VERS
Sur la mort de M. le Marquis de Bauffremont
, Lieutenant - Général des armées du
Roi , & Chevalier de la Toifon d'or ; par
M. le Ch. de Saint- Germain-Matinel,
EH quoi ! tu ne vis plus , & je reſpire encore !
On peut donc réfifter aux plus grandes douleurs !
Cher Bauffremont , chere ombre que j'adore ,
Reçois au moins le tribut de mes pleurs !
Dans le fatal moment où tu ceffas de vivre ,
Je crus voir de mes jours s'éteindre le flambeau ;
Frappé du même coup j'étois prêt à te fuivre ,
Trop heureux avec toi de defcendre au tombeau.
Mais , non ; celui qui fit nos deftinées ,
Un Dieu puiffant , maître du fort ,
N'a point voulu réunir nos années ,
Et me laiffe à pleurer ta mort .
J'en fus témoin , grand Dieu ! fur fes lévres éteintes
,
'Je cueillis fon dernier foupir ;
Je le vis fuccomber aux cruelles atteintes
Des friffons de la mort , tomber & s'affoupir .
Ses yeux étoient déja fermés à la lumiere ,
Que fon bras chancélant cherchant encor ma
main ,
Cher ami , me dit - il , j'ai rempli ma carriere ,
DECEMBRE. 59. 1755 .
J'ai befoin maintenant d'un fecours plus qu'humain
:
Alors la charité rallumant fon courage
Il rappelle un inftant fes efprits confondus ;
Et par trois fois du Chrift il embraffe l'image ,
Et difparoît enfin à mes fens éperdus .
O mort trop rigoureufe ! ô mort impitoyable !
Rien n'a pu détourner l'effet de ton courroux ,
Et ta fureur infatiable
Etoit laffe déja de fufpendre fes coups !
En vain pour le fauver , ce guerrier magnanime,
De MELAMPE on ufa tout l'art & le fçavoir ; *
A tes loix eft fujet le Roi le plus fublime ,
Contre ta barbarie il n'eft point de pouvoir.
Quel homme cependant , quelle grande victime
Sur ton fanglant autel tu te viens d'immoler ;
Tu pouvois t'épargner un crime :
Ah ! pour lui tout mon fang demandoit à couler ;
Dans fon coeur palpitant , dans fes tremblantes
veines
Je brulois du defir de le faire paffer ,
Moins émû , s'il fe peut , moins touché de fes
peines
Que de voir fa conftance encor les furpaffer.
MM. Andouillé & Lene , Chirurgiens , ont eu
l'étonnant fecret de prolonger fes jours de plus de
trois mois. On croit devoir à leur habileté à leurs
Soins pleins d'affection , ce témoignage de juftice &
de reconnoiffance.
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Pendant fix mois & plus qu'il a fçu fe contrain
dre ;
Au milieu des douleurs , ferme comme un rocher,
A peine on l'entendit fe plaindre ;
Tranquille fous la main qui craint de l'approcher,
Hélas ! il ne reprend , ne femble reprocher
Que le fujet qu'on a de craindre.
La patience au mal oppofoit fes efforts ;
Et lorfqu'un feu fecret , une brulante flamme
De fon corps épuifé confumoient les refforts ,
Le viſage ſerein , on eût dit que fon ame
Se faifoit un plaifir des fouffrances du corps.
Mais d'où lui venoit donc ce courage paiſible ,
Qui le rendoit fi grand fous le poids de ſes maux ?
Etoit-ce un reste encor de la force invincible
Qui l'avoit diftingué parmi fes fiers rivaux ?
Non ; & quelques vertus qu'alors il fit paroître ,
L'honneur de la patrie, & l'amour de fon Roi ,
Etoient l'unique objet & la fuprême loi
Que dans fes paffions il femblât reconnoître.
Un appui plus folide , & plus noble à la fois ,
Affermiffoit fon coeur dans ce péril extrême ;
Il n'avoit d'autre loi que la vérité même ,
D'autre objet que le Roi des Rois;
Et jufques à fon trône élevant fes penſées ,
Ses maux lui paroiffoient un trop doux châtiment;
Le repentir amer de fes fautes paffées-
Etouffoit dans fon fein tout autre fentiment.
Que dis-je , hélas ! que dis-je , & quel fombre
génie
DECEMBRE. 1755. Gr
Reveille dans mon ame un cruel fouvenir ?
Je l'ai vu , n'ayant plus que l'ombre de la vie ,
Répondre à tous mes foins , même les prévenir ;
Et par des traits marqués de tendreffe infinie ,
Me rendre cent fois plus qu'il n'en pouvoit tenir.
Oui , fans doute , il portoit un coeur ſenſible &
tendre :
Combien de malheureux fe jettoient dans les bras ?
Obligeant à l'excès , & fans en rien attendre ,
Il ignoroit comment on faifoit des ingrats .
Ainfi réuniffant au ferme caractere
D'honnête homme & de citoyen
La piété la plus fincere ;
Au génie élevé , l'humble foi pour foutien ,
Qui lui fit des grandeurs connoître la mifere ,
Il vécut en héros , & mourut en chrétien .
Si jadis emporté par l'ardeur d'un faux zele ,
J'ai chanté mille objets divers ;
Si le gout des plaifirs dicta mes premiers vers ,
J'ignorois les doux noeuds d'une amitié fidelle.
O toi qui t'es couvert des plus nobles lauriers ,
Ainfi que ta vertu , ma douleur immortelle
A tes fombres cyprès attache mes derniers..