RECEPTION de M. l'Archevêque
de Sens , en la Ville de Joigny. Lettre
écrite à M. D. L. R.
L
E même zele , Monsieur , pour la gloire de
ma Patrie , dont on a vu des marques , ag- m'en- gréées du Public dans differens Mercures ,
gage aujourd'hui à vous faire part d'un Evenement qui nous interesse plus que tous ceux qui
ont precedé. Personne n'a pris plus de part que nous à l'Elevation de M. Languet de Gergy sur
le Siege Archiepiscopal de Sens , et nous soupirions après son arrivée dans notre Ville ,
qu'enfin ce digne Prélat a bien voulu nous accorder une faveur si consolante et si glorieuse pour
HOUS.
lorsLe Mardi 21 Octobre , M. l'Archevêque de
Sens , fit sa premiere entrée à Joigny , Ville qu'il
a la bonté de regarder comme une portion con- sidérable de son Diocèse , et d'honorer d'une
bienveillance particuliere. Voici en peu de mots
P'ordre de cette Ceremonie. Nos Compagnies Bourgeoises , qui sont nombreuses et fort lestes ,
se mirent sous les Armes , et allerent former une
double Haye sur le grand Chemin , en dehors de
la Porte S. Jacques , par où le Prélat devoit arriver. Les Drapeaux , d'un gout magnifique ,
étoient portez par des Enfans de Famille , l'Elite
de notre Jeunesse , tenant l'Epée nuë à la main.
Presque toute la Ville accourut dans les dehors,
pour aller au devant , comme on court audevant
d'un Pere , également cheri et respecté. Il arriva
à la Porte que j'ai dite , vers les 6 heures du soir.
accompagné de M. l'Abbé Hardouin , de M. le
Théologal, et d'autres Ecclesiastiques distinguez,
NOVEMBRE. 1732. 2505
guez. Aussi-tôt on entendit le son de toutes les
Cloches de la Ville , et on fit une grande déchare
ge de Boëtes.
Les Compagnies Bourgeoises l'accompagnerent jusqu'à l'Hôtel de M.le Président Hardouin,
qui eut l'honneur de lui donner la main à la descente du Carosse , et à l'instant elles firent une
décharge de toute leur Mousqueterie.
A peine M. l'Archevêque fut-il entré dans cet
Hôtel , où il a logé , qu'il y reçut les présens de
la Ville , et ensuite le compliment du Corps de
Ville , M. le Maire à la tête. Il fut aussi compli menté par les Officiers du Bailliage , par ceux de
l'Election , de la Prevôté , des Eaux et Forêts , et
par les autres Corps de la Ville. On avoit commandé douze hommes de chaque Compagnie
pour monter la Garde à sa porte ; mais il ne vou
Îut jamais le permettre.
Le lendemain , notre Illustre Prélat ayant pris
ses Habits Episcopaux, fut conduit sous un Dais,
que porterent quatre Conseillers jusqu'à l'Eglise de S. Thibault , les Compagnies Bourgeoises ,
avec tous leurs Officiers, &c. precedant la marche
M. l'Archevêque celebra la Messe en ceremonie , puis monta en Chaire , et fit en presense
d'un Peuple infini , un Discours des plus patetiques et des plus édifians. Il prêcha encore le lendemain , et ce fut sur l'Amour de Dieu. Ce Sermon enleva et attendrit tout l'Auditoire. On ne
peut pas traiter un si grand sujet plus dignement,
plus chrétiennement, et plus à la portée de tout le monde.
Durant son séjour et le cours de sa visite il a
donné à manger aux Chefs des differents Corps
de la Ville , et a fait l'honneur à quelques principaux Officiers et Bourgeois de les en prier.On ne peut
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peut rien ajouter aux politesses , à l'affabilité et
aux manieres toutes gracieuses de ce Prélat.
Je vous dirai , Monsieur , que dans l'un de ces
repas , je fus obligé de soutenir la réputation de
nos vins, ces vins fameux dont il est parlé dans
plusiers Mercures , contre les prétentions frivoles
de nos Emules ; surquoi M. l'Archevêque voulut bien entendre une partie de mes raisons . Pour comble de grace, il voulut aussi me faire l'honneur de venir chez moi , ce que je n'oublierai jamais. Je ne crois pas non plus que les Domestiques de plusieurs Maisons , ainsi que les Pauvres,
puissent jamais oublier son heureuse arrivée , par
ses liberalitez et par ses aumônes.
Je ne sçaurois , sans injustice , omettre icy les attentions de M. le Maire et des Echevins durant
ce séjour ; entre autres soins , le Gibier et les.
meilleurs Vins se sont toujours trouvez en abondance. Enfin , Monsieur , si nous avons vû avec
regret , M. l'Archevêque de Sens partir de Joigny, nous avons eu l'agréable consolation de
l'entendre marquer beaucoup de satisfaction de
la reception qui lui a été faite dans cette Ville ,
et des honneurs que nous avons tâché de lui rendre. Je suis , Monsieur , &c.
Signé , LE BEU F , Capitaine de la Milics
Bourgeoise deJoigny.
A Joigny , le 28 Octobre 1732