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1
p. 143-174
RESULTAT de la dispute entre le P. Laugier & M. Frezier, concernant le Goût de l'Architecture.
Début :
Si l'on ne connoissoit l'esprit de l'homme, on auroit lieu de s'étonner que [...]
Mots clefs :
Dispute, Architecture, Architectes, Murs, Porte, Voûte, Église, Angle, Colonne, Marc-Antoine Laugier, Amédée-François Frézier, Vitraux, Colonnade, Nef, Construction, Ordre
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texteReconnaissance textuelle : RESULTAT de la dispute entre le P. Laugier & M. Frezier, concernant le Goût de l'Architecture.
RESULTAT de la difpute entre le P.
Laugier & M. Frezier , concernant le
Goût de l'Architecture.
Sm
I l'on ne connoiffoit
l'efprit de l'homme
, on auroit lieu de s'étonner
que
de toutes les difputes
littéraires
il ne réfulte
prefque
aucun accord entre les parties conteftantes
, ni même un fimple aveu de
conviction
de la validité des raifons alléguées
d'un adverfaire
à l'autre , quoiqu'il
foit rare qu'elles
puiffent
être d'une égalité
de poids à devoir être mifes dans la balance
du doute.
J'avois premierement établi dans mes
Remarques , inférées dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , que je ne croyois
pas qu'il y eût un beau effentiel en architec
144 MERCURE DE FRANCE .
C
ture , fondé fur les variétés des goûts particuliers
de chaque nation , & de plus des
variations de la même en différens tems ,
comme je l'ai vû de nos jours.
à
à
Le R. Pere Laugier , qui eft d'un fentiment
contraire , a fait de beaux raifonnemens
pour prouver ( non l'exiſtence de
cette chimere ) mais la poffibilité , convenant
qu'actuellement aucun des architectes
de tous les pays connus n'eft parvenu
la montrer dans fes ouvrages. Le public m'a
l'obligation de lui avoir procuré ce beau
diſcours , dont j'abandonne l'examen , n'étant
pas dans le goût d'une difpute métaphyfique
fur les arts , où je me contente de
raifonner conféquemment aux faits qui me
font connus ,
propos de quoi je ne puis
m'empêcher de faire une remarque fur la
contradiction de ce que le R. P. dit d'une
égliſe bâtie à Pekin , à la maniere Européenne
, par les Jéfuites , qui n'a pas femblé
, dit- il , aux Chinois indigne de leur admiration
, avec ce qu'en dit le Frere Attiret
, dans les Lettres édifiantes & curieufes
que j'ai cité , qu'il ne faut pas leur vanter
l'architecture Grecque & Romaine , qu'ils
ne goûtent en aucune façon . Il en pouvoit
parler pertinemment , étant lui -même peintre
& architecte à la Cour de l'Empereur .
Tel eſt le réſultat de la premiere partie de
nos
&
MAI. 1755.
145
nos altercations. Dans la feconde , le R.
Pere , après s'être rangé du côté de mon
opinion , contre cette prétendue origine
de la vraie beauté qu'on veut tirer des
proportions harmoniques employées en architecture
, fe détache de mon parti pour
m'attaquer fur ce que j'ai dit que les architectes
anciens , & la plupart des modernes
, n'ont jamais penfé à ces principes
fcientifiques ; ce que j'ai prouvé par le filence
de tous leurs auteurs . Cette réflexion ,
dit- il , eft plus maligne que folide , comme s'il
vouloit me brouiller avec les vivans : mais
comment prouve - t-il fa conjecture à l'égard
de la folidité ? c'eft en difant qu'il
peut fort bien fe faire que fans y penfer , &
comme à tâtons , les architectes ayent rencon-
· tré le vrai.
Ainfi fon induction n'étoit pas plus jufte
que celle qui lui a fait conjecturer , mal à
propos , que j'étois infenfible à la vûe des
belles chofes , comme un ftupide qui lui
fait pitié. Je le plains , dit il , du tort que
lui a fait la nature ; il eft privé d'une grande
fource de plaifirs , de n'avoir point éprouvé
de ces mouvemens
enchanteurs qu'excite la
préfence des belles chofes , lefquels vont ( de
l'aveu du R. P. * ) juſqu'à l'extafe & au
* Voyez fon Effai fur l'Architecture.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
•
transport ; fon ame , continue- t- il , en parlant
de moi , eft vraisemblablement de celles
qui ont été battues à froid. Belle métaphore
tirée apparemment de la rhétorique des Cyclopes
, pour égayer une matiere férieufe ,
par un peu de mêlange du ftyle des farces ,
à laquelle je pourrois répondre , & montrer
en quoi confifte fon erreur , par un
proverbe du même ton , que les délicats
font difficiles à nourrir.
Les deux premieres parties de mes remarques
ne regardoient point le P. Lau--
gier , il s'y eft mêlé fans vocation ; mais
nous voici arrivés à ceux qui peuvent l'intéreffer
.
Il commence par m'attaquer fur ce que
j'ai dit , que le petit Traité d'Architecture
de M. ( où comme l'appelle le Dictionnaire
de Trévoux , au mot Eglife ) le R.
Pere de Cordemoy , Chanoine Régulier ,
ne contient rien de nouveau ; il qualifie ce
difcours , tout fimple qu'il eft , d'invective
indecente , parce qu'il l'a pris pour fon
coryphée. Y avoit- il là matiere à un propos
qui annonce trop de fenfibilité au refus
que j'ai fait d'applaudir à la prééminence
qu'il veut donner à ce Chanoine
fur tous nos Architectes , avec d'autant
moins de raifon que je lui avois fait remarquer
que cet auteur en convenoit lui-
1 7
MAI
1755 147
même dans fon Epitre dédicatoire à M. le
Duc d'Orléans , en 1706 , à qui il ne le
préfentoit que comme un Recueil de ce
qui fe trouve difperfe dans les ouvrages des
plus habiles , foit anciens ou modernes ? Ce
qu'il n'eft pas difficile de reconnoître à
ceux qui ont puifé dans les fources , car
les approbations ou critiques n'entrent
point en compte de nouveauté du fond de
la doctrine.
t
Il vient enfuite à un des points principaux
de notre difpute concernant les pilaftres
, qu'il abhorre comme des enfans
batards de l'architecture , engendrés par l'ignorance.
Il dit qu'il s'eft mis en devoir de
justifier fon averfion dans le premier chapitre
defan effai , où il n'a pas mieux réuffi
fur cet article qu'en bien d'autres , fi l'on
en juge par l'examen de cet effai , auquel
il a fourni une matiere de critique affez
ample pour être prefque auffi étendue que
le texte , fans y comprendre ce qu'on y
peut, ajouter , comme il confte en partie
-par mes remarques & ma réplique , qui
- n'ont pas épuifé la matiere. Il dit cependant
qu'il a raisonné par une
confequence
logique néceffaire du principe qui fert de
2fondement à tout le reste.
Quel eft ce principe ? j'ai beau lire ce
chapitre , je n'y en trouve aucun , à
a moins
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
que
It qu'il ne l'établiffe fur ce qu'il dit
pilaftre représente une colonne . Il faut convenir
qu'il la repréfente bien imparfaitement
, comme le quarré repréfente le rond.
Car puifque les cylindres & les prifmes
de même hauteur font entr'eux comme
leurs bafes , le quarré circonfcrit repréfente
le cercle infcrit
par une confé
quence
mathématique .
Mais , dira-t -on , c'est parce qu'il en
Occupe la place : cette interprétation feroit
jufte , fi on faifoit un portique tout
de pilaftres ifolés , excepté aux angles faillans
des entablemens , fous lefquels une
colonne ne peut être admife fans faute de
jugement ; parce qu'elle ne peut y faire
les fonctions de pilaftre , en ce qu'elle
laiffe du porte-à-faux de cet angle , comme
je l'ai démontré ; & fi l'on rapporte les
piéces d'architecture à la charpente d'une
cabane , le pilaftre en cet endroit y repréfente
un potean cornier , qui eft auffi effentiellement
équarri qu'un fomier repréfenté
par l'architrave . En effet , pour foutenir
une encoignure en retour d'équerre ( pour
parler en termes de l'art ) , il faut un fupport
quarré ; le quart de cercle infcrit dans
un angle droit n'occupe qu'environ les
deux tiers de fa furface , ou plus précifément
onze quatorziemes ; de forte que le
M.Aha1735 31% 149
triangle mixte reftant,compris par les deux
lignes droites tangentes & le quart de cercle
concave , eft l'étendue de la furface
qui porte à faux , c'est - à-dire fans appui.
Donc la colonne ne peut être fubftituée
au pilaftre dont elle ne peut faire pleinement
les fonctions ; donc la conféquence logique
du R. Pere étant tirée d'un faux principe
, eft invalide pour juftifier fon averfion
qui lui eft particuliere & unique.
Sa logique l'a mieux fervi à refuter la
contradiction qu'on lui avoit reprochée ,
d'avoir appellé les pilaftres des innovations,
après en avoir reconnu l'ancienneté dans
les antiques. On voit bien par la fubtilité
de fa folution , qu'il a enfeigné le grand
art, de ne refter jamais court dans la difpute
, que les facétieux appellent l'art de
fendre un argument en deux par un diftingo
, pour le fauver par la breche ,
Mais voyons comment il réfout l'ob
jection du porte-à- faux fous l'angle faillant
d'un entablement , le faifant foutenir par
des colonnes ; il croit avoir imaginé un
expédient pour l'éviter : il faut le lire attentivement
, car il le mérite. Je ne mettrai
rien ( dit -il ) dans l'angle même ; je rangerai
mes colonnes aux deux côtés le plus près
de l'angle qu'ilme fera poffible . Cela eft clair,
c'est - à - dire jufqu'à ce que les deux chapi
Giij
6 MERCURE DE FRANCE.
teaux fe touchent fur la diagonale de l'an
gle. Mais comment appellera-t- on cet ef
pace quarré , dont les colonnes feront fé
parées en dehors , lequel eft formié par la
prolongation de l'alignement des faces intérieures
de l'architrave jufqu'à la rencon
tre des extérieures avec lefquelles elles
forment un quarré , dont la longueur des
côtés eft déterminée par l'épaiffeur della
colonnade , fuppofant l'angle faillant droit ,
ou bien un trapézoïde s'il eft aigu ou ob-
Eus ? N'eft- ce pas un porte- à- faux tout en
Fair , au dire de tous les Architectes de
Europe ? fans doute . Done ce prétendu
moyen imaginé pour Péviter ; Faugmente
ridiculement , par un effet contraire à fon
Intention , & d'une maniere fi choquante
que fans être architecte , tout fpectateur
un peu judicieux ne manqueroit pas d'en
être frappé , & de Te récriér quel ele
rignorant qui a été capable d'une telle bafourdife
? C'eft içi un de ces cas doit parle
HR . Pere dans fon préludes on la difpute
eft neceffaire pour fournir des préfervatifs
contre le poifon des vaines imaginations . On
ne peut concevoir comment un homme
defprit , tel qu'il eft , & qui s'annonce
pour avoir des connoillances dans l'art de
batir moins bornées a
qu'on ne le préfume, a pu
fe tromper fi étonnamment ; il faut quiP
M A I. 1755
V
alt raifonné fur l'apparence de l'angle
rentrant , au lieu du faillant dont il s'agit.
Pour montrer l'utilité des pilaftres pré- *
férablement aux colonnes dans les parties'
des édifices deſtinées à l'habitation , j'avois
fait remarquer qu'une colonnade ne pou-'
voit y fervir, de l'aveu du R.Pere , qui convient
qu'on ne peut habiter fous une balle
ouverte , & qu'on ne pouvoit s'y mettre
à l'abri des injures de l'air qu'en la fermant
par un mur de cloifon , dont la pofition
à l'égard des colonnes entraîne l'inconvénient
que j'ai fpécifié par un difcours
très fuccint , qui lui a cependant paru long
& obfcur. Le premier de ces défauts n'étoit
que pour lui , en ce qu'un difcours contredifant
porte l'ennui & déplaît pour
peu qu'il foit déployé aux yeux de celui
qui le lit à regret. Quant à l'obfcurité reprochée
, il eft jufte que je l'éclairciffe.
Voici comme j'argumente à mon tour.
Ce mur fera placé , ou dans le milieu de
l'épaiffeur de la colonnade , ou au dedans
ou au dehors .
Dans la premiere pofition il corrompra
la proportion de la largeur apparente à la
hauteur de la colonne. Dans la feconde.
il mafquera la colonnade au dedans , &
dans la troifieme au dehors.
La preuve du premier inconvénient eft
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
que
il
fi
vifible , en ce que pour peu d'épaiſſeur
qu'on donne à ce mur de part & d'autre
de l'alignement des axes des colonnes ,
en embraffera & cachera une partie au
dedans & au dehors de leur circonférence
apparente ; alors ce qui reftera découvert
en largeur ne fera plus un diametre ,
mais une corde plus ou moins grande
felon l'épaiffeur du mur ; de forte
on faifoit fon épaiffeur égale au diametre
de la colonne , il embrafferoit la moitié
de chaque côté , & la feroit enfin diſparoître
, ainfi les furfaces de fes paremens
deviendroient des plans tangens , qui ne la
toucheroient que fuivant une ligne fi elle
étoit cylindrique , & l'angle mixte de la
furface plane & de la courbe deviendroit
infiniment aigu , de forte qu'à moins que
d'ufer d'un maftic adhérent , on ne pourroit
le remplir folidement des matériaux
dont le 'mur feroit bâti.
>
L'inconvénient de la pofition du mur
en dedans ne mérite pas d'être prouvé ,
puifque la colonnade eftun ornement dont
on veut décorer le dedans de l'habitation ,
lequel ornement feroit rejetté en faveur
du dehors , où les colonnes ne paroîtroient
faire fonction que de contre- forts . Il ne
refte donc à choisir que la pofition du mur
en dehors ; alors , ou fa furface fera tanMAT
1755 371755.
753
-
gente de la colonnade , ou bien fon épaiffeur
recevra une partie du diametre de
chaque colonne , fi elle avance dans leur
intervalle. Dans le premier cas , il fe for
mera un angle mixte , dont nous venons
de parler , entre la furface plane du mur
& la convexe de la colonne , lequel étant
infiniment aigu deviendra un réceptacle
de pouffiere & d'araignée , dont on ne
pourra le nettoyer , par conféquent fujet
à un entretien perpétuel de propreté.
Dans le fecond cas , cet angle mixte deviendra
plus ouvert , mais préfentera toujours
un objet defagréable à la vûe , felon
qu'il fera plus ou moins aigu ou obtus ; &
ce qui eft pire & inévitable , il cachera
toujours une partie de la colonne , qu'on
reconnoît pour n'être pas deftinée à être
enclavée dans un mur , fans perdre de fa
largeur apparente , étant vue de différens
côtés , & par conféquent de cette proportion
de la largeur à la hauteur , qui conſtitue
la différence & la beauté des ordres
d'architecture ; cette proportion ne pourra
fubfifter que lorfque la colonne fera vue
perpendiculairement à la furface du mur
fuppofant qu'il n'avance pas au dedans de
l'alignement des axes des colonnes , car
alors il eft évident qu'il abforberoit plus
de la moitié de leur épaiffeur . Il n'eft pas
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
jen si
moins évident que la colonne érant vue
un peu à droite ou à gauche de laperpen
diculaire au mur , paffant par fon axe fon
épaiffeur apparente entre l'axe & fa futface
du mur fera moindre qu'entre l'axe & le
rayon tangent du côté du vuide intérieur.
Une figure auroit été ici néceffaire pour
aider l'imagination du lecteur qui n'eft
pas un peu initié dans la Géometrie , Je vais
m'expliquer par un exemple. nuog
Suppofons tn fpectateur voyant " de
côté une colonne enclavée à demi dans un
mur, fous un angle , par exemple , de trené
te dégrés , ce qui arrive en fe promenand
devant une colonnade , fans affecter de fi
ruation recherchée exprès ; alors favûe
fera bornée d'un côte au fond de l'angle
mixte de la rencontre des deux furfaces
plane & convexe , & de l'autre au rayon
vifuel tangent à la colonne en faillie hors
du mur , lequel feta avec celui qui doit
paffer par fon axé un angle plus ou moins
aigu , felon qu'il en fera plus près ou plus
foin , parce qu'il fera le complement de
celui du rayon de la colonne ,fire au point
de l'attouchement & toujours momdre que
le droit , quelque éloigné qu'en foit le
fpectateur. Mais pour la commodité de la
fuppofition la plus avantageufe , fuppo
fons -le de 20 dégrés , leſquels érant jõims
9
M A 1. 1755 . iss
aux 30 de l'obliquité donnée , il réfultera
un angle de 120 dégrés , mefuré par la
circonférence , qui n'eft qu'un tiers de celle
de la colonne , dont la corde eft moindre
d'environ un feptieme du diametre par
conféquent la largeur apparente étant die
minuée , l'oeil n'appercevra plus cette proportion
à fa hauteur , qui eft eftimée effentielle
à la beauté de l'architecture .
Donc l'enclavement ne peut fe faire fans
inconvénient , quelque profondeur qu'on
fuppofe de la colonne dans le mur. Il n'en
eft pas de même à l'égard de celui des pilaftres
, dont la face antérieure de fa lar
geur eft inaltérable , quelque profondeur
d'enclavement qu'on lui fuppofe ; done if
n'y repréfente point la colonne , mais un
poteau montant de cloifon de pan de bois ,
ou , fi l'on veut , une chaîne de pierre pour
la folidité. Je ne fçai fi de que je viens de
dire , joint à ce qui a précédé , pourra
établir la légitimité de ce que le R. Pere
appelle les enfans bâtards de l'architecture
qu'il ne veut pas reconnoître pár averfion
naturelle. Je crains qu'elle ne foir plus for
te que mes bonnes raifons , & que le ré
fultat de nos altercations fur cet article
n'ait abouti à rien qu'à mettre le lecteur
én état de prononcer avec plus ample connoiffance
de caufe , fur quoi on peut éta
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
blir un jugement ; fçavoir , qu'il n'y a que
de l'averfion d'un côté , & des raifons de
l'autre , avec l'approbation des Architectes
de toute l'Europe.
Venons préfentement à ce qui concerne
les difpofitions de l'églife qu'il propofe
pour modele. J'avois cru bien faire de la
comparer à celle des premiers fiécles du
Chriftianifme , & de montrer par l'hiſtoire
eccléfiaftique & quelques paffages des Peres
, qu'elle n'y étoit point conforme ; mais
le R. Pere me dit que tout ce que j'expoſe
d'érudition tombe en pure perte. Les anciens
ufages ( dit- il ) n'ont rien de commun
avec l'objet en question. » Il s'eft propofé de
» chercher la difpofition la plus avantageufe
, fans fe mettre en peine qu'elle fût
conforme ou non conforme à ce qui fe
» pratiquoit autrefois ; ce qui nous met hors
» de cour & de procès : il lui reftera feulement
à prouver que celle qu'il a imaginé
eft la plus avantageufe , ce qu'il ne fera
pas aifément.
D'où l'on peut inférer qu'il confidere
nos églifes comme des bâtimens livrés au
caprice de la compofition des Architectes ,
fans égard aux anciens ufages relatifs aux
cérémonies du fervice divin , fuivant la
lithurgie, & à la majeſté du lieu , à laquelle
un Architecte peut beaucoup contribuer
M A I. 1755. 157
1
par une fage difpofition des parties & dif
tribution de la lumiere.
و د
Cette conféquence n'eft pas une conjecture
, elle eft clairement énoncée à la
page 241 de fon Effai , où il dit : » qu'on
» peut donner aux Eglifes toutes les for-
» mes imaginables. Il eft bon même (ajoute-
il ) de ne les pas faire toutes fur
» le même plan : toutes les figures géométriques
, depuis le triangle jufqu'au
» cercle , peuvent fervir à varier fans ceffe
» ces édifices.
""
"
Comment concilier cette liberté avec
l'embarras où il s'eft trouvé dans l'ordonnance
de fon plan , pour le feul arrondiffement
du chevet dont il n'a pû venir
à bout , y rencontrant des inconvéniens
inévitables , de fon aveu ? ce qui l'a fait
conclure , fur ces confidérations , que le
mieux feroit de fe paſſer de rond - point :
c'eft auffi le parti qu'il a pris , fe réduifant
à la fimple ligne droite & aux angles
droits.
Cependant les célebres Architectes de
la nouvelle Rome , qui ont penfé (comme
lui ) qu'il fuffifoit de faire un édifice quel
conque d'une belle architecture , fans vifer
qu'à la fingularité de la compofition ,
n'ont pas été arrêtés par les difficultés
qui ont effrayé le nôtre , comme on le
1
158 MERCURE DE FRANCE.
w
A
voit dans les Eglifes dont Bonarotti
( ou Michel Ange ) les Cavaliers Bernin
, Borromini , Rainaldi , Volateran
Berretin , & quelques autres , ont été
les Architectes faifant des arrangemens
circulaires ou elliptiques de plu
fieurs chapelles autour du grand corps
de l'édifice , variées de toutes fortes de
figures agréables à la vûe , mais déplacées
pour une églife , en ce qu'elles en divifent
trop les objets , obligeant les fideles
affiftant au facrifice célebré fur différens
autels en même tems , de fe tourner
en tout tems , en fituations relativement
indécentes , dos à dos , de côté
& en face affez près pour fe toucher ,
ce qui ne peut manquer de caufer des
diftractions involontaires. Tel eft auffi à
peu près l'effet de la diftribution de lu
miere dans l'églife dont il s'agit , de la
compofition de notre auteur , dont les
rayons venant de tous côtés comme d'une
lanterne de vitraux qui enveloppent'
fans interruption fon fecond ordre de ,
colonnes ifolées , ne peuvent manquer
d'occuper , d'éblouir & de diftraire les fideles
en prieres , particulierement ceux
qui feront tournés au grand autel , dont
les yeux feront directement frappés des
rayons du haut & du bas ; en quoi n'ont
MAT 1755 154
92
pas péché nos Architectes modernes qui
ont appliqué l'autel principal contre le
mur de fond , qu'ils ont décoré d'un ta
bleau , & c. mais auffi ils ont péché contre
l'ancien ufage d'ifoler l'autel , autour du?
quel les cérémonies de l'Eglife exigent
qu'on puiffe tourner en certaines occa
fions , fuivant le rituel où il eft dit , Sacerdos
circuit ter altare , ufages dont ils n'ont
peut- être pas été inftruits , ou auxquels ils
ne fe font pas cru obligés d'avoir égards
comme le nôtre , en ce qui concerne la
figure des autels . 9al soulmů 33 un dị
Il veut , d'après une nouvelle mode qui
s'établit depuis peu , qu'on le faffe en tombeau
, fur un faux préjugé que ceux des
premiers fiecles étoient de même , parce
qu'on célébroit les faints myfleres fur les
tombeaux des Martirs ; ce qu'il faut entendre
des feuils endroits où il s'en trouvoir
, car il n'y en avoit pas par-tours &
quand il y en auroit eu , ce n'eft pas une rai
fon, car ils n'étoientpas immédiatement ſur
la caille ? mais au deffus du lieu où
repo
foient leurs corps , comme il confte par le
grand autel de S. Pierre de Rome , qui
eft bien fitué au deffus de ce qui nous
refté de feliques de S. Pierre & de S.
Paul ; cependant il n'eft pas fait en forme
de tombeau , quoiqu'il fort au deffus de
160 MERCURE DE FRANCE.
la chapelle fouterreine où elles font , à
laquelle on defcend ( comme je l'ai fait )
par un magnifique efcalier , dont la baluftrade
de marbre eft bordée d'une trèsgrande
quantité de lampes toujours allu
mées. Il fe peut qu'on ait fait fervir ,
par extraordinaire , la couverture d'un
tombeau de table pour le facrifice ; mais
j'ai prouvé que dans toutes les églifes
qui ont été faites neuves pendant les premiers
fiecles , l'autel y a toujours été fait
en forme de table , laquelle eft plus analogue
& fignificative que toute autre ,
de l'inftitution du S. Sacrement , faite
pendant le foupé de la Pâques , ce que
tout le monde fçait , & que l'Eglife
chante de la profe de S. Thomas d'Aquin
, quod in facra menfâ coena datum
non ambigitur.
1
Puifque le R. P. n'a rien répliqué aux
preuves que j'en ai données , il femble
que je puis préfumer qu'il en convient
fuivant la maxime que qui tacet commentire
videtur ; en ce cas il auroit pû, fe
faire honneur de cette docilité qu'il avoit
annoncée , en difant qu'on ne lui trouve
roit point d'entêtement.
Après avoir difcuté la difpofition de
fon églife , il refte à examiner fa confruction
, dont l'auteur de l'examen de
MA I..
1755.
161
fon effai fur Architecture a dreffé un
plan que le R. P. n'a point méconnu ,
quoiqu'il ait été gravé & publié , parce
qu'il eft exactement conforme au fien , qui
contient des chofes fi extraordinaires qu'on
ne peut s'empêcher d'en appercevoir les
défauts de régularité & de folidité.
Premierement quant à la régularité ,
à la feule infpection
de ce plan on eft
choqué du défaut de fymmétrie
dans l'arrangement
de fa colonnade
le long de
la nef & de la croifée , en ce que les
colonnes font accouplées
fuivant le modele
du portique
du Louvre , excepté
aux angles faillans de la rencontre
des
files de la nef & de la croifée , au fommet
defquels
il n'y en a qu'une à chacun
: or il eſt évident que c'eft là tout au
contraire
où cet accouplement
étoit plus
convenable
, & même plus néceffaire
qu'ailleurs
, pour donner de la culée à la
pouffée
des platebandes
, qui forment
les architraves
en retour à angle droit
de forte qu'outre
la beauté de la fymmétrie
il fe trouve de plus une néceffité
de
folidité.
Je fens bien que notre Architecte ayant
eu intention de prolonger l'alignement.
de fes bas côtés , comme il le dit dans
fon Effai , ( page 217 ) il n'auroit pu
162 MERCURE DE FRANCE.
ajouter une colonne à chaque retour de
l'angle , fans interrompre cet alignement ,
à quoi je ne lui vois pas de réponſe , que
celle qu'il a faite au reproche de l'enga
gement de fes colonnes dans les murs ,
qu'à néceffité il n'y a point de loi ; mais
celui qui péche dans la caufe n'eſt pas
excufable dans l'effet , c'eſt une maxime reçue
; il ne devoit donc pas s'engager dans
une ordonnance de deffein qui entraînoit
une telle faute néceffairement. Lorfque
le P. Cordemoy , dont il adopte les
idées jufqu'à les copier par-tout , propo
foit celle de Perrault fur l'accouplement
des colonnes , il ne parloit que d'une
nef d'églife , fans faire mention des retours
de la croifée , où l'on ne peut en
mettre moins de trois à chaque angle
faillant , celle du fommet ou pointe de
cet angle étant équivalente à deux , pour
faire face d'un couple de côté & d'au-'
tre.
Le fecond défaut qui concerne la folidité
, a été fuffifamment démontré dans
le livre intitulé , Examen de l'Efai fur
Achitecture de notre Auteur ; il eft er
effet vifible à tour homme qui eft initié
dans la conftruction , qu'une feule
colonne eft abfolument incapable de réfifrer
à une double pouffée des plateban
M A I. 1755. 163
1
des qui concourent à un angle droit ,
où elles pouffent au vuidé fuivant la
prolongation de la diagonale , quand
même ces platebandes ne feroient char
gées que du poids de leurs claveaux . II
n'eft pas néceffaire que j'infifte fur les
défauts déployés dans une douzaine des
pages du livre que je cite.
Cependant le R. P. ne fé tient pas pour
convaincu du rifque d'une fubverfion de
fon édifice , depuis qu'il a appris qu'on
faifoit préfentement des voûtes extrêmement
legeres , & fi bien liées dans les
parties qui la compofent , qu'on prétend
qu'elles ne pouffent point ; ce qui tran
che ( dit-il toutes les difficultés de folidi
té qu'on trouve à fon idée d'églife. Ce
font ces voûtes de briques pofées de plat
& doublées de même en plâtre , qui ont
été exécutées depuis long- tems en Rouffillon
, dont M. le Maréchal de Belle
Ifle a fait des épreuves il y a cinq ou
fix ans. S'il eft vrai ( ajoute cet Auteur )
qu'elles ne pouffent point , je n'en fais point
d'autres , me voilà délivré de l'embarras
» de la dépenfe , & de la mauffaderie
» des contreforts ; toute ma nef du haur
en bas eft en colonnes ifolées , je me
» contente d'envelopper tout le fecond
ordre par des vitraux continus , & fans
•
164 MERCURE DE FRANCE :
>> interruption- mon églife devient l'ou
" vrage le plus noble & le plus délicat ».
On pourroit ajouter & tellement foible ,
qu'il ne feroit pas étonnant qu'il fût culbuté
par un coup de vent , comme un
jeu de quilles , fuppofé qu'il eût été affez
équilibré pour ne s'être pas écroulé
avant que d'avoir été totalement achevé.
Avant que de donner fa confiance à
cette nouveauté , il y a encore bien des
chofes à confidérer .
Premierement qu'on ne peut indifféremment
exécuter ces voûtes en tous
lieux , parce qu'il y a plufieurs cantons
de provinces où il n'y a ni bonnes briques
, ni plâtre , mais feulement de la
chaux , du moilon & des pierres detaille
, comme ici à Breft , où l'on eft obligé
de faire venir de loin ces matériaux.
D'où il fuit que la dépenfe de ces auvrages
douteux excéderoit de beaucoup
celle de l'exécution fûre des yoûtes faites
à l'ordinaire , avec les bons matériaux
que l'on trouve fur les lieux.
Secondement qu'il eft fort incertain
que ces voûtes legeres en briques de plat
ne pouffent point du tout. Cette affertion
n'eft fondée que fur la fuppofition d'une
liaifon i folide , que les parties ne
forment plus qu'un feul corps d'égale
MA I. 1755. 165
confiftance , & par-tout uniforme , puifque
leur arrangement de pofition ne
concourt en rien à les foutenir mutuellement
, comme dans celui des voûtes de
pierres en coupe , auquel cas la folidité
dépend uniquement des excellentes qualités
des matériaux , lefquelles ne font ni
par- tout , ni toujours également conftantes
, de forte qu'on rifque tout fur leurs
moindres défauts ; les briques mal cuites
, ou de mauvaife pâte de terre , le
plâtre éventé ou mal gâché , ou employé
à contre-tems , peuvent empêcher cetre
confiftance uniforme & inébranlable qui
doit en réfulter . Puis le plâtre s'énerve
par les impreffions de l'air dans une fucceffion
de tems qui ne va pas à un fiecle
, mais feulement ( à ce qu'on dit ) a
la durée de la vie d'un homme bien
conftitué , après quoi il devient pouf,
c'eft-à-dire farineux ( fuivant le langage
des ouvriers ) ; ainfi il n'y auroit pas de
prudence de hazarder la perte d'un édi-
-fice auffi confidérable qu'eft celui d'une
églife , qui doit être faite pour durer
des fiecles , fur une conjecture qui fuppofe
qu'une voûte ne doit point pouffer , &
toujours fubfifter , quoique d'une largeur
de diametre ordinairement de 36 à 42
pieds d'étendue , qui excéde de beaucoup
་
166 MERCURE DE FRANCE.
celle des édifices pour l'habitation , dong
on a fait des épreuves.
"
On fçait que la pefanteur agit continuellement
, quoiqu'infenfiblement ; nous
en avons l'exemple dans les bois de la
meilleure confiftance , dont elle fait
alonger les fibres qu'elle ne peut
ne peut caffer.
Une poutre bien dreffée & pofée de niveau
, fans être chargée d'aucun poids
que de celui de fes parties , fe courbe
peu à peu en contre-bas ; & l'on voit
tous les jours des voûtes de bonne maçonnerie
, dont le mortier a fait le corps
depuis long-tems , s'ouvrir vers les reins ,
environ à 45 degrés , lorfque la réfiftan-
-ce des piédroits s'eft trouvée trop équilibrée
, ou diminuée par les moindres
accidens. On en a une preuve bien facheufe
& inquiétante encore aujourd'hui,
par la lézarde ou crevaffe qui s'eft faire
au grand dôme de l'églife de S. Pierre
de Rome , plus de 80 ans après fon édification
& perfection . Sur de telles ex-
-périences , un Architecte feroit inexcufable
de rifquer une conftruction vifiblement
trop foible.
-
•
C
On peut mettre dans le rang des idées
pittorefques celle d'envelopper tout le fecond
ordre de fon église , qui n'est que de
colonnes ifoléés par des vitraux continus
MAI.
1755 167
>
fans interruption , laquelle étant une
nouveauté inattendue fait tomber les
objections que j'avois fait concernant la
néceffité des bafes au rez de chauffée ,
pour foutenir un mur d'enceinte au fecond
ordre , où je comptois que devoient
être les bayes des vitraux , ouverts à dif
tances convenables dans les entre- colonnemens.
Mais il dit formellement que
tout eft vuide d'une colonne à l'autre , fans
aucune espece de piédroit . Tout étant
fupprimé par ce fyftême , l'objection que
je faifois eft du vieux ftyle , on ne bâtira
plus comme par le paſſé.
.
Il nous refte encore à examiner fon
idée d'une voûte à faire fur le milieu
de la croifée des deux berceaux qui couvrent
la nef & la traverfe de la croix de
fon plan , laquelle feroit ( comme je l'ai
dit ) tout naturellement une voûte d'arête
, qu'il trouve , ainfi que la plupart
des Architectes , trop fimple pour une
églife de goût , à laquelle on fubftitue
ordinairement un dôme , fuivant l'Architecture
moderne de la plupart des églifes
d'Italie , pour donner de la nouveauté ;
il rejette cette conftruction , & en fubftitue
une autre , qu'il avoit annoncée
dans fon Effai , d'une maniere fi myſtéricufe
qu'on ne pouvoit deviner que ce
168 MERCURE DE FRANCE.
fût la chofe du monde la plus ordinaire
qu'il a dévoilé dans fa réponſe à mes
remarques , par laquelle on voit que ce
n'eft plus qu'une voûte fphérique en pan .
dantif : en cet endroit ( dit - il ) on peut
» conftruire toute forte de voûte en cul-
» de-four , & en pandantif , qui empêche
( ajoute-t- il ) que fur les quatre
grands arcs-doubleaux , on éleve des
>> enroulemens qui , fuivant la diminution
» pyramidale , aillent ſe réunir à un couronnement
en portion de ſphere , rempli
par une Gloire ou une Apothéose.
» Ce centre de croifée couvert par une
» voûte ainfi percée à jour & décorée avec
» hardieffe , n'auroit- il pas quelque chofe
» de très-brillant & tout- à- fait pittoref
que ? Sans doute , c'eft un beau fujer de
décoration de théatre , fi les édifices fe
faifoient avec la même facilité que les
peintures , & n'exigeoient pas plus de
précaution ; mais malheureufement on
eft affujetti à la folidité & aux moyens
de prendre le jour fans percer plus haut
qu'il ne faut pour le ménager , & pourvoir
à l'écoulement des eaux de pluie ,
enforte qu'elles ne tombent point par ces
pans de la couverture
des combles qui fe croifent , ainfi que
les yoûtes des berceaux qu'ils couvrent ,
ouvertures : or les
ne
MA I.
1755. 169
ne laiffent pas de paffage à la lumiere fi
on ne s'élève au-deffus , auquel cas on,
retombe dans la néceflité de la conftruction
d'un dôme fur une tour à l'ordinaire , que
PAuteur condamne d'après fon maître le
P. Cordemoy , qui leur reproche du porteà-
faux .
On a lieu d'être furpris que quoiqu'il
ait profcrit les arcs doubleaux dans fon
effai , il en fafle ici mention , & qu'il y appuie
les enroulemens qui doivent porter la
coupole de l'apothéofe en cul de four , parce
qu'on y trouve plufieurs inconvéniens ;
l'un , que les affiettes de leur baſe devant
être de niveau entr'elles , elles ne peuvent
être pofées que fur les quatre clefs des arcs
doubleaux qui font dans cette fituation relative
, & ces parties ( les plus foibles des
voûtes ) ne paroiffent gueres convenables
pour foutenir ces enroulemens , qui , comme
de fimples nervûres , font chargées du
poids de la calotte fphérique . Secondement
parce que leur nombre ne fuffiroit pas pour
porter le contour de ce fegment , ainfi
percé à jour , à moins qu'il ne fût très-petit
, en approchant beaucoup de fon pôle ,
auquel cas , fi l'on enveloppe les enroulemens
de vitraux continus , comme il fait
à l'égard des colonnes du fecond ordre , ils
deviendront auffi fphériques en portions
H
170 MERCURE
DE FRANCE.
inclinés en furde
trapezes
courbes
plomb.
:
,
Les fera - t - on ainfi alors il faut renvoyer
l'exécution de ce projet à la côte du
Pérou , comme à Lima où il ne pleut jamais
mais fi l'on ne croit pas pouvoir les
faire de même à caufe de l'inconvénient de
l'écoulement des eaux de pluie , on fera
obligé , pour le faire à plomb & en abajour
, d'élever une tour fur la croifée des
berceaux , portant à faux fur les pandantifs,
& alors on retombe dans la conftruction.
ordinaire des dômes , ou du moins des
demi- dômes , plus ou moins élevés extérieurement
, fuivant le diametre de la voû
te fphérique , à laquelle cette tour fera
circonfcrite , fans paroître dans l'intérieur
que comme un-cul- de four en pandantif ,
portant immédiatement fur les panaches ,
élevés fur un pan coupé des angles faillans
de la croifée.
Cette conftruction n'a rien d'extraordi
naire ; nous en avons mille exemples , particulierement
à Rome dans les églifes de
Sainte Marie in Porticu , du deffein du Cavalier
Rainaldi ; à Sainte Marie in Vallicella
, de celui du vieux Longo ; à S. Charles
des quatre Fontaines , de celui du Cavalier
Borromini ; & fans aller fi loin , au Noviciat
des Jéfuites de Paris , excepté que cetMAI.
1755. 171
7
tere conftruction y eft fans grace , en ce que
les pandantifs n'y font pas féparés de la
calotte fphérique par une corniche horizontale
, qui lui forme une baſe , & met
à part une figure réguliere plus agréable à
la vûe que celle qui eft échancrée par les
lunettes des berceaux pénétrant la furface
fphérique ; fecondement , parce que le
fommet , ou fond de cette furface concave,
y eft obfcur , fon enfoncement n'étant pas
éclairé d'une lanterne comme dans les
églifes citées , où cette partie eft brillante
par une lumiere célefte , qui y defcend
naturellement , au lieu qu'au Noviciat elle
ne l'eft que par un peu de reflet qui renvoie
la lumiere de bas en haut ; ce défaut
que l'auteur de l'examen de l'Effai a déja
remarqué au fommet des berceaux qui
couvrent la nef & la croifée de fon églife
, eft encore ici plus remarquable , parce
que le reflet vient de plus loin , & remonte
plus haut . Je paffe fur un autre défaut
de largeur du pan coupé à chaque
angle de la croifée , lequel eft trop petit
pour fervir de baſe au panache.
Nous voilà donc au fait de cette voûte
de croifée d'églife , qui avoit été annoncée
comme une nouvelle invention , & qui
n'eſt rien moins . » C'étoit ( dit- on ) une
»forte de baldaquin , en façon de dôme ›
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ود
» d'un deffein léger , qui puiffe fympathi
» fer avec l'idée de voûte ; dès lors ( ajoû
» toit l'auteur ) point de colonne , & rien
» de ce qui a befoin de porter dès les fondemens
, & un Architecte comprendra
fans peine les raifons qui me détermi-
» nent de propofer ainfi pour défigner une
» voûte qui aura toute la fingularité , tous
» les avantages des dômes fans en avoir les
inconvéniens .
"
,
11 eft clair qu'en admettant toutes ces
conditions à la lettre , il ne fatisfait en
aucune façon au problême. 1 ° . On ne peut
fon cul-de-four en pandantif pas dire que
ne porte fur rien qui vienne des fondemens
& qu'il n'y ait point de colonne , puifqu'il
y en a quatre , une à chaque angle faillant
de la croifée au rez de chauffée , & une
feconde en échafaudage au - deffus pour le
fecond ordre , ce qui en fait huit , à tout
compter ; la fupérieure fervant à porter le
pied du pandantif , porte fur la premiere
établie au rez de chauffée , par conféquent
dès lesfondemens : enfuite , le pandantif
établi fur ces colonnes , porte & rachete la
calotte fphérique de l'apothéofe ; donc par
une induction bien raifonnée , elle porte
dès les fondemens ; donc cette conſtruction
ne fatisfait point au problême.
Mais oferoit - on faire l'analyfe de ce
M.A I. 1755 173
fupport de tant de fardeaux ? on trouvera
qu'il fe réduit à une arête verticale de
l'angle faillant de l'architrave du premier
ordre , laquelle porte elle-même à faux ,
comme nous l'avons démontré ci - devant
dans l'examen de la fonction d'une colonne
fous un angle faillant.
Nos Architectes qui refpectent les principes
de l'art , font ordinairement un pan
coupé dans les angles de cette efpece, pour
y trouver un peu de baſe horizontale au
panache qui doit racheter le cul-de-four .
Pour finir , je pafferai fous filence bien
des chofes que j'aurois à dire fur la nouvelle
architecture en filigramme ; par
exemple , fur les pentes à ménager aux toîts
des bas côtés pour l'écoulement des eaux de
pluie , qu'on ne peut diriger qu'en s'élevant
du côté de la nef , & mafquant une
partie des vitraux du fecond ordre , lequel
eft établi immédiatement au -deffus de l'architrave
du premier , regnant de niveau
avec l'égoût extérieur des plafonds des bas
côtés , & de plus des chapelles qui l'écartent
encore du corps de la nef , d'où fuit
une plus grande hauteur de pente à donner
à cette partie inférieure qui reçoit auffi
l'égoût d'un côté du grand comble. J'en
pourrois dire autant & plus à l'égard du
baldaquin pittoresque ; mais je veux mon-
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE.
trer que je ne cherche pas matiere à criti
quer , n'ayant d'autre intention que celle
de rendre ma réplique utile.
Au refte , je fuis très - obligé au R. Pere
Laugier de la maniere obligeante dont il
a parlé de moi dans fon prélude ; je lui en
fais mes très-humbles remercimens , fans
attention à ce que ce procédé de politeffe
ne s'eft pas toujours foutenu dans certains
momens où il lui a échapé des qualifications
de difcours , dont j'ai montré l'injuftice
; de forte qu'elles étoient réversibles
de droit à celui qui les avoit données malà-
propos , fi la qualité de Philofophe dont il
m'honore , & que je fais gloire de foutenir
en bonne part , ne me mettoit infiniment
au- deffus de ces petiteffes.
A Breft , le 2 Nov. 1754. FREZIER.
Laugier & M. Frezier , concernant le
Goût de l'Architecture.
Sm
I l'on ne connoiffoit
l'efprit de l'homme
, on auroit lieu de s'étonner
que
de toutes les difputes
littéraires
il ne réfulte
prefque
aucun accord entre les parties conteftantes
, ni même un fimple aveu de
conviction
de la validité des raifons alléguées
d'un adverfaire
à l'autre , quoiqu'il
foit rare qu'elles
puiffent
être d'une égalité
de poids à devoir être mifes dans la balance
du doute.
J'avois premierement établi dans mes
Remarques , inférées dans le Mercure du
mois de Juillet dernier , que je ne croyois
pas qu'il y eût un beau effentiel en architec
144 MERCURE DE FRANCE .
C
ture , fondé fur les variétés des goûts particuliers
de chaque nation , & de plus des
variations de la même en différens tems ,
comme je l'ai vû de nos jours.
à
à
Le R. Pere Laugier , qui eft d'un fentiment
contraire , a fait de beaux raifonnemens
pour prouver ( non l'exiſtence de
cette chimere ) mais la poffibilité , convenant
qu'actuellement aucun des architectes
de tous les pays connus n'eft parvenu
la montrer dans fes ouvrages. Le public m'a
l'obligation de lui avoir procuré ce beau
diſcours , dont j'abandonne l'examen , n'étant
pas dans le goût d'une difpute métaphyfique
fur les arts , où je me contente de
raifonner conféquemment aux faits qui me
font connus ,
propos de quoi je ne puis
m'empêcher de faire une remarque fur la
contradiction de ce que le R. P. dit d'une
égliſe bâtie à Pekin , à la maniere Européenne
, par les Jéfuites , qui n'a pas femblé
, dit- il , aux Chinois indigne de leur admiration
, avec ce qu'en dit le Frere Attiret
, dans les Lettres édifiantes & curieufes
que j'ai cité , qu'il ne faut pas leur vanter
l'architecture Grecque & Romaine , qu'ils
ne goûtent en aucune façon . Il en pouvoit
parler pertinemment , étant lui -même peintre
& architecte à la Cour de l'Empereur .
Tel eſt le réſultat de la premiere partie de
nos
&
MAI. 1755.
145
nos altercations. Dans la feconde , le R.
Pere , après s'être rangé du côté de mon
opinion , contre cette prétendue origine
de la vraie beauté qu'on veut tirer des
proportions harmoniques employées en architecture
, fe détache de mon parti pour
m'attaquer fur ce que j'ai dit que les architectes
anciens , & la plupart des modernes
, n'ont jamais penfé à ces principes
fcientifiques ; ce que j'ai prouvé par le filence
de tous leurs auteurs . Cette réflexion ,
dit- il , eft plus maligne que folide , comme s'il
vouloit me brouiller avec les vivans : mais
comment prouve - t-il fa conjecture à l'égard
de la folidité ? c'eft en difant qu'il
peut fort bien fe faire que fans y penfer , &
comme à tâtons , les architectes ayent rencon-
· tré le vrai.
Ainfi fon induction n'étoit pas plus jufte
que celle qui lui a fait conjecturer , mal à
propos , que j'étois infenfible à la vûe des
belles chofes , comme un ftupide qui lui
fait pitié. Je le plains , dit il , du tort que
lui a fait la nature ; il eft privé d'une grande
fource de plaifirs , de n'avoir point éprouvé
de ces mouvemens
enchanteurs qu'excite la
préfence des belles chofes , lefquels vont ( de
l'aveu du R. P. * ) juſqu'à l'extafe & au
* Voyez fon Effai fur l'Architecture.
G
146 MERCURE DE FRANCE.
•
transport ; fon ame , continue- t- il , en parlant
de moi , eft vraisemblablement de celles
qui ont été battues à froid. Belle métaphore
tirée apparemment de la rhétorique des Cyclopes
, pour égayer une matiere férieufe ,
par un peu de mêlange du ftyle des farces ,
à laquelle je pourrois répondre , & montrer
en quoi confifte fon erreur , par un
proverbe du même ton , que les délicats
font difficiles à nourrir.
Les deux premieres parties de mes remarques
ne regardoient point le P. Lau--
gier , il s'y eft mêlé fans vocation ; mais
nous voici arrivés à ceux qui peuvent l'intéreffer
.
Il commence par m'attaquer fur ce que
j'ai dit , que le petit Traité d'Architecture
de M. ( où comme l'appelle le Dictionnaire
de Trévoux , au mot Eglife ) le R.
Pere de Cordemoy , Chanoine Régulier ,
ne contient rien de nouveau ; il qualifie ce
difcours , tout fimple qu'il eft , d'invective
indecente , parce qu'il l'a pris pour fon
coryphée. Y avoit- il là matiere à un propos
qui annonce trop de fenfibilité au refus
que j'ai fait d'applaudir à la prééminence
qu'il veut donner à ce Chanoine
fur tous nos Architectes , avec d'autant
moins de raifon que je lui avois fait remarquer
que cet auteur en convenoit lui-
1 7
MAI
1755 147
même dans fon Epitre dédicatoire à M. le
Duc d'Orléans , en 1706 , à qui il ne le
préfentoit que comme un Recueil de ce
qui fe trouve difperfe dans les ouvrages des
plus habiles , foit anciens ou modernes ? Ce
qu'il n'eft pas difficile de reconnoître à
ceux qui ont puifé dans les fources , car
les approbations ou critiques n'entrent
point en compte de nouveauté du fond de
la doctrine.
t
Il vient enfuite à un des points principaux
de notre difpute concernant les pilaftres
, qu'il abhorre comme des enfans
batards de l'architecture , engendrés par l'ignorance.
Il dit qu'il s'eft mis en devoir de
justifier fon averfion dans le premier chapitre
defan effai , où il n'a pas mieux réuffi
fur cet article qu'en bien d'autres , fi l'on
en juge par l'examen de cet effai , auquel
il a fourni une matiere de critique affez
ample pour être prefque auffi étendue que
le texte , fans y comprendre ce qu'on y
peut, ajouter , comme il confte en partie
-par mes remarques & ma réplique , qui
- n'ont pas épuifé la matiere. Il dit cependant
qu'il a raisonné par une
confequence
logique néceffaire du principe qui fert de
2fondement à tout le reste.
Quel eft ce principe ? j'ai beau lire ce
chapitre , je n'y en trouve aucun , à
a moins
Gij
148 MERCURE
DE FRANCE.
que
It qu'il ne l'établiffe fur ce qu'il dit
pilaftre représente une colonne . Il faut convenir
qu'il la repréfente bien imparfaitement
, comme le quarré repréfente le rond.
Car puifque les cylindres & les prifmes
de même hauteur font entr'eux comme
leurs bafes , le quarré circonfcrit repréfente
le cercle infcrit
par une confé
quence
mathématique .
Mais , dira-t -on , c'est parce qu'il en
Occupe la place : cette interprétation feroit
jufte , fi on faifoit un portique tout
de pilaftres ifolés , excepté aux angles faillans
des entablemens , fous lefquels une
colonne ne peut être admife fans faute de
jugement ; parce qu'elle ne peut y faire
les fonctions de pilaftre , en ce qu'elle
laiffe du porte-à-faux de cet angle , comme
je l'ai démontré ; & fi l'on rapporte les
piéces d'architecture à la charpente d'une
cabane , le pilaftre en cet endroit y repréfente
un potean cornier , qui eft auffi effentiellement
équarri qu'un fomier repréfenté
par l'architrave . En effet , pour foutenir
une encoignure en retour d'équerre ( pour
parler en termes de l'art ) , il faut un fupport
quarré ; le quart de cercle infcrit dans
un angle droit n'occupe qu'environ les
deux tiers de fa furface , ou plus précifément
onze quatorziemes ; de forte que le
M.Aha1735 31% 149
triangle mixte reftant,compris par les deux
lignes droites tangentes & le quart de cercle
concave , eft l'étendue de la furface
qui porte à faux , c'est - à-dire fans appui.
Donc la colonne ne peut être fubftituée
au pilaftre dont elle ne peut faire pleinement
les fonctions ; donc la conféquence logique
du R. Pere étant tirée d'un faux principe
, eft invalide pour juftifier fon averfion
qui lui eft particuliere & unique.
Sa logique l'a mieux fervi à refuter la
contradiction qu'on lui avoit reprochée ,
d'avoir appellé les pilaftres des innovations,
après en avoir reconnu l'ancienneté dans
les antiques. On voit bien par la fubtilité
de fa folution , qu'il a enfeigné le grand
art, de ne refter jamais court dans la difpute
, que les facétieux appellent l'art de
fendre un argument en deux par un diftingo
, pour le fauver par la breche ,
Mais voyons comment il réfout l'ob
jection du porte-à- faux fous l'angle faillant
d'un entablement , le faifant foutenir par
des colonnes ; il croit avoir imaginé un
expédient pour l'éviter : il faut le lire attentivement
, car il le mérite. Je ne mettrai
rien ( dit -il ) dans l'angle même ; je rangerai
mes colonnes aux deux côtés le plus près
de l'angle qu'ilme fera poffible . Cela eft clair,
c'est - à - dire jufqu'à ce que les deux chapi
Giij
6 MERCURE DE FRANCE.
teaux fe touchent fur la diagonale de l'an
gle. Mais comment appellera-t- on cet ef
pace quarré , dont les colonnes feront fé
parées en dehors , lequel eft formié par la
prolongation de l'alignement des faces intérieures
de l'architrave jufqu'à la rencon
tre des extérieures avec lefquelles elles
forment un quarré , dont la longueur des
côtés eft déterminée par l'épaiffeur della
colonnade , fuppofant l'angle faillant droit ,
ou bien un trapézoïde s'il eft aigu ou ob-
Eus ? N'eft- ce pas un porte- à- faux tout en
Fair , au dire de tous les Architectes de
Europe ? fans doute . Done ce prétendu
moyen imaginé pour Péviter ; Faugmente
ridiculement , par un effet contraire à fon
Intention , & d'une maniere fi choquante
que fans être architecte , tout fpectateur
un peu judicieux ne manqueroit pas d'en
être frappé , & de Te récriér quel ele
rignorant qui a été capable d'une telle bafourdife
? C'eft içi un de ces cas doit parle
HR . Pere dans fon préludes on la difpute
eft neceffaire pour fournir des préfervatifs
contre le poifon des vaines imaginations . On
ne peut concevoir comment un homme
defprit , tel qu'il eft , & qui s'annonce
pour avoir des connoillances dans l'art de
batir moins bornées a
qu'on ne le préfume, a pu
fe tromper fi étonnamment ; il faut quiP
M A I. 1755
V
alt raifonné fur l'apparence de l'angle
rentrant , au lieu du faillant dont il s'agit.
Pour montrer l'utilité des pilaftres pré- *
férablement aux colonnes dans les parties'
des édifices deſtinées à l'habitation , j'avois
fait remarquer qu'une colonnade ne pou-'
voit y fervir, de l'aveu du R.Pere , qui convient
qu'on ne peut habiter fous une balle
ouverte , & qu'on ne pouvoit s'y mettre
à l'abri des injures de l'air qu'en la fermant
par un mur de cloifon , dont la pofition
à l'égard des colonnes entraîne l'inconvénient
que j'ai fpécifié par un difcours
très fuccint , qui lui a cependant paru long
& obfcur. Le premier de ces défauts n'étoit
que pour lui , en ce qu'un difcours contredifant
porte l'ennui & déplaît pour
peu qu'il foit déployé aux yeux de celui
qui le lit à regret. Quant à l'obfcurité reprochée
, il eft jufte que je l'éclairciffe.
Voici comme j'argumente à mon tour.
Ce mur fera placé , ou dans le milieu de
l'épaiffeur de la colonnade , ou au dedans
ou au dehors .
Dans la premiere pofition il corrompra
la proportion de la largeur apparente à la
hauteur de la colonne. Dans la feconde.
il mafquera la colonnade au dedans , &
dans la troifieme au dehors.
La preuve du premier inconvénient eft
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
que
il
fi
vifible , en ce que pour peu d'épaiſſeur
qu'on donne à ce mur de part & d'autre
de l'alignement des axes des colonnes ,
en embraffera & cachera une partie au
dedans & au dehors de leur circonférence
apparente ; alors ce qui reftera découvert
en largeur ne fera plus un diametre ,
mais une corde plus ou moins grande
felon l'épaiffeur du mur ; de forte
on faifoit fon épaiffeur égale au diametre
de la colonne , il embrafferoit la moitié
de chaque côté , & la feroit enfin diſparoître
, ainfi les furfaces de fes paremens
deviendroient des plans tangens , qui ne la
toucheroient que fuivant une ligne fi elle
étoit cylindrique , & l'angle mixte de la
furface plane & de la courbe deviendroit
infiniment aigu , de forte qu'à moins que
d'ufer d'un maftic adhérent , on ne pourroit
le remplir folidement des matériaux
dont le 'mur feroit bâti.
>
L'inconvénient de la pofition du mur
en dedans ne mérite pas d'être prouvé ,
puifque la colonnade eftun ornement dont
on veut décorer le dedans de l'habitation ,
lequel ornement feroit rejetté en faveur
du dehors , où les colonnes ne paroîtroient
faire fonction que de contre- forts . Il ne
refte donc à choisir que la pofition du mur
en dehors ; alors , ou fa furface fera tanMAT
1755 371755.
753
-
gente de la colonnade , ou bien fon épaiffeur
recevra une partie du diametre de
chaque colonne , fi elle avance dans leur
intervalle. Dans le premier cas , il fe for
mera un angle mixte , dont nous venons
de parler , entre la furface plane du mur
& la convexe de la colonne , lequel étant
infiniment aigu deviendra un réceptacle
de pouffiere & d'araignée , dont on ne
pourra le nettoyer , par conféquent fujet
à un entretien perpétuel de propreté.
Dans le fecond cas , cet angle mixte deviendra
plus ouvert , mais préfentera toujours
un objet defagréable à la vûe , felon
qu'il fera plus ou moins aigu ou obtus ; &
ce qui eft pire & inévitable , il cachera
toujours une partie de la colonne , qu'on
reconnoît pour n'être pas deftinée à être
enclavée dans un mur , fans perdre de fa
largeur apparente , étant vue de différens
côtés , & par conféquent de cette proportion
de la largeur à la hauteur , qui conſtitue
la différence & la beauté des ordres
d'architecture ; cette proportion ne pourra
fubfifter que lorfque la colonne fera vue
perpendiculairement à la furface du mur
fuppofant qu'il n'avance pas au dedans de
l'alignement des axes des colonnes , car
alors il eft évident qu'il abforberoit plus
de la moitié de leur épaiffeur . Il n'eft pas
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
jen si
moins évident que la colonne érant vue
un peu à droite ou à gauche de laperpen
diculaire au mur , paffant par fon axe fon
épaiffeur apparente entre l'axe & fa futface
du mur fera moindre qu'entre l'axe & le
rayon tangent du côté du vuide intérieur.
Une figure auroit été ici néceffaire pour
aider l'imagination du lecteur qui n'eft
pas un peu initié dans la Géometrie , Je vais
m'expliquer par un exemple. nuog
Suppofons tn fpectateur voyant " de
côté une colonne enclavée à demi dans un
mur, fous un angle , par exemple , de trené
te dégrés , ce qui arrive en fe promenand
devant une colonnade , fans affecter de fi
ruation recherchée exprès ; alors favûe
fera bornée d'un côte au fond de l'angle
mixte de la rencontre des deux furfaces
plane & convexe , & de l'autre au rayon
vifuel tangent à la colonne en faillie hors
du mur , lequel feta avec celui qui doit
paffer par fon axé un angle plus ou moins
aigu , felon qu'il en fera plus près ou plus
foin , parce qu'il fera le complement de
celui du rayon de la colonne ,fire au point
de l'attouchement & toujours momdre que
le droit , quelque éloigné qu'en foit le
fpectateur. Mais pour la commodité de la
fuppofition la plus avantageufe , fuppo
fons -le de 20 dégrés , leſquels érant jõims
9
M A 1. 1755 . iss
aux 30 de l'obliquité donnée , il réfultera
un angle de 120 dégrés , mefuré par la
circonférence , qui n'eft qu'un tiers de celle
de la colonne , dont la corde eft moindre
d'environ un feptieme du diametre par
conféquent la largeur apparente étant die
minuée , l'oeil n'appercevra plus cette proportion
à fa hauteur , qui eft eftimée effentielle
à la beauté de l'architecture .
Donc l'enclavement ne peut fe faire fans
inconvénient , quelque profondeur qu'on
fuppofe de la colonne dans le mur. Il n'en
eft pas de même à l'égard de celui des pilaftres
, dont la face antérieure de fa lar
geur eft inaltérable , quelque profondeur
d'enclavement qu'on lui fuppofe ; done if
n'y repréfente point la colonne , mais un
poteau montant de cloifon de pan de bois ,
ou , fi l'on veut , une chaîne de pierre pour
la folidité. Je ne fçai fi de que je viens de
dire , joint à ce qui a précédé , pourra
établir la légitimité de ce que le R. Pere
appelle les enfans bâtards de l'architecture
qu'il ne veut pas reconnoître pár averfion
naturelle. Je crains qu'elle ne foir plus for
te que mes bonnes raifons , & que le ré
fultat de nos altercations fur cet article
n'ait abouti à rien qu'à mettre le lecteur
én état de prononcer avec plus ample connoiffance
de caufe , fur quoi on peut éta
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
blir un jugement ; fçavoir , qu'il n'y a que
de l'averfion d'un côté , & des raifons de
l'autre , avec l'approbation des Architectes
de toute l'Europe.
Venons préfentement à ce qui concerne
les difpofitions de l'églife qu'il propofe
pour modele. J'avois cru bien faire de la
comparer à celle des premiers fiécles du
Chriftianifme , & de montrer par l'hiſtoire
eccléfiaftique & quelques paffages des Peres
, qu'elle n'y étoit point conforme ; mais
le R. Pere me dit que tout ce que j'expoſe
d'érudition tombe en pure perte. Les anciens
ufages ( dit- il ) n'ont rien de commun
avec l'objet en question. » Il s'eft propofé de
» chercher la difpofition la plus avantageufe
, fans fe mettre en peine qu'elle fût
conforme ou non conforme à ce qui fe
» pratiquoit autrefois ; ce qui nous met hors
» de cour & de procès : il lui reftera feulement
à prouver que celle qu'il a imaginé
eft la plus avantageufe , ce qu'il ne fera
pas aifément.
D'où l'on peut inférer qu'il confidere
nos églifes comme des bâtimens livrés au
caprice de la compofition des Architectes ,
fans égard aux anciens ufages relatifs aux
cérémonies du fervice divin , fuivant la
lithurgie, & à la majeſté du lieu , à laquelle
un Architecte peut beaucoup contribuer
M A I. 1755. 157
1
par une fage difpofition des parties & dif
tribution de la lumiere.
و د
Cette conféquence n'eft pas une conjecture
, elle eft clairement énoncée à la
page 241 de fon Effai , où il dit : » qu'on
» peut donner aux Eglifes toutes les for-
» mes imaginables. Il eft bon même (ajoute-
il ) de ne les pas faire toutes fur
» le même plan : toutes les figures géométriques
, depuis le triangle jufqu'au
» cercle , peuvent fervir à varier fans ceffe
» ces édifices.
""
"
Comment concilier cette liberté avec
l'embarras où il s'eft trouvé dans l'ordonnance
de fon plan , pour le feul arrondiffement
du chevet dont il n'a pû venir
à bout , y rencontrant des inconvéniens
inévitables , de fon aveu ? ce qui l'a fait
conclure , fur ces confidérations , que le
mieux feroit de fe paſſer de rond - point :
c'eft auffi le parti qu'il a pris , fe réduifant
à la fimple ligne droite & aux angles
droits.
Cependant les célebres Architectes de
la nouvelle Rome , qui ont penfé (comme
lui ) qu'il fuffifoit de faire un édifice quel
conque d'une belle architecture , fans vifer
qu'à la fingularité de la compofition ,
n'ont pas été arrêtés par les difficultés
qui ont effrayé le nôtre , comme on le
1
158 MERCURE DE FRANCE.
w
A
voit dans les Eglifes dont Bonarotti
( ou Michel Ange ) les Cavaliers Bernin
, Borromini , Rainaldi , Volateran
Berretin , & quelques autres , ont été
les Architectes faifant des arrangemens
circulaires ou elliptiques de plu
fieurs chapelles autour du grand corps
de l'édifice , variées de toutes fortes de
figures agréables à la vûe , mais déplacées
pour une églife , en ce qu'elles en divifent
trop les objets , obligeant les fideles
affiftant au facrifice célebré fur différens
autels en même tems , de fe tourner
en tout tems , en fituations relativement
indécentes , dos à dos , de côté
& en face affez près pour fe toucher ,
ce qui ne peut manquer de caufer des
diftractions involontaires. Tel eft auffi à
peu près l'effet de la diftribution de lu
miere dans l'églife dont il s'agit , de la
compofition de notre auteur , dont les
rayons venant de tous côtés comme d'une
lanterne de vitraux qui enveloppent'
fans interruption fon fecond ordre de ,
colonnes ifolées , ne peuvent manquer
d'occuper , d'éblouir & de diftraire les fideles
en prieres , particulierement ceux
qui feront tournés au grand autel , dont
les yeux feront directement frappés des
rayons du haut & du bas ; en quoi n'ont
MAT 1755 154
92
pas péché nos Architectes modernes qui
ont appliqué l'autel principal contre le
mur de fond , qu'ils ont décoré d'un ta
bleau , & c. mais auffi ils ont péché contre
l'ancien ufage d'ifoler l'autel , autour du?
quel les cérémonies de l'Eglife exigent
qu'on puiffe tourner en certaines occa
fions , fuivant le rituel où il eft dit , Sacerdos
circuit ter altare , ufages dont ils n'ont
peut- être pas été inftruits , ou auxquels ils
ne fe font pas cru obligés d'avoir égards
comme le nôtre , en ce qui concerne la
figure des autels . 9al soulmů 33 un dị
Il veut , d'après une nouvelle mode qui
s'établit depuis peu , qu'on le faffe en tombeau
, fur un faux préjugé que ceux des
premiers fiecles étoient de même , parce
qu'on célébroit les faints myfleres fur les
tombeaux des Martirs ; ce qu'il faut entendre
des feuils endroits où il s'en trouvoir
, car il n'y en avoit pas par-tours &
quand il y en auroit eu , ce n'eft pas une rai
fon, car ils n'étoientpas immédiatement ſur
la caille ? mais au deffus du lieu où
repo
foient leurs corps , comme il confte par le
grand autel de S. Pierre de Rome , qui
eft bien fitué au deffus de ce qui nous
refté de feliques de S. Pierre & de S.
Paul ; cependant il n'eft pas fait en forme
de tombeau , quoiqu'il fort au deffus de
160 MERCURE DE FRANCE.
la chapelle fouterreine où elles font , à
laquelle on defcend ( comme je l'ai fait )
par un magnifique efcalier , dont la baluftrade
de marbre eft bordée d'une trèsgrande
quantité de lampes toujours allu
mées. Il fe peut qu'on ait fait fervir ,
par extraordinaire , la couverture d'un
tombeau de table pour le facrifice ; mais
j'ai prouvé que dans toutes les églifes
qui ont été faites neuves pendant les premiers
fiecles , l'autel y a toujours été fait
en forme de table , laquelle eft plus analogue
& fignificative que toute autre ,
de l'inftitution du S. Sacrement , faite
pendant le foupé de la Pâques , ce que
tout le monde fçait , & que l'Eglife
chante de la profe de S. Thomas d'Aquin
, quod in facra menfâ coena datum
non ambigitur.
1
Puifque le R. P. n'a rien répliqué aux
preuves que j'en ai données , il femble
que je puis préfumer qu'il en convient
fuivant la maxime que qui tacet commentire
videtur ; en ce cas il auroit pû, fe
faire honneur de cette docilité qu'il avoit
annoncée , en difant qu'on ne lui trouve
roit point d'entêtement.
Après avoir difcuté la difpofition de
fon églife , il refte à examiner fa confruction
, dont l'auteur de l'examen de
MA I..
1755.
161
fon effai fur Architecture a dreffé un
plan que le R. P. n'a point méconnu ,
quoiqu'il ait été gravé & publié , parce
qu'il eft exactement conforme au fien , qui
contient des chofes fi extraordinaires qu'on
ne peut s'empêcher d'en appercevoir les
défauts de régularité & de folidité.
Premierement quant à la régularité ,
à la feule infpection
de ce plan on eft
choqué du défaut de fymmétrie
dans l'arrangement
de fa colonnade
le long de
la nef & de la croifée , en ce que les
colonnes font accouplées
fuivant le modele
du portique
du Louvre , excepté
aux angles faillans de la rencontre
des
files de la nef & de la croifée , au fommet
defquels
il n'y en a qu'une à chacun
: or il eſt évident que c'eft là tout au
contraire
où cet accouplement
étoit plus
convenable
, & même plus néceffaire
qu'ailleurs
, pour donner de la culée à la
pouffée
des platebandes
, qui forment
les architraves
en retour à angle droit
de forte qu'outre
la beauté de la fymmétrie
il fe trouve de plus une néceffité
de
folidité.
Je fens bien que notre Architecte ayant
eu intention de prolonger l'alignement.
de fes bas côtés , comme il le dit dans
fon Effai , ( page 217 ) il n'auroit pu
162 MERCURE DE FRANCE.
ajouter une colonne à chaque retour de
l'angle , fans interrompre cet alignement ,
à quoi je ne lui vois pas de réponſe , que
celle qu'il a faite au reproche de l'enga
gement de fes colonnes dans les murs ,
qu'à néceffité il n'y a point de loi ; mais
celui qui péche dans la caufe n'eſt pas
excufable dans l'effet , c'eſt une maxime reçue
; il ne devoit donc pas s'engager dans
une ordonnance de deffein qui entraînoit
une telle faute néceffairement. Lorfque
le P. Cordemoy , dont il adopte les
idées jufqu'à les copier par-tout , propo
foit celle de Perrault fur l'accouplement
des colonnes , il ne parloit que d'une
nef d'églife , fans faire mention des retours
de la croifée , où l'on ne peut en
mettre moins de trois à chaque angle
faillant , celle du fommet ou pointe de
cet angle étant équivalente à deux , pour
faire face d'un couple de côté & d'au-'
tre.
Le fecond défaut qui concerne la folidité
, a été fuffifamment démontré dans
le livre intitulé , Examen de l'Efai fur
Achitecture de notre Auteur ; il eft er
effet vifible à tour homme qui eft initié
dans la conftruction , qu'une feule
colonne eft abfolument incapable de réfifrer
à une double pouffée des plateban
M A I. 1755. 163
1
des qui concourent à un angle droit ,
où elles pouffent au vuidé fuivant la
prolongation de la diagonale , quand
même ces platebandes ne feroient char
gées que du poids de leurs claveaux . II
n'eft pas néceffaire que j'infifte fur les
défauts déployés dans une douzaine des
pages du livre que je cite.
Cependant le R. P. ne fé tient pas pour
convaincu du rifque d'une fubverfion de
fon édifice , depuis qu'il a appris qu'on
faifoit préfentement des voûtes extrêmement
legeres , & fi bien liées dans les
parties qui la compofent , qu'on prétend
qu'elles ne pouffent point ; ce qui tran
che ( dit-il toutes les difficultés de folidi
té qu'on trouve à fon idée d'églife. Ce
font ces voûtes de briques pofées de plat
& doublées de même en plâtre , qui ont
été exécutées depuis long- tems en Rouffillon
, dont M. le Maréchal de Belle
Ifle a fait des épreuves il y a cinq ou
fix ans. S'il eft vrai ( ajoute cet Auteur )
qu'elles ne pouffent point , je n'en fais point
d'autres , me voilà délivré de l'embarras
» de la dépenfe , & de la mauffaderie
» des contreforts ; toute ma nef du haur
en bas eft en colonnes ifolées , je me
» contente d'envelopper tout le fecond
ordre par des vitraux continus , & fans
•
164 MERCURE DE FRANCE :
>> interruption- mon églife devient l'ou
" vrage le plus noble & le plus délicat ».
On pourroit ajouter & tellement foible ,
qu'il ne feroit pas étonnant qu'il fût culbuté
par un coup de vent , comme un
jeu de quilles , fuppofé qu'il eût été affez
équilibré pour ne s'être pas écroulé
avant que d'avoir été totalement achevé.
Avant que de donner fa confiance à
cette nouveauté , il y a encore bien des
chofes à confidérer .
Premierement qu'on ne peut indifféremment
exécuter ces voûtes en tous
lieux , parce qu'il y a plufieurs cantons
de provinces où il n'y a ni bonnes briques
, ni plâtre , mais feulement de la
chaux , du moilon & des pierres detaille
, comme ici à Breft , où l'on eft obligé
de faire venir de loin ces matériaux.
D'où il fuit que la dépenfe de ces auvrages
douteux excéderoit de beaucoup
celle de l'exécution fûre des yoûtes faites
à l'ordinaire , avec les bons matériaux
que l'on trouve fur les lieux.
Secondement qu'il eft fort incertain
que ces voûtes legeres en briques de plat
ne pouffent point du tout. Cette affertion
n'eft fondée que fur la fuppofition d'une
liaifon i folide , que les parties ne
forment plus qu'un feul corps d'égale
MA I. 1755. 165
confiftance , & par-tout uniforme , puifque
leur arrangement de pofition ne
concourt en rien à les foutenir mutuellement
, comme dans celui des voûtes de
pierres en coupe , auquel cas la folidité
dépend uniquement des excellentes qualités
des matériaux , lefquelles ne font ni
par- tout , ni toujours également conftantes
, de forte qu'on rifque tout fur leurs
moindres défauts ; les briques mal cuites
, ou de mauvaife pâte de terre , le
plâtre éventé ou mal gâché , ou employé
à contre-tems , peuvent empêcher cetre
confiftance uniforme & inébranlable qui
doit en réfulter . Puis le plâtre s'énerve
par les impreffions de l'air dans une fucceffion
de tems qui ne va pas à un fiecle
, mais feulement ( à ce qu'on dit ) a
la durée de la vie d'un homme bien
conftitué , après quoi il devient pouf,
c'eft-à-dire farineux ( fuivant le langage
des ouvriers ) ; ainfi il n'y auroit pas de
prudence de hazarder la perte d'un édi-
-fice auffi confidérable qu'eft celui d'une
églife , qui doit être faite pour durer
des fiecles , fur une conjecture qui fuppofe
qu'une voûte ne doit point pouffer , &
toujours fubfifter , quoique d'une largeur
de diametre ordinairement de 36 à 42
pieds d'étendue , qui excéde de beaucoup
་
166 MERCURE DE FRANCE.
celle des édifices pour l'habitation , dong
on a fait des épreuves.
"
On fçait que la pefanteur agit continuellement
, quoiqu'infenfiblement ; nous
en avons l'exemple dans les bois de la
meilleure confiftance , dont elle fait
alonger les fibres qu'elle ne peut
ne peut caffer.
Une poutre bien dreffée & pofée de niveau
, fans être chargée d'aucun poids
que de celui de fes parties , fe courbe
peu à peu en contre-bas ; & l'on voit
tous les jours des voûtes de bonne maçonnerie
, dont le mortier a fait le corps
depuis long-tems , s'ouvrir vers les reins ,
environ à 45 degrés , lorfque la réfiftan-
-ce des piédroits s'eft trouvée trop équilibrée
, ou diminuée par les moindres
accidens. On en a une preuve bien facheufe
& inquiétante encore aujourd'hui,
par la lézarde ou crevaffe qui s'eft faire
au grand dôme de l'églife de S. Pierre
de Rome , plus de 80 ans après fon édification
& perfection . Sur de telles ex-
-périences , un Architecte feroit inexcufable
de rifquer une conftruction vifiblement
trop foible.
-
•
C
On peut mettre dans le rang des idées
pittorefques celle d'envelopper tout le fecond
ordre de fon église , qui n'est que de
colonnes ifoléés par des vitraux continus
MAI.
1755 167
>
fans interruption , laquelle étant une
nouveauté inattendue fait tomber les
objections que j'avois fait concernant la
néceffité des bafes au rez de chauffée ,
pour foutenir un mur d'enceinte au fecond
ordre , où je comptois que devoient
être les bayes des vitraux , ouverts à dif
tances convenables dans les entre- colonnemens.
Mais il dit formellement que
tout eft vuide d'une colonne à l'autre , fans
aucune espece de piédroit . Tout étant
fupprimé par ce fyftême , l'objection que
je faifois eft du vieux ftyle , on ne bâtira
plus comme par le paſſé.
.
Il nous refte encore à examiner fon
idée d'une voûte à faire fur le milieu
de la croifée des deux berceaux qui couvrent
la nef & la traverfe de la croix de
fon plan , laquelle feroit ( comme je l'ai
dit ) tout naturellement une voûte d'arête
, qu'il trouve , ainfi que la plupart
des Architectes , trop fimple pour une
églife de goût , à laquelle on fubftitue
ordinairement un dôme , fuivant l'Architecture
moderne de la plupart des églifes
d'Italie , pour donner de la nouveauté ;
il rejette cette conftruction , & en fubftitue
une autre , qu'il avoit annoncée
dans fon Effai , d'une maniere fi myſtéricufe
qu'on ne pouvoit deviner que ce
168 MERCURE DE FRANCE.
fût la chofe du monde la plus ordinaire
qu'il a dévoilé dans fa réponſe à mes
remarques , par laquelle on voit que ce
n'eft plus qu'une voûte fphérique en pan .
dantif : en cet endroit ( dit - il ) on peut
» conftruire toute forte de voûte en cul-
» de-four , & en pandantif , qui empêche
( ajoute-t- il ) que fur les quatre
grands arcs-doubleaux , on éleve des
>> enroulemens qui , fuivant la diminution
» pyramidale , aillent ſe réunir à un couronnement
en portion de ſphere , rempli
par une Gloire ou une Apothéose.
» Ce centre de croifée couvert par une
» voûte ainfi percée à jour & décorée avec
» hardieffe , n'auroit- il pas quelque chofe
» de très-brillant & tout- à- fait pittoref
que ? Sans doute , c'eft un beau fujer de
décoration de théatre , fi les édifices fe
faifoient avec la même facilité que les
peintures , & n'exigeoient pas plus de
précaution ; mais malheureufement on
eft affujetti à la folidité & aux moyens
de prendre le jour fans percer plus haut
qu'il ne faut pour le ménager , & pourvoir
à l'écoulement des eaux de pluie ,
enforte qu'elles ne tombent point par ces
pans de la couverture
des combles qui fe croifent , ainfi que
les yoûtes des berceaux qu'ils couvrent ,
ouvertures : or les
ne
MA I.
1755. 169
ne laiffent pas de paffage à la lumiere fi
on ne s'élève au-deffus , auquel cas on,
retombe dans la néceflité de la conftruction
d'un dôme fur une tour à l'ordinaire , que
PAuteur condamne d'après fon maître le
P. Cordemoy , qui leur reproche du porteà-
faux .
On a lieu d'être furpris que quoiqu'il
ait profcrit les arcs doubleaux dans fon
effai , il en fafle ici mention , & qu'il y appuie
les enroulemens qui doivent porter la
coupole de l'apothéofe en cul de four , parce
qu'on y trouve plufieurs inconvéniens ;
l'un , que les affiettes de leur baſe devant
être de niveau entr'elles , elles ne peuvent
être pofées que fur les quatre clefs des arcs
doubleaux qui font dans cette fituation relative
, & ces parties ( les plus foibles des
voûtes ) ne paroiffent gueres convenables
pour foutenir ces enroulemens , qui , comme
de fimples nervûres , font chargées du
poids de la calotte fphérique . Secondement
parce que leur nombre ne fuffiroit pas pour
porter le contour de ce fegment , ainfi
percé à jour , à moins qu'il ne fût très-petit
, en approchant beaucoup de fon pôle ,
auquel cas , fi l'on enveloppe les enroulemens
de vitraux continus , comme il fait
à l'égard des colonnes du fecond ordre , ils
deviendront auffi fphériques en portions
H
170 MERCURE
DE FRANCE.
inclinés en furde
trapezes
courbes
plomb.
:
,
Les fera - t - on ainfi alors il faut renvoyer
l'exécution de ce projet à la côte du
Pérou , comme à Lima où il ne pleut jamais
mais fi l'on ne croit pas pouvoir les
faire de même à caufe de l'inconvénient de
l'écoulement des eaux de pluie , on fera
obligé , pour le faire à plomb & en abajour
, d'élever une tour fur la croifée des
berceaux , portant à faux fur les pandantifs,
& alors on retombe dans la conftruction.
ordinaire des dômes , ou du moins des
demi- dômes , plus ou moins élevés extérieurement
, fuivant le diametre de la voû
te fphérique , à laquelle cette tour fera
circonfcrite , fans paroître dans l'intérieur
que comme un-cul- de four en pandantif ,
portant immédiatement fur les panaches ,
élevés fur un pan coupé des angles faillans
de la croifée.
Cette conftruction n'a rien d'extraordi
naire ; nous en avons mille exemples , particulierement
à Rome dans les églifes de
Sainte Marie in Porticu , du deffein du Cavalier
Rainaldi ; à Sainte Marie in Vallicella
, de celui du vieux Longo ; à S. Charles
des quatre Fontaines , de celui du Cavalier
Borromini ; & fans aller fi loin , au Noviciat
des Jéfuites de Paris , excepté que cetMAI.
1755. 171
7
tere conftruction y eft fans grace , en ce que
les pandantifs n'y font pas féparés de la
calotte fphérique par une corniche horizontale
, qui lui forme une baſe , & met
à part une figure réguliere plus agréable à
la vûe que celle qui eft échancrée par les
lunettes des berceaux pénétrant la furface
fphérique ; fecondement , parce que le
fommet , ou fond de cette furface concave,
y eft obfcur , fon enfoncement n'étant pas
éclairé d'une lanterne comme dans les
églifes citées , où cette partie eft brillante
par une lumiere célefte , qui y defcend
naturellement , au lieu qu'au Noviciat elle
ne l'eft que par un peu de reflet qui renvoie
la lumiere de bas en haut ; ce défaut
que l'auteur de l'examen de l'Effai a déja
remarqué au fommet des berceaux qui
couvrent la nef & la croifée de fon églife
, eft encore ici plus remarquable , parce
que le reflet vient de plus loin , & remonte
plus haut . Je paffe fur un autre défaut
de largeur du pan coupé à chaque
angle de la croifée , lequel eft trop petit
pour fervir de baſe au panache.
Nous voilà donc au fait de cette voûte
de croifée d'églife , qui avoit été annoncée
comme une nouvelle invention , & qui
n'eſt rien moins . » C'étoit ( dit- on ) une
»forte de baldaquin , en façon de dôme ›
Hij
172 MERCURE DE FRANCE .
ود
» d'un deffein léger , qui puiffe fympathi
» fer avec l'idée de voûte ; dès lors ( ajoû
» toit l'auteur ) point de colonne , & rien
» de ce qui a befoin de porter dès les fondemens
, & un Architecte comprendra
fans peine les raifons qui me détermi-
» nent de propofer ainfi pour défigner une
» voûte qui aura toute la fingularité , tous
» les avantages des dômes fans en avoir les
inconvéniens .
"
,
11 eft clair qu'en admettant toutes ces
conditions à la lettre , il ne fatisfait en
aucune façon au problême. 1 ° . On ne peut
fon cul-de-four en pandantif pas dire que
ne porte fur rien qui vienne des fondemens
& qu'il n'y ait point de colonne , puifqu'il
y en a quatre , une à chaque angle faillant
de la croifée au rez de chauffée , & une
feconde en échafaudage au - deffus pour le
fecond ordre , ce qui en fait huit , à tout
compter ; la fupérieure fervant à porter le
pied du pandantif , porte fur la premiere
établie au rez de chauffée , par conféquent
dès lesfondemens : enfuite , le pandantif
établi fur ces colonnes , porte & rachete la
calotte fphérique de l'apothéofe ; donc par
une induction bien raifonnée , elle porte
dès les fondemens ; donc cette conſtruction
ne fatisfait point au problême.
Mais oferoit - on faire l'analyfe de ce
M.A I. 1755 173
fupport de tant de fardeaux ? on trouvera
qu'il fe réduit à une arête verticale de
l'angle faillant de l'architrave du premier
ordre , laquelle porte elle-même à faux ,
comme nous l'avons démontré ci - devant
dans l'examen de la fonction d'une colonne
fous un angle faillant.
Nos Architectes qui refpectent les principes
de l'art , font ordinairement un pan
coupé dans les angles de cette efpece, pour
y trouver un peu de baſe horizontale au
panache qui doit racheter le cul-de-four .
Pour finir , je pafferai fous filence bien
des chofes que j'aurois à dire fur la nouvelle
architecture en filigramme ; par
exemple , fur les pentes à ménager aux toîts
des bas côtés pour l'écoulement des eaux de
pluie , qu'on ne peut diriger qu'en s'élevant
du côté de la nef , & mafquant une
partie des vitraux du fecond ordre , lequel
eft établi immédiatement au -deffus de l'architrave
du premier , regnant de niveau
avec l'égoût extérieur des plafonds des bas
côtés , & de plus des chapelles qui l'écartent
encore du corps de la nef , d'où fuit
une plus grande hauteur de pente à donner
à cette partie inférieure qui reçoit auffi
l'égoût d'un côté du grand comble. J'en
pourrois dire autant & plus à l'égard du
baldaquin pittoresque ; mais je veux mon-
Hiij
374 MERCURE DE FRANCE.
trer que je ne cherche pas matiere à criti
quer , n'ayant d'autre intention que celle
de rendre ma réplique utile.
Au refte , je fuis très - obligé au R. Pere
Laugier de la maniere obligeante dont il
a parlé de moi dans fon prélude ; je lui en
fais mes très-humbles remercimens , fans
attention à ce que ce procédé de politeffe
ne s'eft pas toujours foutenu dans certains
momens où il lui a échapé des qualifications
de difcours , dont j'ai montré l'injuftice
; de forte qu'elles étoient réversibles
de droit à celui qui les avoit données malà-
propos , fi la qualité de Philofophe dont il
m'honore , & que je fais gloire de foutenir
en bonne part , ne me mettoit infiniment
au- deffus de ces petiteffes.
A Breft , le 2 Nov. 1754. FREZIER.
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Résumé : RESULTAT de la dispute entre le P. Laugier & M. Frezier, concernant le Goût de l'Architecture.
Le texte présente une dispute littéraire entre le Père Laugier et M. Frezier concernant le goût en architecture. Frezier affirme qu'il n'existe pas de beau essentiel en architecture, en raison des variétés des goûts particuliers de chaque nation et de leurs variations au fil du temps. Laugier, au contraire, soutient la possibilité d'une telle beauté, bien que aucun architecte n'ait encore réussi à la montrer dans ses ouvrages. Frezier critique Laugier pour sa contradiction concernant une église bâtie à Pékin, appréciée par les Chinois selon Laugier, mais non par le frère Attiret. Dans la seconde partie de la dispute, Laugier change d'avis et attaque Frezier sur la question des proportions harmoniques en architecture. Frezier répond que les architectes anciens et modernes n'ont jamais pensé à ces principes scientifiques, ce que Laugier conteste en suggérant que les architectes pourraient avoir trouvé le vrai par intuition. La dispute se poursuit sur la question des pilastres, que Laugier considère comme des innovations issues de l'ignorance. Frezier démontre que les pilastres sont essentiels pour soutenir les angles des entablements, contrairement aux colonnes. Laugier propose une solution pour éviter le porte-à-faux, mais Frezier la critique comme étant ridicule et ignorante. Frezier explique ensuite l'utilité des pilastres dans les habitations, soulignant que les colonnes ne peuvent pas servir de support dans ces contextes. Il conclut que les pilastres sont préférables aux colonnes pour des raisons pratiques et esthétiques. Le texte aborde également les proportions et la beauté des ordres architecturaux, soulignant que la colonne doit être vue perpendiculairement au mur pour que sa proportion soit respectée. Il critique l'enclavement des colonnes dans les murs, affirmant que cela altère leur beauté architecturale. Il compare les colonnes aux pilastres, notant que ces derniers, contrairement aux colonnes, ne perdent pas leur apparence en étant enclavés. Le texte discute des dispositions des églises, soulignant que le Père propose des plans sans se soucier de la conformité avec les usages anciens. Il critique la liberté excessive dans la conception des églises modernes, qui néglige la majesté du lieu et les cérémonies liturgiques. Il examine la construction de l'église proposée par le Père, critiquant le manque de symétrie et de solidité dans le plan. Il souligne que les colonnes isolées aux angles ne peuvent résister aux poussées des platebandes, ce qui compromet la stabilité de l'édifice. Enfin, le texte aborde les défis et les incertitudes liés à l'utilisation de nouvelles techniques de construction pour les voûtes d'églises. Il souligne plusieurs points critiques : l'indisponibilité de matériaux de qualité dans certaines régions, la solidité des voûtes légères en briques de plat, et les effets de la pesanteur sur les structures. Il critique une proposition de voûte sphérique en pendentif, jugée trop fragile et inadaptée aux contraintes climatiques. Le texte conclut que la nouvelle proposition de voûte ne répond pas aux exigences de solidité et de durabilité, et qu'elle nécessite des fondations et des supports similaires aux méthodes traditionnelles.
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