Résultats : 1 texte(s)
Détail
Liste
1
p. 184-195
Lettre à l'Auteur du Mercure.
Début :
MONSIEUR, les réflexions que M. Cresp, Maître en Chirurgie de [...]
Mots clefs :
Virus, Chien, Hydrophobie, Humeurs, Plaie, Pommade mercurielle, Remède contre la rage
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Lettre à l'Auteur du Mercure.
Lettre à l'Auteur du Mercure.
ONSIEUR , les réflexions que M.
Crefp , Maître en Chirurgie de
Graffe , a fait inférer dans le Mercure du
moi de Septembre dernier , ne tendant
rien moins qu'à faire fufpecter ma bonnefoi
, & diminuer le poids des obfervations
authentiques que j'annonce au Public
, je me hâte de vous adreffer ma réponſe
, avec d'autant plus d'affurance que
je connois l'impartialité dont vous faites
profeffion dans votre Mercure , & combien
vous laiſſez un libre champ à ceux
qu'on y attaque , d'oppoſer une légitime
défenfe.
DECEMBRE. 1755. 185
J'adopte volontiers le principe par où
débute M. Crefp ; j'ajoute même que tout
Ecrivain doit prendre non- feulement la
vérité pour guide : mais dès qu'il confacre
fa plume au bien de la fociété , il faut qu'il
publie également les bons & les mauvais
fuccès. L'appas d'une frêle gloire , l'envie
de fe faire un nom , ne doivent jamais tenter
, un obfervateur judicieux , fincere ,
exact à taire les fuites défavorables de fes
travaux . L'hiftoire de nos erreurs fert d'acheminement
au vrai , & c'eft en les expofant
au grand jour , qu'on parvient quelque
fois plus furement à fa découverte . Mais
ce principe-là, M. Crefp l'a- t'il bien fuivi ?
& ne fauroit- on le taxer d'un peu de prévention
? Car à moins de vouloir fe faire
illufion à foi- même , je ne vois pas
que ma fixieme obfervation , qui ne renferme
qu'un fimple & court expofé de fa
manoeuvre , fans annotation , fans détail
des faits & des circonftances , foit le
produit
d'une habileté mal entendue , uniquement
étalée pour farder la vérité avec
art , & le déprimer à ce qu'il dit.
Seroit-ce dans ce que j'avançai , que la
plaie de la jeune Ferrand fut bientôt
cicatrifée par fon fecours , qu'il y trouveroit
fon honneur intéreffé ? Mais de
fon aveu cette morfure étoit fort légere ,
TSG MERCURE DE FRANCE.
à peine paffoit- elle au -delà de la peau ;
& malgré les fcarifications & le doux
fuppuratif qu'il employa , elle fut confolidée
dans huit à dix jours. Voilà ce que
j'ai voulu dire à mon tour , & mes expreffions
ne préfentent à l'efprit aucun
fens équivoque , ni moins encore injurieux.
Je protefte fincérement que je fuis l'ami
des talens dans la perfonne de Meffieurs
les Chirurgiens , que je regarde
uniquement faits pour concourir avec
nous au foulagement des maux attachés
à la nature humaine ; que j'applaudis de
grand coeur aux découvertes laborieuſes ,
& aux fçavantes productions de nos meilleurs
maîtres en ce genre ; que jaime ,
que je recherche même cet heureux accord
qui doit régner entre nous , furtout
lorfque la probité , le dèfintéreffement
, & une noble émulation pour le
progrès de l'art , en font le mobile ; &
que fi jamais M. Crefp me met à portée
de connoître tout fon mérite , j'en
ferai volontiers le panégyrifte , bien loin
d'avoir cherché à le déprimer , lors même
que je n'ai point penté à lui.
Sans nous arrêter aux traits peu judicieux
& exagérés dont il remplit fes réflexions
, réduifons - les à deux ou trois
DECEMBRE. 1755. 187
points principaux . Un chien mord la jeune
Ferrand au métacarpe gauche ce
chien eft-il enragé ou non ? M. Crefp
nous affure qu'après s'être enquis avec
foin de tout ce qu'avoit fait ce chien ,
il n'a pu tirer la moindre induction qu'il
le fût. Mais font- ce là tous les foins qu'un
homme qui cherche à me rendre meilleur
obfervateur devoit fe donner ? &
faut-il dans une matiere auffi intéreffante
pour la vie de cette enfant , nous
laiffer deviner à quoi s'eft borné fa laborieufe
enquête, fans daigner nous apprendre
fur quels fignes exclufifs de la rage ;
il s'eft décidé fi pofitivement ? S'il avoit
bien voulu s'informer un peu mieux ,
ne lui auroit- on pas dit , ainfi que je le
tiens des perfonnes dignes de foi , que
c'étoit ici un chien égaré ; que fa démarche
effarée , fa gueule béante , la fuite
des autres chiens à fon afpect menaçant , &
fur lefquels il fe ruoit indifféremment , quelques-
uns qu'il avoit égorgés la nuit d'auparavant,
l'ayant fait croire enragé, on le pourfuivoit
de part & d'autre , le matin qu'il
mordit fur fon paffage la jeune Ferrand?
A cet expofé que je ne furfais point ,
j'ai pu décider que le chien étoit vraifemblablement
enragé ; & dans ce doute
que la mort des autres chiens mordus
1S8 MERCURE DE FRANCE.
qu'on tua le même jour ne me permit
pas d'éclaircir , j'ai mieux aimé préferver
d'une mort affurée cette jeune enfant
que
les prétendus antidotes de M. Crefp ,
fon eau thériacale & toute fon huile de
fcorpion n'auroient certainement pas garantie
, plutôt que d'en commetre la décifion
à l'évenement . Suis- je blamable par
trop de précaution , & devois- je être expofé
à fes invectives pour m'être montré
plus prudent que lui , prévenu comme
je fuis par des faits avérés , qu'on
ne s'endort que trop fouvent fur les fuites
de pareilles morfures , & qu'un mal
qui fe développe tard , n'en devient pas
moins dangereux , dès qu'on a été fi pcu
foigneux d'y remedier à l'avance ? Ceux
qui ont employé le même préfervatif ,
n'ont-il pas agi quelquefois fur des cas
encore plus équivoques ( 1 ) ?
Mais écoutons M. Crefp ; il va nous
apprendre ce qu'il auroit fallu faire. Convenons
, s'écrie- r'il , que les remedes
euffent été bien infuffifans fi la fille eût
été hydrophobe. D'accord : mais l'ai - je trai-
(1) Voyez les Obfervations de M. James , Dictionnaire
de Médecine , tom. 4 , verbo Hydrophobia
; celles de M. Default , Traité de la Rage,
som. 5 ; M. Lazerme , de Morbis Capitis, pag. 1995
la Differtation de M. Defauvages , fur la fin , &c.
DECEMBRE. 1755. 189
tée comme telle ? & n'admets -je aucune
différence entre une morfure occafionnée
par un chien enragé , & l'hydrophobie ?
entre la caufe & fon effet ? J'annonce
le mercure comme un préfervatif affuré
contre la rage ; je n'ay garde de le donner
encore comme un remede curatif. L'hydrophobie
une fois déclarée exige qu'on
opére différemment. Cette dangereuſe
affection où l'érethifme conftant du genre
nerveux , les contractions convulfives
des muſcles de la gorge , & la tenfion
fpafmodique des folides , amenent fi
promptement des inflammations gangréneufes
dans tous les vifceres , ne demandet'elle
pas qu'on marie fagement le mercure
avec les remedes fédatifs , les ano-'
dins , les calmans , les narcotiques mêmes,
fi l'on veut réuffir à la combattre auffi heureufement
que je le ferai voir , lorfque
cette pratique qu'on vient de tenter
pareillement
avec fuccès en Angleterre , fera
étayée par un nombre de guérifons à
l'épreuve du temps ( 1 ) . Je pense qu'il ne
réfultera jamais de mes expreffions un
fens auffi contraire que celui que veut
en tirer M. Crefp , & qui dénote fa facilité
à prendre le change .
(1 ) Voyez le Journal des Sçavans du mois de
Juillet dernier, pag. 1404.
190 MERCURE DE FRANCE.
La pommade mercurielle , ajoute-t’il ,
étoit en trop petite quantité pour produire
l'effet qu'on s'en promettoit. Ce raiſonnement
feroit concluant , fi l'expérience
& des effais réitérés lui en avoient appris
la jufte dofe. Mais fur quels faits
obfervés de fa part , voudroit- il nous la
régler le ton de maître fied-t'il bien lorfqu'on
ne fçait encore que par oui dice ,
qu'on prévient heureuſement la rage par
les mercuriels ?
Il s'éleve un préjugé bien dangereux à
la fociété , contre lequel on doit s'oppofer
vivement , & qui ne peut avoir pris
naiffance que dans la tête de ces Chirurgiens
frictionneurs, qui ne fe font point
une peine de couvrir impitoyablement de
mercure un malade , au moindre fymptôme
équivoque dont il eft menacé. Le mercure
, dit- on , fait des merveilles contre la
rage , pourquoi ne pas faire effayer ce remede
à plein , fur tous ceux qui font
mordus par quelque animal enragé. Tel
étoit fans doute le raifonnement de M.
Crefp , lorfqu'il propofa aux parens allarmés
fur les fuites de la morfure qu'avoit
reçue leur jeune fille , de la paffer
au plutôt par les grands remedes , fi le
chien étoit tel qu'on le difoit communément
; du moins c'eft ici l'unique fondeDECEMBRE
. 1755. 191
ment de ſes réflexions contre moi , qui ai
fçu la préferver d'un mal dangereux fans
donner dans cet excès : loin de le juger
à la rigueur , convenons que les expreffions
fuivantes , préfentent naturellement
cette conféquence à l'efprit .
Il eft certain , continue - t'il , que dans
quinze jours le virus devoit avoir fait
bien des progrès , & avoir imprégné toute
la maffe des humeurs ; parconféquent
fuffifoit-il de faire quelques legeres frictions
fur la partie offenfée . Oui fans dou
te , cela fuffifoit , & l'expérience qui doit
l'emporter fur le raifonnement nous a
appris que pour prévenir heureuſement
l'hydrophobie , quelques frictions , lorfqu'on
a été mordu aux parties inférieures
, & réitérées tout le temps convenable
, font plus que fuffifantes pour y parvenir
, fans couvrir impétueufement de
mercure ces perfonnes mordues , ni les
affujettir à ce régime fcrupuleux qu'exige
la curation de la vérole. C'eft ainfi qu'on
l'a pratiqué fur la main offenfée & le
bras de cette jeune fille , pendant plus de
quinze jours , à la dofe d'une dragme &
demie de la pommade mercurielle chaque
fois ; & je n'en fis difcontinuer l'ufage
qu'après être moralement certain , par la
cellation de la douleur fous la cicatrice
192 MERCURE DE FRANCE .
de la plaie , qu'il n'y avoit plus rien à
craindre pour les fuites. C'eft ici un fait
dont je prie M. Crefp de vouloir s'informer
un peu mieux , s'il a affez de candeur
& de bonne foi pour reconnoître ,
ainsi que doit faire tout honnête homme
qui s'eft trompé , qu'on peut quelquefois
en impofer au Public faute d'examen.
Ne diroit- on pas , à l'entendre , que le
virus de la rage vicie promptement la
maffe des humeurs ; qu'il jette le fang
dans une diffolution fubite , pour ne
pouvoir le combattre dix à douze jours
après fon infertion dans les chairs. Qu'il
fe donne la peine de lire mes obfervations,
ainfi que celles que j'ai citées d'après
quantité de Médecins célebres , il y verra
qu'on a réuffi après un terme encore plus
fong. Eft- ce là bien pofféder la théorie de
la rage ? Apprenons -lui donc que le virus
hydrophobique , par une action analogue
à quantité d'autres venins , agit moins
fur les Auides que fur les folides ; que
la bave de l'animal enragé , collée contre
les fibres des mufcles dilacérés , peut
y refter des années entieres fous une forme
infenfible , fans donner aucune marque
de fa préfence , fans infecter les
humeurs : ainfi l'obfervons- nous tous les
jours. Mais ce que l'hiſtoire de cette maladie
,
DECEMBRE. 1755. 193
ladie , malgré le grand nombre d'Auteurs ,
.parmi les anciens & les modernes qui
I'ont traitée , ne nous avoit point appris
jufqu'ici , c'est que le virus une fois développé
, cette bave exaltée , annonce fon
action , par une douleur qui fe fait fentir
fous la cicatrice de la partie offenſée ,
d'où s'élévant diftinctement à travers les
muſcles & les chairs qu'elle femble déchirer
en paffant , elle va fe fixer à la gorge
, pour être fuivie d'un étranglement
fubit , des contractions fpafmodiques
des mufcles de la déglutition , & de l'orifice
fupérieur de l'eftomac , de l'hydrophobie
en un mot.
M. Nugent Médecin à Bath ( 1 ) en Angleterre
, vient d'obferver depuis peu ce
fymptôme dans une hydrophobie bien
caractérisée qu'il a guérie. Un coup reçu
fur la cicatrice d'une plaie oblitérée depuis
longtemps , fuffit quelquefois pour
développer le virus amorti . Vainement
contefteroit- on ce cas étonnant . Il eft des
faits dans la nature que nous ne connoiffons
point encore , & l'expérience
reclame toujours contre le raifonnement.
J'ai donc pu quinze jours après l'accident
(1 ) Effai fur l'Hydrophobie , traduit de l'Apglois
de Chriftophe Nugent , à Paris , chez la
veuve Cavelier , 1754.
II. Vol.
4
I
>
194 MERCURE DE FRANCE.
arrivé à cette jeune fille , mettre en oeuvre
la façon prudente que j'ai annoncée ,
fans avoir à craindre une infection générale
des humeurs , contre laquelle j'avoue
qu'il auroit fallu des remedes plus
actifs , fi le virus de la rage agiffoit ainfi
que le penfe M. Crefp.
Les plaies de la bouche & du vifage ,
exigent une curation toute oppofée. Le
virus qui fe développe ordinairement
fur ces parties dans la quarantaine , l'étendue
& la quantité des morfures , le
court trajet de leur fituation jufqu'aux
mufcles de la gorge demandent qu'on
précipite bien fouvent les frictions ; mais
ce n'étoit point ici le cas : on peut employer
alors avec fuccès le turbit minéral.
Son action vive & prompte fur les
glandes fébacées de la gorge , amenant
bientôt la falivation , empêche brufquement
l'action du virus , dont on connoît
l'affinité avec ces humeurs & la ftructure
des organes qui les féparent ; ainfi
que les fels cauftiques des cantharides
agiffent directement fur le vélouté &
l'humeur muqueufe de la veffie.
Les morfures des parties inférieures ,
dans lesquelles on fçait que le virus tarde
beaucoup plus longtemps à donner des
marques de fa préfence , n'exigent pas
DECEMB - R E. 1755. 195
tout cet appareil. C'eft affez de preſcrire
quelques frictions éloignées , en panſant ·
régulierement la plaie avec la pommade
mercurielle & le digeftif ordinaire. Si
l'on emploie le turbit minéral pour plus
grande fureté , ce n'eft jamais qu'en qualité
d'altérant . Tel l'ordonnai - je à cette
jeune fille , & loin que fon ufage foit
dangereux , comme l'infinue M. Crefp, je
n'ai qu'à le renvoyer au traité exprès queM.
James a compofé la deffus ; parallele bien
fingulier au refte, que celui qu'il établit entre
les parens de cette fille, & moi qu'il fuppofe
plus éclairé fur les fuites & l'action
de cette chaux mercurielle. Mais c'eſt
affez de nous arrêter fur un fait qui ne mé
ritoit point d'être improuvé , & que
pourrois appuyer même par des certificats
authentiques , fi tout cela devoit influer
pour quelque chofe à l'inftruction du Public
; motif que l'on doit toujours fe propofer
, ce me femble , dans toute critique ,
fans faire naître ici , comme M. Crefp , une
conteftation à propos de rien ; & de laquelle
il auroit fort bien pu fe paffer ,
s'il avoit eu des meilleurs confeils.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DARLUC , Docteur en Médecine.
A Callian 10 Octobre 1755 ..
ONSIEUR , les réflexions que M.
Crefp , Maître en Chirurgie de
Graffe , a fait inférer dans le Mercure du
moi de Septembre dernier , ne tendant
rien moins qu'à faire fufpecter ma bonnefoi
, & diminuer le poids des obfervations
authentiques que j'annonce au Public
, je me hâte de vous adreffer ma réponſe
, avec d'autant plus d'affurance que
je connois l'impartialité dont vous faites
profeffion dans votre Mercure , & combien
vous laiſſez un libre champ à ceux
qu'on y attaque , d'oppoſer une légitime
défenfe.
DECEMBRE. 1755. 185
J'adopte volontiers le principe par où
débute M. Crefp ; j'ajoute même que tout
Ecrivain doit prendre non- feulement la
vérité pour guide : mais dès qu'il confacre
fa plume au bien de la fociété , il faut qu'il
publie également les bons & les mauvais
fuccès. L'appas d'une frêle gloire , l'envie
de fe faire un nom , ne doivent jamais tenter
, un obfervateur judicieux , fincere ,
exact à taire les fuites défavorables de fes
travaux . L'hiftoire de nos erreurs fert d'acheminement
au vrai , & c'eft en les expofant
au grand jour , qu'on parvient quelque
fois plus furement à fa découverte . Mais
ce principe-là, M. Crefp l'a- t'il bien fuivi ?
& ne fauroit- on le taxer d'un peu de prévention
? Car à moins de vouloir fe faire
illufion à foi- même , je ne vois pas
que ma fixieme obfervation , qui ne renferme
qu'un fimple & court expofé de fa
manoeuvre , fans annotation , fans détail
des faits & des circonftances , foit le
produit
d'une habileté mal entendue , uniquement
étalée pour farder la vérité avec
art , & le déprimer à ce qu'il dit.
Seroit-ce dans ce que j'avançai , que la
plaie de la jeune Ferrand fut bientôt
cicatrifée par fon fecours , qu'il y trouveroit
fon honneur intéreffé ? Mais de
fon aveu cette morfure étoit fort légere ,
TSG MERCURE DE FRANCE.
à peine paffoit- elle au -delà de la peau ;
& malgré les fcarifications & le doux
fuppuratif qu'il employa , elle fut confolidée
dans huit à dix jours. Voilà ce que
j'ai voulu dire à mon tour , & mes expreffions
ne préfentent à l'efprit aucun
fens équivoque , ni moins encore injurieux.
Je protefte fincérement que je fuis l'ami
des talens dans la perfonne de Meffieurs
les Chirurgiens , que je regarde
uniquement faits pour concourir avec
nous au foulagement des maux attachés
à la nature humaine ; que j'applaudis de
grand coeur aux découvertes laborieuſes ,
& aux fçavantes productions de nos meilleurs
maîtres en ce genre ; que jaime ,
que je recherche même cet heureux accord
qui doit régner entre nous , furtout
lorfque la probité , le dèfintéreffement
, & une noble émulation pour le
progrès de l'art , en font le mobile ; &
que fi jamais M. Crefp me met à portée
de connoître tout fon mérite , j'en
ferai volontiers le panégyrifte , bien loin
d'avoir cherché à le déprimer , lors même
que je n'ai point penté à lui.
Sans nous arrêter aux traits peu judicieux
& exagérés dont il remplit fes réflexions
, réduifons - les à deux ou trois
DECEMBRE. 1755. 187
points principaux . Un chien mord la jeune
Ferrand au métacarpe gauche ce
chien eft-il enragé ou non ? M. Crefp
nous affure qu'après s'être enquis avec
foin de tout ce qu'avoit fait ce chien ,
il n'a pu tirer la moindre induction qu'il
le fût. Mais font- ce là tous les foins qu'un
homme qui cherche à me rendre meilleur
obfervateur devoit fe donner ? &
faut-il dans une matiere auffi intéreffante
pour la vie de cette enfant , nous
laiffer deviner à quoi s'eft borné fa laborieufe
enquête, fans daigner nous apprendre
fur quels fignes exclufifs de la rage ;
il s'eft décidé fi pofitivement ? S'il avoit
bien voulu s'informer un peu mieux ,
ne lui auroit- on pas dit , ainfi que je le
tiens des perfonnes dignes de foi , que
c'étoit ici un chien égaré ; que fa démarche
effarée , fa gueule béante , la fuite
des autres chiens à fon afpect menaçant , &
fur lefquels il fe ruoit indifféremment , quelques-
uns qu'il avoit égorgés la nuit d'auparavant,
l'ayant fait croire enragé, on le pourfuivoit
de part & d'autre , le matin qu'il
mordit fur fon paffage la jeune Ferrand?
A cet expofé que je ne furfais point ,
j'ai pu décider que le chien étoit vraifemblablement
enragé ; & dans ce doute
que la mort des autres chiens mordus
1S8 MERCURE DE FRANCE.
qu'on tua le même jour ne me permit
pas d'éclaircir , j'ai mieux aimé préferver
d'une mort affurée cette jeune enfant
que
les prétendus antidotes de M. Crefp ,
fon eau thériacale & toute fon huile de
fcorpion n'auroient certainement pas garantie
, plutôt que d'en commetre la décifion
à l'évenement . Suis- je blamable par
trop de précaution , & devois- je être expofé
à fes invectives pour m'être montré
plus prudent que lui , prévenu comme
je fuis par des faits avérés , qu'on
ne s'endort que trop fouvent fur les fuites
de pareilles morfures , & qu'un mal
qui fe développe tard , n'en devient pas
moins dangereux , dès qu'on a été fi pcu
foigneux d'y remedier à l'avance ? Ceux
qui ont employé le même préfervatif ,
n'ont-il pas agi quelquefois fur des cas
encore plus équivoques ( 1 ) ?
Mais écoutons M. Crefp ; il va nous
apprendre ce qu'il auroit fallu faire. Convenons
, s'écrie- r'il , que les remedes
euffent été bien infuffifans fi la fille eût
été hydrophobe. D'accord : mais l'ai - je trai-
(1) Voyez les Obfervations de M. James , Dictionnaire
de Médecine , tom. 4 , verbo Hydrophobia
; celles de M. Default , Traité de la Rage,
som. 5 ; M. Lazerme , de Morbis Capitis, pag. 1995
la Differtation de M. Defauvages , fur la fin , &c.
DECEMBRE. 1755. 189
tée comme telle ? & n'admets -je aucune
différence entre une morfure occafionnée
par un chien enragé , & l'hydrophobie ?
entre la caufe & fon effet ? J'annonce
le mercure comme un préfervatif affuré
contre la rage ; je n'ay garde de le donner
encore comme un remede curatif. L'hydrophobie
une fois déclarée exige qu'on
opére différemment. Cette dangereuſe
affection où l'érethifme conftant du genre
nerveux , les contractions convulfives
des muſcles de la gorge , & la tenfion
fpafmodique des folides , amenent fi
promptement des inflammations gangréneufes
dans tous les vifceres , ne demandet'elle
pas qu'on marie fagement le mercure
avec les remedes fédatifs , les ano-'
dins , les calmans , les narcotiques mêmes,
fi l'on veut réuffir à la combattre auffi heureufement
que je le ferai voir , lorfque
cette pratique qu'on vient de tenter
pareillement
avec fuccès en Angleterre , fera
étayée par un nombre de guérifons à
l'épreuve du temps ( 1 ) . Je pense qu'il ne
réfultera jamais de mes expreffions un
fens auffi contraire que celui que veut
en tirer M. Crefp , & qui dénote fa facilité
à prendre le change .
(1 ) Voyez le Journal des Sçavans du mois de
Juillet dernier, pag. 1404.
190 MERCURE DE FRANCE.
La pommade mercurielle , ajoute-t’il ,
étoit en trop petite quantité pour produire
l'effet qu'on s'en promettoit. Ce raiſonnement
feroit concluant , fi l'expérience
& des effais réitérés lui en avoient appris
la jufte dofe. Mais fur quels faits
obfervés de fa part , voudroit- il nous la
régler le ton de maître fied-t'il bien lorfqu'on
ne fçait encore que par oui dice ,
qu'on prévient heureuſement la rage par
les mercuriels ?
Il s'éleve un préjugé bien dangereux à
la fociété , contre lequel on doit s'oppofer
vivement , & qui ne peut avoir pris
naiffance que dans la tête de ces Chirurgiens
frictionneurs, qui ne fe font point
une peine de couvrir impitoyablement de
mercure un malade , au moindre fymptôme
équivoque dont il eft menacé. Le mercure
, dit- on , fait des merveilles contre la
rage , pourquoi ne pas faire effayer ce remede
à plein , fur tous ceux qui font
mordus par quelque animal enragé. Tel
étoit fans doute le raifonnement de M.
Crefp , lorfqu'il propofa aux parens allarmés
fur les fuites de la morfure qu'avoit
reçue leur jeune fille , de la paffer
au plutôt par les grands remedes , fi le
chien étoit tel qu'on le difoit communément
; du moins c'eft ici l'unique fondeDECEMBRE
. 1755. 191
ment de ſes réflexions contre moi , qui ai
fçu la préferver d'un mal dangereux fans
donner dans cet excès : loin de le juger
à la rigueur , convenons que les expreffions
fuivantes , préfentent naturellement
cette conféquence à l'efprit .
Il eft certain , continue - t'il , que dans
quinze jours le virus devoit avoir fait
bien des progrès , & avoir imprégné toute
la maffe des humeurs ; parconféquent
fuffifoit-il de faire quelques legeres frictions
fur la partie offenfée . Oui fans dou
te , cela fuffifoit , & l'expérience qui doit
l'emporter fur le raifonnement nous a
appris que pour prévenir heureuſement
l'hydrophobie , quelques frictions , lorfqu'on
a été mordu aux parties inférieures
, & réitérées tout le temps convenable
, font plus que fuffifantes pour y parvenir
, fans couvrir impétueufement de
mercure ces perfonnes mordues , ni les
affujettir à ce régime fcrupuleux qu'exige
la curation de la vérole. C'eft ainfi qu'on
l'a pratiqué fur la main offenfée & le
bras de cette jeune fille , pendant plus de
quinze jours , à la dofe d'une dragme &
demie de la pommade mercurielle chaque
fois ; & je n'en fis difcontinuer l'ufage
qu'après être moralement certain , par la
cellation de la douleur fous la cicatrice
192 MERCURE DE FRANCE .
de la plaie , qu'il n'y avoit plus rien à
craindre pour les fuites. C'eft ici un fait
dont je prie M. Crefp de vouloir s'informer
un peu mieux , s'il a affez de candeur
& de bonne foi pour reconnoître ,
ainsi que doit faire tout honnête homme
qui s'eft trompé , qu'on peut quelquefois
en impofer au Public faute d'examen.
Ne diroit- on pas , à l'entendre , que le
virus de la rage vicie promptement la
maffe des humeurs ; qu'il jette le fang
dans une diffolution fubite , pour ne
pouvoir le combattre dix à douze jours
après fon infertion dans les chairs. Qu'il
fe donne la peine de lire mes obfervations,
ainfi que celles que j'ai citées d'après
quantité de Médecins célebres , il y verra
qu'on a réuffi après un terme encore plus
fong. Eft- ce là bien pofféder la théorie de
la rage ? Apprenons -lui donc que le virus
hydrophobique , par une action analogue
à quantité d'autres venins , agit moins
fur les Auides que fur les folides ; que
la bave de l'animal enragé , collée contre
les fibres des mufcles dilacérés , peut
y refter des années entieres fous une forme
infenfible , fans donner aucune marque
de fa préfence , fans infecter les
humeurs : ainfi l'obfervons- nous tous les
jours. Mais ce que l'hiſtoire de cette maladie
,
DECEMBRE. 1755. 193
ladie , malgré le grand nombre d'Auteurs ,
.parmi les anciens & les modernes qui
I'ont traitée , ne nous avoit point appris
jufqu'ici , c'est que le virus une fois développé
, cette bave exaltée , annonce fon
action , par une douleur qui fe fait fentir
fous la cicatrice de la partie offenſée ,
d'où s'élévant diftinctement à travers les
muſcles & les chairs qu'elle femble déchirer
en paffant , elle va fe fixer à la gorge
, pour être fuivie d'un étranglement
fubit , des contractions fpafmodiques
des mufcles de la déglutition , & de l'orifice
fupérieur de l'eftomac , de l'hydrophobie
en un mot.
M. Nugent Médecin à Bath ( 1 ) en Angleterre
, vient d'obferver depuis peu ce
fymptôme dans une hydrophobie bien
caractérisée qu'il a guérie. Un coup reçu
fur la cicatrice d'une plaie oblitérée depuis
longtemps , fuffit quelquefois pour
développer le virus amorti . Vainement
contefteroit- on ce cas étonnant . Il eft des
faits dans la nature que nous ne connoiffons
point encore , & l'expérience
reclame toujours contre le raifonnement.
J'ai donc pu quinze jours après l'accident
(1 ) Effai fur l'Hydrophobie , traduit de l'Apglois
de Chriftophe Nugent , à Paris , chez la
veuve Cavelier , 1754.
II. Vol.
4
I
>
194 MERCURE DE FRANCE.
arrivé à cette jeune fille , mettre en oeuvre
la façon prudente que j'ai annoncée ,
fans avoir à craindre une infection générale
des humeurs , contre laquelle j'avoue
qu'il auroit fallu des remedes plus
actifs , fi le virus de la rage agiffoit ainfi
que le penfe M. Crefp.
Les plaies de la bouche & du vifage ,
exigent une curation toute oppofée. Le
virus qui fe développe ordinairement
fur ces parties dans la quarantaine , l'étendue
& la quantité des morfures , le
court trajet de leur fituation jufqu'aux
mufcles de la gorge demandent qu'on
précipite bien fouvent les frictions ; mais
ce n'étoit point ici le cas : on peut employer
alors avec fuccès le turbit minéral.
Son action vive & prompte fur les
glandes fébacées de la gorge , amenant
bientôt la falivation , empêche brufquement
l'action du virus , dont on connoît
l'affinité avec ces humeurs & la ftructure
des organes qui les féparent ; ainfi
que les fels cauftiques des cantharides
agiffent directement fur le vélouté &
l'humeur muqueufe de la veffie.
Les morfures des parties inférieures ,
dans lesquelles on fçait que le virus tarde
beaucoup plus longtemps à donner des
marques de fa préfence , n'exigent pas
DECEMB - R E. 1755. 195
tout cet appareil. C'eft affez de preſcrire
quelques frictions éloignées , en panſant ·
régulierement la plaie avec la pommade
mercurielle & le digeftif ordinaire. Si
l'on emploie le turbit minéral pour plus
grande fureté , ce n'eft jamais qu'en qualité
d'altérant . Tel l'ordonnai - je à cette
jeune fille , & loin que fon ufage foit
dangereux , comme l'infinue M. Crefp, je
n'ai qu'à le renvoyer au traité exprès queM.
James a compofé la deffus ; parallele bien
fingulier au refte, que celui qu'il établit entre
les parens de cette fille, & moi qu'il fuppofe
plus éclairé fur les fuites & l'action
de cette chaux mercurielle. Mais c'eſt
affez de nous arrêter fur un fait qui ne mé
ritoit point d'être improuvé , & que
pourrois appuyer même par des certificats
authentiques , fi tout cela devoit influer
pour quelque chofe à l'inftruction du Public
; motif que l'on doit toujours fe propofer
, ce me femble , dans toute critique ,
fans faire naître ici , comme M. Crefp , une
conteftation à propos de rien ; & de laquelle
il auroit fort bien pu fe paffer ,
s'il avoit eu des meilleurs confeils.
J'ai l'honneur d'être , & c.
DARLUC , Docteur en Médecine.
A Callian 10 Octobre 1755 ..
Fermer
Résumé : Lettre à l'Auteur du Mercure.
Dans une lettre datée du 10 octobre 1755, Darluc, Docteur en Médecine, répond aux critiques de M. Crefp publiées dans le Mercure de septembre 1755. M. Crefp avait remis en question la bonne foi et la validité des observations de Darluc. Darluc affirme qu'il publie ses succès et échecs dans un esprit de vérité et pour le bien de la société. Il conteste les accusations de M. Crefp concernant une observation sur une jeune fille mordue par un chien, précisant que la morsure était légère et rapidement cicatrisée. Darluc insiste sur la prudence nécessaire dans de tels cas, citant des exemples où des morsures similaires ont entraîné des complications tardives. Darluc critique M. Crefp pour ne pas avoir suffisamment enquêté sur les signes de rage du chien et pour avoir proposé des remèdes inefficaces. Il défend l'utilisation du mercure comme préventif contre la rage, soulignant que le virus peut rester latent pendant des années avant de se manifester. Il mentionne des cas où des frictions mercurielles ont été efficaces pour prévenir la rage et critique les pratiques excessives de certains chirurgiens. Dans une autre lettre datée du 10 octobre 1755, Darluc discute de l'utilisation du turbit minéral, un composé mercuriel, pour traiter une jeune fille. Il conteste les accusations de dangerosité formulées par M. Cresp, se référant à un traité de M. James qui compare les effets de cette substance. Darluc souligne que l'usage de ce traitement n'est pas dangereux et qu'il peut être appuyé par des certificats authentiques. Il exprime son regret de devoir aborder ce sujet, estimant que cela n'apporte rien à l'instruction du public. Darluc critique M. Cresp pour avoir provoqué une controverse inutile, suggérant qu'il aurait pu éviter cela en ayant de meilleurs conseils. La lettre se conclut par une formule de politesse.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer