & å
12 Extraordinaire
Noë , dont nous avons parlé cy--
devant. Noë , ce grand Patriarche
, averty de Dieu qu'il euft à
baftir l'Arche , pour ſe garantir
luy & fa famille des eaux du Dé .
luge univerfel , femble avoir donné
à tous les hommes qui devoient
venir apres luy , une idée
de la Sepulture & des Tombeaux
, car comme dit Orohoaita ,
le plus fçavant & le plus fameux
de tous les Auteurs Syriens , liv. 1 .
du Paradis Terreftre , Partie 1 .
Chapitre 14. & la Bibliotheque -
des Pères , Chapitre 1. il convertit:
cette mefme Arche en un
Tombeau , & par une pieté infigne
envers les Vivans & les
Morts , en s'y retirant , emporta
avec foy les offemens d'Adam ,
qui avoient eſté tirez du Sepul2-
*
du Mercure Galant
23
1
S
3
chre d'Abel , & apres en efte
forty fain & fauf avec fa Famille ,
il en retira les, mefmes offemens.
d'Adam , qu'il avoit gardez com.
me un dépoft , & les partagea cn--
tre fes Fils avec les Parties de la
Terre , & dans la divifion qu'il
en fit , il donna à Sem qui eftoit
l'aifné , le Crane , & la Region
pour habiter , qui depuis a efté:
dire la Judée.
On tient communement que
le Mont - Calvaire eft le lieu où
le Crané d'Adam a efté enfevely
par ce mefme Sem, & en fui .
te le reste de fes autres offemens,
& que cette Montagne a pris
fon nom de cette Sepulture . C'eft:
une ancienne Tradition , qui a
duré chez les Syriens , dit le
mefme Orohoaita , & qui y dure
encore..
24
Extraordinaire
Mais il ne faut pas s'étonner,
fi ces chofes font paffées fous fi.
lence dans les Livres de Moyfe ;
& que ne faifant mention que
de la Creation du Monde , de
la Chûte du premier Homme ,
& de la Propagation du Genre
Humain , il ne rapporte rien du
premier Age du Monde . L'Auteur
de la précédente opinion a
receu comme par Tradition des
plus anciens Syriens , ce qu'il en
a écrit , & que les Juifs tiennent
de luy.
Saint Epiphane fur la fin de
fon Livre , parle ouvertement de
cette Divifion de tout le Monde
entre les Fils de Noë , & affure
que la Paleſtine , dans laquelle
la Judée eft compriſe , eftoit
tombée au fort de Sem , quoy
qu'il
du Mercure Galant. 25
qu'il foit arrivé en fuite que
les
defcendans de Cham s'en foient
emparez par violence . C'eſt enfin
le fentiment de tous les Peres
, que les os d'Adam ont efté
portez apres le Déluge en la
Paleftine , où ils ont efté enfevelis.
C'est ce que confirme
Torniollus année 930. de fes Annales
Saintes , & Salien en la
mefme année.
Comme il n'y a pas à douter
de la pieté de Noë envers les os
d'Adam felon que faint Bafile
fur Ifaye Chapitre 5. & Theo.
phylacte fur Jonas Chapitre 19.
le remarquent , on doit dire auffi
que
le foin charitable de la Sepulcure
, des Funérailles
Tombeaux , & du Miniftere qui
s'y obferve , a pris fon origine
2. deJanvier 1685.
C
des
26 Extraordinaire
d'Adam , & poftérieurement de
Noë , qu'il s'eftétendu en fuite
à toute la Poftérité , & qu'il a
enfin obtenu la force d'une Loy
inviolable. D
La Tradition des anciens Juifs
cft d'une grande authorité pour
perfuader que les offemens d'A
dam ont efté enfevelis en Hebron
, comme faint Hierômé le
répete plufieurs fois , & la plus
grande partie des Peres le tiennent
auffi , & fur tout dans le
lieu du Calvaire , la Paleftine ,
la Judée & Hebron eſtant preſque
la mefme chofe ; tous lefquels
Peres Malveda cite en fon
Livre du Paradis Terreftre, chapitre
54. & 55.
A l'égard de la Sepulture chez
les Anciens Hebreux , ne rapdu
Mercure Galant. 27
1
7
porte. t'on pas qu'Abraham par
une révelation divine , entre les
Actions les plus confidérables,
avoit une grande vénération
pour ce dernier devoir que l'on
rend aux Défunts ? Car quand il
eut perdu Sara fa chere Epoufe,
n'acheta t'il pas par quatre cens
Sicles d'argent le Champ nommé
Ephron , pour y porter le
Corps de la Défunte? Ce fut par
la le premier qui dedia une choi
fe profane à l'ufage picux & facré
de la Sepulture , comme le
dit la Genefe Chapitre 23 .
A
23.
Mais felon le fentiment de
faint Chryfoftome Homelie
ce qui eft de plus confidérable ,
ce grand Patriarche ne s'eftoit
rien acquis par aucun prix d'argent
avant. ce Champ & cette
Cij
28
Extraordinaire
Sepulture , pour n'avoir rien devant
les yeux ou dans l'efprit de
plus prefent que le Tombeau;
& ce mefme Saint le loue pour
fon extréme pieté d'avoir pris
tant de foin de la Sepulture , tant
pour luy que pour les fiens .
Ce n'eft pas encore affez pour
Abraham d'avoir religieuſe..
ment pourvû à la Sepulture de
Sara mais il s'eft porté à la
Pompe des Funérailles , qu'il vou
lut y eftre obſervée , avec des
larmes & des plaintes ; ce que
Moïse exprime en la Geneſe Cha
pitre 23. par des termes dignes
d'un fi grand Perfonnage , mef
me apres avoir rendu les der
niers devoirs aux Manes de fon
Epouſe , il pria les Hethéens
d'avoir le mefme foin de fa Sedu
Mercure Galant.
29
car
pulture , & de ne luy pas denier
ce droit d'humanité , fitoft
qu'il auroit rendu l'ame
le deuil & les plaintes ne défignent
pas feulement les larmes .
& les foupirs , que les vifs reffentimens
de la douleur tirent
du coeur & des yeux , mais tout
ce qui peut regarder les Fune.
railles & leur Pompe.
Moyle remarque que les fentimens
de douleur , & la magni.
ficence de la Pompe funebre ne
furent pas moindres en la mort :
de Jacob; auffi Patriarche, & pe--
tit fils d'Abraham , qu'ils avoient
eſté en la mort d'Abraham meſ
me ; & ce Jacob pere de Jofeph,.
ne regretta pas moins la privation
de la Sepulture de fon Fils ,
C iij
39
Extraordinaire
que la mort pitoyable & funeſte
de ce mefme Fils , laquelle fes
Freres avoient annoncé à leur
Pere eftre
malheureuſement arrivée
, pour avoir efté devoré
des Beftes fauvages ; tant le foin
de la Sepulture eftoit recommandable
chez les anciens Hé
breux . C'est ce que remarque
Philon Juif. En effet , cet Auteur
fait une peinture trifte &
lugubre de Jacob affligé pour la
mort de ce Jofeph. Les termes
en arracheroient de la tendreffe
des coeurs les plus infenfibles , &
feroient couler les larmes des
yeux des plus endurcis.
C'eft de là auffi que ces Saints
Patriarches , comme la fainte
Ecriture l'enfeigne , Genele Chapitre
35. prenoient foin d'elever
du Mercure Galant.
3F .
des Pyramides fur les Sepulcres
des leurs . Jacobce Saint Per
fonnage , comme dit Brochard
en la Defcription de la Terre
Sainte , fit ériger fur le Sepulcre
de Rachel fon Epoufe , une Pyq
ramide d'un excellent Ouvrage,
au pied de laquelle & tout au
tour il en fit placer douze autres
un peu moindres , felon le
nombre de fes Enfans, tant pour
rendre ces Monument illuftre a
la pofterité , que pour marquer
L'efperance de la Refurrection &
de la Vie immortelle , commer
témoigne.de -Lyra parlant de ce
Patriarche .
La Geneſe Chapitre 5o.net
nous reniet - elle pas en memoi
re quelle Pompe funebre ce mef
me Jacob reçût en Egypte apres
Ciiij
32
Extraordinaires
y eftre mort Son Corps fut
honoré d'un fuperbe & magni
fique appareil , & auffi éclatant
que fi c'euft efté celuy d'un Roy,
& les mefmes honneurs furent
pareillement rendus à Joſeph ſon
fils Intendant de l'Egypte , apres
fon trépas.
Saint Ambroife eftime que la
couftume de faire des Obfeques.
eft venue des anciens Hebreux;
car Jacob fut regretté pendant
40. jours , & Moyfe durant 30 .
Cette couftume s'eft diverſe.
ment introduite chez les Nations
poſterieures , comme la fuite le
fera remarquer.
Mais entendons ce que dit
Ciceron fur le foin de la Sepulä
ture. Ce foin , dit - il , marque l'ef
poir de l'Immortalité. Car pourquoy
du Mercure Galant.
33
P
•
s'attacherfifort &fi naturellement
la Sepulture , s'il ne s'enfuit la réi
nion du Corps avec fon Ame , &
que la mort ne foit un paſſage à une
meilleure vie ? A quoy fervent ces
grands Monumens * ces Sepulcres
magnifiques ces Epitaphes , & ces
préparatifs de Pompe funebre ,
Aut
fi ce n'est une esperance de l'avenir
? Voila des termes qui ne fentent
pas le Pyen , mais un ef
prit, éclairé des lumieres de la
Foy. og
Les anciens Hebreux avoient
des Sepulchres particuliers aux
Familles , & d'autres communs
aux Estrangers , qu'ils appelloient
, Polyandria , comme vou,
lant dire que ces Monumens
eftoient pour un grand nombre
de Corps eufemble , ainfi que le :
34
«Extraordinaire
"
mot le fignifie , & c'eftoit où les
Perfonnes inconnues eftoient enfévelies
.
Les Egyptiens rendoient un
culte & une veneration fingu
liere aux Corps des Défunts ,
comme aux organes de leurs
Ames, qu'ils croyoient , ainly que
dit Herodote Livre 1 , immortelles.
A ce fujet , ils prenoient un
grand foin de les embaumer , &
de les munir de quantité d'o
deurs & d'aromats , pour leur
donner beaucoup de fuavité , &
les garantir à mefme temps de
la corruption. Ils employoient
à ce foin jufques à 40. & 50. jours,
& d'avantage s'il eftoit neceffai
re , comme on le voit en la Ge
nefe , & dans Diodore le Sici
lien Livre 1. Chapitre 2. Mais on
du Mercure Galant.
35
trouve deux manieres de faire
ces Embaumemens .
Caffien , Colloque 15. Chapitre
3. explique d'où peut venir
que les Egyptiens prenoient un
fi grand foin d'embaumer leš
Corps , & de les mettre en des
lieux élevez pour les conferver
avec plus de feureté .
·
La nature de l'Egypte eft telle
, dit il , que la plus grande
partie de la Terre eft inondée
des eaux du Nil , qui fe dégor
ge & couvre les Campagnes tous
les ans , & pendant un aſſez
long intervalle de temps , y laiffant
un limon & une vafe pourriffante.
Alors les Egyptiens font
contraints de mettre ces Corps
ainfi embaumez & liez fortement
de bandes , dans les, lieux
1
36 Extraordinaire
les plus hauts & loin de l'humi
dité. Ces lieux font ordinairement
les Montagnes , où ils les
enfoüiffent dans le fable , ou des
Roches taillées , en forte qu'ils
y font des Cellules
propres à
enfevelir les Corps . Ils les met
tent auffi en de hautes Pyrami
des , comme on faifoit principalement
ceux des Rois & des
Princes de l'Egypte , qui de leur
vivant avoient pris foin de les
faire baftir eux mefmes ; de là
viennent ces grandes Pyramides
de Memphis ou du grand Cai
re, & d'autres lieux voifins.
Les
Deferts de
l'Egypte ont
encore plufieurs de ces Pyramides
, dont par l'antiquité quel .
ques unes font enfoncées
dans le
fable , d'autres font à demy rom
du Mercure Galant.
37
་
puës , & d'autres font encore en
leur entier , & l'on y peut monter
par le dehors › y ayant des
Marches qui vont tout autour ;
& fur le milieu l'on trouve des
Voutes fort étendues & fpacieufes
, où l'on peut entrer , & ce
font les lieux où les Corps des
Rois & des Princes de l'Egypte
ont efté enfevelis. On peut parvenir
jufques au fommet par ces
mefmes Marches ; mais la defcen.
te en eft beaucoup plus difficile
à caufe de la hauteur , les yeux
pouvant eftte éblouis j c'eft
pourquoy on prend ordinairement
des Guides. M Fer.
manel , Conſeiller du Parlement
de Rouen , ayant fait le Voya
ge de la Terre Sainte , en parle
comme Témoin oculaire , en for
38
Extraordinaire .
Voyage du Levant , eftant alors
accompagné du Sieur Scohouë
Eftranger.
On voit autour de ces Pyramides
des Hieroglyphes gravez,
dont les fignifications & les mar
ques font Myftérieuſes . Le Pere
Kirker en a fait un fçavant Recueil
, & en a donné l'interpré.
tation en cct Ouvrage curieux ,
durant qu'il eftoit Bibliothecaire
du Vatican.
On a mefme trouvé des Trẹ.
fors , & de grandes Richeſſes
dans le fond de ces Pyramides;
& de là on préfume que les
Corps des Rois & des Princes ,
& leurs Trefors ont efté enlevez
, depuis que le grand Caire
& plufieurs autres Villes ont efté
bafties en Egypte , où on leur a
du Mercure Galant,
39
A dreffé d'autres Monumens ma
gnifiques pour les y conſerver.
Les pierres des Monumens font
tachetées de rouge & de blanc,
car
telle en' eſt la nature , n'y
ayant guere d'autre Marbre dans
ce Pays.
La plus commune opinion des
Auteurs qui ont écrit de ces Pyramides
anciennes , eft que dans
l'Egypte , il y en a trois princi.
pales. La plus haute dès trois ,
comme difent Pline , Strabon ,
Pomponius Mela , Démocrate ,
Ammian Marcellin , Oforius &
autres , eftoit conftruite de pier
res apportées de l'Arabie , &
c'eftoit un prodige comment on
avoit peu tirer des pierres d'une
fi immenſe étendue & d'une fi
grande pefanteur , & les mon
40 Extraordinaire
ter apres les avoir mifes en ou
vrage. On tiendroit pour une
Fable , que trois cents foixante
mille hommes y ayent travaillé
vingt années pour l'achever. Sa
bafe occupoit huit Arpens de
terre. Les quatre Angles avoient
chacun de leur coflé huit cents
quatre vingts trois pieds de longueur.
La hauteur , à prendre de
la bafe au fommet , eftoit de 363
pieds. Les deux autres Pyrami
des font moindres en toute leurs
parties.
On peut juger que les Egyptiens
ont efté ceux qui ontexcellé
par deffus toutes les autres
Nations en la magnificence &
en la pompe de leurs Sepulcres
& de leurs autres Monumens,
comme difent Herodote Livre 3.
du Mercure Galant.
41
Diodore Livre 1. Strabon Liv . 17.
& Pline Livre 16: Chapitre 123
comme auffi en la dépenfe exceffive
, & au nombre des Artifans
qu'ils y employoient. Leurs
Tombeaux n'eftoient pas feule.
ment ornez de Pyramides , mais
encore de Coloffes , de Statuës ,
de Sphinx , de Colomnes , d'Obelifques
, de Labyrinthes , &
d'autres fuperbes ornemens . C'eſtce
que dit Martial au commencement
de fes Epigrammes , en
faifant comparaifon avec un Ouvrage
d'un des plus grands Em--
pereurs Romains.
-
Barbara Pyramidum filcat mira--
cuta Memphis.
En voila encore une autre , ”
qu'Amafis Roy d'Egypte avoirfait
conftruire , de laquelle laa
DD 2. deJanvier 1685.
4,2 Extraordinaire
merveille confiftoit en fa figure
& en fa grandeur ; mais c'eftoit
plûtoft par vanité & par oftentation
, qu'autrement . Ce Monument
eftoit fait en figure de
Sphinx , & d'une fi vafte largeur,
que le ciscuit feulement de la
tefte , à prendre par le front ,
avoit cent deux pieds. Sa longueur
eftoit de cent quarantetrois
, & la hauteur eftoit depuis
le nombril , jufqu'au fommet de
la tefte de 82. comme dit Pline
Livre 36. Chapitre 12. Et ce qui
eft encore plus furprenant , &
qui paffe toute créance , l'Ou,
vrage eftoit de Marbre , & d'une
pierre feule & naturelle. Voila
la Sepulture de ce Roy , dont
parle Lucain Livre 9 .
Non mihi Pyramidum Tumulis
cuulfus Amafis...
du Mercure Galant.
433
Ces mefmes Merveilles font,
rapportées par Bellonius , en fes
Obfervations fingulieres Livre 2 .
fur les Ouvrages admirables de
P'Antiquité , & par Pierius en
fes Hieroglyphiques Livre 60..
Platon mefme en fon Phedon ,
infere l'immortalité de l'Ame par
les Corps des Egyptiens , qui ,
demeuroient incorruptibles apres
tant de Siécles en leurs Tombeaux.
3
Ileft icy à propos de parler,
des / Corps qui fe trouvoient , &
fe trouvent encore dans les Se--
pulcres de l'Egypte. On leur
donne le nom de Mumies , Ily en a
de deux fortes ; les uns font embaumez
par dedans , & les autres
par dehors . On en trouve
en des lieux taillez dans les Ro
Dij
44
Extraordinaireches
rangez à colte l'un de
l'autre , enveloppez de Linceuls
rayez de diverfes couleurs , &
ferrez de Bandes diverſement
rayées auffi . Ces Mumies qui font
embaumées par dehors , fe confervent
fans corruption en leurs
linceals , & en leurs bandes , à
cauſe du Baume & des Aromats .
dont elles font munies. Ces
Corps fous leurs couvertures ont
de petites Images de terre ver
te de differentes figures fur leur
eftomach , & mefme ſi extrava
gantes qu'on les prendroit pour
des Idoles. Quelques - uns ont
creu que c'eftoit leurs Talifmans .
Les ongles des pieds & des mains
font peints de Vermillon. C'a
efté de tout temps la couftume
des Egyptiens de peindre ces
S
du Mercure Galant. 45
parties de leurs Corps chez eux
apres leur mort.
On trouve auffi de ces Mumies
enfevelies fur les Montagnes
dans le fable , où le Soleil venant
à donner à plomb , en fait
diftiler une certaine liqueur ou
graiffe fouveraine , qu'on appelle
auffi Mumie , qui guerit die
verfes maladies communes , le
Spafme , les Schirres , l'Artriti
de , le Tetanus ou contraction
de Nerfs , Tartres. Voila l'effet
de celles qui font embaumées
par dehors. Mais je ne trouve
aucun Auteur ancien qui ait parlé
de ces Mumies . Ce n'eft pas
cer Alphalte , Bitume ou Pétrole
qui diftile des Rochers , &
qui paffe mefme au travers ; quoy
qu'ils puiffent avoir quelques
A
46 Extraordinaire
vertus excellentes .
Les Egyptiens . ont une autre
efpece de Mumies , qui font des
Corps défechez . Ils les endur.
ciffent tellement , qu'il n'y a
point de Parchemin qui en apro
che en dureté , & mefme ils ne
font guere moins durs que PAI "
rain . Saint Auguſtin au diſcours
120. des divins Noms , Chapi
tre 12 parle de ces Cadavres
ainfi endurcis , & on les appelle.
en la langue du pays Gabbares.
C'eft ainfi que les nomme Ift
dore , auffi en fa Glofe, felon la
langue de ces Regions . Mais ces
Gabbares ne rendent aucune liqueur
, ou graiffe , comme les
autres.
On remarque que les Egy
ptiens vuidoient les entrailles de
du Mercure Galant.
47
ces derniers Corps ; & comme
on n'y trouve aucune incifion
fur l'eftomach ny au ventre , de
là on a préfumé qu'on les tiroit
par le fondement , & la cervelle
par les narines ; cu s'il y en
avoit quelqu'une , elle eftoir fi
bien coufuë , que l'on ne pou
voit s'en appercevoir. C'eftoit
de cette maniere qu'ils les embaumoient
par le dedans ; eftant
pourtant enfevelis dans leurs
linceuls de la maniere que les
autres. Ces Corps n'eftoient
point fujets à la corruption , &
c'eftoient ceux qui estoient or
dinairement dans les Pyrami
des .
Nous dirons en paffant que
les Egyptiens vendent rarement
de ces Corps appellez . Mumies
48 Extraordinaire
ou Gabbares , parce que les Maîtres
des Vaiffeaux n'en veulent
pas permettre le tranfport en
Europe , comme fi ces corps enlevez
de leur pays ,
préfageoient
fur Mer quelque finiftre acci.
dent , foit que leur imagination
foit préoccupée de cette fuperftition
, ou que quelquefois il
s'en foit enfuivy quelque effet
furprenant , comme Tempeftes,
Vents ou Orages , qui les ayent
jettez dans cette erreur , ils en
attribuent toûjours la cauſe a
ces Corps tirez de leur Sepulture.
Ce n'eft pas qu'en effet la
graiffe ou l'huile que l'on tireroit
de ces Corps , ne fuſt auſſ
fouveraine que le Baume d'Egypte.
Les odeurs & les parfums
dont
du Mercure Galant.
4.9
dont on fe fervoit ordinairement
chez les Egyptiens , eſtoient le
Baume d'Egypte , n'y ayant que
ce Royaume qui en produife.
L'encens , la Myrrhe , & d'autres
Aromats , qu'engendre l'Arabie,
y eftoient employez , auffi
bien que ceux qui viennent de
Corycie , de Sabée , de Cilicie
& d'autres Regions du Levant ;
& mefme du temps de Neron,
on remarque que cet Empereur
fit une dépense fi prodigieufe
aux Funérailles de Poppée fon
Epoufe , pour ces odeurs & ces
parfums Aromatiques , qu'à peine
l'Arabie pourroit - elle ſuffire ,
& fournir en une année ce que
fa prodigalité confuma en un
jour. Le Corps de cette Impératrice
ne fut pas brûlé , comme
Q. deJanvier 1685.
-
E
50 Extraordinaire
c'eftoit la couftume de ces temslà
, ainfi que la fuite le fera connoiſtre
.
;
Les Juifs ont imité la méthode
d'enfevelir les Corps comme
les Egyptiens
car ils les embaumoient
, mais feulement par
dehors , & les couvroient ou de
linceuls , ou de drap de Pourpre,
& les ferroient auffi de bandes .
C'est ce qui fe remarque dans
les Funérailles du Roy Afa,
comme on le lit au Livre 2. du
Paralipom. 10. n . 4. où la Pompe
alla jufqu'à un grand excez .
Ils les mettoient enfuite au
Tombeau, felon que dit Sanchez
fur le Livre des Roys Chap.3 .
n. 12.
Cette coustume a efté meſme
introduite en l'Eglife depuis ce
du Mercure Galant,
temps -là , comme le remarque
Tertullien en fon
Apologétique,
où la profufion & les dépenfes
du Baume & des autres odeurs
Aromatiques eftoient fi excef.
fives & fi indignes des Chrẻ.
tiens , qu'il s'emporte contre ces
excez par ces paroles . Si les Arabes
fe pleignent , dit - il , que ceux
de Sabée fçachant que leurs Aromats
feront employez plus curieufement à
embaumer & à enfevelir les Chré.
1 tiens , qu'à parfumer leurs Autels.
U
Les mefmes odeurs ou de pareilles
, fe jettoient dans les
Tombeaux ou dans les Buchers,
comme ce difcours le fera voir
en fon lieu . Mais revenons aux
Sepulcres & aux Tombeaux.
L'Ecriture Sainte ne fait- elle
e pas mention des Monumens
E ij
52
Extraordinaire
la
merveilleux , conftruits pour
Sepulture des Roys de Juda , &
principalement de celuy que fit
ériger Salomon pour David fon
Pere , fur les deffeins
que
David
mefme en avoit donnez? Ce Sepulcre
eftant en grande vénération
chez les Juifs , tomba en
ruïne fous l'Empereur
Adrien ,
comme marque Dion en la vie
de cet Empereur.
Jofephe en fes Antiquitez Judaïques
Livre 11. Chapitre dernier
, témoigne que dans le Sepulcre
de David , & dans celuy
de Salomon , il y avoit eu de
grandes richeffes enfermées ,
aufquelles il eftoit défendu de
toucher. C'eftoit en la Ville de
Sion où ces Monumens eftoient.
Toutefois Hyrcan , grand Pondu
Mercure Galant.
53
tife , eſtant affiegé en la meſme
Ville par Antiochus , pour la
racheter du Siége , & pour éloigner
l'Ennemi , fut contraint ide
faire foüir dans le Sepulcre de
David , & d'en tirer trois mille
Talens , dont une partie fervit à
détourner Antiochus de fon entrepriſe
, & l'autre fut employée
à lever une Armée pour la défenſe
de la mefme Ville . La néceffité
obligea ce Pontife à fai
re foüiller dans la Sepulture des
Roys contre la défenfe.
Mais long temps apres , le meſ
meJofephe rapporte , que le Roy
Herodes avide d'or & d'argent,
n'eut point de fcrupule de violer
la Sepulture de ce mefme.
Roy , en faisant ouvrir ce Mo--
nument.
E iij
54
Extraordinaire
D'abord il en tira de tres riches
Ornemens qui y estoient
enfermez ; mais il ajoûte qu'on
ne pût parvenir jufques aux
Cendres & aux Trefors de ce
Roy , & qu'une flâme foudaine
s'eftant élevée du fond du Sepulcre
, y confuma deux Satellites
que ce Roy y avoit employez
, pour chercher les Trefors
qu'il en vouloit tirer
que le Ciel purit ainfi l'avarice
d'Herodes, qui fut obligé de faire
remettre le Monument au
mefme état qu'il eftoit auparavant.
>
&
Ce n'eftoit pas feulement avec
les Corps des Roys , que l'on inhumoit
des Trefors & des
chofes prétieuſes ; mais meſme
avec ceux des Prophetes , com .
2
du Mercure Galant. ss
1
-C
1.
>
me Sozomene le fait voir au
dernier Livre de fon Hiftoire
Ecclefiaftique . Ce fut à ce def
fein que les Chaldéens en la prife
de Jérufalem défoüirent les
Offemens des Roys de Juda , des
Princes , des Prophetes , & d'au
tres principaux de la Ville ,
pour en tirer les Trefors &
d'autres richeffes , fi elles y
eftoient cachées , comme le
Prophete Jéremie l'avoit prédit
beaucoup auparavant , pleurant
fur les miféres de cette Ville , &
comme le Prophete Baruch les
a depuis déplorées amérement.
C'est ce qui fut remarqué en la
découverte du Corps de Zacharie
auffi Prophete , qui arriva du
temps du mefme Baruch : car
on trouva à fes pieds un certain
E j
56 Extraordinaire
3
7
petit enfant Hebreu forty de race
Royale , ayant une Couronne
d'or en fa tefte , & des chauſ
fures d'or à fes pieds , & le
corps couvert d'un habit prétieux
; ce qui eftoit la marque
du grand foin & de la finguliere
vénération que les Anciens
avoient pour les Corps des illuftres
Défunts, de les accompa
gner de fi riches ornemens.
On a auffi trouvé dans les
mefmes Monurnens ou Sepul.
cres, des Médailles tres- Antiques,
qui d'un cofté portoient la figu
re d'Empereurs , de Roys ou de
Princes , & de l'autre des lettres
Hieroglyphiques , des Trophées
d'Armes , des Devifes ou
des Emblémes ; & c'eſt dont les
Médalliftes picquent la curiofité
"
du Mercure Galant. $7
de ceux qui aiment les Antiquailles
. Brafficamus à fait paroiftre
dans fon Promptuaire fes
recherches au contentement des .
Sçavans & des Curieux.
Plutarque auffi parlant de la
ville de Pélufe , préfentement
dite Damiete , Strabon Livre-
15. & Ammiam Marcellin Livre.
6. difent que les Roys des Macédoniens
& des Perfes avoient
auffi couftume d'enfermer des .
Trefors dans leurs Tombeaux.
Planudes en lifant des Infcriptions
de Sepulcres , découvrit
ingénieufement un Trefor caché
dans un Monument antique,
& cet Arabe fubtil , qui ayant
leu fur le front d'une grande
Statuë , qui eftoit au frontispice
d'un Sepulcre à découvert , ces
58
Extraordinaire
lignes : Aux Ides de May j'auray la
tefte d'or , fçeut pénétrer dans le
fens de ces paroles ; car bien
que l'on euft déja caffé la tefte
à cette Statuë aux Ides de May,
on fut obligé de la rétablir en
fon entier , pour ne la pas défigurer
, dautant qu'on n'y avoit
trouvé que du marbre ;
du marbre ; mais luy
plus intelligent alla foüir au premier
jour des Ides de May , au
lieu où l'ombre de cette tefte
donnoit , & y trouva autant d'or
que l'ombre fe pouvoit étendre
fur la terre.
L'ufage des Romains fut auffi
affez frequent d'accompagner les
Corps de richeffes en leurs Sepultures.
Toutefois la Loy des
XII. Tables le défendit enfuite
, pour ne pas donner lieu
du Mercure Galant.
59
à violer les Sepulcres des Morts ,
& pour reprimer l'avarice . Voi
la ce que porte cette Loy , neve
aurum addito. Il n'y a pas d'autre
raison que ces Trefors cachez
donnoient occafion de rompre
les Tombeau , de violer la
Sepulture , & de porter les Avares
à cette infamie de foüiller
jufque dans les lieux facrez ce
qui a efté défendu de tout temps .
Philoftrare en la vie d'Apollonius
liv. 7. affure que cet ar.
gent qui avoit efté tiré de la Sepulture
des Morts ne devoit
point entrer dans le commerce
des Hommes principalement
celuy qui y avoit efté dérobé ,
ou qui eftoit tiré des Tombeaux
par avarice .
Le Roy Théodoric fit deux
60 Extraordinaire
1
Ordonnances fur cette matiere,
dont l'une enjoignoit l'information
contre ceux qui avoient ofé
foüiller dans les Sepulchres &
en violer le droit , & l'autre qui
commandoit de rapporter au
bien commun & à l'utilité pu.
blique , les richeffes qu'on auroit
trouvées par hazard dans les
Tombeaux .
L'Hiftoire de Padout fur fes
Antiquitez rapporte que l'on
trouva dans le Tombeau d'Antenor
, qui fut le Fondateur de
cette Ville , plus de trente mille
livres d'argent , qu'il y avoit fait
mettre avant que de mourir.
Mais cette Infcription que Semiramis
Reyne de Babylone , fit
pofer de fon vivant fur fon Se.
pulcre , trompa finement l'avadu
Mercure Galant. 61
rice du Roy Darius . Elle y avoit
fait graver en groffes lettres ces
Mots : Si cui Regum Babylonis fuerit
pecunia penuria , aperto Sepulcro,
fumito. Ce Monument demeura
plufieurs Siécles en fon entier ,`
fans qu'aucun des Defcendans ou
Succeffeurs de cette Reyne y
touchaft , juſques au temps de
Darius. Ce Roy aveuglé d'une
avarice extréme , quoy qu'il fuft
le plus puiffant , & le plus riche
de tous les Roys du Monde,
paffant par là , & ayant leu cette
Infcription , au lieu des immenfes
Richeffes qu'il efperoit y
trouver , n'y rencontra rien que
ces autres paroles gravées au dedans
qui luy reprochoient avec
honte fon avarice. Nifi pecunia
effes inexplebilis , & turpis lucri
62 Extraordinaire
cupidus , defunctorum Sepulcra non
violaffes. Quelle infamie pour un
Roy & quelle tache qui ne
pourra jamais s'effacer!
La magnificence des Sepulchres
a paru tant aux Pyrami
des , dont nous avons parlé ,
qu'en la ftructure differente des
uns & des autres. Mais voila
d'où vient ce nom de Maufolée,
qu'on donne aux plus beaux Se.
pulchres & aux Tombeaux les
plus fuperbes , tant de l'Antiquité
que des Modernes ; & mefme
aux représentations qui fe
font dans les Temples , en la
mort des Roys , des Reynes , ou
des grands Heros.
Artemife Reyne de Carie , un
des Royaumes de l'Afie majeure
, voyant Maufolus
fon
du Mercure Galant.
63
Epoux mort , touchée d'une
vive douleur , fit ériger en fon
honneur & en fa memoire un
Monument , qui du nom de ce
Prince prit celuy de Mauſolée.
La ftructure de ce Tombeau fut
d'un fi excellent ouvrage qu'elle
luy fit douner le nom de la fixiéme
Merveille du Monde. La
figure en eftoit quarrée , & cet
Ouvrage fut donné à quatre
Maiſtres des plus habiles pour y
travailler. La partie Orientale
fut deſtinée à Scopas pour la
graver ; celle du couchant à
Leocare ; celle du Septentrion à
Briaffe , & celle du Midy à Timothée
. Ce grand Monument
fut formé en Pyramide , comme
la plus part l'eftoient dans ce
temps - là . Au fommet de ce
64
Extraordinaire
grand Ouvrage , eftoit la Satuë
du Roy affis dans un Trône la
Couronne en la tefte . Le commencement
& la Bafe eftoient
par Portiques & fans Marches.
La feconde élévation fuivoit la
mefme forme , mais avec des
Marches murées en dehors ; &
la troifiéme avec des Marches
en dedans pour monter au plus
haut. Les Arcades du premier
Etage eftoient fi larges , que d'un
Pilliers à l'autre il Y avoit 73.
pieds . Elles eftoient fupportées
de 36. Colomnes d'une pierre
feule chacune.
La merveille de ce Monument
confiftoit en l'Architecture, en la
grandeur , en la hauteur , & en la
Sculpture . Comme c'étoit l'Ouvrage
des plus fçavans Maiſtres ,
du Mercure Galant.
651
auffi n'y fut- il rien épargné pour
la dépenfe . La grandeur des Sta--
tues qui en faifoient l'ornement,
furprenoit les yeux . Ce ne fut
pas affez que toutes ces Merveilles
pour en faire une , fi Ar.
temife , Epouſe de Maufole , ne
faifoit voir quelque chofe de :
plus merveilleux . C'est elle qui
apres avoir rendu les derniers
devoirs à fon Epoux avec toute
la pompe imaginable , & ayant
fait confumer fon Corps dans le:
Bucher avec les Odeurs , less
Parfums & les Aromats les plus™
préticux , en recueillit les Cendres
qu'elle enferma dans une
Urne d'or en ce mefme Monu--
ment . Mais cette Reyne ne vou-:
lant pas luy furvivre , s'enfermaz
au mefme lieu , & le refte de:
Q.de Janvier 1685, F
66 Extraordinaire
fes jours ne vécut que de ces
mefmes Cendres détrempées de
fes larmes pour tout aliment .
Ainfi elle mefme devint le Mau
folée de fon Epoux , en expirant
dans ce Monument. Ce
font là des marques d'une ten.
dreffe & d'un amour inexpliquable.
Je puis dire qu'au ſujet des ſept
Merveilles du monde , dont la
premiére , qui eft le Maufolée
eft du nombre , j'ay eſté affez
heureux pour les avoir entremef.
lées toutes dans un Diftique Latin
par leurs noms , avec celuy du
Roy , pour Infcription fur le
Louvre , avec d'autres qui ont
efté leuës à Verfailles , dans le
temps que beaucoup de monde y
travailloit. La curiofité du Public
du Mercure Galant.
67
me les fait employer icy.
Hoc Lodoici Ephefum , Mcmphim,
Babylona , Coloffum,
Maufolea, Pharon, cum Jove , vincit
opus .
Le Livre d'André Palladio, fur
les magnifiques Sepultures , imprimé
à Rome avec fes Figures ,
parle avantageufement du Maufolée
de la Reyne Artemife , en
faveur du Roy Maufolus fon
Epoux.
Varron & Pline rapportent les
merveilles du Sepulcre de Porfenna
, Roy d'Hetrurie , qui pre.
fentement eft la Tofcane , Il eft
prés la ville de Clufe . Ce Monument
eft de pierre , fait en
quarré, dont chaque cofté a trois
cens pieds de largeur. La Bife eft
auffi quarrée. Le corps de l'Ou-
Fij
68 Extraordinaire
vrage s'éleve jufqu'à la moitié en
Pyramide , & au dedans il y a un
Labyrinthe.Sur ce Labyrinthe on
voit une Plateforme qui foûtient
cinq Pyramides , quatre aux Angles
, & une au milieu . Elles ont en
leur Baſe foixante & quinze pieds.
Elles font hautes de cent cinquate
pieds , & tellement égales , qu'en
leur fommet il y a un Chapiteau
d'Airain qui les couvre toutes , &
qui foûtient cinq autres pierres
d'une hauteur prodigieufe. Du
pied de ce Monument jufqu'au
faifte , l'on compte cinq cens
pieds. C'eft où l'on tient que
Porfenna eft ‹ t inhumé .
Les Empereurs , les Roys & les
Princes , fur les modelles des Anciens,
fe font fait ériger de grands
& magnifiques Monumens pour
du Mercure Galant. 69
leurs Sepultures , comme pour fe
rendre immortels par ces Ouvrages
. On voit encore à Rome en
la Vallée Martia , les veftiges du
Sepulcre de l'Empereur Augufte,
fort prés de l'Eglife S. Roch. II
eftoit autrefois orré de Marbre
blanc , de Porphyre , de grandes
Colomnes , d'Obelifques , & d'excellentes
Statuës , & avoit douze
Portes & trois ceintures de Murailles.
Il eftoit de forme ronde
& de cent coudées de haut. Au
fommet eftoit la Statuë de cet
Empereur faite d'Airain , tenant
en fa main fon Sceptre , & ayant
une Couronne en la tefte. Il l'avoit
fait baftir . non feulement
pour luy , mais auffi pour les
Empereurs qui luy devoient fuc
ceder. Le Sepulcre de l'Empe
70 Extraordinaire
reur Adrien eftoit encore en
la mefme Ville , & c'eft où eft
maintenant le Château S. Ange,
qui eft joint par un Pont fur le
Tybre.
Ce Monument dans fon temps.
eftoit embelly & diverfifié de
Marbres differens & exquis , de
Statuës , de Chars de Triomphe ,
& d'autres Ornemens artificieufement
travaillez , mais ils furent
rüinez par l'Armée des Goths ,
du temps de Belifaire.
Le Pontife Boniface VIII . y
fit faire le Château qui s'y voit
prefentement , & qui porte le
nom de S. Ange ; car un Ange y
parut deffus l'épée à la main ,
comme pour chaffer la pefte qui
defoloit Rome , comme cela arriva
, & depuis le nom de S. Ange
du Mercure Galant.
7 ፤
Y
luy eft demeuré. Alexandre VI .
le ceignit de foffez & de baftions,
fit conftruire une Gallerie couverte
& une autre découver
te , qui va juſqu'au Palais de faint
Pierre . Paul III. a depuis embelly
ce mefme Château de divers
Apartemens fomptueux.
>
Il y a encore plusieurs autres
Maufolées en la mefme Ville ; rel
que celuy de Septimius Severus ,
que l'on apelloit Septizonium , à
caufe des fept Ceintures dont il
eftoit environné , & celuy de Ceftius
, qui ne cédoit pas au préce
dent en beauté , & dont il refte
encore des veftiges . Les Romains
font fi jaloux de ces marques
d'antiquité , que depuis un Cardinal
fe voulant fervir des rüines
d'un de ces illuftres Monumens ,
72
Extraordinaire
il en fut empefché par l'autorité
Pontificale.
Proche de ces magnifiques Se--
pulcres eftoient des Obelifques .
d'une hauteur étonnante , & d'une
feule pierre . Il y en avoit deux au
Maufolée d'Auguſte , de quarante-
deux pieds. On tient mefme
que les cendres de Jules Cefar
étoient au fommet de celuy qui
avoit foixante & douze pieds ; en
la place defquelles Sixte V. a fait
mettre de fon temps une riche
Croix . Il y avoit des Lettres &
des Caracteres Egyptiens gravez
autour,
On érigeoit auffi des Colomnes
proche des Sepulcres en la
mefme Ville . Celle qui fut bâtie
en l'honneur de l'Empereur Trajan
, comme dit le mefme Palladio
dis Mercure Galant.
73
dio , avoit cent vingt- huit pieds
de hauteur ; & cet Empereur ne
la vit pas , parce qu'ayant entre
pris la Guerre contre les Parthes ,
il mourut au retour de cette expedition
en la ville de Seuleucie
en Syrie. Mais depuis fes cendres
furent rapportées à Rome ,
& mifes dans une Vrne d'or au
haut de cette Colomne. L'an 1588 .
Sixte V. fit mettre au lieu de
cette Vrne l'Image de S. Pierre,
faite de Bronze doré & d'une
grande ſtature . Autour de cette
Colomne , les Guerres & les Vi.
& oires de Trajan étoient gravées
en figures de Marbre , & principalement
fon entrepriſe contre
les Daces ,
Il y a des Villes entiéres bâties
& deftinées à la Sepulture des
2. deJanvier 1685. G
74
Extraordinaire
Empereurs & des Roys , comme
Seleucie par Conftätin le Grand ,
Antinoë par l'Empereur Adrien,
quoy que fon Sepulcre ait eſté à
Rome , où prefentement eft le
Château Saint Ange , comme il
eft dit cy- devant , Bucephalie
par
Alexandre le Grand , Taphofyris
par les Egyptiens , & plufieurs
autres ; ce que témoigne
Zuingerus ,
Pour la matiére de ces Monu~
mens , la Pierre , le Marbre , le
Porphyre , & mefme le Verre y
ont efté employez , comme on
voit dans Strabon liv. 17. qui die
que Ptolomée érigea pour Alexandre
le Grand , un Sepulcre
entiérement de verre, où le corps
ne pouvoit rendre aucune mauvaife
odeur , & étoit toûjours
du Mercure Galant. 75
4]
i
prefent aux yeux par la tranfparence
de la matière .
Plutarque raporte que le Sepulcre
d'Anthée , ce Géant fameux
qui combatit contre Hercule , &
dont il fut vaincu , a foixante &
dix coudées de long, & qu'il étoit
tenu comme une chofe Sacrée ;
car fi la moindre partie en étoit
offencée , & n'étoit pas réparée
au plûtoft , une pluye continuelle
tomboit en la mefme Region , &
la defoloit .
Il en arrive prefqu'autant à l'égard
du Sepulcre du Poëte Stratus
, qui fe voit à Pompejopolis ,
ville de Syrie , comme fait mention
Olaus Magnus , contre lequel
fi un Paffant jette une pierre
, elle rejaillit auffi- toft contre
luy , plûtoft par un prodige que
Gij
76
Extraordinaire
par aucune
raiſon naturelle
. Ces
exemples
ne font icy raportez
que pour marquer
la venération
qu'on doit avoir pour les Tombeaux
, & pour ceux qui y prennent
leur repos.
Le Tombeau de Virgile , Prin .
ce des Poëtes Latins , étoit conftruit
à la vuë de la ville de Naples
, & étoit d'une grande éminence
;
mais maintenant il eft
couvert d'arbriffeaux & de brof.
failles. On en voit encore les
grands veftiges à l'entrée d'une
caverne du Mont Paufitippus ,
comme on le remarque dans le
livre des Monumens & des Eloges
des illuftres Perfonnages ,
avec cette Infcription .
Qui cineres ? Tumuli hæc veſtigia ;
conditur olim
du Mercure Galant.
77
Ille hoc , qui cecinit pafcua , rura,
duces.
Si les Payens fe font fait des
Dieux , de leur nombre la pluf
part étoient mortels . Lucien qui
s'en raille , raporte dans le Dialogue
qu'il intitule Philopater, que
le Sepulcre de Jupiter leur Sou
verain étoit conftruit dans l'Ifle
de Créte , en une certaine Vallée
où autrefois il avoit efté nourry,
lors que Cybéle fa Mere le mit
au Monde dans la Foreft Dictée,
où les Corybantes par leur bruit
& le cliquetis de leurs Armes
empefcherent que Saturne fon
Pere n'entendift les cris de l'Enfant,
& qu'il n'en fuft devoré.
Le mefme Autheur en fon Dialogue
, qui porte pour Tître le
Deüil , aprend beaucoup de cho
G iij
78
Extraordinaire
fesfur la matiére de la Sepulture.
On y voit entr'autres que les
Grecs, tantoft brûloient les corps ,
& tantoft les inhumoient . Que
les Perfes les enterroient avec
des meubles prétieux , & avec de
grandes richeffes , felon la qualité
des perfonnes. Que les Indiens
fe fervoient de Tombeaux & de
Buchers , & qu'ils oignoient les
corps de fuif. Que les Scythes.
mangeoient fouvent les corps
leurs Amis en de grands Banquets ;
que les Egyptiens les embaumoient
. Mais nous traiterons du
tout feparément.
de
Revenons du Prophane au Sacré.
Au milieu de la Vallée de
Jofaphat , on trouve le Sepulcre
d'Abfalon , Fils de David . Il eft
coupé dans la Roche à la pointe
du Mercure Galant .
79
du cifeau , mais les Juifs l'ont tellement
en horreur, qu'ils yjettent
des pierres en paffant , à caufe du
mauvais deffein qu'il avoit entrepris
contre le Roy fon Pere.
Prés de la ville de Jérufalem ,
on voit les sépultures des Roys
de Juda , pareillement taillées
dans la Roche , & feparées les
unes des autres . Ce font autant
de Sepulcres en forme de cabinets
, & dont les Portes ont cela
de merveilleux , qu'elles font de
pierre , & tournent fur des pivots
de pierre auffi , le tout n'étant
que d'une feule pièce.
Les Sepultures des Juges d'If
raël , ne font pas éloignées des
precédentes . Elles font profque
toutes en leur entier. La curio .
fité de les voir , porte les Voya-
G iiij
80 Extraordinaire
geurs à fe fervir d'Arabes , qui
pour peu d'argent donnent des
connoiffances du tout .
Le Sepulcre du Lazare eſt dans
la Bethanie affez profond , ayant
plufieurs marches pour y defcendre.
L'on tient que ce Monument
étoit commun à fa Famille;
car il n'eut pas efté conftruit en
fi peu de temps aprés fa mort.
C'eft de ce lieu que la Sageffe Incarnée
le tira pour le reffufciter,
en luy difant , Lazare , exiforas .
Les Sepulcres où ſont enterrez
Jes Innocens qu'Herode fit maf
facrer , font auffi taillez dans la
Roche ; comme auffi céluy de
fainte Paule vers Bethleem. C'eft
en fon honneur que S. Hierôme
a compofé cette Epitaphe.
Afpicis anguftum pracisâ rupe Sepulcrum
,
du Mercure Galant. 81
Hofpitium Paula eft caleftia regna
tenentis ,
Divitias linquens Bethlemiti conditur
antro.
Le Tombeau du mefme S. Hie
rôme n'eſt pas éloigné de là ,
ainfi que ceux de plufieurs autres
SS. Peres. L'on tient par une
commune opinion que la Refurrection
fe doit faire de tous les
Hommes en cette Vallée de Jo.
faphat au dernier Jugement , &
que comme il a efté poffible à
Dieu de divifer les Hommes en
la Transfiguration de Babylone,
il luy fera auffi facile de les raffembler
tous en un moment , au
mefme lieu , de toutes les Parties .
du Monde , pour y recevoir leur
jugement.
DE LA
SEPULTURE,
DES TOMBEAUX ,
Et du temps que l'on a brûlé
les Corps
.
C
Omme la Vie eſt le premier
principe des Hommes
; de mefme la Mort eft leur
dermer terme . C'eſt d'où vient
que le Droit de la Sepulture eft
fi ancien , que peu apres la
création du Monde , & la chûte
de nôtre premier Pere , il a eſté
introduit & mis en ufage . Dieu
du Mercure Galant.
15
dit au premier Homme apres fon
peché qu'il étoit poudre, & qu'il retourneroit
enpoudre , parce qu'apres
la mort les corps des Hommes
doivent eftre mis dans la Terre,
comme dans le fein de leur commune
Mere , d'où ils ont efté tirez
en leur naiffance .
Mais avant que de parler des
Tombeaux , de la Sepulture , &
de l'ufage que les Anciens y ont
obſervé , il eſt à propos de dire
que l'origine en a prefque commencé
avec le Monde , & que
les premiers Hommes ont enfévely
les Corps des Défunts .
C'est un foin & une pieté qui
s'eft pratiquée comme par une
Loy , que la Nature mefme avoit
impofée. L'exemple en a paffé
chez la Pofterité , & le foin des
>
16
Extraordinaire
Funerailles a efté en fuite religieufement
étably & obfervé.
Mais fur tout on doit dire qu'Adam
& Noë ont efté les premiers
qui ayent fait ouverture
de la Terre pour y ensevelir les
corps , n'y ayant eu perfonne qui
ait en leurs deux temps précédé
l'un ny l'autre.
Abel , comme rapporte Jofephe
liv. 1. Chapitre 3. de fes
Antiquitez Judaïques , à l'âge de
129. ans fut la premiere Victime
de la mort , & reçût un ſi mauvais
traitement de Cain fon frere
, que ce Barbare apres luy
avoir arraché la vie , en cacha
le corps dans les haliers , pour
ne luy pas donner la Sepulture,
exerçant encore une nouvelle
cruauté fur fon Frere
apres
fa
du Mercure Galant.
17
mort. Mais Eliphas Themanite
dit , que Cain apres un meurtre
fi fanglant , devint vagabond &
comme furieux , ayant toûjours
devant les yeux l'image de fon
crime ; qu'il ne fe retiroit que
dans les Cavernes & les Foreſts
comme une Beſte , & que Dieu
fulmina contre luy un decret,
par lequel il fut ordonné qu'il
perdroit la vie par le fer , &
qu'il deviendroit la proye des
Vautours & des Animaux fauvages
, ainlì que les Septante ont
interpreté le paffage de Job fur
ce ſujet Chapitre 15. verf. 22. &
comme Olimpiodore l'a expliqué
. Voila les termes de ce decret
; Hominem impium decretum ,
ait , effe à Deo in manus ferri , &
ordinatum in efcas vulturum . Ce qui
Q. deJanvier 1685. B
18 Extraordinaire
à la verité fut jugé une punition
rigoureuſe , mais digne de l'im..
pieté de ce Parricide .
.
Adam touché au vif de la
mort d'Abel fon fils , en fit chercher
le corps , & apres plufieurs .
jours de deuil , de larmes & de
foûpirs , prit le foin de l'inhu .
mer avec beaucoup de pompe,.
& luy erigea un Monument qui
devoit fervir à luy mefme ,
& à fes autres enfans .. L'on :
tient communément que ce nefut
pas loin de Sion . Voila la
premiere Sepulture & le pre.
mier Tombeau , auquel ce Pere
affligé ajoûta encore une belle
Epitaphe , conceuë en ces paroles.
Quis tantus de hoc loco , tamque
fonorus clamor ? Rogas Viator ?
adhuc inauditum tibi parricidium,
du Mercure Galant.
19
& c . Salien la rapporte en l'année
du Monde
130.
La privation de la Sepulture .
avoit quelque chofe d horrible.-
Ce fut toutefois de cette melme.
peine la plus barbare de toutes ,
que les Egyptiens traiterent les
Hebreux fous Pharaon leur Roy;
car apres avoir miferablement
porté le joug de fa tyrannie , &
un long & rude efclavages , ils
en jettoient les Corps dans les
Champs fans les enfevelir , & ne
permirent pas mefme de mettre
de la pouffiere deffus , ny de ré
pandre des larmes apres leur
mort ; mais Dieu vangea bien
cette barbarie , felon que le remarque
Philon Juif en la vie de :
Moyle.
La fainte Ecriture nous fait :
B. ij
20 Extraordinaire
connoiſtre, aux Nombres Chapitre
16. verf. 34. que Dieu mefme
a voulu quelquefois que les
impies , en vangeance de leurs
crimes , ayent efté privez de la
Sepulture en diverfes manieres ,
ou eftant engloutis tout vifs dans
les entrailles de la Terre, comme
il est arrivé à Coré , Datham &
Abiron , ou eftant confumez du
feu du Ciel , fans qu'il foit refté
la moindre partie de leurs corps
pour
eftre mife dans la Sepulture
, comme le mefme Jofephe &
Philon le rapportent .
Ce fut là une effroyable vangeance
, & un terrible Monument
, quand cinq fameuſes Villes
furent entierement confumées
du feu du Ciel avec tous
leurs Habitans , à l'exception de
du Mercure Galant, 21
Loth & de fa Famille , encore
fon Epouſe par fa faute fut- elle
changée en fa propre Image ; &
quand Sodome & Gomorrhe du
nombre de Pentapolis devinrent
une vafte Mer de fouphre & de
bitume , pour punir les crimes
de ceux qui les habitoient . Les
Hiftoriens en feront toûjours
mention , & la pofterité en parlera
à jamais .
5.
C'eft de là auffi qu'eft venu
ce fameux Lac appellé Afphaltide
, ou cette Mer morte , dont
Joſephe liv.
&
4.
de la Guerre
de Juifs , & Hegefippe liv.
14. Chapitre 18. recitent tant de
merveilles , & apres eux Ariftote
& Strabon , & plufieurs autres.
Mais revenons à Adam & å
12 Extraordinaire
Noë , dont nous avons parlé cy--
devant. Noë , ce grand Patriarche
, averty de Dieu qu'il euft à
baftir l'Arche , pour ſe garantir
luy & fa famille des eaux du Dé .
luge univerfel , femble avoir donné
à tous les hommes qui devoient
venir apres luy , une idée
de la Sepulture & des Tombeaux
, car comme dit Orohoaita ,
le plus fçavant & le plus fameux
de tous les Auteurs Syriens , liv. 1 .
du Paradis Terreftre , Partie 1 .
Chapitre 14. & la Bibliotheque -
des Pères , Chapitre 1. il convertit:
cette mefme Arche en un
Tombeau , & par une pieté infigne
envers les Vivans & les
Morts , en s'y retirant , emporta
avec foy les offemens d'Adam ,
qui avoient eſté tirez du Sepul2-
*
du Mercure Galant
23
1
S
3
chre d'Abel , & apres en efte
forty fain & fauf avec fa Famille ,
il en retira les, mefmes offemens.
d'Adam , qu'il avoit gardez com.
me un dépoft , & les partagea cn--
tre fes Fils avec les Parties de la
Terre , & dans la divifion qu'il
en fit , il donna à Sem qui eftoit
l'aifné , le Crane , & la Region
pour habiter , qui depuis a efté:
dire la Judée.
On tient communement que
le Mont - Calvaire eft le lieu où
le Crané d'Adam a efté enfevely
par ce mefme Sem, & en fui .
te le reste de fes autres offemens,
& que cette Montagne a pris
fon nom de cette Sepulture . C'eft:
une ancienne Tradition , qui a
duré chez les Syriens , dit le
mefme Orohoaita , & qui y dure
encore..
24
Extraordinaire
Mais il ne faut pas s'étonner,
fi ces chofes font paffées fous fi.
lence dans les Livres de Moyfe ;
& que ne faifant mention que
de la Creation du Monde , de
la Chûte du premier Homme ,
& de la Propagation du Genre
Humain , il ne rapporte rien du
premier Age du Monde . L'Auteur
de la précédente opinion a
receu comme par Tradition des
plus anciens Syriens , ce qu'il en
a écrit , & que les Juifs tiennent
de luy.
Saint Epiphane fur la fin de
fon Livre , parle ouvertement de
cette Divifion de tout le Monde
entre les Fils de Noë , & affure
que la Paleſtine , dans laquelle
la Judée eft compriſe , eftoit
tombée au fort de Sem , quoy
qu'il
du Mercure Galant. 25
qu'il foit arrivé en fuite que
les
defcendans de Cham s'en foient
emparez par violence . C'eſt enfin
le fentiment de tous les Peres
, que les os d'Adam ont efté
portez apres le Déluge en la
Paleftine , où ils ont efté enfevelis.
C'est ce que confirme
Torniollus année 930. de fes Annales
Saintes , & Salien en la
mefme année.
Comme il n'y a pas à douter
de la pieté de Noë envers les os
d'Adam felon que faint Bafile
fur Ifaye Chapitre 5. & Theo.
phylacte fur Jonas Chapitre 19.
le remarquent , on doit dire auffi
que
le foin charitable de la Sepulcure
, des Funérailles
Tombeaux , & du Miniftere qui
s'y obferve , a pris fon origine
2. deJanvier 1685.
C
des
26 Extraordinaire
d'Adam , & poftérieurement de
Noë , qu'il s'eftétendu en fuite
à toute la Poftérité , & qu'il a
enfin obtenu la force d'une Loy
inviolable. D
La Tradition des anciens Juifs
cft d'une grande authorité pour
perfuader que les offemens d'A
dam ont efté enfevelis en Hebron
, comme faint Hierômé le
répete plufieurs fois , & la plus
grande partie des Peres le tiennent
auffi , & fur tout dans le
lieu du Calvaire , la Paleftine ,
la Judée & Hebron eſtant preſque
la mefme chofe ; tous lefquels
Peres Malveda cite en fon
Livre du Paradis Terreftre, chapitre
54. & 55.
A l'égard de la Sepulture chez
les Anciens Hebreux , ne rapdu
Mercure Galant. 27
1
7
porte. t'on pas qu'Abraham par
une révelation divine , entre les
Actions les plus confidérables,
avoit une grande vénération
pour ce dernier devoir que l'on
rend aux Défunts ? Car quand il
eut perdu Sara fa chere Epoufe,
n'acheta t'il pas par quatre cens
Sicles d'argent le Champ nommé
Ephron , pour y porter le
Corps de la Défunte? Ce fut par
la le premier qui dedia une choi
fe profane à l'ufage picux & facré
de la Sepulture , comme le
dit la Genefe Chapitre 23 .
A
23.
Mais felon le fentiment de
faint Chryfoftome Homelie
ce qui eft de plus confidérable ,
ce grand Patriarche ne s'eftoit
rien acquis par aucun prix d'argent
avant. ce Champ & cette
Cij
28
Extraordinaire
Sepulture , pour n'avoir rien devant
les yeux ou dans l'efprit de
plus prefent que le Tombeau;
& ce mefme Saint le loue pour
fon extréme pieté d'avoir pris
tant de foin de la Sepulture , tant
pour luy que pour les fiens .
Ce n'eft pas encore affez pour
Abraham d'avoir religieuſe..
ment pourvû à la Sepulture de
Sara mais il s'eft porté à la
Pompe des Funérailles , qu'il vou
lut y eftre obſervée , avec des
larmes & des plaintes ; ce que
Moïse exprime en la Geneſe Cha
pitre 23. par des termes dignes
d'un fi grand Perfonnage , mef
me apres avoir rendu les der
niers devoirs aux Manes de fon
Epouſe , il pria les Hethéens
d'avoir le mefme foin de fa Sedu
Mercure Galant.
29
car
pulture , & de ne luy pas denier
ce droit d'humanité , fitoft
qu'il auroit rendu l'ame
le deuil & les plaintes ne défignent
pas feulement les larmes .
& les foupirs , que les vifs reffentimens
de la douleur tirent
du coeur & des yeux , mais tout
ce qui peut regarder les Fune.
railles & leur Pompe.
Moyle remarque que les fentimens
de douleur , & la magni.
ficence de la Pompe funebre ne
furent pas moindres en la mort :
de Jacob; auffi Patriarche, & pe--
tit fils d'Abraham , qu'ils avoient
eſté en la mort d'Abraham meſ
me ; & ce Jacob pere de Jofeph,.
ne regretta pas moins la privation
de la Sepulture de fon Fils ,
C iij
39
Extraordinaire
que la mort pitoyable & funeſte
de ce mefme Fils , laquelle fes
Freres avoient annoncé à leur
Pere eftre
malheureuſement arrivée
, pour avoir efté devoré
des Beftes fauvages ; tant le foin
de la Sepulture eftoit recommandable
chez les anciens Hé
breux . C'est ce que remarque
Philon Juif. En effet , cet Auteur
fait une peinture trifte &
lugubre de Jacob affligé pour la
mort de ce Jofeph. Les termes
en arracheroient de la tendreffe
des coeurs les plus infenfibles , &
feroient couler les larmes des
yeux des plus endurcis.
C'eft de là auffi que ces Saints
Patriarches , comme la fainte
Ecriture l'enfeigne , Genele Chapitre
35. prenoient foin d'elever
du Mercure Galant.
3F .
des Pyramides fur les Sepulcres
des leurs . Jacobce Saint Per
fonnage , comme dit Brochard
en la Defcription de la Terre
Sainte , fit ériger fur le Sepulcre
de Rachel fon Epoufe , une Pyq
ramide d'un excellent Ouvrage,
au pied de laquelle & tout au
tour il en fit placer douze autres
un peu moindres , felon le
nombre de fes Enfans, tant pour
rendre ces Monument illuftre a
la pofterité , que pour marquer
L'efperance de la Refurrection &
de la Vie immortelle , commer
témoigne.de -Lyra parlant de ce
Patriarche .
La Geneſe Chapitre 5o.net
nous reniet - elle pas en memoi
re quelle Pompe funebre ce mef
me Jacob reçût en Egypte apres
Ciiij
32
Extraordinaires
y eftre mort Son Corps fut
honoré d'un fuperbe & magni
fique appareil , & auffi éclatant
que fi c'euft efté celuy d'un Roy,
& les mefmes honneurs furent
pareillement rendus à Joſeph ſon
fils Intendant de l'Egypte , apres
fon trépas.
Saint Ambroife eftime que la
couftume de faire des Obfeques.
eft venue des anciens Hebreux;
car Jacob fut regretté pendant
40. jours , & Moyfe durant 30 .
Cette couftume s'eft diverſe.
ment introduite chez les Nations
poſterieures , comme la fuite le
fera remarquer.
Mais entendons ce que dit
Ciceron fur le foin de la Sepulä
ture. Ce foin , dit - il , marque l'ef
poir de l'Immortalité. Car pourquoy
du Mercure Galant.
33
P
•
s'attacherfifort &fi naturellement
la Sepulture , s'il ne s'enfuit la réi
nion du Corps avec fon Ame , &
que la mort ne foit un paſſage à une
meilleure vie ? A quoy fervent ces
grands Monumens * ces Sepulcres
magnifiques ces Epitaphes , & ces
préparatifs de Pompe funebre ,
Aut
fi ce n'est une esperance de l'avenir
? Voila des termes qui ne fentent
pas le Pyen , mais un ef
prit, éclairé des lumieres de la
Foy. og
Les anciens Hebreux avoient
des Sepulchres particuliers aux
Familles , & d'autres communs
aux Estrangers , qu'ils appelloient
, Polyandria , comme vou,
lant dire que ces Monumens
eftoient pour un grand nombre
de Corps eufemble , ainfi que le :
34
«Extraordinaire
"
mot le fignifie , & c'eftoit où les
Perfonnes inconnues eftoient enfévelies
.
Les Egyptiens rendoient un
culte & une veneration fingu
liere aux Corps des Défunts ,
comme aux organes de leurs
Ames, qu'ils croyoient , ainly que
dit Herodote Livre 1 , immortelles.
A ce fujet , ils prenoient un
grand foin de les embaumer , &
de les munir de quantité d'o
deurs & d'aromats , pour leur
donner beaucoup de fuavité , &
les garantir à mefme temps de
la corruption. Ils employoient
à ce foin jufques à 40. & 50. jours,
& d'avantage s'il eftoit neceffai
re , comme on le voit en la Ge
nefe , & dans Diodore le Sici
lien Livre 1. Chapitre 2. Mais on
du Mercure Galant.
35
trouve deux manieres de faire
ces Embaumemens .
Caffien , Colloque 15. Chapitre
3. explique d'où peut venir
que les Egyptiens prenoient un
fi grand foin d'embaumer leš
Corps , & de les mettre en des
lieux élevez pour les conferver
avec plus de feureté .
·
La nature de l'Egypte eft telle
, dit il , que la plus grande
partie de la Terre eft inondée
des eaux du Nil , qui fe dégor
ge & couvre les Campagnes tous
les ans , & pendant un aſſez
long intervalle de temps , y laiffant
un limon & une vafe pourriffante.
Alors les Egyptiens font
contraints de mettre ces Corps
ainfi embaumez & liez fortement
de bandes , dans les, lieux
1
36 Extraordinaire
les plus hauts & loin de l'humi
dité. Ces lieux font ordinairement
les Montagnes , où ils les
enfoüiffent dans le fable , ou des
Roches taillées , en forte qu'ils
y font des Cellules
propres à
enfevelir les Corps . Ils les met
tent auffi en de hautes Pyrami
des , comme on faifoit principalement
ceux des Rois & des
Princes de l'Egypte , qui de leur
vivant avoient pris foin de les
faire baftir eux mefmes ; de là
viennent ces grandes Pyramides
de Memphis ou du grand Cai
re, & d'autres lieux voifins.
Les
Deferts de
l'Egypte ont
encore plufieurs de ces Pyramides
, dont par l'antiquité quel .
ques unes font enfoncées
dans le
fable , d'autres font à demy rom
du Mercure Galant.
37
་
puës , & d'autres font encore en
leur entier , & l'on y peut monter
par le dehors › y ayant des
Marches qui vont tout autour ;
& fur le milieu l'on trouve des
Voutes fort étendues & fpacieufes
, où l'on peut entrer , & ce
font les lieux où les Corps des
Rois & des Princes de l'Egypte
ont efté enfevelis. On peut parvenir
jufques au fommet par ces
mefmes Marches ; mais la defcen.
te en eft beaucoup plus difficile
à caufe de la hauteur , les yeux
pouvant eftte éblouis j c'eft
pourquoy on prend ordinairement
des Guides. M Fer.
manel , Conſeiller du Parlement
de Rouen , ayant fait le Voya
ge de la Terre Sainte , en parle
comme Témoin oculaire , en for
38
Extraordinaire .
Voyage du Levant , eftant alors
accompagné du Sieur Scohouë
Eftranger.
On voit autour de ces Pyramides
des Hieroglyphes gravez,
dont les fignifications & les mar
ques font Myftérieuſes . Le Pere
Kirker en a fait un fçavant Recueil
, & en a donné l'interpré.
tation en cct Ouvrage curieux ,
durant qu'il eftoit Bibliothecaire
du Vatican.
On a mefme trouvé des Trẹ.
fors , & de grandes Richeſſes
dans le fond de ces Pyramides;
& de là on préfume que les
Corps des Rois & des Princes ,
& leurs Trefors ont efté enlevez
, depuis que le grand Caire
& plufieurs autres Villes ont efté
bafties en Egypte , où on leur a
du Mercure Galant,
39
A dreffé d'autres Monumens ma
gnifiques pour les y conſerver.
Les pierres des Monumens font
tachetées de rouge & de blanc,
car
telle en' eſt la nature , n'y
ayant guere d'autre Marbre dans
ce Pays.
La plus commune opinion des
Auteurs qui ont écrit de ces Pyramides
anciennes , eft que dans
l'Egypte , il y en a trois princi.
pales. La plus haute dès trois ,
comme difent Pline , Strabon ,
Pomponius Mela , Démocrate ,
Ammian Marcellin , Oforius &
autres , eftoit conftruite de pier
res apportées de l'Arabie , &
c'eftoit un prodige comment on
avoit peu tirer des pierres d'une
fi immenſe étendue & d'une fi
grande pefanteur , & les mon
40 Extraordinaire
ter apres les avoir mifes en ou
vrage. On tiendroit pour une
Fable , que trois cents foixante
mille hommes y ayent travaillé
vingt années pour l'achever. Sa
bafe occupoit huit Arpens de
terre. Les quatre Angles avoient
chacun de leur coflé huit cents
quatre vingts trois pieds de longueur.
La hauteur , à prendre de
la bafe au fommet , eftoit de 363
pieds. Les deux autres Pyrami
des font moindres en toute leurs
parties.
On peut juger que les Egyptiens
ont efté ceux qui ontexcellé
par deffus toutes les autres
Nations en la magnificence &
en la pompe de leurs Sepulcres
& de leurs autres Monumens,
comme difent Herodote Livre 3.
du Mercure Galant.
41
Diodore Livre 1. Strabon Liv . 17.
& Pline Livre 16: Chapitre 123
comme auffi en la dépenfe exceffive
, & au nombre des Artifans
qu'ils y employoient. Leurs
Tombeaux n'eftoient pas feule.
ment ornez de Pyramides , mais
encore de Coloffes , de Statuës ,
de Sphinx , de Colomnes , d'Obelifques
, de Labyrinthes , &
d'autres fuperbes ornemens . C'eſtce
que dit Martial au commencement
de fes Epigrammes , en
faifant comparaifon avec un Ouvrage
d'un des plus grands Em--
pereurs Romains.
-
Barbara Pyramidum filcat mira--
cuta Memphis.
En voila encore une autre , ”
qu'Amafis Roy d'Egypte avoirfait
conftruire , de laquelle laa
DD 2. deJanvier 1685.
4,2 Extraordinaire
merveille confiftoit en fa figure
& en fa grandeur ; mais c'eftoit
plûtoft par vanité & par oftentation
, qu'autrement . Ce Monument
eftoit fait en figure de
Sphinx , & d'une fi vafte largeur,
que le ciscuit feulement de la
tefte , à prendre par le front ,
avoit cent deux pieds. Sa longueur
eftoit de cent quarantetrois
, & la hauteur eftoit depuis
le nombril , jufqu'au fommet de
la tefte de 82. comme dit Pline
Livre 36. Chapitre 12. Et ce qui
eft encore plus furprenant , &
qui paffe toute créance , l'Ou,
vrage eftoit de Marbre , & d'une
pierre feule & naturelle. Voila
la Sepulture de ce Roy , dont
parle Lucain Livre 9 .
Non mihi Pyramidum Tumulis
cuulfus Amafis...
du Mercure Galant.
433
Ces mefmes Merveilles font,
rapportées par Bellonius , en fes
Obfervations fingulieres Livre 2 .
fur les Ouvrages admirables de
P'Antiquité , & par Pierius en
fes Hieroglyphiques Livre 60..
Platon mefme en fon Phedon ,
infere l'immortalité de l'Ame par
les Corps des Egyptiens , qui ,
demeuroient incorruptibles apres
tant de Siécles en leurs Tombeaux.
3
Ileft icy à propos de parler,
des / Corps qui fe trouvoient , &
fe trouvent encore dans les Se--
pulcres de l'Egypte. On leur
donne le nom de Mumies , Ily en a
de deux fortes ; les uns font embaumez
par dedans , & les autres
par dehors . On en trouve
en des lieux taillez dans les Ro
Dij
44
Extraordinaireches
rangez à colte l'un de
l'autre , enveloppez de Linceuls
rayez de diverfes couleurs , &
ferrez de Bandes diverſement
rayées auffi . Ces Mumies qui font
embaumées par dehors , fe confervent
fans corruption en leurs
linceals , & en leurs bandes , à
cauſe du Baume & des Aromats .
dont elles font munies. Ces
Corps fous leurs couvertures ont
de petites Images de terre ver
te de differentes figures fur leur
eftomach , & mefme ſi extrava
gantes qu'on les prendroit pour
des Idoles. Quelques - uns ont
creu que c'eftoit leurs Talifmans .
Les ongles des pieds & des mains
font peints de Vermillon. C'a
efté de tout temps la couftume
des Egyptiens de peindre ces
S
du Mercure Galant. 45
parties de leurs Corps chez eux
apres leur mort.
On trouve auffi de ces Mumies
enfevelies fur les Montagnes
dans le fable , où le Soleil venant
à donner à plomb , en fait
diftiler une certaine liqueur ou
graiffe fouveraine , qu'on appelle
auffi Mumie , qui guerit die
verfes maladies communes , le
Spafme , les Schirres , l'Artriti
de , le Tetanus ou contraction
de Nerfs , Tartres. Voila l'effet
de celles qui font embaumées
par dehors. Mais je ne trouve
aucun Auteur ancien qui ait parlé
de ces Mumies . Ce n'eft pas
cer Alphalte , Bitume ou Pétrole
qui diftile des Rochers , &
qui paffe mefme au travers ; quoy
qu'ils puiffent avoir quelques
A
46 Extraordinaire
vertus excellentes .
Les Egyptiens . ont une autre
efpece de Mumies , qui font des
Corps défechez . Ils les endur.
ciffent tellement , qu'il n'y a
point de Parchemin qui en apro
che en dureté , & mefme ils ne
font guere moins durs que PAI "
rain . Saint Auguſtin au diſcours
120. des divins Noms , Chapi
tre 12 parle de ces Cadavres
ainfi endurcis , & on les appelle.
en la langue du pays Gabbares.
C'eft ainfi que les nomme Ift
dore , auffi en fa Glofe, felon la
langue de ces Regions . Mais ces
Gabbares ne rendent aucune liqueur
, ou graiffe , comme les
autres.
On remarque que les Egy
ptiens vuidoient les entrailles de
du Mercure Galant.
47
ces derniers Corps ; & comme
on n'y trouve aucune incifion
fur l'eftomach ny au ventre , de
là on a préfumé qu'on les tiroit
par le fondement , & la cervelle
par les narines ; cu s'il y en
avoit quelqu'une , elle eftoir fi
bien coufuë , que l'on ne pou
voit s'en appercevoir. C'eftoit
de cette maniere qu'ils les embaumoient
par le dedans ; eftant
pourtant enfevelis dans leurs
linceuls de la maniere que les
autres. Ces Corps n'eftoient
point fujets à la corruption , &
c'eftoient ceux qui estoient or
dinairement dans les Pyrami
des .
Nous dirons en paffant que
les Egyptiens vendent rarement
de ces Corps appellez . Mumies
48 Extraordinaire
ou Gabbares , parce que les Maîtres
des Vaiffeaux n'en veulent
pas permettre le tranfport en
Europe , comme fi ces corps enlevez
de leur pays ,
préfageoient
fur Mer quelque finiftre acci.
dent , foit que leur imagination
foit préoccupée de cette fuperftition
, ou que quelquefois il
s'en foit enfuivy quelque effet
furprenant , comme Tempeftes,
Vents ou Orages , qui les ayent
jettez dans cette erreur , ils en
attribuent toûjours la cauſe a
ces Corps tirez de leur Sepulture.
Ce n'eft pas qu'en effet la
graiffe ou l'huile que l'on tireroit
de ces Corps , ne fuſt auſſ
fouveraine que le Baume d'Egypte.
Les odeurs & les parfums
dont
du Mercure Galant.
4.9
dont on fe fervoit ordinairement
chez les Egyptiens , eſtoient le
Baume d'Egypte , n'y ayant que
ce Royaume qui en produife.
L'encens , la Myrrhe , & d'autres
Aromats , qu'engendre l'Arabie,
y eftoient employez , auffi
bien que ceux qui viennent de
Corycie , de Sabée , de Cilicie
& d'autres Regions du Levant ;
& mefme du temps de Neron,
on remarque que cet Empereur
fit une dépense fi prodigieufe
aux Funérailles de Poppée fon
Epoufe , pour ces odeurs & ces
parfums Aromatiques , qu'à peine
l'Arabie pourroit - elle ſuffire ,
& fournir en une année ce que
fa prodigalité confuma en un
jour. Le Corps de cette Impératrice
ne fut pas brûlé , comme
Q. deJanvier 1685.
-
E
50 Extraordinaire
c'eftoit la couftume de ces temslà
, ainfi que la fuite le fera connoiſtre
.
;
Les Juifs ont imité la méthode
d'enfevelir les Corps comme
les Egyptiens
car ils les embaumoient
, mais feulement par
dehors , & les couvroient ou de
linceuls , ou de drap de Pourpre,
& les ferroient auffi de bandes .
C'est ce qui fe remarque dans
les Funérailles du Roy Afa,
comme on le lit au Livre 2. du
Paralipom. 10. n . 4. où la Pompe
alla jufqu'à un grand excez .
Ils les mettoient enfuite au
Tombeau, felon que dit Sanchez
fur le Livre des Roys Chap.3 .
n. 12.
Cette coustume a efté meſme
introduite en l'Eglife depuis ce
du Mercure Galant,
temps -là , comme le remarque
Tertullien en fon
Apologétique,
où la profufion & les dépenfes
du Baume & des autres odeurs
Aromatiques eftoient fi excef.
fives & fi indignes des Chrẻ.
tiens , qu'il s'emporte contre ces
excez par ces paroles . Si les Arabes
fe pleignent , dit - il , que ceux
de Sabée fçachant que leurs Aromats
feront employez plus curieufement à
embaumer & à enfevelir les Chré.
1 tiens , qu'à parfumer leurs Autels.
U
Les mefmes odeurs ou de pareilles
, fe jettoient dans les
Tombeaux ou dans les Buchers,
comme ce difcours le fera voir
en fon lieu . Mais revenons aux
Sepulcres & aux Tombeaux.
L'Ecriture Sainte ne fait- elle
e pas mention des Monumens
E ij
52
Extraordinaire
la
merveilleux , conftruits pour
Sepulture des Roys de Juda , &
principalement de celuy que fit
ériger Salomon pour David fon
Pere , fur les deffeins
que
David
mefme en avoit donnez? Ce Sepulcre
eftant en grande vénération
chez les Juifs , tomba en
ruïne fous l'Empereur
Adrien ,
comme marque Dion en la vie
de cet Empereur.
Jofephe en fes Antiquitez Judaïques
Livre 11. Chapitre dernier
, témoigne que dans le Sepulcre
de David , & dans celuy
de Salomon , il y avoit eu de
grandes richeffes enfermées ,
aufquelles il eftoit défendu de
toucher. C'eftoit en la Ville de
Sion où ces Monumens eftoient.
Toutefois Hyrcan , grand Pondu
Mercure Galant.
53
tife , eſtant affiegé en la meſme
Ville par Antiochus , pour la
racheter du Siége , & pour éloigner
l'Ennemi , fut contraint ide
faire foüir dans le Sepulcre de
David , & d'en tirer trois mille
Talens , dont une partie fervit à
détourner Antiochus de fon entrepriſe
, & l'autre fut employée
à lever une Armée pour la défenſe
de la mefme Ville . La néceffité
obligea ce Pontife à fai
re foüiller dans la Sepulture des
Roys contre la défenfe.
Mais long temps apres , le meſ
meJofephe rapporte , que le Roy
Herodes avide d'or & d'argent,
n'eut point de fcrupule de violer
la Sepulture de ce mefme.
Roy , en faisant ouvrir ce Mo--
nument.
E iij
54
Extraordinaire
D'abord il en tira de tres riches
Ornemens qui y estoient
enfermez ; mais il ajoûte qu'on
ne pût parvenir jufques aux
Cendres & aux Trefors de ce
Roy , & qu'une flâme foudaine
s'eftant élevée du fond du Sepulcre
, y confuma deux Satellites
que ce Roy y avoit employez
, pour chercher les Trefors
qu'il en vouloit tirer
que le Ciel purit ainfi l'avarice
d'Herodes, qui fut obligé de faire
remettre le Monument au
mefme état qu'il eftoit auparavant.
>
&
Ce n'eftoit pas feulement avec
les Corps des Roys , que l'on inhumoit
des Trefors & des
chofes prétieuſes ; mais meſme
avec ceux des Prophetes , com .
2
du Mercure Galant. ss
1
-C
1.
>
me Sozomene le fait voir au
dernier Livre de fon Hiftoire
Ecclefiaftique . Ce fut à ce def
fein que les Chaldéens en la prife
de Jérufalem défoüirent les
Offemens des Roys de Juda , des
Princes , des Prophetes , & d'au
tres principaux de la Ville ,
pour en tirer les Trefors &
d'autres richeffes , fi elles y
eftoient cachées , comme le
Prophete Jéremie l'avoit prédit
beaucoup auparavant , pleurant
fur les miféres de cette Ville , &
comme le Prophete Baruch les
a depuis déplorées amérement.
C'est ce qui fut remarqué en la
découverte du Corps de Zacharie
auffi Prophete , qui arriva du
temps du mefme Baruch : car
on trouva à fes pieds un certain
E j
56 Extraordinaire
3
7
petit enfant Hebreu forty de race
Royale , ayant une Couronne
d'or en fa tefte , & des chauſ
fures d'or à fes pieds , & le
corps couvert d'un habit prétieux
; ce qui eftoit la marque
du grand foin & de la finguliere
vénération que les Anciens
avoient pour les Corps des illuftres
Défunts, de les accompa
gner de fi riches ornemens.
On a auffi trouvé dans les
mefmes Monurnens ou Sepul.
cres, des Médailles tres- Antiques,
qui d'un cofté portoient la figu
re d'Empereurs , de Roys ou de
Princes , & de l'autre des lettres
Hieroglyphiques , des Trophées
d'Armes , des Devifes ou
des Emblémes ; & c'eſt dont les
Médalliftes picquent la curiofité
"
du Mercure Galant. $7
de ceux qui aiment les Antiquailles
. Brafficamus à fait paroiftre
dans fon Promptuaire fes
recherches au contentement des .
Sçavans & des Curieux.
Plutarque auffi parlant de la
ville de Pélufe , préfentement
dite Damiete , Strabon Livre-
15. & Ammiam Marcellin Livre.
6. difent que les Roys des Macédoniens
& des Perfes avoient
auffi couftume d'enfermer des .
Trefors dans leurs Tombeaux.
Planudes en lifant des Infcriptions
de Sepulcres , découvrit
ingénieufement un Trefor caché
dans un Monument antique,
& cet Arabe fubtil , qui ayant
leu fur le front d'une grande
Statuë , qui eftoit au frontispice
d'un Sepulcre à découvert , ces
58
Extraordinaire
lignes : Aux Ides de May j'auray la
tefte d'or , fçeut pénétrer dans le
fens de ces paroles ; car bien
que l'on euft déja caffé la tefte
à cette Statuë aux Ides de May,
on fut obligé de la rétablir en
fon entier , pour ne la pas défigurer
, dautant qu'on n'y avoit
trouvé que du marbre ;
du marbre ; mais luy
plus intelligent alla foüir au premier
jour des Ides de May , au
lieu où l'ombre de cette tefte
donnoit , & y trouva autant d'or
que l'ombre fe pouvoit étendre
fur la terre.
L'ufage des Romains fut auffi
affez frequent d'accompagner les
Corps de richeffes en leurs Sepultures.
Toutefois la Loy des
XII. Tables le défendit enfuite
, pour ne pas donner lieu
du Mercure Galant.
59
à violer les Sepulcres des Morts ,
& pour reprimer l'avarice . Voi
la ce que porte cette Loy , neve
aurum addito. Il n'y a pas d'autre
raison que ces Trefors cachez
donnoient occafion de rompre
les Tombeau , de violer la
Sepulture , & de porter les Avares
à cette infamie de foüiller
jufque dans les lieux facrez ce
qui a efté défendu de tout temps .
Philoftrare en la vie d'Apollonius
liv. 7. affure que cet ar.
gent qui avoit efté tiré de la Sepulture
des Morts ne devoit
point entrer dans le commerce
des Hommes principalement
celuy qui y avoit efté dérobé ,
ou qui eftoit tiré des Tombeaux
par avarice .
Le Roy Théodoric fit deux
60 Extraordinaire
1
Ordonnances fur cette matiere,
dont l'une enjoignoit l'information
contre ceux qui avoient ofé
foüiller dans les Sepulchres &
en violer le droit , & l'autre qui
commandoit de rapporter au
bien commun & à l'utilité pu.
blique , les richeffes qu'on auroit
trouvées par hazard dans les
Tombeaux .
L'Hiftoire de Padout fur fes
Antiquitez rapporte que l'on
trouva dans le Tombeau d'Antenor
, qui fut le Fondateur de
cette Ville , plus de trente mille
livres d'argent , qu'il y avoit fait
mettre avant que de mourir.
Mais cette Infcription que Semiramis
Reyne de Babylone , fit
pofer de fon vivant fur fon Se.
pulcre , trompa finement l'avadu
Mercure Galant. 61
rice du Roy Darius . Elle y avoit
fait graver en groffes lettres ces
Mots : Si cui Regum Babylonis fuerit
pecunia penuria , aperto Sepulcro,
fumito. Ce Monument demeura
plufieurs Siécles en fon entier ,`
fans qu'aucun des Defcendans ou
Succeffeurs de cette Reyne y
touchaft , juſques au temps de
Darius. Ce Roy aveuglé d'une
avarice extréme , quoy qu'il fuft
le plus puiffant , & le plus riche
de tous les Roys du Monde,
paffant par là , & ayant leu cette
Infcription , au lieu des immenfes
Richeffes qu'il efperoit y
trouver , n'y rencontra rien que
ces autres paroles gravées au dedans
qui luy reprochoient avec
honte fon avarice. Nifi pecunia
effes inexplebilis , & turpis lucri
62 Extraordinaire
cupidus , defunctorum Sepulcra non
violaffes. Quelle infamie pour un
Roy & quelle tache qui ne
pourra jamais s'effacer!
La magnificence des Sepulchres
a paru tant aux Pyrami
des , dont nous avons parlé ,
qu'en la ftructure differente des
uns & des autres. Mais voila
d'où vient ce nom de Maufolée,
qu'on donne aux plus beaux Se.
pulchres & aux Tombeaux les
plus fuperbes , tant de l'Antiquité
que des Modernes ; & mefme
aux représentations qui fe
font dans les Temples , en la
mort des Roys , des Reynes , ou
des grands Heros.
Artemife Reyne de Carie , un
des Royaumes de l'Afie majeure
, voyant Maufolus
fon
du Mercure Galant.
63
Epoux mort , touchée d'une
vive douleur , fit ériger en fon
honneur & en fa memoire un
Monument , qui du nom de ce
Prince prit celuy de Mauſolée.
La ftructure de ce Tombeau fut
d'un fi excellent ouvrage qu'elle
luy fit douner le nom de la fixiéme
Merveille du Monde. La
figure en eftoit quarrée , & cet
Ouvrage fut donné à quatre
Maiſtres des plus habiles pour y
travailler. La partie Orientale
fut deſtinée à Scopas pour la
graver ; celle du couchant à
Leocare ; celle du Septentrion à
Briaffe , & celle du Midy à Timothée
. Ce grand Monument
fut formé en Pyramide , comme
la plus part l'eftoient dans ce
temps - là . Au fommet de ce
64
Extraordinaire
grand Ouvrage , eftoit la Satuë
du Roy affis dans un Trône la
Couronne en la tefte . Le commencement
& la Bafe eftoient
par Portiques & fans Marches.
La feconde élévation fuivoit la
mefme forme , mais avec des
Marches murées en dehors ; &
la troifiéme avec des Marches
en dedans pour monter au plus
haut. Les Arcades du premier
Etage eftoient fi larges , que d'un
Pilliers à l'autre il Y avoit 73.
pieds . Elles eftoient fupportées
de 36. Colomnes d'une pierre
feule chacune.
La merveille de ce Monument
confiftoit en l'Architecture, en la
grandeur , en la hauteur , & en la
Sculpture . Comme c'étoit l'Ouvrage
des plus fçavans Maiſtres ,
du Mercure Galant.
651
auffi n'y fut- il rien épargné pour
la dépenfe . La grandeur des Sta--
tues qui en faifoient l'ornement,
furprenoit les yeux . Ce ne fut
pas affez que toutes ces Merveilles
pour en faire une , fi Ar.
temife , Epouſe de Maufole , ne
faifoit voir quelque chofe de :
plus merveilleux . C'est elle qui
apres avoir rendu les derniers
devoirs à fon Epoux avec toute
la pompe imaginable , & ayant
fait confumer fon Corps dans le:
Bucher avec les Odeurs , less
Parfums & les Aromats les plus™
préticux , en recueillit les Cendres
qu'elle enferma dans une
Urne d'or en ce mefme Monu--
ment . Mais cette Reyne ne vou-:
lant pas luy furvivre , s'enfermaz
au mefme lieu , & le refte de:
Q.de Janvier 1685, F
66 Extraordinaire
fes jours ne vécut que de ces
mefmes Cendres détrempées de
fes larmes pour tout aliment .
Ainfi elle mefme devint le Mau
folée de fon Epoux , en expirant
dans ce Monument. Ce
font là des marques d'une ten.
dreffe & d'un amour inexpliquable.
Je puis dire qu'au ſujet des ſept
Merveilles du monde , dont la
premiére , qui eft le Maufolée
eft du nombre , j'ay eſté affez
heureux pour les avoir entremef.
lées toutes dans un Diftique Latin
par leurs noms , avec celuy du
Roy , pour Infcription fur le
Louvre , avec d'autres qui ont
efté leuës à Verfailles , dans le
temps que beaucoup de monde y
travailloit. La curiofité du Public
du Mercure Galant.
67
me les fait employer icy.
Hoc Lodoici Ephefum , Mcmphim,
Babylona , Coloffum,
Maufolea, Pharon, cum Jove , vincit
opus .
Le Livre d'André Palladio, fur
les magnifiques Sepultures , imprimé
à Rome avec fes Figures ,
parle avantageufement du Maufolée
de la Reyne Artemife , en
faveur du Roy Maufolus fon
Epoux.
Varron & Pline rapportent les
merveilles du Sepulcre de Porfenna
, Roy d'Hetrurie , qui pre.
fentement eft la Tofcane , Il eft
prés la ville de Clufe . Ce Monument
eft de pierre , fait en
quarré, dont chaque cofté a trois
cens pieds de largeur. La Bife eft
auffi quarrée. Le corps de l'Ou-
Fij
68 Extraordinaire
vrage s'éleve jufqu'à la moitié en
Pyramide , & au dedans il y a un
Labyrinthe.Sur ce Labyrinthe on
voit une Plateforme qui foûtient
cinq Pyramides , quatre aux Angles
, & une au milieu . Elles ont en
leur Baſe foixante & quinze pieds.
Elles font hautes de cent cinquate
pieds , & tellement égales , qu'en
leur fommet il y a un Chapiteau
d'Airain qui les couvre toutes , &
qui foûtient cinq autres pierres
d'une hauteur prodigieufe. Du
pied de ce Monument jufqu'au
faifte , l'on compte cinq cens
pieds. C'eft où l'on tient que
Porfenna eft ‹ t inhumé .
Les Empereurs , les Roys & les
Princes , fur les modelles des Anciens,
fe font fait ériger de grands
& magnifiques Monumens pour
du Mercure Galant. 69
leurs Sepultures , comme pour fe
rendre immortels par ces Ouvrages
. On voit encore à Rome en
la Vallée Martia , les veftiges du
Sepulcre de l'Empereur Augufte,
fort prés de l'Eglife S. Roch. II
eftoit autrefois orré de Marbre
blanc , de Porphyre , de grandes
Colomnes , d'Obelifques , & d'excellentes
Statuës , & avoit douze
Portes & trois ceintures de Murailles.
Il eftoit de forme ronde
& de cent coudées de haut. Au
fommet eftoit la Statuë de cet
Empereur faite d'Airain , tenant
en fa main fon Sceptre , & ayant
une Couronne en la tefte. Il l'avoit
fait baftir . non feulement
pour luy , mais auffi pour les
Empereurs qui luy devoient fuc
ceder. Le Sepulcre de l'Empe
70 Extraordinaire
reur Adrien eftoit encore en
la mefme Ville , & c'eft où eft
maintenant le Château S. Ange,
qui eft joint par un Pont fur le
Tybre.
Ce Monument dans fon temps.
eftoit embelly & diverfifié de
Marbres differens & exquis , de
Statuës , de Chars de Triomphe ,
& d'autres Ornemens artificieufement
travaillez , mais ils furent
rüinez par l'Armée des Goths ,
du temps de Belifaire.
Le Pontife Boniface VIII . y
fit faire le Château qui s'y voit
prefentement , & qui porte le
nom de S. Ange ; car un Ange y
parut deffus l'épée à la main ,
comme pour chaffer la pefte qui
defoloit Rome , comme cela arriva
, & depuis le nom de S. Ange
du Mercure Galant.
7 ፤
Y
luy eft demeuré. Alexandre VI .
le ceignit de foffez & de baftions,
fit conftruire une Gallerie couverte
& une autre découver
te , qui va juſqu'au Palais de faint
Pierre . Paul III. a depuis embelly
ce mefme Château de divers
Apartemens fomptueux.
>
Il y a encore plusieurs autres
Maufolées en la mefme Ville ; rel
que celuy de Septimius Severus ,
que l'on apelloit Septizonium , à
caufe des fept Ceintures dont il
eftoit environné , & celuy de Ceftius
, qui ne cédoit pas au préce
dent en beauté , & dont il refte
encore des veftiges . Les Romains
font fi jaloux de ces marques
d'antiquité , que depuis un Cardinal
fe voulant fervir des rüines
d'un de ces illuftres Monumens ,
72
Extraordinaire
il en fut empefché par l'autorité
Pontificale.
Proche de ces magnifiques Se--
pulcres eftoient des Obelifques .
d'une hauteur étonnante , & d'une
feule pierre . Il y en avoit deux au
Maufolée d'Auguſte , de quarante-
deux pieds. On tient mefme
que les cendres de Jules Cefar
étoient au fommet de celuy qui
avoit foixante & douze pieds ; en
la place defquelles Sixte V. a fait
mettre de fon temps une riche
Croix . Il y avoit des Lettres &
des Caracteres Egyptiens gravez
autour,
On érigeoit auffi des Colomnes
proche des Sepulcres en la
mefme Ville . Celle qui fut bâtie
en l'honneur de l'Empereur Trajan
, comme dit le mefme Palladio
dis Mercure Galant.
73
dio , avoit cent vingt- huit pieds
de hauteur ; & cet Empereur ne
la vit pas , parce qu'ayant entre
pris la Guerre contre les Parthes ,
il mourut au retour de cette expedition
en la ville de Seuleucie
en Syrie. Mais depuis fes cendres
furent rapportées à Rome ,
& mifes dans une Vrne d'or au
haut de cette Colomne. L'an 1588 .
Sixte V. fit mettre au lieu de
cette Vrne l'Image de S. Pierre,
faite de Bronze doré & d'une
grande ſtature . Autour de cette
Colomne , les Guerres & les Vi.
& oires de Trajan étoient gravées
en figures de Marbre , & principalement
fon entrepriſe contre
les Daces ,
Il y a des Villes entiéres bâties
& deftinées à la Sepulture des
2. deJanvier 1685. G
74
Extraordinaire
Empereurs & des Roys , comme
Seleucie par Conftätin le Grand ,
Antinoë par l'Empereur Adrien,
quoy que fon Sepulcre ait eſté à
Rome , où prefentement eft le
Château Saint Ange , comme il
eft dit cy- devant , Bucephalie
par
Alexandre le Grand , Taphofyris
par les Egyptiens , & plufieurs
autres ; ce que témoigne
Zuingerus ,
Pour la matiére de ces Monu~
mens , la Pierre , le Marbre , le
Porphyre , & mefme le Verre y
ont efté employez , comme on
voit dans Strabon liv. 17. qui die
que Ptolomée érigea pour Alexandre
le Grand , un Sepulcre
entiérement de verre, où le corps
ne pouvoit rendre aucune mauvaife
odeur , & étoit toûjours
du Mercure Galant. 75
4]
i
prefent aux yeux par la tranfparence
de la matière .
Plutarque raporte que le Sepulcre
d'Anthée , ce Géant fameux
qui combatit contre Hercule , &
dont il fut vaincu , a foixante &
dix coudées de long, & qu'il étoit
tenu comme une chofe Sacrée ;
car fi la moindre partie en étoit
offencée , & n'étoit pas réparée
au plûtoft , une pluye continuelle
tomboit en la mefme Region , &
la defoloit .
Il en arrive prefqu'autant à l'égard
du Sepulcre du Poëte Stratus
, qui fe voit à Pompejopolis ,
ville de Syrie , comme fait mention
Olaus Magnus , contre lequel
fi un Paffant jette une pierre
, elle rejaillit auffi- toft contre
luy , plûtoft par un prodige que
Gij
76
Extraordinaire
par aucune
raiſon naturelle
. Ces
exemples
ne font icy raportez
que pour marquer
la venération
qu'on doit avoir pour les Tombeaux
, & pour ceux qui y prennent
leur repos.
Le Tombeau de Virgile , Prin .
ce des Poëtes Latins , étoit conftruit
à la vuë de la ville de Naples
, & étoit d'une grande éminence
;
mais maintenant il eft
couvert d'arbriffeaux & de brof.
failles. On en voit encore les
grands veftiges à l'entrée d'une
caverne du Mont Paufitippus ,
comme on le remarque dans le
livre des Monumens & des Eloges
des illuftres Perfonnages ,
avec cette Infcription .
Qui cineres ? Tumuli hæc veſtigia ;
conditur olim
du Mercure Galant.
77
Ille hoc , qui cecinit pafcua , rura,
duces.
Si les Payens fe font fait des
Dieux , de leur nombre la pluf
part étoient mortels . Lucien qui
s'en raille , raporte dans le Dialogue
qu'il intitule Philopater, que
le Sepulcre de Jupiter leur Sou
verain étoit conftruit dans l'Ifle
de Créte , en une certaine Vallée
où autrefois il avoit efté nourry,
lors que Cybéle fa Mere le mit
au Monde dans la Foreft Dictée,
où les Corybantes par leur bruit
& le cliquetis de leurs Armes
empefcherent que Saturne fon
Pere n'entendift les cris de l'Enfant,
& qu'il n'en fuft devoré.
Le mefme Autheur en fon Dialogue
, qui porte pour Tître le
Deüil , aprend beaucoup de cho
G iij
78
Extraordinaire
fesfur la matiére de la Sepulture.
On y voit entr'autres que les
Grecs, tantoft brûloient les corps ,
& tantoft les inhumoient . Que
les Perfes les enterroient avec
des meubles prétieux , & avec de
grandes richeffes , felon la qualité
des perfonnes. Que les Indiens
fe fervoient de Tombeaux & de
Buchers , & qu'ils oignoient les
corps de fuif. Que les Scythes.
mangeoient fouvent les corps
leurs Amis en de grands Banquets ;
que les Egyptiens les embaumoient
. Mais nous traiterons du
tout feparément.
de
Revenons du Prophane au Sacré.
Au milieu de la Vallée de
Jofaphat , on trouve le Sepulcre
d'Abfalon , Fils de David . Il eft
coupé dans la Roche à la pointe
du Mercure Galant .
79
du cifeau , mais les Juifs l'ont tellement
en horreur, qu'ils yjettent
des pierres en paffant , à caufe du
mauvais deffein qu'il avoit entrepris
contre le Roy fon Pere.
Prés de la ville de Jérufalem ,
on voit les sépultures des Roys
de Juda , pareillement taillées
dans la Roche , & feparées les
unes des autres . Ce font autant
de Sepulcres en forme de cabinets
, & dont les Portes ont cela
de merveilleux , qu'elles font de
pierre , & tournent fur des pivots
de pierre auffi , le tout n'étant
que d'une feule pièce.
Les Sepultures des Juges d'If
raël , ne font pas éloignées des
precédentes . Elles font profque
toutes en leur entier. La curio .
fité de les voir , porte les Voya-
G iiij
80 Extraordinaire
geurs à fe fervir d'Arabes , qui
pour peu d'argent donnent des
connoiffances du tout .
Le Sepulcre du Lazare eſt dans
la Bethanie affez profond , ayant
plufieurs marches pour y defcendre.
L'on tient que ce Monument
étoit commun à fa Famille;
car il n'eut pas efté conftruit en
fi peu de temps aprés fa mort.
C'eft de ce lieu que la Sageffe Incarnée
le tira pour le reffufciter,
en luy difant , Lazare , exiforas .
Les Sepulcres où ſont enterrez
Jes Innocens qu'Herode fit maf
facrer , font auffi taillez dans la
Roche ; comme auffi céluy de
fainte Paule vers Bethleem. C'eft
en fon honneur que S. Hierôme
a compofé cette Epitaphe.
Afpicis anguftum pracisâ rupe Sepulcrum
,
du Mercure Galant. 81
Hofpitium Paula eft caleftia regna
tenentis ,
Divitias linquens Bethlemiti conditur
antro.
Le Tombeau du mefme S. Hie
rôme n'eſt pas éloigné de là ,
ainfi que ceux de plufieurs autres
SS. Peres. L'on tient par une
commune opinion que la Refurrection
fe doit faire de tous les
Hommes en cette Vallée de Jo.
faphat au dernier Jugement , &
que comme il a efté poffible à
Dieu de divifer les Hommes en
la Transfiguration de Babylone,
il luy fera auffi facile de les raffembler
tous en un moment , au
mefme lieu , de toutes les Parties .
du Monde , pour y recevoir leur
jugement.
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Résumé : DE L'ORIGINE DE LA SEPULTURE, DES TOMBEAUX, Et du temps que l'on a brûlé les Corps.
Le texte explore l'origine et l'importance des pratiques funéraires, soulignant leur ancienneté et leur signification. La sépulture est présentée comme un droit ancien, instauré peu après la création du monde et la chute d'Adam. Dieu a informé Adam que les corps humains retourneraient à la poussière, justifiant ainsi l'ensevelissement des morts. Les premiers hommes, guidés par une loi naturelle, ont enseveli les corps des défunts. Adam et Noé sont mentionnés comme les premiers à avoir ouvert la terre pour y ensevelir les corps. Abel, le premier homme à mourir, a été tué par son frère Caïn, qui a caché son corps pour lui refuser une sépulture. Adam a cherché le corps d'Abel et lui a érigé un monument avec une épitaphe. La privation de sépulture est décrite comme une punition barbare, comme celle infligée aux Hébreux par Pharaon. Noé, averti par Dieu de construire l'arche pour survivre au déluge, a également joué un rôle dans l'établissement des pratiques funéraires. Il a converti l'arche en tombeau et a emporté avec lui les offrandes d'Adam tirées du sépulcre d'Abel. Après le déluge, il a partagé ces offrandes entre ses fils. Les traditions juives et chrétiennes soulignent la piété de Noé et d'Adam envers les morts. Abraham a acheté un champ pour y enterrer Sara, marquant ainsi la première dédication d'un lieu profane à un usage sacré. Les patriarches prenaient soin d'élever des monuments funéraires, comme Jacob qui a érigé une pyramide sur la tombe de Rachel. Les pratiques funéraires, y compris les obsèques et les monuments, sont vues comme des marques d'espoir en l'immortalité et en la résurrection. Les Hébreux possédaient des sépultures familiales et des lieux communs pour les étrangers, appelés 'Polyandria'. Les Égyptiens vénéraient les corps des défunts, qu'ils considéraient comme des organes immortels de l'âme. Ils prenaient grand soin d'embaumer les corps avec des huiles et des aromates pour les préserver de la corruption. Les Égyptiens enterraient souvent les corps embaumés dans des lieux élevés, comme des montagnes ou des pyramides, pour les protéger de l'humidité causée par les inondations du Nil. Les pyramides, notamment celles de Memphis, étaient des monuments majestueux construits pour les rois et les princes. Le texte mentionne également des trésors et des richesses trouvées dans les pyramides, ainsi que des momies, qui étaient des corps embaumés conservés dans des linceuls et des bandes. Les Égyptiens utilisaient divers aromates, comme le baume d'Égypte, l'encens et la myrrhe, pour les rites funéraires. Les Juifs adoptaient des pratiques similaires, embaumant les corps et les couvrant de linceuls ou de pourpre. L'Écriture sainte fait référence à des monuments funéraires impressionnants, comme celui érigé par Salomon pour David. Le texte traite également des sépultures royales et prestigieuses. Le grand prêtre de Jérusalem, assiégé par Antiochus, dut fouiller le sépulcre de David pour obtenir des fonds. Le roi Hérode, avide d'or, viola la sépulture de David mais fut arrêté par une flamme soudaine. Les sépultures des rois et des prophètes contenaient souvent des trésors et des objets précieux. Les Chaldéens, lors de la prise de Jérusalem, pillèrent les offrandes des rois et des prophètes. Des médailles antiques et des inscriptions étaient également trouvées dans ces sépultures. Les rois des Macédoniens et des Perses avaient également la coutume d'enterrer des trésors avec eux. Les Romains, bien que la loi des Douze Tables ait interdit de cacher des trésors dans les sépultures, avaient des pratiques similaires. Le roi Théodoric édicta des ordonnances contre ceux qui violaient les sépultures. Des trésors furent également trouvés dans des tombeaux célèbres, comme celui d'Antenor, fondateur de Padoue. Le texte décrit des sépultures magnifiques, comme le mausolée d'Artémise pour son époux Mausole, considéré comme l'une des sept merveilles du monde. Artémise, après la mort de Mausole, se fit enterrer avec lui.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 466-484
REPONSE à la Lettre écrite de Soissons, sur Saint Front, inserée dans le Mercure d'Avril 1731.
Début :
MESSIEURS, Le zele de la Personne qui demande des Mémoires [...]
Mots clefs :
Périgueux, Neuilly, Martyrologue, Évêque, Lettre, Apôtres, Corps, Ossements, Diocèse, Patron, Saint Front, Reliques, Clergé de Paris
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texteReconnaissance textuelle : REPONSE à la Lettre écrite de Soissons, sur Saint Front, inserée dans le Mercure d'Avril 1731.
REPONSE à la Lettre écrite de Soissons,
sur SaintFront, inserée dans le Mercure
d'Avril 1731.
MESSIESSIEURS ,
Le zele de la Personne qui demande
'des Mémoires sur S. Front , est très louable ;il est juste de le seconder. Il paroît
qu'elle seroit fâchée qu'on lui en envoyât
de faux , ou qu'on s'expliquât d'une maniere qui ne décidât rien. Cependant
il sera difficile de découvrir la verité
dans une chose si incertaine et si enveloppée d'obscuritez. Je ne me flatte pas
de l'enrichir beaucoup ; mais au moins
L'exposition que je ferai de ma disette ,
pourra contribuer à éclaircir un jour ce
qui paroît couvert de tant de nuages ,
si dès-à- present on n'a pas de quoi les
dissiper. Les hommes , comme dit M.Baillet, à l'occasion de S. Front de Perigueux,
peuvent bien tirer la verité des tenebres,
mais il n'est pas en leur pouvoir de la
créer. Ainsi il ne faut pas que le Curieux
de Soissons s'attende à la production d'une Légende bien circonstanciée. C'est
beaucoup
MARS. 1732. 467
beaucoup qu'on puisse lui indiquer l'état de son Saint, et le Siecle auquel il a vécu.
Je ne puis deviner la raison qu'a eû
cette Personne , dont vous avez imprimé
la Lettre dans le Mercure d'Avril , de
prendre Neuilly - Saint - Front pour un
Village. C'est veritablement une petite
Ville ; et celle de Soissons n'en étant éloignée que de six lieuës , je ne trouve pas
que son ignorance soit pardonnable , ni
qu'elle rende suffisamment justice à ce lieu,
en le qualifiant de Village assez conside
rable. Ne seroit- ce point à l'imitation de
ce Bourguignon , qui n'ayant jamais été à
Avallon , prenoit cette Ville pour une
Bicoque , tandis qu'il y a bien des Villes
Episcopales en France qui n'en approchent pas Je ne fais cette remarque en
passant , que parce que c'est dans un Livre imprimé dans le siecle présent , que la Ville d'Avallon a été ainsi maltraitée.
Le mot de Bicoque , étoit appliqué fort
injurieusement.
Comme c'est ce Neuilly Soissonnois
qui a donné occasion à la Lettre qu'on
vous a écrite , je croi qu'il n'y a pas de mal de commencer par le venger et d'en
tracer d'abord une legere idée. Ce Neuilly
est situé dans un fond qui est cependant
C v
ly
assez
468 MERCURE DE FRANCE
1
3.
+
assez découvert , sur tout du côté du
Couchant , et dont la vûë se termine vers
le Midy,à un petit Côteau , au haut duquel est l'ancienne Eglise de l'Hôpital. II
est composé de deux Paroisses ; sçavoir ,
Saint Front , qui est une Eglise dont la
partie Orientale est d'une structure du
treiziéme siecle ou un peu plus , le reste
étant plus nouveau et d'Architecture
seulement erriciastique. Elle est renfermée dans le Château et elle s'y trou
ve seule avec un ou deux bâtimens.
Ce Château est dans le goût de ces Forteresses qu'on bâtissoit il y a six ou sept
cens ans. Il est de forme ronde , environné de Fossez pleins d'eau et flanqué
de plusieurs grosses Tours à cinquante
l'une de l'autre. La seconde Paroisse pas
est S. Kemy, Eglise bâtie dans le Fauxbourg du côté du Septentrion , mais d'une antiquité au moins égale à ce qu'il y
a de plus ancien dans celle de S. Front.
Cette derniere Paroisse comprend dans
son territoire la partie Septentrionale de
la Ville. Les rues de ce lieu sont larges ,
propres , bien pavées , les maisons assezbien rangées et peuplées de toute sorte
de Marchands et d'Artisans. le Château
qui est dans le plus bas de la Ville , est Fenfermé entierement dans les murs qui
la
MARS. 469 1732. .
1
la ferment وet. ces murs sont encore passablement bons et élevez , à cause de la
commodité du grais qui n'est pas rare en
ces quartiers- là . Voilà d'abord ce que j'avois à dire touchant ce Neuilly, pour prouver que ce n'est pas un Village. Aussi
est-il qualifié de Ville dans le Dictionnaire Universel de la France , qui y compte
1792. Habitans.
Les Ecclesiastiques de S. Front m'apprirent lorsque j'y passai, que c'est le premier Evêque de Perigueux , qu'ils regardent comme leur Patron. On y débite
que ce Saint est l'Apôtre de Neuilly , éga
lement comme de Perigueux. Je ne sçai
même si l'on ne met pas Neüilly en premier lieu , comme si ce Saint fût venu
y annoncer la Foy avant que d'aller à
Perigueux. On avoit dit la même chose
à M. l'Abbé Chastelain , Chanoine de l'Eglise de Paris , lorsqu'il y passa l'an 1682.-
et ce Sçavant, sans approfondir alors cette
matiere , déclara assez ce qu'il en pensoit,
en marquant que ce Saint pouvoit n'être
venu à Neuilly que par quelqu'une de ses
Reliques. Le 25. Octobre jour du culte
de l'Apôtre du Périgord , étant la Fête
de Neuilly , cela confirme encore les
Habitans dans leur opinion ; mais il y a
plus , c'est que du côté Méridional de
C vj l'E-
470 MERCURE DE FRANCE
l'Eglise on montre un vitrage où l'on
apperçoit en peinture quelques traits de
la L gende de l'Evêque de Perigueux , le
reste ayant été détruit par l'injure des
tenips. J'y vis en effet la représentation
du Miracle de la Phiole , qu'on dit être
descendue du Ciel pendant que ce Saint
celebroit la Messe ; mais par malheur ce
Vitrage n'a tout au plus que deux cens
ans. On m'assura que cette Phiole étoit
autrefois conservée à Neuilly , et qu'elle
a été perduë ou cassée ; desorte que tout
ce qu'on y conserve aujourd'hui de ce
Saint consiste dans un article des doigts
à quoi on ajoûta qu'outre la Fête du 25.
Octobre,il y en a encore une autre qu'on
appelle la Tranflation , laquelle se celebre le second Dimanche d'après Pâques.
Le nom de S. Front ayant été fameux
dans ce Pays- là , il n'est pas étonnant :
qu'on l'ait donné au Baptême à plusieurs
Enfans. On le trouve aussi dans les Registres Baptistaires de la Paroisse du Fauxbourg de Cône sur Loire , par la raison
que je vais rapporter.
Avant que de passer par Nülly , je
sçavois que dans le Diocèse d'Auxerre il
y a une très-ancienne Eglise sous l'invocation d'un S. Front. Son Edifice est presqu'entierement du onziéme siecle ; le Peuple
MARS. 1732. 471
ple de la Ville de Cône app lie communément cette Eglise du nom de S. Aignan,
et c'est l'erection d'un Prieuré dans la
même Eglise, qui a fait ce changement de'
dénomination. J'avois vû le Manuscrit
de cette Eglise , qui contient l'Office du
S. Patron. Il a deux cens ans ou environ
d'antiquité et il est ainsi désigné : En ce
Cayer est comprins la Legende et l'Office de
Chant de Monsieur S Front , dont les Reliques de tout son digne Corps sont cyens ,
hors la haute partie de son Chef qui est en
Perigord , dont il fut premier Evêque envoyé de Rome par Monsieur S. Pierre l'Apore , premier Pape de Rome , et avec ledit
S. Front , ung Prêtre son Disciple nommé
Georges , lesquels cheminant l'espace de trois
jours , Georges déceda et fut ensepulturé par
ledit S. Front, lequel dolent s'en retourna ,
&c. Il est inutile de dire le reste , ni de
marquer que l'Office qui suit contient la
Legende rapportée dans le Mercure de ³
Juillet dernier , pages 1670. 71. et 72. et
qu'elle est rédigée dans un style qui ressent tout à- fait la barbarie des anciens
Perigourdins. Ceci suffit pour faire voir
que les Villes de Cône et de Neuilly ont
fait venir du Perigord l'Office de saint
Front, croyant que leur Saint étoit ce
prétendu Disciple de J. C. Mais on ne
-
peut
472 MERCURE DE FRANCE
peut prouver que cette créance soit plus
ancienne que de deux ou trois siecles dans
ces deux Villes , et quand même elle seroit plus ancienne , elle n'en seroit pas
pour cela plus veritable ; c'est pourquoi
j'espere qu'en démontrant qu'à Cône on
a été dans l'erreur lorsqu'on a crû que
le S. Front , ancien Patron de l'Eglise du
Fauxbourg , est l'Evêque de Perigueux, je
pourrai inspirer quelque doute sur le
même article aux Habitans de Neuilly ,
qui sont bien plus éloignez de la Ville
de Perigueux , que ne le sont les Habi
tans de Cône.
Il est constant que l'on conserve à Cô
ne , dans l'Eglise en question , presque
tous les Ossemens qui composent un
corps humain , et qu'ils y sont regardez
comme formant le Corps d'un S. Front,
suivant l'Inscription du Livre dont je
viens de parler. Je parle sur ce ton pour
avoir vû ces saintes Reliques et pour être
assuré qu'en l'an 1622. François de Donadieu Evêque d'Auxerre , les visita
dans leur ancienne Châsse , et les appronva; je suis même certain qu'il y a quel
ques portions de la tête. Or c'est une
chose très- clairement prouvée dans l'Histoire des Evêques de Perigueux , publiée
par Jean du Puy en 1629. que le Corps
.
entier
MARS. 1732. 473
*
entier et le Chef de S. Front , premier
Evêque de Perigueux , furent conservez
à Perigueux même jusqu'à-ce que les
Calvinistes ayant porté la Châsse à un
Château voisin de la Dordogne , les jetterent dans la Riviere l'an 1575. Done
le Corps presque entier , conservé à Cô
ne , n'est nullement celui de S. Front de
Perigueux. Je suis persuadé par l'ardeur
que les Perigourdins témoignent et qu'ils
ont toujours témoignée depuis les siecles
d'ignorance à perpetuer dans la pureté
de son Original la prétendue Vie de
S. Front , qu'à plus forte raison ils ont
toûjours dû montrer un zele bien plus
ardent pour ne pas souffrir qu'on fit des
distractions si notables du Corps de
leur S.Apôtre, et qu'on emportât ailleurs
la partie inferieure de la tête avec les
dents , le femur , le tibia , les os ischion
illion , les vertebres , les côtes , les phalanges, rotules de genou , calcaneum , &c.
و
Puis donc qu'on est encore en état de
montrer tous ces Ossemens à Cône , et
que M. l'Evêque d'Auxerre déclara en
1622. que l'étoffe qui les renferme contenoit cette Inscription , De sancto FronVoyez le second Tome de son Livre, intitulé
l'Etat de l'Eglise du Perigord , aux pages 91. 139%
151. et 203. suivant l'Edition de l'an 1716.
tone
474 MERCURE DE FRANCE
tone , c'est une marque certaine que les
deux Corps sont differens ; à moins qu'on
ne dise que quelqu'un auroit pris en 1575
dans la Riviere de Dordogne les Ossemens de S. Front , et les auroit portez à
Cône. Mais c'est ce qui ne peut être ;
premierement, parce qu'il est impossible.
de réunir en un seul endroit d'une eau
courante tant d'Ossemens, même très- pe
tits , et que d'ailleurs il seroit bien difficile de les prendre secretement ; secondement , parce que l'étoffe qui enveloppe
les Ossemens de S Front de Cône est
plus ancienne que les guerres des Calvinistes ; il y en a même qui est d'un travail de cinq ou six cens ans. Outre cela,
la Tradition touchant la presence du,
Corps de S. Front à Cône, est bien anterieure aux guerres des Calvinistes , ce
qui se prouve par le titre qui se lit à la
tête de son ancien Office , dont j'ai rap "
porté cy-dessus le commencement.
Etant donc suffisamment prouvé qu'à
Cône sur Loire , on a été dans l'illusion
depuis quelques siecles , en prenant les
Reliques qu'on y possede pour celles de
S. Front de Perigueux , et en chantant en
son honneur un Office entierement tiré
de la Legende fabuleuse du Périgord et
le chantant le 25. Octobre, jour auquel
on
MAR S. 1732. 475
on honore à Perigueux l'Apôtre de la
Ville ; c'est un exemple qui doit faire
beaucoup appréhender qu'il n'en soit demême de la Tradition de Neuilly , où
l'on prend pareillement l'Evêque de Perigueux pour Patron , comme s'il n'avoit
jamais existé qu'un S. Front , et que tout
dût retourner à l'augmentation du culte
de celui de Perigord.
Je suis en état d'en indiquer un autre
aux Habitans de Neuilly ; mais je prévois
qu'étant accoutumez à entendre raconter
par des Prédicateurs trop crédulés , toutes les fictions de la Legende si judicieu
sement rejettée de nos jours , ils au
ront de la peine à revenir de leurs
préjugez. Souvent le desir d'avoir un
Panégyrique propre pour un S. Patron ,
et d'en chanter un Office plenier , fait
qu'on donne , tête baissée , dans quantité
de fables qui fournissent une ample matiere aux Orateurs et aux Poëtes. J'avoie
qu'il n'est pas impossible qu'on ait eu à
Neully quelques Reliques d'un S. Front ,
mais il est plus vrai- semblable qu'on l'au
ra obtenue de l'Eglise de son nom à Cô
ne , que de celle de Perigueux. Quelques.
Connoisseurs en anciennes Forteresses
croyent que le Château de Cône et celui
de Neuilly, sont du même temps , com- me
476 MERCURE DE FRANCE
me étant également construits en forme
ronde dans un lieu aquatique , et flanquez de plusieurs Tours rondes ; de sorte
qu'ils nous fournissent par là matiere à
conjecturer qu'un certain Hugues , Seigneur dans le Pays du Maine , qui se rendit maître du Château de Cône au XII.
siecle , pourroit bien avoir aussi possedé
celui de Neuilly et avoir tiré de l'Eglise
de Cône de quoi faire un présent à celle
de cet autre Château. On sçait que les
anciens Seigneurs aimoient à enrichir
leurs Terres de ces précieux restes , qu'ils
regardoient , avec raison , comme des
trésors inestimables. Jean , Moine de Marmoutier , Auteur contemporain , parle
de ce Hugues le Manceau , et l'appelle
HugoCenomannicus. Comme donc il avoit
des Terres dans le Maine, et qu'il y a eu un
S. Front Solitaire en ces Pays-là , il semble qu'on pourroit avoir des vûës sur ce
Saint ; ou bien , s'il est faux que ce soit
dans le Diocèse du Mans que soit mort
un S. Hermite du nom de Front , et qu'il
soit decedé plutôt proche Cône sur Loire,
comme Nithard le laisse à penser en appellant ce lieu Sanctus- Fludnaldus , dès le
neuvième siècle , il résultera de- là que
c'est le transport d'une partie de ses ReLiques fait au Diocèse du Mans , qui y
aura
MARS. 17328 477 Y
aura établi son culte , et qui aura fait
croire qu'il y avoit vécu en Solitaire comme tant d'autres.
Quoiqu'il en soit , la Tradition étoit
autrefois à Orleans , que ses Reliques y
avoient passé, et on en celebroit encore
la memoire il n'y a pas plus de cent ans
dans l'Eglise de S. Benoît du Retour , où
il étoit représenté en habit de Religieux.
Ce que Symphorien Guyon , dans son
Histoire d'Orleans, (a) et Corvaisier, dans
celle des Evêques du Mans , (b) écrivent
sur un S. Gaud et un S. Frond , son Compagnon , qui au sortir du Monastere de
S. Memin proche Orleans , embrasserent
la vie Eremitique , est très - probable ,
mais leurs noms ne sont ni Gallus ni
Fronto. L'un avoit nom Godoaldus , -èt
l'autre Fludualdus. Le culte du premier
appellé Gaud , a éclaté à Yevre , sur les
confins des Diocèses d'Orleans et de Sens,
et il est marqué dans tous les anciens Calendriers et Martyrologes de Sens au 6.
Juin sous le nom de Godoaldus Confessor.
Celui du second a été celebre à Cône
plus qu'il n'est aujourd'hui ; on y voit
par d'anciens Manuscrits en Langue vulgaire , que son nom étoit écrit , non pas
Front , mais Frond, ce qui dénote un ori-
(a) Page 466. (b) Page 140
gine
478 MERCURE DE FRANCE
gine venant de Fludualdus , dont la premiere syllabe souffroit dans notre Langue le même changement qu'on a fait
ailleurs de Flocellus en Froncean.
Les deux Ecrivains que je viens de
nommer , quoique vivans avant que la
Critique fut au point qu'elle est de nos
jours , n'ont pas laissé de blâmer ceux
qui prenoient ce S. Frond Solitaire pour
l'Evêque de Perigueux , et ils ont soutenu qu'ils étoient fort differens. Guyon
assure que le Solitaire vivoit au sixième
siecle. Corvaisier ne craint pas de dire que
le Voyage et les Avantures de S. Front de
Perigueux sont plus fabuleuses que vraisemblables , et il se plaint après M. du
Bosquet , de l'ignorance ou de la negligence
des anciens Ecrivains , qui sans faire distinction des temps , confondent en une seule
Vie toutes les diverses actions de ceux qui
portoient un semblable nom. Il auroit pú
ajoûter que de-là est venue la méprise
par laquelle ceux qui avoient intention
d'honorer S. Front le Solitaire ou simple
Confesseur , lui ont choisi le 25. Octobre jour de la Mort de S. Front , Evêque de Perigueux. C'est ce qui est arrivé,
non seulement à Cône sur Loire , mais
encore au Diocèse du Mans , où ce saint
Hermite est l'un des Patrons de la Ville
et
MARS. 1732. 479
et du voisinage de Dom- Front en basse
Normandie , qui en a pris le nom , au
lieu de celui que cette Ville portoit auparavant , lequel paroîtroit aujourd'hui
ridicule , au moins en Latin. Je sçai encore qu'au Diocèse d'Amiens , dans le
voisinage de Roye , il y a un Village appellé Dom-Front , où l'on voit un Chef
de bois doré , qui contient des Reliques ,
auxquelles il y avoit concours le 25. Octobre , et cependant le Saint n'est représenté que comme Prêtre , et non comme
Evêque. Que sçais - je si on n'est pas dans
la même erreur à Suzemont au Diocèse
de Toul , où un S. Front est pareillement
Patron , suivant le Pouillé du Pere Benoit ?
+ La question seroit à present de démê
ler dans la Vie de l'Evêque de Perigueux,
ce qui a été emprunté des Actions du
S. Solitaire , dont le nom vulgaire se
trouve aujourd'hui limé de maniere à n'être pas pas different pour la prononciation ;
car il se peut faire enrore qu'on ait appliqué à notre Fludualdus , des actions de
S. Fronton de Nitrie ou d'Egypte. Je ne
me flatte donc pas d'apprendre à notre
Curieux du Pays Soissonnois , de quoi
faire une longue Legende de son Saint.
Ce n'est pas là ce qu'il demande , mais
seu
480 MERCURE DE FRANCE
seulement qu'on lui donne quelque chose
de moins décrié que ce qu'on a debité de
S. Front de Perigueux. Je suis fâché de
lui laisser ignorer les actions de notre
S. Confesseur ; mais si le Saint a été véritablement Solitaire , il n'est pas surprenant que sa vie ait été inconnue , et que
ce ne soient que les Miracles d'après sa
mort qui l'ayent rendu celebre , sans que
les Fideles ayent fait grande attention au
jour de son décès. Je croirois que la Fête
de S. Frond de Cône auroit été autrefois celebrée au mois d'Avril , le jour que
les Martyrologes marquent S. Fronton de
Nitrie , et que c'est encore en memoire
de ce culte que l'usage a resté d'honorer
S. Frond à Neuilly , l'un des Dimanches
d'après Pâques. Mais je n'ose encore rien
prononcer d'assuré là-dessus.
Ce que je puis ajoûter à cette Lettre
pour vous marquer que j'ai fait usage des
Livres du Perigord que vous m'avez envoyez , est que plus je lis ces nouveaux
Auteurs Perigourdins , tel qu'est le Livre du Pere du Ray , Récolet , et la Dissertation de M. de la Serre , cy-devant
Superieur du Seminaire de Perigueux, imprimée en 1728. plus je suis surpris de
leur attachement scrupuleux à des Histoires qui furent rejettées comme fausses
des
MARS. 1732. 481
ès l'onziéme siecle , et dont ils ne trou
veront des deffenseurs que parmi ceux à
qui on apprend dès la jeunesse à faire des
especes d'Actes de Foi sur la Tradition
de la Mission de S. Front par S. Pierre.
N'est-ce pas en effet vouloir renfermer
cette créance dans les limites du Diocèse
de Perigueux , que d'exiger qu'on regarde l'Eglise Chrétienne de Perigueux comme la plus ancienne des Gaules , et qu'on
croye que les Perigourdins ont été les
premiers appellez à la Foy avant les Habitans de Marseille , deLyon, de Vienne
&c? C'est ce que signifie clairement cette
exclamation qui termine un abregé de la
Vie de S. Front , imprimé à Perigueux
L'an 1728. en forme de Meditation : Quel
sujet n'avons-nous point de louer Dien !
Quelle reconnoissance ne devons-nous point
à son adorable Providence , de nous avoir
appellé les premiers à la Foy , et de nous
avoir donné un des Disciples de son Fils
N. S. J. C. pour établir dans ce lieu une
des premieres Eglises Chrétiennes ! La critique peut bien former contre nous toutes les
objections qu'elle voudra ; mais elle ne sera
pas capable de nous faire, abandonner notre
Tradition. La gloire que nous avons d'avoir été les premiers appellez à la Religion
Chrétienne est trop grande pour ne la pas conserver
482 MERCURE DE FRANCE
conserver très- cherement , et il faut esperer
que notre Saint conservera par sa protec- "
tion auprès de Dieu , l'Eglise qu'il a formée avec tant de travaux. Quelle seroit notre
ingratitude , ô mon Dieu , si nous étions capables d'oublier la preference que vous nous
avez donnée surtant d'autres Provinces qui
paroissent plus considerables ! Mais quelle
seroit notre lâcheté , si nous abandonnions
une Tradition si honorable et reconnuë par
tous les Martyrologes anciens et nouveaux !
Il est fâcheux qu'on n'ait pas inspiré
il y a trente-cinq ans au Clergé de Paris
de pareilles résolutions pour empêcher
qu'on n'abandonnât l'opinion de l'Aréopagisme du premier Evêque de cette Ville.
Je doute fort que le sçavant Pere Sirmond , Jesuite , eût pû tenir son sérieux,
s'il avoit vû une matiere de cette nature
mise en style de Méditation sur l'article
de S. Denis de Paris , et en apostrophant
la divine Majesté et la souveraine Verité ,
lui citer les Martyrologes avec les Aréopagitiques d'Hilduin. Čar enfin ( n'en déplaise à l'Auteur Perigourdin ) il falloit
donc en parlant à celui qui connoît
tout, faire exception du plus ancien des
Martyrologes , qui est celui qu'on appelle de S. Jerôme , et n'y pas compren
dre les deux plus nouveaux, qui sont
و
celui
MARS. 1732 483
celui de l'illustre M. Chastelain , imprimé
en 1709. et celui de l'Eglise de Paris ,
publié en 1727. Outre que les deux
crochets marquez par M. Chastelain , pour
exclure du Texte du Martyrologe de Baronius , la Mission de S. Front par Saint
Pierre , signifient qu'il n'y ajoûtoit aucune créance , je vous ferai encore part
de cet Anecdote en finissant. Cet excellent Connoisseur avoit vû bien des milliers de Legendes de Saints , il en avoit
trouvé de fausses , de douteuses , de falsifiées ; mais il a écrit de sa propre main
à la marge d'un exemplaire du Martyrologe Romain au 25. Octobre, que les
Actes de S. Front , Evêque de Perigueux,
sont de tous ceux qu'il a jamais vûs
les plus mal-adroitement inventez , puisqu'on y met un Duc de Lorraine du
temps de Neron. S'il avoue dans son
premier Bimestre imprimé , que Bollandus croyoit S. Front du premier siecle; (a)
il ajoûte aussi- tôt que ce Jesuite n'avoit
pas encore démêlé les anciennes Traditions d'avec celle des moyens siecles.
comme ont excellemment fait depuis luí
Henschenius , Papebroc , Janning , et
Cardon , ses Associez ou ses Successeurs.
Ce sçavant Chanoine a' encore laissé par
(2) Au 2. Janvier , page 43.
D écrit
484 MERCURE DE FRANCE
écrit un trait tout singulier qui revient
à S. Front de Perigueux. C'est en parlant
de S. Fronton de Nitrie , qui mourut
sous l'Empereur Gratien, Il marque qu'un
Auteur appellé Lezana , en fait un Carme
ce que font aussi Coria et d'autres de cet
Ordre ; que l'un de ces Ecrivains assure
sérieusement que ce S. Fronton a été Disciple de S. Jean-Baptiste, et troisiéme General des Carmes ; et qu'après avoir bâti
la premierede toutes les Eglises de laVierge, il a été fait Evêque de Perigueux, puis
est allé demeurer au Desert de Nitrie , et
est mort âgé de cent trente et un an , l'an
de Notre-Seigneur 153. S'il y avoit des
Carmes à Perigueux , ils prendroient sans
doute part à ce petit trait d'Histoire, qui
paroît les affilier en quelque sorte au
•Clergé de ce Diocèse. Mais en voilà assez
sur cette matiere , et peut- être plus que le
Curieux de Soissons n'en demande. Je
suis , &c.
Ce 12. Decembre 1731 .
sur SaintFront, inserée dans le Mercure
d'Avril 1731.
MESSIESSIEURS ,
Le zele de la Personne qui demande
'des Mémoires sur S. Front , est très louable ;il est juste de le seconder. Il paroît
qu'elle seroit fâchée qu'on lui en envoyât
de faux , ou qu'on s'expliquât d'une maniere qui ne décidât rien. Cependant
il sera difficile de découvrir la verité
dans une chose si incertaine et si enveloppée d'obscuritez. Je ne me flatte pas
de l'enrichir beaucoup ; mais au moins
L'exposition que je ferai de ma disette ,
pourra contribuer à éclaircir un jour ce
qui paroît couvert de tant de nuages ,
si dès-à- present on n'a pas de quoi les
dissiper. Les hommes , comme dit M.Baillet, à l'occasion de S. Front de Perigueux,
peuvent bien tirer la verité des tenebres,
mais il n'est pas en leur pouvoir de la
créer. Ainsi il ne faut pas que le Curieux
de Soissons s'attende à la production d'une Légende bien circonstanciée. C'est
beaucoup
MARS. 1732. 467
beaucoup qu'on puisse lui indiquer l'état de son Saint, et le Siecle auquel il a vécu.
Je ne puis deviner la raison qu'a eû
cette Personne , dont vous avez imprimé
la Lettre dans le Mercure d'Avril , de
prendre Neuilly - Saint - Front pour un
Village. C'est veritablement une petite
Ville ; et celle de Soissons n'en étant éloignée que de six lieuës , je ne trouve pas
que son ignorance soit pardonnable , ni
qu'elle rende suffisamment justice à ce lieu,
en le qualifiant de Village assez conside
rable. Ne seroit- ce point à l'imitation de
ce Bourguignon , qui n'ayant jamais été à
Avallon , prenoit cette Ville pour une
Bicoque , tandis qu'il y a bien des Villes
Episcopales en France qui n'en approchent pas Je ne fais cette remarque en
passant , que parce que c'est dans un Livre imprimé dans le siecle présent , que la Ville d'Avallon a été ainsi maltraitée.
Le mot de Bicoque , étoit appliqué fort
injurieusement.
Comme c'est ce Neuilly Soissonnois
qui a donné occasion à la Lettre qu'on
vous a écrite , je croi qu'il n'y a pas de mal de commencer par le venger et d'en
tracer d'abord une legere idée. Ce Neuilly
est situé dans un fond qui est cependant
C v
ly
assez
468 MERCURE DE FRANCE
1
3.
+
assez découvert , sur tout du côté du
Couchant , et dont la vûë se termine vers
le Midy,à un petit Côteau , au haut duquel est l'ancienne Eglise de l'Hôpital. II
est composé de deux Paroisses ; sçavoir ,
Saint Front , qui est une Eglise dont la
partie Orientale est d'une structure du
treiziéme siecle ou un peu plus , le reste
étant plus nouveau et d'Architecture
seulement erriciastique. Elle est renfermée dans le Château et elle s'y trou
ve seule avec un ou deux bâtimens.
Ce Château est dans le goût de ces Forteresses qu'on bâtissoit il y a six ou sept
cens ans. Il est de forme ronde , environné de Fossez pleins d'eau et flanqué
de plusieurs grosses Tours à cinquante
l'une de l'autre. La seconde Paroisse pas
est S. Kemy, Eglise bâtie dans le Fauxbourg du côté du Septentrion , mais d'une antiquité au moins égale à ce qu'il y
a de plus ancien dans celle de S. Front.
Cette derniere Paroisse comprend dans
son territoire la partie Septentrionale de
la Ville. Les rues de ce lieu sont larges ,
propres , bien pavées , les maisons assezbien rangées et peuplées de toute sorte
de Marchands et d'Artisans. le Château
qui est dans le plus bas de la Ville , est Fenfermé entierement dans les murs qui
la
MARS. 469 1732. .
1
la ferment وet. ces murs sont encore passablement bons et élevez , à cause de la
commodité du grais qui n'est pas rare en
ces quartiers- là . Voilà d'abord ce que j'avois à dire touchant ce Neuilly, pour prouver que ce n'est pas un Village. Aussi
est-il qualifié de Ville dans le Dictionnaire Universel de la France , qui y compte
1792. Habitans.
Les Ecclesiastiques de S. Front m'apprirent lorsque j'y passai, que c'est le premier Evêque de Perigueux , qu'ils regardent comme leur Patron. On y débite
que ce Saint est l'Apôtre de Neuilly , éga
lement comme de Perigueux. Je ne sçai
même si l'on ne met pas Neüilly en premier lieu , comme si ce Saint fût venu
y annoncer la Foy avant que d'aller à
Perigueux. On avoit dit la même chose
à M. l'Abbé Chastelain , Chanoine de l'Eglise de Paris , lorsqu'il y passa l'an 1682.-
et ce Sçavant, sans approfondir alors cette
matiere , déclara assez ce qu'il en pensoit,
en marquant que ce Saint pouvoit n'être
venu à Neuilly que par quelqu'une de ses
Reliques. Le 25. Octobre jour du culte
de l'Apôtre du Périgord , étant la Fête
de Neuilly , cela confirme encore les
Habitans dans leur opinion ; mais il y a
plus , c'est que du côté Méridional de
C vj l'E-
470 MERCURE DE FRANCE
l'Eglise on montre un vitrage où l'on
apperçoit en peinture quelques traits de
la L gende de l'Evêque de Perigueux , le
reste ayant été détruit par l'injure des
tenips. J'y vis en effet la représentation
du Miracle de la Phiole , qu'on dit être
descendue du Ciel pendant que ce Saint
celebroit la Messe ; mais par malheur ce
Vitrage n'a tout au plus que deux cens
ans. On m'assura que cette Phiole étoit
autrefois conservée à Neuilly , et qu'elle
a été perduë ou cassée ; desorte que tout
ce qu'on y conserve aujourd'hui de ce
Saint consiste dans un article des doigts
à quoi on ajoûta qu'outre la Fête du 25.
Octobre,il y en a encore une autre qu'on
appelle la Tranflation , laquelle se celebre le second Dimanche d'après Pâques.
Le nom de S. Front ayant été fameux
dans ce Pays- là , il n'est pas étonnant :
qu'on l'ait donné au Baptême à plusieurs
Enfans. On le trouve aussi dans les Registres Baptistaires de la Paroisse du Fauxbourg de Cône sur Loire , par la raison
que je vais rapporter.
Avant que de passer par Nülly , je
sçavois que dans le Diocèse d'Auxerre il
y a une très-ancienne Eglise sous l'invocation d'un S. Front. Son Edifice est presqu'entierement du onziéme siecle ; le Peuple
MARS. 1732. 471
ple de la Ville de Cône app lie communément cette Eglise du nom de S. Aignan,
et c'est l'erection d'un Prieuré dans la
même Eglise, qui a fait ce changement de'
dénomination. J'avois vû le Manuscrit
de cette Eglise , qui contient l'Office du
S. Patron. Il a deux cens ans ou environ
d'antiquité et il est ainsi désigné : En ce
Cayer est comprins la Legende et l'Office de
Chant de Monsieur S Front , dont les Reliques de tout son digne Corps sont cyens ,
hors la haute partie de son Chef qui est en
Perigord , dont il fut premier Evêque envoyé de Rome par Monsieur S. Pierre l'Apore , premier Pape de Rome , et avec ledit
S. Front , ung Prêtre son Disciple nommé
Georges , lesquels cheminant l'espace de trois
jours , Georges déceda et fut ensepulturé par
ledit S. Front, lequel dolent s'en retourna ,
&c. Il est inutile de dire le reste , ni de
marquer que l'Office qui suit contient la
Legende rapportée dans le Mercure de ³
Juillet dernier , pages 1670. 71. et 72. et
qu'elle est rédigée dans un style qui ressent tout à- fait la barbarie des anciens
Perigourdins. Ceci suffit pour faire voir
que les Villes de Cône et de Neuilly ont
fait venir du Perigord l'Office de saint
Front, croyant que leur Saint étoit ce
prétendu Disciple de J. C. Mais on ne
-
peut
472 MERCURE DE FRANCE
peut prouver que cette créance soit plus
ancienne que de deux ou trois siecles dans
ces deux Villes , et quand même elle seroit plus ancienne , elle n'en seroit pas
pour cela plus veritable ; c'est pourquoi
j'espere qu'en démontrant qu'à Cône on
a été dans l'erreur lorsqu'on a crû que
le S. Front , ancien Patron de l'Eglise du
Fauxbourg , est l'Evêque de Perigueux, je
pourrai inspirer quelque doute sur le
même article aux Habitans de Neuilly ,
qui sont bien plus éloignez de la Ville
de Perigueux , que ne le sont les Habi
tans de Cône.
Il est constant que l'on conserve à Cô
ne , dans l'Eglise en question , presque
tous les Ossemens qui composent un
corps humain , et qu'ils y sont regardez
comme formant le Corps d'un S. Front,
suivant l'Inscription du Livre dont je
viens de parler. Je parle sur ce ton pour
avoir vû ces saintes Reliques et pour être
assuré qu'en l'an 1622. François de Donadieu Evêque d'Auxerre , les visita
dans leur ancienne Châsse , et les appronva; je suis même certain qu'il y a quel
ques portions de la tête. Or c'est une
chose très- clairement prouvée dans l'Histoire des Evêques de Perigueux , publiée
par Jean du Puy en 1629. que le Corps
.
entier
MARS. 1732. 473
*
entier et le Chef de S. Front , premier
Evêque de Perigueux , furent conservez
à Perigueux même jusqu'à-ce que les
Calvinistes ayant porté la Châsse à un
Château voisin de la Dordogne , les jetterent dans la Riviere l'an 1575. Done
le Corps presque entier , conservé à Cô
ne , n'est nullement celui de S. Front de
Perigueux. Je suis persuadé par l'ardeur
que les Perigourdins témoignent et qu'ils
ont toujours témoignée depuis les siecles
d'ignorance à perpetuer dans la pureté
de son Original la prétendue Vie de
S. Front , qu'à plus forte raison ils ont
toûjours dû montrer un zele bien plus
ardent pour ne pas souffrir qu'on fit des
distractions si notables du Corps de
leur S.Apôtre, et qu'on emportât ailleurs
la partie inferieure de la tête avec les
dents , le femur , le tibia , les os ischion
illion , les vertebres , les côtes , les phalanges, rotules de genou , calcaneum , &c.
و
Puis donc qu'on est encore en état de
montrer tous ces Ossemens à Cône , et
que M. l'Evêque d'Auxerre déclara en
1622. que l'étoffe qui les renferme contenoit cette Inscription , De sancto FronVoyez le second Tome de son Livre, intitulé
l'Etat de l'Eglise du Perigord , aux pages 91. 139%
151. et 203. suivant l'Edition de l'an 1716.
tone
474 MERCURE DE FRANCE
tone , c'est une marque certaine que les
deux Corps sont differens ; à moins qu'on
ne dise que quelqu'un auroit pris en 1575
dans la Riviere de Dordogne les Ossemens de S. Front , et les auroit portez à
Cône. Mais c'est ce qui ne peut être ;
premierement, parce qu'il est impossible.
de réunir en un seul endroit d'une eau
courante tant d'Ossemens, même très- pe
tits , et que d'ailleurs il seroit bien difficile de les prendre secretement ; secondement , parce que l'étoffe qui enveloppe
les Ossemens de S Front de Cône est
plus ancienne que les guerres des Calvinistes ; il y en a même qui est d'un travail de cinq ou six cens ans. Outre cela,
la Tradition touchant la presence du,
Corps de S. Front à Cône, est bien anterieure aux guerres des Calvinistes , ce
qui se prouve par le titre qui se lit à la
tête de son ancien Office , dont j'ai rap "
porté cy-dessus le commencement.
Etant donc suffisamment prouvé qu'à
Cône sur Loire , on a été dans l'illusion
depuis quelques siecles , en prenant les
Reliques qu'on y possede pour celles de
S. Front de Perigueux , et en chantant en
son honneur un Office entierement tiré
de la Legende fabuleuse du Périgord et
le chantant le 25. Octobre, jour auquel
on
MAR S. 1732. 475
on honore à Perigueux l'Apôtre de la
Ville ; c'est un exemple qui doit faire
beaucoup appréhender qu'il n'en soit demême de la Tradition de Neuilly , où
l'on prend pareillement l'Evêque de Perigueux pour Patron , comme s'il n'avoit
jamais existé qu'un S. Front , et que tout
dût retourner à l'augmentation du culte
de celui de Perigord.
Je suis en état d'en indiquer un autre
aux Habitans de Neuilly ; mais je prévois
qu'étant accoutumez à entendre raconter
par des Prédicateurs trop crédulés , toutes les fictions de la Legende si judicieu
sement rejettée de nos jours , ils au
ront de la peine à revenir de leurs
préjugez. Souvent le desir d'avoir un
Panégyrique propre pour un S. Patron ,
et d'en chanter un Office plenier , fait
qu'on donne , tête baissée , dans quantité
de fables qui fournissent une ample matiere aux Orateurs et aux Poëtes. J'avoie
qu'il n'est pas impossible qu'on ait eu à
Neully quelques Reliques d'un S. Front ,
mais il est plus vrai- semblable qu'on l'au
ra obtenue de l'Eglise de son nom à Cô
ne , que de celle de Perigueux. Quelques.
Connoisseurs en anciennes Forteresses
croyent que le Château de Cône et celui
de Neuilly, sont du même temps , com- me
476 MERCURE DE FRANCE
me étant également construits en forme
ronde dans un lieu aquatique , et flanquez de plusieurs Tours rondes ; de sorte
qu'ils nous fournissent par là matiere à
conjecturer qu'un certain Hugues , Seigneur dans le Pays du Maine , qui se rendit maître du Château de Cône au XII.
siecle , pourroit bien avoir aussi possedé
celui de Neuilly et avoir tiré de l'Eglise
de Cône de quoi faire un présent à celle
de cet autre Château. On sçait que les
anciens Seigneurs aimoient à enrichir
leurs Terres de ces précieux restes , qu'ils
regardoient , avec raison , comme des
trésors inestimables. Jean , Moine de Marmoutier , Auteur contemporain , parle
de ce Hugues le Manceau , et l'appelle
HugoCenomannicus. Comme donc il avoit
des Terres dans le Maine, et qu'il y a eu un
S. Front Solitaire en ces Pays-là , il semble qu'on pourroit avoir des vûës sur ce
Saint ; ou bien , s'il est faux que ce soit
dans le Diocèse du Mans que soit mort
un S. Hermite du nom de Front , et qu'il
soit decedé plutôt proche Cône sur Loire,
comme Nithard le laisse à penser en appellant ce lieu Sanctus- Fludnaldus , dès le
neuvième siècle , il résultera de- là que
c'est le transport d'une partie de ses ReLiques fait au Diocèse du Mans , qui y
aura
MARS. 17328 477 Y
aura établi son culte , et qui aura fait
croire qu'il y avoit vécu en Solitaire comme tant d'autres.
Quoiqu'il en soit , la Tradition étoit
autrefois à Orleans , que ses Reliques y
avoient passé, et on en celebroit encore
la memoire il n'y a pas plus de cent ans
dans l'Eglise de S. Benoît du Retour , où
il étoit représenté en habit de Religieux.
Ce que Symphorien Guyon , dans son
Histoire d'Orleans, (a) et Corvaisier, dans
celle des Evêques du Mans , (b) écrivent
sur un S. Gaud et un S. Frond , son Compagnon , qui au sortir du Monastere de
S. Memin proche Orleans , embrasserent
la vie Eremitique , est très - probable ,
mais leurs noms ne sont ni Gallus ni
Fronto. L'un avoit nom Godoaldus , -èt
l'autre Fludualdus. Le culte du premier
appellé Gaud , a éclaté à Yevre , sur les
confins des Diocèses d'Orleans et de Sens,
et il est marqué dans tous les anciens Calendriers et Martyrologes de Sens au 6.
Juin sous le nom de Godoaldus Confessor.
Celui du second a été celebre à Cône
plus qu'il n'est aujourd'hui ; on y voit
par d'anciens Manuscrits en Langue vulgaire , que son nom étoit écrit , non pas
Front , mais Frond, ce qui dénote un ori-
(a) Page 466. (b) Page 140
gine
478 MERCURE DE FRANCE
gine venant de Fludualdus , dont la premiere syllabe souffroit dans notre Langue le même changement qu'on a fait
ailleurs de Flocellus en Froncean.
Les deux Ecrivains que je viens de
nommer , quoique vivans avant que la
Critique fut au point qu'elle est de nos
jours , n'ont pas laissé de blâmer ceux
qui prenoient ce S. Frond Solitaire pour
l'Evêque de Perigueux , et ils ont soutenu qu'ils étoient fort differens. Guyon
assure que le Solitaire vivoit au sixième
siecle. Corvaisier ne craint pas de dire que
le Voyage et les Avantures de S. Front de
Perigueux sont plus fabuleuses que vraisemblables , et il se plaint après M. du
Bosquet , de l'ignorance ou de la negligence
des anciens Ecrivains , qui sans faire distinction des temps , confondent en une seule
Vie toutes les diverses actions de ceux qui
portoient un semblable nom. Il auroit pú
ajoûter que de-là est venue la méprise
par laquelle ceux qui avoient intention
d'honorer S. Front le Solitaire ou simple
Confesseur , lui ont choisi le 25. Octobre jour de la Mort de S. Front , Evêque de Perigueux. C'est ce qui est arrivé,
non seulement à Cône sur Loire , mais
encore au Diocèse du Mans , où ce saint
Hermite est l'un des Patrons de la Ville
et
MARS. 1732. 479
et du voisinage de Dom- Front en basse
Normandie , qui en a pris le nom , au
lieu de celui que cette Ville portoit auparavant , lequel paroîtroit aujourd'hui
ridicule , au moins en Latin. Je sçai encore qu'au Diocèse d'Amiens , dans le
voisinage de Roye , il y a un Village appellé Dom-Front , où l'on voit un Chef
de bois doré , qui contient des Reliques ,
auxquelles il y avoit concours le 25. Octobre , et cependant le Saint n'est représenté que comme Prêtre , et non comme
Evêque. Que sçais - je si on n'est pas dans
la même erreur à Suzemont au Diocèse
de Toul , où un S. Front est pareillement
Patron , suivant le Pouillé du Pere Benoit ?
+ La question seroit à present de démê
ler dans la Vie de l'Evêque de Perigueux,
ce qui a été emprunté des Actions du
S. Solitaire , dont le nom vulgaire se
trouve aujourd'hui limé de maniere à n'être pas pas different pour la prononciation ;
car il se peut faire enrore qu'on ait appliqué à notre Fludualdus , des actions de
S. Fronton de Nitrie ou d'Egypte. Je ne
me flatte donc pas d'apprendre à notre
Curieux du Pays Soissonnois , de quoi
faire une longue Legende de son Saint.
Ce n'est pas là ce qu'il demande , mais
seu
480 MERCURE DE FRANCE
seulement qu'on lui donne quelque chose
de moins décrié que ce qu'on a debité de
S. Front de Perigueux. Je suis fâché de
lui laisser ignorer les actions de notre
S. Confesseur ; mais si le Saint a été véritablement Solitaire , il n'est pas surprenant que sa vie ait été inconnue , et que
ce ne soient que les Miracles d'après sa
mort qui l'ayent rendu celebre , sans que
les Fideles ayent fait grande attention au
jour de son décès. Je croirois que la Fête
de S. Frond de Cône auroit été autrefois celebrée au mois d'Avril , le jour que
les Martyrologes marquent S. Fronton de
Nitrie , et que c'est encore en memoire
de ce culte que l'usage a resté d'honorer
S. Frond à Neuilly , l'un des Dimanches
d'après Pâques. Mais je n'ose encore rien
prononcer d'assuré là-dessus.
Ce que je puis ajoûter à cette Lettre
pour vous marquer que j'ai fait usage des
Livres du Perigord que vous m'avez envoyez , est que plus je lis ces nouveaux
Auteurs Perigourdins , tel qu'est le Livre du Pere du Ray , Récolet , et la Dissertation de M. de la Serre , cy-devant
Superieur du Seminaire de Perigueux, imprimée en 1728. plus je suis surpris de
leur attachement scrupuleux à des Histoires qui furent rejettées comme fausses
des
MARS. 1732. 481
ès l'onziéme siecle , et dont ils ne trou
veront des deffenseurs que parmi ceux à
qui on apprend dès la jeunesse à faire des
especes d'Actes de Foi sur la Tradition
de la Mission de S. Front par S. Pierre.
N'est-ce pas en effet vouloir renfermer
cette créance dans les limites du Diocèse
de Perigueux , que d'exiger qu'on regarde l'Eglise Chrétienne de Perigueux comme la plus ancienne des Gaules , et qu'on
croye que les Perigourdins ont été les
premiers appellez à la Foy avant les Habitans de Marseille , deLyon, de Vienne
&c? C'est ce que signifie clairement cette
exclamation qui termine un abregé de la
Vie de S. Front , imprimé à Perigueux
L'an 1728. en forme de Meditation : Quel
sujet n'avons-nous point de louer Dien !
Quelle reconnoissance ne devons-nous point
à son adorable Providence , de nous avoir
appellé les premiers à la Foy , et de nous
avoir donné un des Disciples de son Fils
N. S. J. C. pour établir dans ce lieu une
des premieres Eglises Chrétiennes ! La critique peut bien former contre nous toutes les
objections qu'elle voudra ; mais elle ne sera
pas capable de nous faire, abandonner notre
Tradition. La gloire que nous avons d'avoir été les premiers appellez à la Religion
Chrétienne est trop grande pour ne la pas conserver
482 MERCURE DE FRANCE
conserver très- cherement , et il faut esperer
que notre Saint conservera par sa protec- "
tion auprès de Dieu , l'Eglise qu'il a formée avec tant de travaux. Quelle seroit notre
ingratitude , ô mon Dieu , si nous étions capables d'oublier la preference que vous nous
avez donnée surtant d'autres Provinces qui
paroissent plus considerables ! Mais quelle
seroit notre lâcheté , si nous abandonnions
une Tradition si honorable et reconnuë par
tous les Martyrologes anciens et nouveaux !
Il est fâcheux qu'on n'ait pas inspiré
il y a trente-cinq ans au Clergé de Paris
de pareilles résolutions pour empêcher
qu'on n'abandonnât l'opinion de l'Aréopagisme du premier Evêque de cette Ville.
Je doute fort que le sçavant Pere Sirmond , Jesuite , eût pû tenir son sérieux,
s'il avoit vû une matiere de cette nature
mise en style de Méditation sur l'article
de S. Denis de Paris , et en apostrophant
la divine Majesté et la souveraine Verité ,
lui citer les Martyrologes avec les Aréopagitiques d'Hilduin. Čar enfin ( n'en déplaise à l'Auteur Perigourdin ) il falloit
donc en parlant à celui qui connoît
tout, faire exception du plus ancien des
Martyrologes , qui est celui qu'on appelle de S. Jerôme , et n'y pas compren
dre les deux plus nouveaux, qui sont
و
celui
MARS. 1732 483
celui de l'illustre M. Chastelain , imprimé
en 1709. et celui de l'Eglise de Paris ,
publié en 1727. Outre que les deux
crochets marquez par M. Chastelain , pour
exclure du Texte du Martyrologe de Baronius , la Mission de S. Front par Saint
Pierre , signifient qu'il n'y ajoûtoit aucune créance , je vous ferai encore part
de cet Anecdote en finissant. Cet excellent Connoisseur avoit vû bien des milliers de Legendes de Saints , il en avoit
trouvé de fausses , de douteuses , de falsifiées ; mais il a écrit de sa propre main
à la marge d'un exemplaire du Martyrologe Romain au 25. Octobre, que les
Actes de S. Front , Evêque de Perigueux,
sont de tous ceux qu'il a jamais vûs
les plus mal-adroitement inventez , puisqu'on y met un Duc de Lorraine du
temps de Neron. S'il avoue dans son
premier Bimestre imprimé , que Bollandus croyoit S. Front du premier siecle; (a)
il ajoûte aussi- tôt que ce Jesuite n'avoit
pas encore démêlé les anciennes Traditions d'avec celle des moyens siecles.
comme ont excellemment fait depuis luí
Henschenius , Papebroc , Janning , et
Cardon , ses Associez ou ses Successeurs.
Ce sçavant Chanoine a' encore laissé par
(2) Au 2. Janvier , page 43.
D écrit
484 MERCURE DE FRANCE
écrit un trait tout singulier qui revient
à S. Front de Perigueux. C'est en parlant
de S. Fronton de Nitrie , qui mourut
sous l'Empereur Gratien, Il marque qu'un
Auteur appellé Lezana , en fait un Carme
ce que font aussi Coria et d'autres de cet
Ordre ; que l'un de ces Ecrivains assure
sérieusement que ce S. Fronton a été Disciple de S. Jean-Baptiste, et troisiéme General des Carmes ; et qu'après avoir bâti
la premierede toutes les Eglises de laVierge, il a été fait Evêque de Perigueux, puis
est allé demeurer au Desert de Nitrie , et
est mort âgé de cent trente et un an , l'an
de Notre-Seigneur 153. S'il y avoit des
Carmes à Perigueux , ils prendroient sans
doute part à ce petit trait d'Histoire, qui
paroît les affilier en quelque sorte au
•Clergé de ce Diocèse. Mais en voilà assez
sur cette matiere , et peut- être plus que le
Curieux de Soissons n'en demande. Je
suis , &c.
Ce 12. Decembre 1731 .
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Résumé : REPONSE à la Lettre écrite de Soissons, sur Saint Front, inserée dans le Mercure d'Avril 1731.
Le texte est une réponse à une lettre publiée dans le Mercure d'Avril 1731, visant à clarifier les informations concernant Saint Front et la ville de Neuilly-Saint-Front. L'auteur reconnaît les difficultés à distinguer la vérité parmi les légendes et les obscurités. Il corrige d'abord une erreur en affirmant que Neuilly-Saint-Front est une petite ville située à six lieues de Soissons, et non un village. Neuilly-Saint-Front est décrite comme une ville bien structurée avec deux paroisses : Saint Front et Saint Kemy. L'église Saint Front, dont la partie orientale date du treizième siècle, est située dans un château fortifié. La ville est habitée par des marchands et des artisans, et les habitants considèrent Saint Front comme leur patron et l'Apôtre de la ville, célébrant sa fête le 25 octobre. Le texte mentionne également une église dédiée à Saint Front à Cône-sur-Loire, où les reliques sont conservées depuis plusieurs siècles. L'auteur conteste l'idée que ces reliques appartiennent à Saint Front de Périgueux, en se basant sur des preuves historiques et des visites épiscopales. Il suggère que les reliques de Neuilly pourraient provenir de l'église de Cône, et non de Périgueux. L'auteur souligne les erreurs et les légendes entourant la figure de Saint Front, et invite les habitants de Neuilly à reconsiderer leurs croyances à la lumière des faits historiques. Le texte traite également de la confusion entre Saint Front, évêque de Périgueux, et Saint Frond, un ermite. Les deux saints ont des cultes distincts mais sont souvent confondus. Saint Front est célébré le 25 octobre, mais ses actions et miracles sont parfois attribués à Saint Frond. Les écrits de Symphorien Guyon et Corvaisier distinguent les deux saints, précisant que Saint Frond, également appelé Fludualdus, vivait au sixième siècle et n'était pas l'évêque de Périgueux. Le culte de Saint Frond est célébré à Cône-sur-Loire et dans d'autres régions comme le Diocèse du Mans et celui d'Amiens. Les auteurs anciens reconnaissent la distinction entre les deux saints, soulignant l'importance de la critique historique pour démêler les faits. Les auteurs perigourdins, malgré les critiques, restent attachés à la tradition locale selon laquelle Saint Front aurait été le premier évêque de Périgueux et un disciple de Saint Pierre. Cette tradition est défendue avec ferveur, même face aux objections historiques.
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