Résultats : 1 texte(s)
Détail
Liste
1
p. 169-183
RESPONSE à la question du Mercure précedent. Par Mr de Rau.....
Début :
Les Passions sont differentes par leur nature, & à l'égard [...]
Mots clefs :
Amour et haine, Coeur, Colère, Passions, Amant
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : RESPONSE à la question du Mercure précedent. Par Mr de Rau.....
RESPONSE
à la queſtion du Mercure
précedent.
Par Mrde Rau.....
Si on peut hair ce qu'on a une
fois bien aimé.
LEs Paffions font differentes par leur nature , &à
l'égard de l'objet qui les
fait naiftre. Il y en a de
promptes &de paſſageres ,
dont l'effet eft violent ,
mais elles durent peu , &
ne laiffent prefque aucun
veftige dans l'ame de ceux
May 1712.
P
170 MERCURE
quiles ontreffenties . L'ob
jet paffe , & l'idée s'en efface d'abord, Telles font
la joye & la colere. Ces
paffions fe fuccedent les
unesaux autres , & un mef
me objet peut leur fournir
de matiere. Mais les paffions fortes & de longue.
durée , faifant plus d'impreffion fur noftre ame, y
laiffent un caractere & une
image de leur objet , qu'il
eft malaisé d'effacer. Telles font la trifteffe & la
douleur , maisfur tout , l'a
mour & la haine.
1
GALANT. 171
Il eft certain encore que
toutes les paffions quifont
opposées, maiftrifent rarement le cœur de l'homme
à l'égard du mefme objer ;
car outre qu'il y en a tousjours une qui eft dominante , l'objet qui a frappé le
premier noftre imagination,ylaiffe tousjours quelque obftacle à l'effet
la paffion contraire y veut
produire. Cet obftacle n'eft
autre chofe que l'habitude
de la paffion qui forme des
traces profondes dans lefquelles retombent tousque
Pij
172 MERCURE
jours l'imagination quand
elle fe reprefente l'objet
qui les a tracées.
Si l'objet aimé nous offense,
Nous a trahi , nous préfere
un rival
Par dépit , colere , on vangeance ,
Sans le hair nous luy voulons
du mal.
On ne le par peut haïr
antipathie. Quelque défaut qu'on y découvre ,
quelque injure que nous
en resevions , il a tousjours
je ne çay quoy qui nous
GALANT. 173
porte vers luy , & qui nous
y attache malgré toutes les
violences que nous nous
faifons , dans le deffein de
nous en feparer.
Se vangerde l'objet qu'on aime,
C'eftfe vangercontrefoy- mefme.
Ecoutez ce que fait dire
le plus fçavant Interprete
de l'amour à la defolée
Ocone, lorfqu'elle voit Helene entre les bras de Pâris. Elle devoit fe vanger
de cet Infidelle. Cepen
dant
P iij
174 MERCURE
A cet indigne objet je perdis
patience ,
Je me frappay le fein , j'arrachay mes cheveux,
Et tournay contre moy lafeve
re vangeance
Quej'avois deftinée àl'objet de
mes vœux.
Tant il eft vray qu'on ne
peut hair ce qu'on a une
fois bien aimé , & qu'on
fe prend à foy- mefme de
l'injure qu'il nous a faite.
On fuppofe , en difant
tout cecy, qu'il s'agit d'un
veritable amour , & file
GALANT. 175
veritable amour vient d'un
certain rapport des efprits
de l'Amant & de l'objet
aimé, qui peut rompre cette charmante harmonie ?
Si les chofes font dignes
d'eftre aimées , ce feroit
agir contre la raiſon que
de les haïr , & ces mouve.
mens eftant involontaires,
ne peuvent détruire l'amour,
Nous nous formons ordinairement une image
odieufe de ce que nous
haïffons. Cette image nous
fuit par tout. Elle détruit
Piiij
176 MERCURE
dans noftre efprit toutes
fes belles qualitez , & tout
ce qu'il a d'aimable eſt
plus dans ce qu'elle aime
que dans ce qu'elle anime ,
comment pourroit - elle
quitter le lieu de fon repos
& de fa complaifance ?
Quoy qu'il en foit , il eſt
tousjours vray que l'amour
laiffe en nous ces traces
de l'objet aimé , qui non
feulement font capables de
fermer nos cœurs à la hai
ne, mais encore de rallu
mer une plus forte paffion
qu'auparavant ; & ce font
GALANT. 177
ces restes de l'amour qu'on
appelle un feu caché fous
la cendre.
Amant , c'est une chofe feure
Quand l'amourfait une bleffure
La marque en demeure tousjours.
Eloignez vous d'Iris , abandonnez Aminte
Implorez le divinfecours ,
Si voftre ame en eft bien at
teinte ,
Fuyez-les tant qu'il vous plaira ,
Famais de vostre cœur l'amour
ne fortira.
178 MERCURE
Quelques -uns croyent
que la haine peut venir
d'un amour laffé , d'un
amour irrité ; mais en ce
cas on peut fouftenir que
c'cft parce qu'on n'a jamais bien aimé, & ainfi il
n'y a plus de Queſtion
refoudre..
La colere eft une vapeur qui peut offufquer
l'amour , mais qui ne peut
l'étouffer. Elle va quelquefois jufqu'à ſe vanger ,
mais jamais juſqu'à le détruire. Elle garde mefme
des mefures pour l'objet
"
GALANT. 179
aimé dans les plus grands
emportemens , & c'eft ce
qui faifoit dire à Hipfipile
écrivant à Jafon qui l'abandonnoit pour Mcdée.
Contre toy ma colere afes bor
nes prefcrites ,
Elle t'euft épargné, non que tu
le merites ;
Mais quelque duretéqui regne
dans ton cœur ,
Ma bonté va plus loin encor
que ta rigueur.
Et qui eft l'Amant qui
ignore que toutes les coleres en amour l'augmen
180 MERCURE
tent plus qu'elles ne le di
minuent , & qu'aprés une
rupture on s'aime fouvent
encore plus qu'on ne faiLoit auparavant ?
Ceux qui n'aiment gueres , font lujets au dégouſt
& à linconftance , mais
ils ne vont pas jufqu'à la
haine. Pour haïr ce qu'on
a bien aimé , fi cela fe peut,
il faut aimerencore. Cette
efpece de haine vient d'un
trop violent amour. On
aime ce qu'on croit haïr ,
& tous ces emportements
nefont que de foibles mar-
GALANT. 181
ques d'une fauffe haine.
Il y a eu des Amans
cruels & barbares , dont
l'amour s'eft changé en fu
reur; mais c'eftoient moins
des Amans que des Bourreaux. Mahomet II. ab
batit d'un coup de cimeterre la tefte de fa Maif
treffe , mais l'ambition feule luy fit faire ce grand fa
crifice. La haine n'y eut
point de part , & fon cœur
paya cherement l'excez de
fa brutale vanité.
pourquoy citer Mahomet?
Un Barbare eft-il capable
d'aimer? Non, non, un veMais
182 MERCURE
ritable Amant aime tousjours fa Maistreffe . Qu'elle foit fiere , qu'elle foit inhumaine , qu'elle foit infidelle , elle eſt tousjours aimable , il ne la fçauroit
haïr.
>
Mais enfin quelle apparence de renverfer l'Idole
que nous avons adorée ,
d'abbattre l'Autel où nous
avons facrifié , d'arracher
de noftre cœur ce qui en
faifoit les delices ? Quel
chaftiment doit attendre
de l'amour un infidelle qui
paffe de la legereté à l'in-
GALANT. 183
gratitude & à la haine ? Je
conclus donc avec le Proverbe , Qu'on ne peut hair
ce qu'on a une fois bien
aimé.
R
à la queſtion du Mercure
précedent.
Par Mrde Rau.....
Si on peut hair ce qu'on a une
fois bien aimé.
LEs Paffions font differentes par leur nature , &à
l'égard de l'objet qui les
fait naiftre. Il y en a de
promptes &de paſſageres ,
dont l'effet eft violent ,
mais elles durent peu , &
ne laiffent prefque aucun
veftige dans l'ame de ceux
May 1712.
P
170 MERCURE
quiles ontreffenties . L'ob
jet paffe , & l'idée s'en efface d'abord, Telles font
la joye & la colere. Ces
paffions fe fuccedent les
unesaux autres , & un mef
me objet peut leur fournir
de matiere. Mais les paffions fortes & de longue.
durée , faifant plus d'impreffion fur noftre ame, y
laiffent un caractere & une
image de leur objet , qu'il
eft malaisé d'effacer. Telles font la trifteffe & la
douleur , maisfur tout , l'a
mour & la haine.
1
GALANT. 171
Il eft certain encore que
toutes les paffions quifont
opposées, maiftrifent rarement le cœur de l'homme
à l'égard du mefme objer ;
car outre qu'il y en a tousjours une qui eft dominante , l'objet qui a frappé le
premier noftre imagination,ylaiffe tousjours quelque obftacle à l'effet
la paffion contraire y veut
produire. Cet obftacle n'eft
autre chofe que l'habitude
de la paffion qui forme des
traces profondes dans lefquelles retombent tousque
Pij
172 MERCURE
jours l'imagination quand
elle fe reprefente l'objet
qui les a tracées.
Si l'objet aimé nous offense,
Nous a trahi , nous préfere
un rival
Par dépit , colere , on vangeance ,
Sans le hair nous luy voulons
du mal.
On ne le par peut haïr
antipathie. Quelque défaut qu'on y découvre ,
quelque injure que nous
en resevions , il a tousjours
je ne çay quoy qui nous
GALANT. 173
porte vers luy , & qui nous
y attache malgré toutes les
violences que nous nous
faifons , dans le deffein de
nous en feparer.
Se vangerde l'objet qu'on aime,
C'eftfe vangercontrefoy- mefme.
Ecoutez ce que fait dire
le plus fçavant Interprete
de l'amour à la defolée
Ocone, lorfqu'elle voit Helene entre les bras de Pâris. Elle devoit fe vanger
de cet Infidelle. Cepen
dant
P iij
174 MERCURE
A cet indigne objet je perdis
patience ,
Je me frappay le fein , j'arrachay mes cheveux,
Et tournay contre moy lafeve
re vangeance
Quej'avois deftinée àl'objet de
mes vœux.
Tant il eft vray qu'on ne
peut hair ce qu'on a une
fois bien aimé , & qu'on
fe prend à foy- mefme de
l'injure qu'il nous a faite.
On fuppofe , en difant
tout cecy, qu'il s'agit d'un
veritable amour , & file
GALANT. 175
veritable amour vient d'un
certain rapport des efprits
de l'Amant & de l'objet
aimé, qui peut rompre cette charmante harmonie ?
Si les chofes font dignes
d'eftre aimées , ce feroit
agir contre la raiſon que
de les haïr , & ces mouve.
mens eftant involontaires,
ne peuvent détruire l'amour,
Nous nous formons ordinairement une image
odieufe de ce que nous
haïffons. Cette image nous
fuit par tout. Elle détruit
Piiij
176 MERCURE
dans noftre efprit toutes
fes belles qualitez , & tout
ce qu'il a d'aimable eſt
plus dans ce qu'elle aime
que dans ce qu'elle anime ,
comment pourroit - elle
quitter le lieu de fon repos
& de fa complaifance ?
Quoy qu'il en foit , il eſt
tousjours vray que l'amour
laiffe en nous ces traces
de l'objet aimé , qui non
feulement font capables de
fermer nos cœurs à la hai
ne, mais encore de rallu
mer une plus forte paffion
qu'auparavant ; & ce font
GALANT. 177
ces restes de l'amour qu'on
appelle un feu caché fous
la cendre.
Amant , c'est une chofe feure
Quand l'amourfait une bleffure
La marque en demeure tousjours.
Eloignez vous d'Iris , abandonnez Aminte
Implorez le divinfecours ,
Si voftre ame en eft bien at
teinte ,
Fuyez-les tant qu'il vous plaira ,
Famais de vostre cœur l'amour
ne fortira.
178 MERCURE
Quelques -uns croyent
que la haine peut venir
d'un amour laffé , d'un
amour irrité ; mais en ce
cas on peut fouftenir que
c'cft parce qu'on n'a jamais bien aimé, & ainfi il
n'y a plus de Queſtion
refoudre..
La colere eft une vapeur qui peut offufquer
l'amour , mais qui ne peut
l'étouffer. Elle va quelquefois jufqu'à ſe vanger ,
mais jamais juſqu'à le détruire. Elle garde mefme
des mefures pour l'objet
"
GALANT. 179
aimé dans les plus grands
emportemens , & c'eft ce
qui faifoit dire à Hipfipile
écrivant à Jafon qui l'abandonnoit pour Mcdée.
Contre toy ma colere afes bor
nes prefcrites ,
Elle t'euft épargné, non que tu
le merites ;
Mais quelque duretéqui regne
dans ton cœur ,
Ma bonté va plus loin encor
que ta rigueur.
Et qui eft l'Amant qui
ignore que toutes les coleres en amour l'augmen
180 MERCURE
tent plus qu'elles ne le di
minuent , & qu'aprés une
rupture on s'aime fouvent
encore plus qu'on ne faiLoit auparavant ?
Ceux qui n'aiment gueres , font lujets au dégouſt
& à linconftance , mais
ils ne vont pas jufqu'à la
haine. Pour haïr ce qu'on
a bien aimé , fi cela fe peut,
il faut aimerencore. Cette
efpece de haine vient d'un
trop violent amour. On
aime ce qu'on croit haïr ,
& tous ces emportements
nefont que de foibles mar-
GALANT. 181
ques d'une fauffe haine.
Il y a eu des Amans
cruels & barbares , dont
l'amour s'eft changé en fu
reur; mais c'eftoient moins
des Amans que des Bourreaux. Mahomet II. ab
batit d'un coup de cimeterre la tefte de fa Maif
treffe , mais l'ambition feule luy fit faire ce grand fa
crifice. La haine n'y eut
point de part , & fon cœur
paya cherement l'excez de
fa brutale vanité.
pourquoy citer Mahomet?
Un Barbare eft-il capable
d'aimer? Non, non, un veMais
182 MERCURE
ritable Amant aime tousjours fa Maistreffe . Qu'elle foit fiere , qu'elle foit inhumaine , qu'elle foit infidelle , elle eſt tousjours aimable , il ne la fçauroit
haïr.
>
Mais enfin quelle apparence de renverfer l'Idole
que nous avons adorée ,
d'abbattre l'Autel où nous
avons facrifié , d'arracher
de noftre cœur ce qui en
faifoit les delices ? Quel
chaftiment doit attendre
de l'amour un infidelle qui
paffe de la legereté à l'in-
GALANT. 183
gratitude & à la haine ? Je
conclus donc avec le Proverbe , Qu'on ne peut hair
ce qu'on a une fois bien
aimé.
R
Fermer
Résumé : RESPONSE à la question du Mercure précedent. Par Mr de Rau.....
Le texte publié dans le Mercure de mai 1712 examine la nature des passions humaines, en se concentrant particulièrement sur l'amour et la haine. Les passions sont divisées en deux catégories : celles qui sont promptes et passagères, comme la joie et la colère, et celles qui sont fortes et durables, comme la tristesse et la douleur. L'amour et la haine sont décrits comme des passions opposées mais rarement simultanées envers un même objet. L'habitude de la passion dominante laisse des traces profondes dans l'imagination, rendant difficile l'émergence de la passion contraire. Le texte soutient qu'il est impossible de haïr véritablement quelqu'un que l'on a profondément aimé. Même en cas d'offense ou de trahison, des sentiments résiduels persistent, empêchant une haine totale. L'exemple d'Oconée, qui se venge contre elle-même plutôt que contre Pâris, illustre cette impossibilité. L'amour laisse des traces indélébiles, capables de rallumer une passion plus forte qu'auparavant, même après une rupture. La colère, bien que pouvant obscurcir l'amour, ne peut le détruire complètement. Elle conserve des mesures pour l'objet aimé, même dans les moments de grande colère. Les auteurs citent des exemples littéraires pour montrer que la haine supposée après une rupture est souvent une manifestation d'un amour persistant. Le texte conclut en affirmant que la haine véritable envers un ancien amour est rare et souvent masquée par des sentiments amoureux résiduels. Même les actes cruels, comme celui de Mahomet II, sont attribués à d'autres motivations que la haine pure. Le proverbe 'On ne peut haïr ce qu'on a une fois bien aimé' résume cette idée.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer