ENIGME EN PROSE
du Berger Fleuriste.
D
Ans les premiers temps, je
n'eſtois apparemment em.
ployée qu'à un ſeul ufage ; mais
depuis le partage des Nations,
chacun s'eſt ſervy de moy comme
il a plû à Dieu . Il faudroit
eſtre plus éclairé que je ne fuis
duMercure Galant.
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pour vous en inftruire. Ce n'eſt
pas que depuis quelques années
on m'a jointe à d'autres de mes
Soeurs , pour enfeigner , & pour
abréger une certaine Science
agreable , mais penible , dont le
cours peut s'étendre par toute la
Terre; & fi cela eſtoit arrivé,
j'aurois alors un employ general
comme auparavant , outre mes
emplois particuliers.
J'ay l'honneur d'eftre à toutes
les Harangues qu'on fait au Roy,
aufli fuis-je Amie de la Verité,
j'empeſche qu'on ne mente.
Neantmoins je ſuppoſe ſouvent
les chofes les plus éloignées ,
quelquesfois meſme les impoffi
bles , mais ce que j'en fais ce
n'eſt pas par malice. Bien que
j'aye le corps tortu , j'ay l'ame
droite.
360 Extraordinaire
4
Je préſiderots aux Sciences, ſans
un petit embarras que je laiſſe à
deviner. Quelques Ignorans
me mettent en réputation , &
m'elevent juſqu'au Ciel , il ne
faut pas les imiter. D'autres s'i.
maginent , d'abord qu'on lit un
cygift , qu'ils ont trouvé monEpi
taphe , autre beveuë. On me
voit où il y a du plaifir , quoy
qu'ils ne le penſent pas; & il ne
ſe fait point meſmes de gageûres
que jen'en fois.
J'ay commerce dans les Païs
Etrangers, auffi -bien qu'en France;&
j'affiſte ſans manquer à tous
les Mariages qu'on celébre en Ef.
pagne , & en Italie. Il est vray
que les Eſpagnols me traittent
plus honneſtement que les Ita.
liens ; ceux. là me font toujours
préceder
du Mercure Galant. 361
préceder leurs Seigneurs, & leurs
Dames; & ceux- cy ne me ran .
gent jamais qu'à leur fuite.
,
&
Enfin pour achever de vous
éclaircir , ſçachez que dans la
deftruction de mon eſtre , mon
corps entre au Serilohre
mon ame en Purgatoire; & que
moname devançant mon corps,
nous nous trouvons à la fin unis
enParadis.